The Romance of a Mummy, by Théophile Gautier (2024)

Le Roman de la momie

The Romance of a Mummy

Théophile Gautier

(1899)

Théophile Gautier

Translator: Frederick C. de Sumichrast (1845-1933)

Prologue

Prologue

«J’ai un pressentiment que nous trouverons dans la vallée deBiban-el-Molouk une tombe inviolée, disait à un jeune Anglais de haute mine unpersonnage beaucoup plus humble, en essuyant d’un gros mouchoir à carreauxbleus son front chauve où perlaient des gouttes de sueur, comme s’il eût étémodelé en argile poreuse et rempli d’eau ainsi qu’une gargoulette deThèbes.

"I have a presentiment that we shall find in the valley of Biban el Molûk atomb intact," said to a high-bred-looking young Englishman a much more humblepersonage who was wiping, with a big, blue-checked handkerchief, his bald head,on which stood drops of perspiration, just as if it had been made of porousclay and filled with water like a Theban water-jar.

— Qu’Osiris vous entende, répondit au docteur allemand le jeune lord:c’est une invocation qu’on peut se permettre en face de l’ancienneDiospolis magna; mais bien des fois déjà nous avons étédéçus; les chercheurs de trésors nous ont toujours devancés.

"May Osiris hear you!" replied the English nobleman to the German scholar."One may be allowed such an invocation in the presence of the ancientDiospolis Magna. But we have been so often deceived hitherto;treasure-seekers have always forestalled us."

— Une tombe que n’auront fouillée ni les rois pasteurs, ni les Mèdes deCambyse, ni les Grecs, ni les Romains, ni les Arabes, et qui nous livre sesrichesses intactes et son mystère vierge, continua le savant en sueur avec unenthousiasme qui faisait pétiller ses prunelles derrière les verres de seslunettes bleues.

"A tomb which neither the Shepherd Kings nor the Medes of Cambyses nor theGreeks nor the Romans nor the Arabs have explored, and which will give up to usits riches intact," continued the perspiring scholar, with an enthusiasm whichmade his eyes gleam behind the lenses of his blue glasses.

— Et sur laquelle vous publierez une dissertation des plus érudites, quivous placera dans la science à côté des Champollion, des Rosellini, desWilkinson, des Lepsius et des Belzoni, dit le jeune lord.

"And on which you will print a most learned dissertation which will give youa place by the side of Champollion, Rosellini, Wilkinson, Lepsius, andBelzoni," said the young nobleman.

— Je vous la dédierai, milord, je vous la dédierai: car sans vous quim’avez traité avec une munificence royale, je n’aurais pu corroborer monsystème par la vue des monuments, et je serais mort dans ma petite villed’Allemagne sans avoir contemplé les merveilles de cette terre antique»,répondit le savant d’un ton ému.

"I shall dedicate it to you, my lord, for had you not treated me with regalmunificence, I could not have backed up my system by an examination of themonuments, and I should have died in my little town in Germany without havingbeheld the marvels of this ancient land," replied the scholar, withemotion.

Cette conversation avait lieu non loin du Nil, à l’entrée de la vallée deBiban-el-Molouk, entre le Lord Evandale, monté sur un cheval arabe, et ledocteur Rumphius, plus modestement juché sur un âne dont un fellah bâtonnait lamaigre croupe; la cange qui avait amené les deux voyageurs, et quipendant leur séjour devait leur servir de logement, était amarrée de l’autrecôté du Nil, devant le village de Louqsor, ses avirons parés, ses grandesvoiles triangulaires roulées et liées aux vergues. Après avoir consacréquelques jours à la visite et à l’étude des stupéfiantes ruines de Thèbes,débris gigantesques d’un monde démesuré, ils avaient passé le fleuve sur unsandal (embarcation légère du pays), et se dirigeaient vers l’aride chaîne quirenferme dans son sein, au fond de mystérieux hypogées, les anciens habitantsdes palais de l’autre rive. Quelques hommes de l’équipage accompagnaient àdistance Lord Evandale et le docteur Rumphius, tandis que les autres, étendussur le pont à l’ombre de la cabine, fumaient paisiblement leur pipe tout engardant l’embarcation.

This conversation took place not far from the Nile, at the entrance to thevalley of Biban el Molûk, between Lord Evandale, who rode an Arab horse, andDr. Rumphius, more modestly perched upon an ass, the lean hind-quarters ofwhich a fellah was belabouring. The boat which had brought the two travellers,and which was to be their dwelling during their stay, was moored on the otherside of the Nile in front of the village of Luxor. Its sweeps were shipped, itsgreat lateen sails furled on the yards. After having devoted a few days tovisiting and studying the amazing ruins of Thebes, gigantic remains of a mightyworld, they had crossed the river on a sandal, a light native boat, and wereproceeding towards the barren region which contains within its depths, far downmysterious hypogea, the former inhabitants of the palaces on the other bank. Afew men of the crew accompanied Lord Evandale and Dr. Rumphius at a distance,while the others, stretched out on the deck in the shadow of the cabin, werepeacefully smoking their pipes and watching the craft.

Lord Evandale était un de ces jeunes Anglais irréprochables de tout point,comme en livre à la civilisation la haute vie britannique: il portaitpartout avec lui la sécurité dédaigneuse que donnent une grande fortunehéréditaire, un nom historique inscrit sur le livre du Peerage andBaronetage, cette seconde Bible de l’Angleterre, et une beauté dont on nepouvait rien dire, sinon qu’elle était trop parfaite pour un homme. En effet,sa tête pure, mais froide, semblait une copie en cire de la tête du Méléagre oude l’Antinoüs. Le rose de ses lèvres et de ses joues avait l’air d’être produitpar du carmin et du fard, et ses cheveux d’un blond foncé frisaientnaturellement, avec toute la correction qu’un coiffeur émérite ou un habilevalet de chambre eussent pu leur imposer. Cependant le regard ferme de sesprunelles d’un bleu d’acier et le léger mouvement de sneer qui faisaitproéminer sa lèvre inférieure corrigeaient ce que cet ensemble aurait eu detrop efféminé.

Lord Evandale was one of those thoroughly irreproachable young noblemen whomthe upper classes of Britain give to civilisation. He bore everywhere with himthe disdainful sense of security which comes from great hereditary wealth, ahistoric name inscribed in the "Peerage and Baronetage"—a book second only tothe Bible in England—and a beauty against which nothing could be urged, savethat it was too great for a man. His clear-cut and cold features seemed to be awax copy of the head of Meleager or Antinoüs; his brilliant complexion seemedto be the result of rouge and powder, and his somewhat reddish hair curlednaturally as accurately as an expert hairdresser or clever valet could havemade it curl. On the other hand, the firm glance of his steel-blue eyes and theslightly sneering expression of his lower lip corrected whatever there might beof effeminate in his general appearance.

Membre du club des Yachts, le jeune lord se permettait de temps à autre lecaprice d’une excursion sur son léger bâtiment appelé Puck, construit enbois de teck, aménagé comme un boudoir et conduit par un équipage peu nombreux,mais composé de marins choisis. L’année précédente il avait visitél’Islande; cette année il visitait l’Égypte, et son yacht l’attendaitdans la rade d’Alexandrie; il avait emmené avec lui un savant, unmédecin, un naturaliste, un dessinateur et un photographe, pour que sapromenade ne fût pas inutile; lui-même était fort instruit, et ses succèsdu monde n’avaient pas fait oublier ses triomphes à l’université de Cambridge.Il était habillé avec cette rectitude et cette propreté méticuleusecaractéristique des Anglais qui arpentent les sables du désert dans la mêmetenue qu’ils auraient en se promenant sur la jetée de Ramsgate ou sur leslarges trottoirs du West-End. Un paletot, un gilet et un pantalon de coutilblanc, destiné à répercuter les rayons solaires, composaient son costume, quecomplétaient une étroite cravate bleue à pois blancs, et un chapeau de Panamad’une extrême finesse garni d’un voile de gaze.

As a member of the Royal Yacht Squadron, the young nobleman indulgedoccasionally in a cruise on his swift yacht Puck, built of teak, fittedlike a boudoir, and manned by a small crew of picked seamen. In the course ofthe preceding year he had visited Iceland; in the present year he was visitingEgypt, and his yacht awaited him in the roads of Alexandria. He had with him ascholar, a physician, a naturalist, an artist, and a photographer, in orderthat his trip might not be unfruitful. He was himself highly educated, and hissociety successes had not made him forget his triumphs at Cambridge University.He was dressed with that accuracy and careful neatness characteristic of theEnglish, who traverse the desert sands in the same costume which they wouldwear when walking on the pier at Ramsgate or on the pavements of the West End.A coat, vest, and trousers of white duck, intended to repel the sun's rays,composed his costume, which was completed by a narrow blue necktie with whitespots, and an extremely fine Panama hat with a veil.

Rumphius, l’égyptologue, conservait, même sous ce brûlant climat, l’habitnoir traditionnel du savant avec ses pans flasques, son collet recroquevillé,ses boutons éraillés, dont quelques-uns s’étaient échappés de leur capsule desoie. Son pantalon noir luisait par places et laissait voir la trame;près du genou droit, l’observateur attentif eût remarqué sur le fond grisâtrede l’étoffe un travail régulier de hachures d’un ton plus vigoureux, quitémoignait chez le savant de l’habitude d’essuyer sa plume trop chargée d’encresur cette partie de son vêtement. Sa cravate de mousseline roulée en cordeflottait lâchement autour de son col, remarquable par la forte saillie de cecartilage appelé par les bonnes femmes la pomme d’Adam. S’il était vêtu avecune négligence scientifique, en revanche Rumphius n’était pas beau:quelques cheveux roussâtres, mélangés de fils gris, se massaient derrière sesoreilles écartées et se rebellaient contre le collet beaucoup trop haut de sonhabit; son crâne, entièrement dénudé, brillait comme un os et surplombaitun nez d’une prodigieuse longueur, spongieux et bulbeux du bout, configurationqui, jointe aux disques bleuâtres formés par les lunettes à la place des yeux,lui donnait une vague apparence d’ibis, encore augmentée par l’enfoncement desépaules: aspect tout à fait convenable d’ailleurs et presque providentielpour un déchiffreur d’inscriptions et de cartouches hiéroglyphiques. On eût ditun dieu ibiocéphale, comme on en voit sur les fresques funèbres, confiné dansun corps de savant par suite de quelque transmigration.

Rumphius, the Egyptologist, preserved even in this hot climate thetraditional black coat of the scholar with its loose skirts, its curled upcollar, its worn buttons, some of which had freed themselves of their silkcovering. His black trousers shone in places and showed the warp. Near theright knee an attentive observer might have remarked upon the greyish ground ofthe stuff a systematic series of lines of richer tone which proved that he wasin the habit of wiping his pen upon this portion of his clothes. His muslincravat, rolled in the shape of a cord, hung loosely around his neck, on whichstood out strongly the Adam's apple. Though he was dressed with scientificcarelessness, Rumphius was not any the handsomer on that account. A few reddishhairs, streaked with gray, were brushed back behind his protruding ears, andwere puffed up by the high collar of his coat. His perfectly bald skull,shining like a bone, overhung a prodigiously long nose, spongy and bulbous atthe end, so that with the blue discs of his glasses he looked somewhat like anibis,—a resemblance increased by his head sunk between his shoulders. Thisappearance was of course entirely suitable and most providential for oneengaged in deciphering hieroglyphic inscriptions and scrolls. He looked like abird-headed god, such as are seen on funeral frescoes, who had transmigratedinto the body of a scholar.

Le lord et le docteur cheminaient vers les rochers à pic qui enserrent lafunèbre vallée de Biban-el-Molouk, la nécropole royale de l’ancienne Thèbes,tenant la conversation dont nous avons rapporté quelques phrases, lorsque,sortant comme un troglodyte de la gueule noire d’un sépulcre vide, habitationordinaire des fellahs, un nouveau personnage, vêtu d’une façon assez théâtrale,fit brusquement son entrée en scène, se posa devant les voyageurs et les saluade ce gracieux salut des Orientaux, à la fois humble, caressant et digne.

The lord and the doctor were travelling towards the cliffs which encirclethe sombre valley of Biban el Molûk, the royal necropolis of ancient Thebes,indulging in the conversation of which we have related a part, when, risinglike a Troglodyte from the black mouth of an empty sepulchre—the ordinaryhabitation of the fellahs—another person, dressed in somewhat theatricalfashion, abruptly entered on the scene, stood before the travellers, andsaluted them with the graceful salute of the Orientals, which is at oncehumble, caressing, and noble.

C’était un Grec, entrepreneur de fouilles, marchand et fabricantd’antiquités, vendant du neuf au besoin à défaut de vieux. Rien en lui,d’ailleurs, ne sentait le vulgaire et famélique exploiteur d’étrangers. Ilportait le tarbouch de feutre rouge, inondé par-derrière d’une longue houppe desoie floche bleue, et laissant voir, sous l’étroit liséré blanc d’une premièrecalotte de toile piquée, des tempes rasées aux tons de barbe fraîchement faite.Son teint olivâtre, ses sourcils noirs, son nez crochu, ses yeux d’oiseau deproie, ses grosses moustaches, son menton presque séparé par une fossette quiavait l’air d’un coup de sabre lui eussent donné une authentique physionomie debrigand, si la rudesse de ses traits n’eût été tempérée par l’aménité decommande et le sourire servile du spéculateur fréquemment en rapport avec lepublic. Son costume était fort propre: il consistait en une vestecannelle soutachée en soie de même couleur, des cnémides ou guêtres d’étoffepareille, un gilet blanc orné de boutons semblables à des fleurs de camomille,une large ceinture rouge et d’immenses grègues aux plis multipliés etbouffants.

This man was a Greek who undertook to direct excavations, who manufacturedand sold antiquities, selling new ones when the supply of the old happened tofail. Nothing about him, however, smacked of the vulgar exploiter of strangers.He wore a red felt fez from which hung a long blue silk tassel; under thenarrow edge of an inner linen cap showed his temples, evidently recentlyshaved. His olive complexion, his black eyebrows, his hooked nose, his eyeslike those of a bird of prey, his big moustaches, his chin almost divided intotwo parts by a mark which looked very much like a sabre-cut, would have madehis face that of a brigand, had not the harshness of his features been temperedby the assumed amenity and the servile smile of a speculator who has manydealings with the public. He was dressed in very cleanly fashion in acinnamon-coloured jacket embroidered with silk of the same colour, gaiters ofthe same stuff, a white vest adorned with buttons like chamomile flowers, abroad red belt, and vast bulging trousers with innumerable folds.

Ce Grec observait depuis longtemps la cange à l’ancre devant Louqsor. À lagrandeur de la barque, au nombre des rameurs, à la magnificence del’installation, et surtout au pavillon d’Angleterre placé à la poupe, il avaitsubodoré avec son instinct mercantile quelque riche voyageur dont on pouvaitexploiter la curiosité scientifique, et qui ne se contenterait pas desstatuettes en pâte émaillée bleue ou verte, des scarabées gravés, desestampages en papier de panneaux hiéroglyphiques, et autres menus ouvrages del’art égyptien.

He had long since noted the boat at anchor before Luxor. Its size, thenumber of the oarsmen, the luxury of the fittings, and especially the Englishflag which floated from the stern, had led his mercantile instinct to expect arich traveller whose scientific curiosity might be exploited, and who would notbe satisfied with statuettes of blue or green enamelled ware, engravedscarabæi, paper rubbings of hieroglyphic panels, and other such trifles ofEgyptian art.

Il suivait les allées et les venues des voyageurs à travers les ruines, et,sachant qu’ils ne manqueraient pas, après avoir satisfait leur curiosité, depasser le fleuve pour visiter les hypogées royaux, il les attendait sur sonterrain, certain de leur tirer poil ou plume; il regardait tout cedomaine funèbre comme sa propriété, et malmenait fort les petit* chacalssubalternes qui s’avisaient de gratter dans les tombeaux.

He had followed the coming and going of the travellers among the ruins, andknowing that they would not fail, after having sated their curiosity, to crossthe stream in order to visit the royal tombs, he awaited them on his ownground, certain of fleecing them to some extent. He looked upon the whole ofthis funereal realm as his own property, and treated with scant courtesy thelittle subaltern jackals who ventured to scratch in the tombs.

Avec la finesse particulière aux Grecs, d’après l’aspect de Lord Evandale,il additionna rapidement les revenus probables de Sa Seigneurie, et résolut dene pas le tromper, calculant qu’il retirerait plus d’argent de la vérité que dumensonge. Aussi renonça-t-il à l’idée de promener le noble Anglais dans deshypogées déjà cent fois parcourus, et dédaigna-t-il de lui faire entreprendredes fouilles à des endroits où il savait qu’on ne trouverait rien, pour enavoir extrait lui-même depuis longtemps et vendu fort cher ce qu’il y avait decurieux. Argyropoulos (c’était le nom du Grec), en explorant les recoins de lavallée moins souvent sondés que les autres, parce que jusque-là les recherchesn’avaient été suivies d’aucune trouvaille, s’était dit qu’à une certaine place,derrière des rochers dont l’arrangement semblait dû au hasard, existaitcertainement l’entrée d’une syringe masquée avec un soin tout particulier, etque sa grande expérience en ce genre de perquisition lui avait fait reconnaîtreà mille indices imperceptibles pour des yeux moins clairvoyants que les siens,clairs et perçants comme ceux des gypaètes perchés sur l’entablement destemples. Depuis deux ans qu’il avait fait cette découverte, il s’était astreintà ne jamais porter ses pas ni ses regards de ce côté-là, de peur de donnerl’éveil aux violateurs de tombeaux.

With the swift perception characteristic of the Greeks, no sooner had hecast his eyes upon Lord Evandale than he quickly estimated the probable incomeof his lordship and resolved not to deceive him, reasoning that he would profitmore by telling the truth than by lying. So he gave up his intention of leadingthe noble Englishman through hypogea traversed hundreds of times already, anddisdained to allow him to begin excavations in places where he knew nothingwould be found; for he himself had long since taken out and sold very dear thecuriosities they had contained.

Argyropoulos (such was the Greek's name), while exploring the portion of thevalley which had been less frequently sounded than others because hitherto thesearch had never been rewarded by any find, had come to the conclusion that ina certain spot, behind some rocks whose position seemed to be due to chance,there certainly existed the entrance to a passageway masked with peculiar care,which his great experience in this kind of search had enabled him to recogniseby a thousand signs imperceptible to less clear-sighted eyes than his own,which were as sharp and piercing as those of the vultures perched upon theentablature of the temples. Since he had made that discovery, two years before,he had bound himself never to walk or look in that direction lest he might givea hint to the violators of tombs.

«Votre Seigneurie a-t-elle l’intention de se livrer à quelquesrecherches?» dit le Grec Argyropoulos dans une sorte de patoiscosmopolite dont nous n’essaierons pas de reproduire la syntaxe bizarre et lesconsonances étranges, mais que s’imagineront sans peine ceux qui ont parcourules Échelles du Levant et ont dû avoir recours aux services de ces drogmanspolyglottes qui finissent par ne savoir aucune langue. Heureusem*nt LordEvandale et son docte compagnon connaissaient tous les idiomes auxquelsArgyropoulos faisait des emprunts. «Je puis mettre à votre dispositionune centaine de fellahs intrépides qui, sous l’impulsion du courbach et dubacchich, gratteraient avec leurs ongles la terre jusqu’au centre. Nouspourrons tenter, si cela convient à Votre Seigneurie, de déblayer un sphinxenfoui, de désobstruer un naos, d’ouvrir un hypogée…»

"Does your lordship intend to attempt excavations?" said he in a sort ofcosmopolitan dialect which those who have been in the ports of the Levant andhave had recourse to the services of the polyglot dragomans—who end by notknowing any language—are well acquainted with. Fortunately, both Lord Evandaleand his learned companion knew the various tongues from which Argyropoulosborrowed. "I can place at your disposal," he went on, "some hundred energeticfellahs who, under the spur of whip and bakshîsh, would dig with theirfinger-nails to the very centre of the earth. We may try, if it pleases yourlordship, to clear away a buried sphinx or a shrine, or to open up ahypogeum."

Voyant que le lord restait impassible à cette alléchante énumération, etqu’un sourire sceptique errait sur les lèvres du savant, Argyropoulos compritqu’il n’avait pas affaire à des dupes faciles, et il se confirma dans l’idée devendre à l’Anglais la trouvaille sur laquelle il comptait pour parfaire sapetite fortune et doter sa fille.

On seeing that his lordship remained unmoved by this tempting enumeration,and that a sceptical smile flitted across the doctor's face, Argyropoulosunderstood that he had not to deal with easy dupes, and he was confirmed in hisintention to sell to the Englishman the discovery on which he reckoned tocomplete his fortune and to give a dowry to his daughter.

«Je devine que vous êtes des savants, et non de simples voyageurs, etque de vulgaires curiosités ne sauraient vous séduire, continua-t-il en parlantun anglais beaucoup moins mélangé de grec, d’arabe et d’italien. Je vousrévélerai une tombe qui jusqu’ici a échappé aux investigations des chercheurs,et que nul ne connaît hors moi; c’est un trésor que j’ai précieusem*ntgardé pour quelqu’un qui en fût digne.

"I can see that you are scholars, not ordinary tourists, and that vulgarcuriosity does not bring you here," he went on, speaking in English less mixedwith Greek, Arabic, and Italian. "I will show you a tomb which has hithertoescaped all searchers, which no one knows of but myself. It is a treasure whichI have carefully preserved for a person worthy of it."

— Et à qui vous le ferez payer fort cher, dit le lord en souriant.

"And for which you will have to be paid a high price," said his lordship,smiling.

— Ma franchise m’empêche de contredire Votre Seigneurie: j’espèreretirer un bon prix de ma découverte; chacun vit, en ce monde, de sapetite industrie: je déterre des Pharaons, et je les vends aux étrangers.Le Pharaon se fait rare, au train dont on y va; il n’y en a pas pour toutle monde. L’article est demandé, et l’on n’en fabrique plus depuislongtemps.

"I am too honest to contradict your lordship; I do hope to get a good pricefor my discovery. Every one in this world lives by his trade. Mine is to exhumePharaohs and sell them to strangers. Pharaohs are becoming scarce at the rateat which they are being dug up; there are not enough left for everybody. Theyare very much in demand, and it is long since any have been manufactured."

— En effet, dit le savant, il y a quelques siècles que les colchytes, lesparaschistes et les tarischeutes ont fermé boutique, et que les Memnonia,tranquilles quartiers des morts, ont été désertés par les vivants.»

"Quite right," said the scholar; "it is some centuries since theundertakers, dissectors, and embalmers have shut up shop, and the Memnonia,peaceful dwellings of the dead, have been deserted by the living."

Le Grec, en entendant ces paroles, jeta sur l’Allemand un regardoblique; mais, jugeant au délabrement de ses habits qu’il n’avait pasvoix délibérative au chapitre, il continua à prendre le lord pour uniqueinterlocuteur.

The Greek, as he heard these words, cast a sidelong glance at the German,but fancying from his wretched dress that he had no voice in the matter, hecontinued to address himself exclusively to the young nobleman.

«Pour un tombeau de l’antiquité la plus haute, milord, et que nullemain humaine n’a troublé depuis plus de trois mille ans que les prêtres ontroulé des rochers devant son ouverture, mille guinées, est-ce trop? Envérité, c’est pour rien: car peut-être renferme-t-il des masses d’or, descolliers de diamants et de perles, des boucles d’oreilles d’escarboucle, descachets en saphir, d’anciennes idoles de métal précieux, des monnaies dont onpourrait tirer un bon parti.

"Are a thousand guineas too much, my lord, for a tomb of the greatestantiquity, which no human hand has opened for more than three thousand years,since the priests rolled rocks before its mouth? Indeed, it is giving it away;for perhaps it contains quantities of gold, diamond, and pearl necklaces,carbuncle earrings, sapphire seals, ancient idols in precious metals, and coinswhich could be turned to account."

— Rusé coquin, dit Rumphius, vous faites valoir votre marchandise;mais vous savez mieux que personne qu’on ne trouve rien de tel dans lessépultures égyptiennes.»

"You sly rascal!" said Rumphius, "you are praising up your wares, but youknow better than any one that nothing of the sort is found in Egyptiantombs."

Argyropoulos, comprenant qu’il avait affaire à forte partie, cessa seshâbleries, et, se tournant du côté d’Evandale, il lui dit:

«Eh bien, milord, le marché vous convient-il?

Argyropoulos, understanding that he had to do with clever men, ceased toboast, and turning to Lord Evandale, he said to him, "Well, my lord, does theprice suit you?"

— Va pour mille guinées, répondit le jeune lord, si la tombe n’a jamais étéouverte comme vous le prétendez; et rien… si une seule pierre a étéremuée par la pince des fouilleurs.

"I will give a thousand guineas," replied the young nobleman, "if the tombhas not been opened; but I shall give nothing if a single stone has beentouched by the crow-bar of the diggers."

— Et à condition, ajouta le prudent Rumphius, que nous emporterons tout cequi se trouvera dans le tombeau.

"With the additional proviso," added Rumphius the prudent, "that we carryoff everything we shall find in the tomb."

— J’accepte, dit Argyropoulos avec un air de complète assurance; VotreSeigneurie peut apprêter d’avance ses banknotes et son or.

"Agreed!" said Argyropoulos, with a look of complete confidence. "Yourlordship may get ready your bank-notes and gold beforehand."

— Mon cher monsieur Rumphius, dit Lord Evandale à son acolyte, le vœu quevous formiez tout à l’heure me paraît près de se réaliser; ce drôlesemble sûr de son fait.

"Dr. Rumphius," said Lord Evandale to his acolyte, "it strikes me that thewish you uttered just now is about to be realised. This man seems sure of whathe says."

— Dieu le veuille! répondit le savant en faisant remonter etredescendre plusieurs fois le collet de son habit le long de son crâne par unmouvement dubitatif et pyrrhonien; les Grecs sont de si effrontésmenteurs! Cretœ mendaces, affirme le dicton.

"Heaven will it may be so!" replied the scholar, shaking his head somewhatdoubtfully; "but the Greeks are most barefaced liars, Cretæ mendaces,says the proverb."

— Celui-ci est sans doute un Grec de la terre ferme, dit Lord Evandale, etje pense que pour cette fois seulement il a dit la vérité.»

"No doubt this one comes from the mainland," answered Lord Evandale, "and Ithink that for once he has told the truth."

Le directeur des fouilles précédait le lord et le savant de quelques pas, enpersonne bien élevée et qui sait les convenances; il marchait d’un pasallègre et sûr, comme un homme qui se sent sur son terrain.

The Greek walked a few steps ahead of the nobleman and the scholar like awell-bred man who knows what is proper. He walked lightly and firmly, like aman who feels that he is on his own ground.

On arriva bientôt à l’étroit défilé qui donne entrée dans la vallée deBiban-el-Molouk. On eût dit une coupure pratiquée de main d’homme à traversl’épaisse muraille de la montagne, plutôt qu’une ouverture naturelle, comme sile génie de la solitude avait voulu rendre inaccessible ce séjour de lamort.

The narrow defile which forms the entrance to the valley of Biban el Molûkwas soon reached. It had more the appearance of the work of man than of anatural opening in the mighty wall of the mountain, as if the Genius ofSolitude had desired to make this realm of death inaccessible.

Sur les parois à pic de la roche tranchée, l’œil discernait vaguementd’informes restes de sculptures rongés par le temps et qu’on eût pu prendrepour des aspérités de la pierre, singeant les personnages frustes d’unbas-relief à demi effacé.

On the perpendicular rocky walls were faintly discernible shapeless vestigesof weather-worn sculptures which might have been mistaken for the asperities ofthe stone imitating the worn figures of a half-effaced basso-relievo.

Au-delà du passage, la vallée, s’élargissant un peu, présentait le spectaclede la plus morne désolation.

Beyond the opening, the valley, which here widened somewhat, presented themost desolate sight.

De chaque côté s’élevaient en pentes escarpées des masses énormes de rochescalcaires, rugueuses, lépreuses, effritées, fendillées, pulvérulentes, enpleine décomposition sous l’implacable soleil. Ces roches ressemblaient à desossem*nts de mort calcinés au bûcher, bâillaient l’ennui de l’éternité parleurs lézardes profondes, et imploraient par leurs mille gerçures la goutted’eau qui ne tombe jamais. Leurs parois montaient presque verticalement à unegrande hauteur et déchiraient leurs crêtes irrégulières d’un blanc grisâtre surun fond de ciel indigo presque noir, comme les créneaux ébréchés d’unegigantesque forteresse en ruine.

On either side rose steep slopes formed of huge masses of calcareous rock,rough, leprous-looking, worn, cracked, ground to sand, in a complete state ofdecomposition under the pitiless sun. They resembled bones calcined in thefire, and yawned with the weariness of eternity out of their deep crevices,imploring by their thousand cracks the drop of water which never fell. Thewalls rose almost vertically to a great height, and their dentelated crestsstood out grayish-white against the almost black indigo of the sky, like thebroken battlements of a giant ruined fortress.

Les rayons du soleil chauffaient à blanc l’un des côtés de la valléefunèbre, dont l’autre était baigné de cette teinte crue et bleue des paystorrides, qui paraît invraisemblable dans les pays du Nord lorsque les peintresla reproduisent, et qui se découpe aussi nettement que les ombres portées d’unplan d’architecture.

The rays of the sun heated to white heat one of the sides of the funeralvalley, the other being bathed in that crude blue tint of torrid lands whichstrikes the people of the North as untruthful when it is reproduced bypainters, and which stands out as sharply as the shadows on an architecturaldrawing.

La vallée se prolongeait, tantôt faisant des coudes, tantôt s’étranglant endéfilés, selon que les blocs et les mamelons de la chaîne bifurquée faisaientsaillie ou retraite. Par une particularité de ces climats où l’atmosphère,entièrement privée d’humidité, reste d’une transparence parfaite, laperspective aérienne n’existait pas pour ce théâtre de désolation; tousles détails nets, précis, arides se dessinaient, même aux derniers plans, avecune impitoyable sécheresse, et leur éloignement ne se devinait qu’à lapetitesse de leur dimension, comme si la nature cruelle n’eût voulu cacheraucune misère, aucune tristesse de cette terre décharnée, plus morte encore queles morts qu’elle renfermait.

The valley sometimes made sudden turns, sometimes narrowed into defiles asthe boulders and cliffs drew closer or apart. The thoroughly dry atmosphere inthese climates being perfectly transparent, there was no aerial perspective inthis place of desolation. Every detail, sharp, accurate, bare, stood out, evenin the background, with pitiless dryness, and the distance could only beguessed at by the smaller dimensions of objects. It seemed as though cruelnature had resolved not to conceal any wretchedness, any sadness of this bareland, deader even than the dead it contained.

Sur la paroi éclairée ruisselait en cascade de feu une lumière aveuglantecomme celle qui émane des métaux en fusion. Chaque plan de roche, métamorphoséen miroir ardent, la renvoyait plus brûlante encore. Ces réverbérationscroisées, jointes aux rayons cuisants qui tombaient du ciel et que le solrépercutait, développaient une chaleur égale à celle d’un four, et le pauvredocteur allemand ne pouvait suffire à éponger l’eau de sa figure avec sonmouchoir à carreaux bleus, trempé comme s’il eût été plongé dans l’eau.

Upon the sun-lighted cliff streamed like a cascade of fire a blinding glarelike that which is given out by molten metal; every rock face, transformed intoa burning-glass, returned it more ardent still. These reflections, crossing andrecrossing each other, joined to the flaming rays which fell from heaven andwhich were reflected by the ground, produced a heat equal to that of an oven,and the poor German doctor had hard work to wipe his face with his blue-checkedhandkerchief, which was as wet as if it had been dipped in water.

L’on n’eût pas trouvé dans toute la vallée une pincée de terrevégétale; aussi pas un brin d’herbe, pas une ronce, pas une liane, pasmême une plaque de mousse ne venait interrompre le ton uniformément blanchâtrede ce paysage torréfié. Les fentes et les anfractuosités de ces rochesn’avaient pas assez de fraîcheur pour que la moindre plante pariétaire pût ysuspendre sa mince racine chevelue. On eût dit les tas des cendres restés surglace d’une chaîne de montagnes brûlée au temps des catastrophes cosmiques dansun grand incendie planétaire: pour compléter l’exactitude de lacomparaison, de larges zébrures noires, pareilles à des cicatrices decautérisation, rayaient le flanc crayeux des escarpements.

There was not a particle of loam to be found in the whole valley,consequently not a blade of grass, not a bramble, not a creeper, not even apatch of moss to break the uniformly whitish tone of the torrified landscape.The cracks and recesses of the rocks did not hold coolness enough for the thin,hairy roots of the smallest rock plant. The place looked as if it held theashes of a chain of mountains, consumed in some great planetary conflagration,and the accuracy of the parallel was completed by great black strips lookinglike cauterised cicatrices which rayed the chalky slopes.

Un silence absolu régnait sur cette dévastation; aucun frémissem*nt devie ne le troublait, ni palpitation d’aile, ni bourdonnement d’insecte, nifuite de lézard ou de reptile; la cigale même, cette amie des solitudesembrasées, n’y faisait pas résonner sa grêle cymbale.

Deep silence reigned over this waste; no sign of life was visible; noflutter of wing, no hum of insect, no flash of lizard or reptile; even theshrill song of the cricket, that lover of burning solitudes, was unheard.

Une poussière micacée, brillante, pareille à du grés broyé, formait le sol,et de loin en loin s’arrondissaient des monticules provenant des éclats depierre arrachés aux profondeurs de la chaîne excavée par le pic opiniâtre desgénérations disparues et le ciseau des ouvriers troglodytes préparant dansl’ombre la demeure éternelle des morts. Les entrailles émiettées de la montagneavaient produit d’autres montagnes, amoncellement friable de petit* fragmentsde roc, qu’on eût pu prendre pour une chaîne naturelle.

The soil was formed of a micaceous, brilliant dust like ground sandstone,and here and there rose hummocks formed of the fragments of stone torn from thedepths of the chain, which had been excavated by the persevering workmen ofvanished generations, and the chisel of the Troglodyte labourers who hadprepared in the shadow the eternal dwelling-places of the dead. The brokenentrails of the mountain had produced other mountains, friable heaps of smallrocks which might have been mistaken for the natural range.

Dans les flancs du rocher s’ouvraient ça et là des bouches noires entouréesde blocs de pierre en désordre, des trous carrés flanqués de piliers historiésd’hiéroglyphes, et dont les linteaux portaient des cartouches mystérieux où sedistinguaient dans un grand disque jaune le scarabée sacré, le soleil à tête debélier, et les déesses Isis et Nephtys agenouillées ou debout.

On the sides of the cliffs showed here and there small openings surroundedwith blocks of stone thrown in disorder: square holes flanked by pillarscovered with hieroglyphs, the lintels of which bore mysterious cartouches onwhich could yet be made out in a great yellow disc the sacred scarabæus, theram-headed sun, and the goddesses Isis and Nephthys standing or kneeling.

C’étaient les tombeaux des anciens rois de Thèbes; mais Argyropoulosne s’y arrêta pas, et conduisit ses voyageurs par une espèce de rampe qui nesemblait d’abord qu’une écorchure au flanc de la montagne, et qu’interrompaientplusieurs fois des masses éboulées, à une sorte d’étroit plateau, de cornicheen saillie sur la paroi verticale, où les rochers, en apparence groupés auhasard, avaient pourtant, en y regardant bien, une espèce de symétrie.

These were the tombs of the ancient kings of Thebes. Argyropoulos did notstop there, but led the travellers up a sort of steep slope, which at firstglance seemed nothing but a break on the side of the mountain, choked in manyplaces by fallen masses of rock, until they reached a narrow platform, a sortof cornice projecting over the vertical cliff on which the rocks, apparentlythrown together by chance, nevertheless exhibited on close examination somesymmetrical arrangement.

Lorsque le lord, rompu à toutes les prouesses de la gymnastique, et lesavant, beaucoup moins agile, furent parvenus à se hisser auprès de lui,Argyropoulos désigna de sa badine une énorme pierre, et dit d’un air desatisfaction triomphale: «C’est là!»

When the nobleman, who was a practised athlete, and the doctor, who was muchless agile, had succeeded in climbing up to him, Argyropoulos pointed with hisstick to a huge stone and said with triumphant satisfaction, "There is thespot!"

Argyropoulos frappa dans ses mains à la manière orientale, et aussitôt desfissures du roc, des replis de la vallée accoururent en toute hâte des fellahshâves et déguenillés, dont les bras couleur de bronze agitaient des leviers,des pics, des marteaux, des échelles et tous les instruments nécessaires;ils escaladèrent la pente escarpée comme une légion de noires fourmis. Ceux quine pouvaient trouver place sur l’étroit plateau occupé déjà par l’entrepreneurde fouilles, Lord Evandale et le docteur Rumphius se retenaient des ongles ets’arc-boutaient des pieds aux rugosités de la roche.

He clapped his hands in Oriental fashion, and straightway from the fissuresof the rocks, from the folds of the valley, hastened up pale, ragged fellahs,who bore in their bronze-coloured arms crow-bars, pick-axes, hammers, ladders,and all necessary tools. They escaladed the steep slope like a legion of blackants; those who could not find room on the narrow ledge on which already stoodthe Greek, Lord Evandale, and Dr. Rumphius, hung by their hands and steadiedthemselves with their feet against the projections in the rock.

Le Grec fit signe à trois des plus robustes, qui glissèrent leurs levierssous la plus grosse masse de rocher. Leurs muscles saillaient comme des cordessur leurs bras maigres, et ils pesaient de tout leur poids au bout de leurbarre de fer. Enfin la masse s’ébranla, vacilla quelques instants comme unhomme ivre, et, poussée par les efforts réunis d’Argyropoulos, de LordEvandale, de Rumphius et de quelques Arabes qui étaient parvenus à se juchersur le plateau, roula en rebondissant le long de la pente. Deux autres blocs demoindre dimension furent successivement écartés, et alors on put juger combienles prévisions du Grec étaient justes. L’entrée d’un tombeau, qui avaitévidemment échappé aux investigations des chercheurs de trésors, apparut danstoute son intégrité.

The Greek signed to three of the most robust, who placed their crow-barsunder the edges of the boulder. Their muscles stood out upon their thin arms,and they pressed with their whole weight on the end of the levers. At last theboulder moved, tottered for a moment like a drunken man, and, urged by theunited efforts of Argyropoulos, Lord Evandale, Rumphius, and a few Arabs whohad succeeded in climbing the ledge, bounded down the slope. Two other bouldersof less size went the same way, one after another, and then it was plain thatthe belief of the Greek was justified. The entrance to a tomb, which hadevidently escaped the investigations of the treasure-seekers, appeared in allits integrity.

C’était une sorte de portique creusé carrément dans le roc vif: surles parois latérales, deux piliers couplés présentaient leurs chapiteaux formésde têtes de vache, dont les cornes se contournaient en croissant isiaque.

It was a sort of portico squarely cut in the living rock. On the twoside-walls a couple of pairs of pillars exhibited capitals formed of bulls'heads, the horns of which were twisted like the crescent of Isis.

Au-dessus de la porte basse, aux jambages flanqués de longs panneauxd’hiéroglyphes, se développait un large cadre emblématique: au centred’un disque de couleur jaune, se voyait à côté d’un scarabée, signe desrenaissances successives, le dieu à tête de bélier, symbole du soleil couchant.En dehors du disque, Isis et Nephthys, personnifications du commencement et dela fin, se tenaient agenouillées, une jambe repliée sous la cuisse, l’autrerelevée à la hauteur du coude selon la posture égyptienne, les bras étendus enavant avec une expression d’étonnement mystérieux, et le corps, serré d’unpagne étroit que sanglait une ceinture dont les bouts retombaient.

Below the low door, with its jambs flanked by long panels covered withhieroglyphs, there was a broad, emblematic square. In the centre of a yellowdisc showed by the side of the scarabæus, symbol of successive new births, theram-headed god, the symbol of the setting sun. Outside the disc, Isis andNephthys, incarnations of the Beginning and the End, were kneeling, one legbent under the thigh, the other raised to the height of the elbow, in theEgyptian attitude, the arms stretched forward with an air of mysteriousamazement, and the body clothed in a close fitting gown girdled by a belt withfalling ends.

Derrière un mur de pierrailles et de briques crues qui céda promptement aupic des travailleurs, on découvrit la dalle de pierre qui formait la porte dumonument souterrain.

Behind a wall of stone and unbaked brick, that readily yielded to thepickaxes of the workmen, was discovered the stone slab which formed the doorwayof the subterranean monument.

Sur le cachet d’argile qui la scellait, le docteur allemand, familier avecles hiéroglyphes, n’eut pas de peine à lire la devise du colchyte surveillantdes demeures funèbres qui avait à jamais fermé ce tombeau, dont lui seul eût puretrouver l’emplacement mystérieux sur la carte des sépultures conservée aucollège des prêtres.

On the clay seal which closed it, the German doctor, thoroughly familiarwith hieroglyphs, had no difficulty in reading the motto of the guardian of thefuneral dwellings, who had closed forever this tomb, the situation of which healone could have found upon the map of burial-places preserved in the priests'college.

«Je commence à croire, dit au jeune lord le savant transporté de joie,que nous tenons véritablement la pie au nid, et je retire l’opinion défavorableque j’avais émise sur le compte de ce brave Grec.

"I begin to believe," said the delighted scholar to the young nobleman,"that we have actually found a prize, and I withdraw the unfavourable opinionwhich I expressed about this worthy Greek."

— Peut-être nous réjouissons-nous trop tôt, répondit Lord Evandale, etallons-nous éprouver le même désappointement que Belzoni, lorsqu’il crut êtreentré avant personne dans le tombeau de Menephtha Seti, et trouva, après avoirparcouru un dédale de couloirs, de puits et de chambres, le sarcophage videsous son couvercle brisé: car les chercheurs de trésors avaient abouti àla tombe royale par un de leurs sondages pratiqués sur un autre point de lamontagne.

"Perhaps we are rejoicing too soon," answered Lord Evandale, "and we mayexperience the same disappointment as Belzoni, when he believed himself to bethe first to enter the tomb of Menephtha Seti, and found, after he hadtraversed a labyrinth of passages, walls, and chambers, an empty sarcophaguswith a broken cover; for the treasure-seekers had reached the royal tombthrough one of their soundings driven in at another point in the mountain."

— Oh! non, fit le savant; la chaîne est ici trop épaisse etl’hypogée trop éloigné des autres pour que ces taupes de malheur aient pu, engrattant le roc, prolonger leurs mines jusqu’ici.»

"Oh, no," answered the doctor; "the range is too broad here and the hypogeumtoo distant from the others for these wretched people to have carried theirmines as far as this, even if they scraped away the rock."

Pendant cette conversation, les ouvriers, excités par Argyropoulos,attaquaient la grande dalle de pierre qui masquait l’orifice de la syringe. Endéchaussant la dalle pour passer dessous leurs leviers, car le lord avaitrecommandé de ne rien briser, ils mirent à nu parmi le sable une multitude depetites figurines hautes de quelques pouces, en terre émaillée bleue ou verte,d’un travail parfait, mignonnes statuettes funéraires déposées là en offrandepar les parents et les amis, comme nous déposons des couronnes de fleurs auseuil de nos chapelles funèbres; seulement nos fleurs se fanent vite, etaprès plus de trois mille ans les témoignages de ces antiques douleurs seretrouvent intacts, car l’Égypte ne peut rien faire que d’éternel.

While this conversation was going on, the workmen, urged by Argyropoulos,proceeded to lift the great stone slab which filled up the orifice of thepassage. As they cleared away the slab in order to pass their crow-bars underit, for Lord Evandale had ordered that nothing should be broken, they turned upin the sand innumerable small statuettes a few inches in height, of blue andgreen enamelled ware, of admirable workmanship,—tiny funeral statuettesdeposited there as offerings by parents and friends, just as we place flowerson the thresholds of our funeral chapels; only, our flowers wither, while aftermore than three thousand years these witnesses of long bygone griefs are foundintact, for Egypt worked for eternity only.

Lorsque la porte de pierre s’écarta, livrant, pour la première fois depuistrente-cinq siècles, passage aux rayons du jour, une bouffée d’air brûlants’échappa de l’ouverture sombre, comme de la gueule d’une fournaise. Lespoumons embrasés de la montagne parurent pousser un soupir de satisfaction parcette bouche si longtemps fermée. La lumière, se hasardant à l’entrée ducouloir funèbre, fit briller du plus vif éclat les enluminures des hiéroglyphesentaillés le long des murailles par lignes perpendiculaires et reposant sur uneplinthe bleue. Une figure de couleur rougeâtre, à tête d’épervier et coiffée dupschent, soutenait un disque renfermant le globe ailé et semblait veiller auseuil du tombeau, comme un portier de l’Éternité.

When the door was lifted away, giving for the first time in thirty-fivecenturies entrance to the light of day, a puff of hot air escaped from thesombre opening as from the mouth of a furnace. The light, striking the entranceof the funeral passage, brought out brilliantly the colouring of thehieroglyphs engraved upon the walls in perpendicular lines upon a blue plinth.A reddish figure with a hawk's-head crowned with the pschent, the doublecrown of Upper and Lower Egypt, bore a disc containing a winged globe, andseemed to watch on the threshold of the tomb.

Quelques fellahs allumèrent des torches et précédèrent les deux voyageursaccompagnés d’Argyropoulos: les flammes résineuses grésillaient avecpeine parmi cet air épais, étouffant, concentré pendant tant de milliersd’années sous le calcaire incandescent de la montagne, dans les couloirs, leslabyrinthes et les cæc*ms de l’hypogée. Rumphius haletait et ruisselait commeun fleuve; l’impassible Evandale lui même rougissait et sentait sestempes se mouiller. Quant au Grec, le vent de feu du désert l’avait desséchédepuis longtemps, et il ne transpirait non plus qu’une momie.

Some fellahs lighted torches and preceded the two travellers, who wereaccompanied by Argyropoulos. The resinous flame burned with difficulty in thedense, stifling air which had been concentrated for so many thousands of yearsunder the heated limestone of the mountain, in the labyrinths, passages, andblind ways of the hypogeum. Rumphius breathed hard and perspired in streams;the impassible Evandale turned hot and felt a moisture on his temples. As forthe Greek, the fiery wind of the desert had long since dried him up, and heperspired no more than would a mummy.

Le couloir s’enfonçait directement vers le noyau de la chaîne, suivant unfilon de calcaire d’une égalité et d’une pureté parfaites.

The passage led directly to the centre of the chain, following a vein oflimestone of remarkable fineness and purity.

Au fond du couloir, une porte de pierre, scellée comme l’autre d’un sceaud’argile, et surmontée du globe aux ailes éployées, témoignait que la sépulturen’avait pas été violée, et indiquait l’existence d’un nouveau corridorplongeant plus avant dans le ventre de la montagne.

At the end of the passageway a stone door, sealed as the other had been witha clay seal and surmounted by a winged globe, proved that the tomb had not beenviolated and pointed to the existence of another passageway sunk deeper stillinto the mountain.

La chaleur devenait si intense que le jeune lord se défit de son paletotblanc, et le docteur de son habit noir, que suivirent bientôt leur gilet etleur chemise; Argyropoulos, voyant leur souffle s’embarrasser, ditquelques mots à l’oreille d’un fellah, qui courut à l’entrée du souterrain etrapporta deux grosses éponges imbibées d’eau fraîche, que les deux voyageurs,d’après le conseil du Grec, se mirent sur la bouche pour respirer un air plusfrais à travers les pores humides, comme cela se pratique aux bains russesquand la vapeur est poussée à outrance.

The heat was now so intense that the young nobleman threw off his whitecoat, and the doctor his black one. These were soon followed by their vests andshirts. Argyropoulos, seeing that they were breathing with difficulty,whispered a few words to a fellah, who ran back to the entrance and brought twolarge sponges filled with fresh water, which the Greek advised the twotravellers to place on their mouths so that they might breathe a fresher airthrough the humid pores, as is done in Russian baths when the steam heat israised to excess.

On attaqua la porte, qui céda bientôt.

Un escalier taillé dans le roc vif se présenta avec sa descente rapide.

Sur un fond vert terminé par une ligne bleue se déroulaient, de chaque côtédu couloir, des processions de figurines emblématiques aux couleurs aussifraîches, aussi vives que si le pinceau de l’artiste les eût appliquées laveille; elles apparaissaient un moment à la lueur des torches, puiss’évanouissaient dans l’ombre comme les fantômes d’un rêve.

The door was attacked and soon gave way. A steep staircase cut in the livingrock was then seen descending. Against a green background edged with a blueline were ranged on either side of the passageway processions of symbolicalstatues, the colours of which were as bright and fresh as if the artist's brushhad laid them on the day before. They would show for a second in the light ofthe torches, then vanish in the shadow like the phantoms of a dream.

Au-dessous de ces bandelettes de fresques, des lignes d’hiéroglyphes,disposées en hauteur comme l’écriture chinoise et séparées par des raiescreusées, offraient à la sagacité le mystère sacré de leur énigme.

Below these narrow frescoes, lines of hieroglyphs, written perpendicularlylike Chinese writing and separated by hollow lines, excited the erudite by thesacred mystery of their outlines.

Le long des parois que ne couvraient pas les signes hiératiques, un chacalcouché sur le ventre, les pattes allongées, les oreilles dressées, et unefigure agenouillée, coiffée de la mitre, la main étendue sur un cercle,paraissaient faire sentinelle à côté d’une porte dont le linteau était orné dedeux cartouches accolés, ayant pour tenants deux femmes vêtues de pagnesétroits, et déployant comme une aile leur bras empenné.

Along that portion of the walls which was not covered with hieratic signs, ajackal lying on its belly, with outstretched paws and pointed ears, and akneeling figure wearing a mitre, its hand stretched upon a circle, seemed tostand as sentries on either side of the door, the lintel of which wasornamented with two panels placed side by side, in which were figured two womenwearing close-fitting gowns and extending their feathered arms like wings.

«Ah ça! dit le docteur, reprenant haleine au bas de l’escalier,voyant que l’excavation plongeait toujours plus avant, nous allons doncdescendre jusqu’au centre de la terre? La chaleur augmente tellement quenous ne devons pas être bien loin du séjour des damnés.

"Look here!" said the doctor, taking breath when he reached the foot of thestaircase, and when he saw that the excavation sank deeper and deeper still."Are we going down to the centre of the earth? The heat is increasing to sucha degree that we cannot be far from the sojourn of the damned."

— Sans doute, reprit Lord Evandale, on a suivi la veine du calcaire quis’enfonce d’après la loi des ondulations géologiques.»

"No doubt," answered Lord Evandale, "they followed the vein of limestone,which sinks in accordance with the law of geological undulations."

Un autre passage d’une assez grande déclivité succéda aux degrés. Lesmurailles en étaient également couvertes de peintures où l’on distinguaitvaguement une suite de scènes allégoriques, expliquées sans doute par leshiéroglyphes inscrits au-dessous en manière de légende. Cette frise régnaittout le long du passage, et plus bas l’on voyait des figurines en adorationdevant le scarabée sacré et le serpent symbolique colorié d’azur.

Another very steep passage came after the steps. The walls were lower,covered with paintings, in which could be made out a series of allegoricalscenes, explained, no doubt, by the hieroglyphs inscribed below. This friezeran all along the passage, and below it were small figures worshipping sacredscarabæi and the azure-coloured symbolical serpent.

En débouchant du corridor, le fellah qui portait la torche se rejeta enarrière par un brusque mouvement.

Le chemin s’interrompait subitement, et la bouche d’un puits bâillait carréeet noire à la surface du sol.

As he reached the end of the passage, the fellah who carried the torch threwhimself back abruptly, for the path was suddenly interrupted by the mouth of asquare well yawning black at the surface of the ground.

«Il y a un puits, maître, dit le fellah en interpellantArgyropoulos; que faut-il faire?»

"There is a well, master," said the fellah, addressing himself toArgyropoulos; "what am I to do?"

Le Grec se fit donner une torche, la secoua pour mieux l’enflammer, et lajeta dans la gueule sombre du puits, se penchant avec précaution surl’orifice.

The Greek took the torch, shook it to make it blaze up, and threw it intothe small mouth of the well, bending cautiously over the opening.

La torche descendit en tournoyant et en sifflant: bientôt un coupsourd se fit entendre, suivi d’un pétillement d’étincelles et d’un flot defumée; puis la flamme reprit claire et vive, et l’ouverture du puitsbrilla dans l’ombre comme l’œil sanglant d’un cyclope.

The torch fell, twisting and hissing. Soon a dull sound was heard, followedby a burst of sparks and a cloud of smoke, then the flame burned up bright andclear, and the opening of the well shone in the shadow like the bloodshot eyeof a Cyclops.

«On n’est pas plus ingénieux, dit le jeune lord; ces labyrinthesentrecoupés d’oubliettes auraient dû calmer le zèle des voleurs et dessavants.

"Most ingenious!" said the young nobleman. "This labyrinth, interrupted byoubliettes, must have cooled the zeal of robbers and scholars."

— Il n’en est rien cependant, répondit le docteur; les uns cherchentl’or, les autres la vérité, les deux choses les plus précieuses du monde.

"Not at all," replied the doctor. "Those seek gold, these truth, which arethe two most precious things in the world."

— Apportez la corde à nœuds, cria Argyropoulos à ses Arabes; nousallons explorer et sonder les parois du puits, car l’excavation doit seprolonger bien au-delà.»

"Bring the knotted rope!" cried Argyropoulos to his Arabs. "We shall exploreand sound the walls of the well, for the passage no doubt runs far beyondit."

Huit ou dix hommes, pour faire contrepoids, s’attelèrent à une extrémité dela corde, dont on laissa l’autre bout plonger dans le puits.

Avec l’agilité d’un singe ou d’un gymnaste de profession, Argyropoulos sesuspendit au cordeau flottant et se laissa couler à une quinzaine de piedsenviron, se tenant des mains aux nœuds et battant les parois du puits destalons.

Le roc ausculté rendit partout un son mat et plein; alors Argyropoulosse laissa couler au fond du puits, frappant le sol du pommeau de son kandjar,mais la roche compacte ne résonnait pas.

Evandale et Rumphius, enfiévrés par une curiosité anxieuse, se penchaientsur le bord du puits, au risque de s’y précipiter la tête la première, etsuivaient avec un intérêt passionné les recherches du Grec.

Eight or ten men hung on to the rope, the end of which was let fall into thewell. With the agility of a monkey or of an athlete, Argyropoulos caught holdof the swinging rope and let himself down some fifteen feet, holding on withhis hands and striking with his heels the walls of the well. Wherever he struckthe rock it gave out a dead, dull sound. Then Argyropoulos let himself fall tothe bottom of the well and struck the ground with the hilt of his kandjar, butthe compact rock did not resound. Lord Evandale and the doctor, burning witheager curiosity, bent over the edge at the risk of falling in headlong, andwatched with intense interest the search undertaken by the Greek.

«Tenez ferme là-haut», cria enfin le Grec, lassé de l’inutilitéde sa perquisition, et il empoigna la corde à deux mains pour remonter.

"Hold hard!" cried he at last, annoyed at finding nothing; and he seized therope with his two hands to ascend.

L’ombre d’Argyropoulos, éclairé en dessous par la torche qui continuait àbrûler au fond du puits, se projetait au plafond et y dessinait comme lasilhouette d’un oiseau difforme.

La figure basanée du Grec exprimait un vif désappointement, et il se mordaitla lèvre sous sa moustache.

The shadow of Argyropoulos, lighted from below by the torch which was stillburning at the bottom of the well, was projected against the ceiling and caston it a silhouette like that of a monstrous bird. His sunburned face expressedthe liveliest disappointment, and under his moustache he was biting hislips.

«Pas l’apparence du moindre passage! s’écria-t-il, et pourtantl’excavation ne saurait s’arrêter là.»

"There is not a trace of a passage!" he cried; "and yet the excavationcannot stop here."

— À moins pourtant, dit Rumphius, que l’Égyptien qui s’était commandé cetombeau ne soit mort dans quelque morne lointain, en voyage ou en guerre, etqu’on n’ait abandonné les travaux, ce qui n’est pas sans exemple.

"Unless," said Rumphius, "the Egyptian who ordered this tomb died in somedistant nome, on a voyage, or in battle, the work being then abandoned, as isknown to have been the case occasionally."

— Espérons qu’à force de chercher nous rencontrerons quelque issue sécrète,continua Lord Evandale: sinon, nous essaierons de pousser une galerietransversale à travers la montagne.

"Let us hope that by dint of searching we shall find some secret issue,"returned Lord Evandale; "otherwise we shall try to drive a transverse shaftthrough the mountain."

— Ces damnés Égyptiens étaient si rusés pour cacher l’entrée de leursterriers funèbres! ils ne savaient que s’imaginer afin de désorienter lepauvre monde, et on dirait qu’ils riaient par avance de la mine décontenancéedes fouilleurs», marmottait Argyropoulos.

"Those confounded Egyptians were clever indeed at concealing the entrancesto their tombs,—always trying to find out some way of putting poor people offthe track. One would think that they laughed in anticipation at thedisappointment of searchers," grumbled Argyropoulos.

S’avançant sur le bord du gouffre, le Grec sonda de son regard perçant commecelui d’un oiseau nocturne les murs de la petite chambre qui formait la partiesupérieure du puits. Il ne vit rien que les personnages ordinaires de lapsychostasie, le juge Osiris assis sur son trône, dans la pose consacrée,tenant le pedum d’une main et le fouet de l’autre, et les déesses de la Justiceet de la Vérité amenant l’esprit du défunt devant le tribunal de l’Amenti.

Drawing to the edge of the well, the Greek cast a glance, as piercing asthat of a night-bird, upon the wall of the little chamber which formed theupper portion of the well. He saw nothing but the ordinary characters ofpsychostasia,—Osiris the judge seated on his throne in the regulation attitude,holding the crook in the one hand, the whip in the other, and the goddesses ofJustice and Truth leading the spirit of the dead to the tribunal of Amenti.

Tout à coup il parut illuminé d’une idée subite et fit volte-face: savieille expérience d’entrepreneur de fouilles lui rappela un cas à peu prèssemblable, et d’ailleurs le désir de gagner les mille guinées du lordsurexcitait ses facultés; il prit un pic des mains d’un fellah et se mit,en rétrogradant, à heurter rudement à droite et à gauche les surfaces durocher, au risque de marteler quelques hiéroglyphes et de casser le bec oul’élytre d’un épervier ou d’un scarabée sacré.

Suddenly he seemed to be struck with a new idea, and turned sharply around.His long experience as an excavator recalled to him a somewhat analogous case.In addition, the desire of earning the thousand guineas of his lordship spurredup his faculties. He took a pick-axe from the hands of a fellah, and began,walking backward, to strike sharply right and left on the surface of the rock,often at the risk of damaging some of the hieroglyphs or of breaking the beakor the wing-sheath of the sacred hawk or the scarabæus.

Le mur interrogé finit par répondre aux questions du marteau et sonna creux.

Une exclamation de triomphe s’échappa de la poitrine du Grec et son œilétincela.

Le savant et le lord battirent des mains.

The wall, thus questioned, at last answered the hammer and sounded hollow.An exclamation of triumph broke from the Greek and his eyes flashed; the doctorand the nobleman clapped their hands.

«Piochez là», dit à ses hommes Argyropoulos qui avait repris sonsang-froid.

"Dig here," said Argyropoulos, who had recovered his coolness, to hismen.

On eut bientôt pratiqué une brèche suffisante pour laisser passer un homme.Une galerie, qui contournait dans l’intérieur de la montagne l’obstacle dupuits opposé aux profanateurs, conduisait à une salle carrée dont le plafondbleu posait sur quatre piliers massifs enluminés de ces figures à peau rouge età pagne blanc, qui présentent si souvent dans les fresques égyptiennes leurbuste de face et leur tête de profil.

An opening large enough to allow a man to pass through was made. A galleryrunning within the mountain around the obstacle which the well offered to theprofane, led to a square hall, the blue vault of which rested upon four massivepillars ornamented by the red-skinned, white-garmented figures which so oftenshow, in Egyptian frescoes, the full bust and the head in profile.

Cette salle débouchait dans une autre un peu plus haute de plafond etsoutenue seulement par deux piliers. Des scènes variées, la bari mystique, letaureau Apis emportant la momie vers les régions de l’Occident, le jugement del’âme et le pesage des actions du mort dans la balance suprême, les offrandesfaites aux divinités funéraires ornaient les piliers et la salle.

This hall opened into another, the vault of which was somewhat higher andsupported by two pillars only. Various scenes—the mystic bark, the bull Apisbearing the mummy towards the regions of the West, the judgment of the soul andthe weighing of the deeds of the dead in the supreme scales, the offerings tothe funeral divinities—adorned the pillars and the hall.

Toutes ces figurations étaient tracées en bas-relief méplat dans un traitfermement creusé, mais le pinceau du peintre n’avait pas achevé et complétél’œuvre du ciseau. Au soin et à la délicatesse du travail, on pouvait juger del’importance du personnage dont on avait cherché à dérober le tombeau à laconnaissance des hommes.

They were carved in flat, low relief with sharp outline, but the painter'sbrush had not completed the work of the chisel. By the care and delicacy of thework might be judged the importance of the personage whose tomb it had beensought to conceal from the knowledge of men.

Après quelques minutes données à l’examen de ces incises, dessinées avectoute la pureté du beau style égyptien à son époque classique, on s’aperçut quela salle n’avait pas d’issue et qu’on avait abouti à une sorte de cæcum. L’airse raréfiait; les torches brûlaient avec peine dans une atmosphère dontelles augmentaient encore la chaleur, et leurs fumées se remployaient ennuages; le Grec se donnait à tous les diables, comme si le cadeau n’étaitpas fait et accepté depuis longtemps: mais cela ne remédiait à rien. Onsonda de nouveau les murs sans aucun résultat; la montagne, pleine,épaisse, compacte, ne rendait partout qu’un son mat: aucune apparence deporte, de couloir ou d’ouverture quelconque!

After having spent a few moments in examining these carvings, which were inthe purest manner of the fine Egyptian style of the classical age, theexplorers perceived that there was no issue from the hall, and that they hadreached a sort of blind place. The air was becoming somewhat rarified, thetorches burned with difficulty and further augmented the heat of theatmosphere, while the smoke formed a dense pall. The Greek gave himself to thedevil, but that did no good. Again the walls were sounded without any result.The mountain, thick and compact, gave back but a dead sound; there was no traceof a door, of a passage, or of any sort of opening.

Le lord était visiblement découragé, et le savant laissait pendreflasquement ses bras maigres le long de son corps. Argyropoulos, qui craignaitpour ses vingt-cinq mille francs, manifestait le désespoir le plus farouche.Cependant il fallait rétrograder, car la chaleur devenait véritablementétouffante.

The young nobleman was plainly discouraged, and the doctor let fall his armsby his side. Argyropoulos, who feared losing his thousand guineas, exhibitedthe fiercest despair. However, the party was compelled to retreat, for the heathad become absolutely suffocating.

La troupe repassa dans la première salle, et là, le Grec, qui ne pouvait serésigner à voir s’en aller en fumée son rêve d’or, examina avec la plusminutieuse attention le fût des piliers pour s’assurer s’ils ne cachaient pasquelque artifice, s’ils ne masquaient pas quelque trappe qu’on découvrirait enles déplaçant: car, dans son désespoir, il mêlait la réalité del’architecture égyptienne aux chimériques bâtisses des contes arabes.

They returned to the outer hall, and there the Greek, who could not make uphis mind to see his golden dream vanish in smoke, examined with the most minuteattention the shafts of the pillars to make certain that they did not concealsome artifice, that they did not mask some trap which might be discovered bydisplacing them; for in his despair he mingled the realism of Egyptianarchitecture with the chimerical constructions of the Arab tales.

Les piliers, pris dans la masse même de la montagne, au milieu de la salleévidée, ne faisaient qu’un avec elle, et il aurait fallu employer la mine pourles ébranler.

The pillars, cut out of the mountain itself, in the centre of the hollowedmass, formed part of it, and it would have been necessary to employ gunpowderto break them down.

Tout espoir était perdu!

All hope was gone.

«Cependant, dit Rumphius on ne s’est pas amusé à creuser ce dédalepour rien. Il doit y avoir quelque part un passage pareil à celui qui contournele puits. Sans doute le défunt a peur d’être dérangé par les importuns, et ilse fait celer; mais avec de l’insistance on entre partout. Peut-être unedalle habilement dissimulée, et dont la poudre répandue sur le sol empêche devoir le joint, recouvre-t-elle une descente qui mène, directement ouindirectement, à la salle funèbre.

"Nevertheless," said Rumphius, "this labyrinth was not dug for nothing.Somewhere or another there must be a passage like the one which goes around thewell. No doubt the dead man was afraid of being disturbed by importunatepersons and he had himself carefully concealed; but with patience andperseverance you can get anywhere. Perhaps a slab carefully concealed, thejoint of which cannot be seen, owing to the dust scattered over the ground,covers some descent which leads, directly or indirectly, to the funeralhall."

— Vous avez raison, cher docteur, fit Evandale; ces damnés Égyptiensjoignent les pierres comme les charnières d’une trappe anglaise:cherchons encore.»

"You are right, doctor," said Evandale; "those accursed Egyptians jointedstones as closely as the hinges of an English trap. Let us go on looking."

L’idée du savant avait paru judicieuse au Grec, qui se promena et fit sepromener ses fellahs en frappant du talon dans tous les coins et recoins de lasalle.

The doctor's idea struck the Greek as sound, and he made his fellahs walkabout every part and corner of the hall, tapping the ground.

Enfin, non loin du troisième pilier, une sourde résonance attira l’oreilleexercée du Grec, qui se précipita à genoux pour examiner la place, balayantavec la guenille de burnous qu’un de ses Arabes lui avait jetée l’impalpablepoussière tamisée par trente-cinq siècles dans l’ombre et le silence; uneligne noire, mince et nette comme le trait tracé à la règle sur un pland’architecte, se dessina, et, suivie minutieusem*nt, découpa sur le sol unedalle de forme oblongue.

At last, not far from the third pillar a dull resonance struck on thepractised ear of the Greek. He threw himself on his knees to examine the spot,brushing away with the ragged burnouse one of his Arabs had thrown him theimpalpable dust of thirty-five centuries. A black, narrow, sharp line showed,and, carefully followed out, marked out on the ground an oblong slab.

«Je vous le disais bien, moi, s’écria le savant enthousiasmé, que lesouterrain ne pouvait se terminer ainsi!

"Did I not tell you," cried the enthusiastic doctor, "that the passage couldnot end in this way?"

— Je me fais vraiment conscience, dit Lord Evandale avec son bizarre flegmebritannique, de troubler dans son dernier sommeil ce pauvre corps inconnu quicomptait si bien reposer en paix jusqu’à la consommation des siècles. L’hôte decette demeure se passerait bien de notre visite.

"I am really troubled," said Lord Evandale, in his quaint, phlegmaticBritish fashion, "at disturbing the last sleep of the poor unknown body whichdid expect to rest in peace until the end of the world. The dweller below wouldwillingly dispense with our visit."

— D’autant plus que la tierce personne manque pour la régularité de laprésentation, répondit le docteur; mais rassurez-vous, milord: j’aiassez vécu du temps des Pharaons pour vous introduire auprès du personnageillustre, habitant de ce palais souterrain.»

"The more so that a third party is lacking to make the presentation formal,"replied the doctor. "But do not be anxious, my lord, I have lived long enoughin the days of the Pharaohs to present you to the illustrious personage whoinhabits this subterranean passage."

Des pinces furent glissées dans l’étroite fissure, et après quelques peséesla dalle s’ébranla et se souleva.

Crow-bars were applied to the narrow fissure, and after a short time thestone moved and was raised.

Un escalier aux marches hautes et roides s’enfonçant dans l’ombre s’offritaux pieds impatients des voyageurs, qui s’y engouffrèrent pêle-mêle. Unegalerie en pente, coloriée sur ses deux faces de figures et d’hiéroglyphes,succéda aux marches; quelques degrés se présentèrent encore au bout de lagalerie, menant à un corridor de peu d’étendue, espèce de vestibule d’une sallede même style que la première, mais plus grande et soutenue par six pilierspris dans la masse de la montagne. L’ornementation en était plus riche, et lesmotifs ordinaires des peintures funèbres s’y multipliaient sur un fond decouleur jaune.

A staircase with high, steep steps, sinking into darkness, awaited theimpatient travellers, who rushed down pell-mell. A sloping gallery painted onboth walls with figures and hieroglyphs came next, then at the end of thegallery some more steps leading to a short corridor, a sort of vestibule to ahall in the same style as the first one, but larger and upborne by six pillarscut out of the living rock. The ornamentation was richer, and the usual motivesof funeral paintings were multiplied on a yellow background.

À droite et à gauche s’ouvraient dans le roc deux petites cryptes ouchambres remplies de figurines funéraires en terre émaillée, en bronze et enbois de sycomore.

To the right and to the left opened in the rock two small crypts or chambersfilled with funeral statuettes of enamelled ware, bronze, and sycamorewood.

«Nous voici dans l’antichambre de la salle où doit se trouver lesarcophage! s’écria Rumphius, laissant voir au-dessous de ses lunettes,qu’il avait relevées sur son front, ses yeux gris clair étincelants dejoie.

"We are in the antechamber of the hall where the sarcophagus is bound tobe!" cried Rumphius, his clear gray eyes flashing with joy from below hisspectacles, which he had pushed back over his forehead.

— Jusqu’à présent, dit Evandale, le Grec a tenu sa promesse: noussommes bien les premiers vivants qui aient pénétré ici depuis que dans cettetombe le mort, quel qu’il soit, a été abandonné à l’éternité et àl’inconnu.

"Up to the present," said Lord Evandale, "the Greek has kept his word. Weare the first living men who have penetrated so far since the dead, whoever hemay be, was left with eternity and the unknown in this tomb."

— Oh! ce doit être un puissant personnage, répondit le docteur, unroi, un fils de roi tout au moins; je vous le dirai plus tard, lorsquej’aurai déchiffré son cartouche; mais pénétrons d’abord dans cette salle,la plus belle, la plus importante, et que les Égyptiens désignaient sous le nomde Salle dorée

"Oh, he must be some great personage," replied the doctor; "a king or aking's son, at the very least. I shall tell you later when I have decipheredhis cartouche. But first let us enter this hall, the finest, the mostimportant, which the Egyptians called the Golden Hall."

Lord Evandale marchait le premier, précédant de quelques pas le savant moinsagile, ou qui peut-être voulait laisser par déférence la virginité de ladécouverte au jeune lord.

Lord Evandale walked ahead, a few steps before the less agile scholar,though perhaps the latter deferentially wished to leave the pleasure of thediscovery to the young nobleman.

Au moment de franchir le seuil, le lord se pencha comme si quelque chosed’inattendu avait frappé son regard.

As he was about to step across the threshold, Lord Evandale bent forward asif something unexpected had struck him.

Bien qu’habitué à ne pas manifester ses émotions, car rien n’est pluscontraire aux règles du haut dandysme que de se reconnaître, par la surprise oul’admiration, inférieur à quelque chose, le jeune seigneur ne put retenir unoh! prolongé, et modulé de la façon la plus britannique.

Voici ce qui avait extirpé une exclamation au plus parfait gentleman destrois royaumes unis.

Sur la fine poudre grise qui sablait le sol se dessinait très-nettement,avec l’empreinte de l’orteil, des quatre doigts et du calcanéum, la forme d’unpied humain; le pied du dernier prêtre ou du dernier ami qui s’étaitretiré, quinze cents ans avant Jésus-Christ, après avoir rendu au mort leshonneurs suprêmes. La poussière aussi éternelle en Égypte que le granit, avaitmoulé ce pas et le gardait depuis plus de trente siècles, comme les bouesdiluviennes durcies conservent la trace des pieds d’animaux qui lapétrirent.

Though accustomed not to manifest his emotions, he was unable to repress aprolonged and thoroughly British "Oh!" On the fine gray powder which coveredthe ground showed very distinctly, with the imprint of the toes and the greatbone of the heel, the shape of a human foot,—the foot of the last priest or thelast friend who had withdrawn, fifteen hundred years before Christ, afterhaving paid the last honours to the dead. The dust, which in Egypt is aseternal as granite, had moulded the print and preserved it for more than thirtycenturies, just as the hardened diluvian mud has preserved the tracks of theanimals which last traversed it.

«Voyez, dit Evandale à Rumphius, cette empreinte humaine dont lapointe se dirige vers la sortie de l’hypogée. Dans quelle syringe de la chaînelibyque repose pétrifié de bitume le corps qui l’a produite?

"See," said Evandale to Rumphius, "that human footprint which is directedtowards the exit from the hypogeum! In what narrow passage of the Libyan chainrests the mummified body that made it?"

— Qui sait? répondit le savant: en tout cas, cette trace légère,qu’un souffle eût balayée, a duré plus longtemps que des civilisations, que desempires, que les religions mêmes et que les monuments que l’on croyaitéternels: la poussière d’Alexandre lute peut-être la bonde d’un tonneaude bière, selon la réflexion d’Hamlet, et le pas de cet Égyptien inconnusubsiste au seuil d’un tombeau!»

"Who knows?" replied the scholar. "In any case, that light print, which abreath would have blown away, has lasted longer than empires, than religionsand monuments believed eternal. The noble dust of Alexander was used perhaps tostop a bung-hole, as Hamlet says, but the footprint of this unknown Egyptianremains on the threshold of a tomb."

Poussés par la curiosité qui ne leur permettait pas de longues réflexions,le lord et le docteur pénétrèrent dans la salle, prenant garde toutefoisd’effacer la miraculeuse empreinte.

Urged by a curiosity which did not allow them much time for recollection,the nobleman and the doctor entered the hall, taking care, nevertheless, not toefface the wondrous footprint.

En y entrant, l’impassible Evandale éprouva une impression singulière.

Il lui sembla, d’après l’expression de Shakespeare, que «la roue dutemps était sortie de son ornière»: la notion de la vie modernes’effaça chez lui. Il oublia et la Grande-Bretagne, et son nom inscrit sur lelivre d’or de la noblesse, et ses châteaux du Lincolnshire, et ses hôtels duWest-End, et Hyde-Park, et Piccadilly, et les drawing-rooms de la reine, et leclub des Yachts, et tout ce qui constituait son existence anglaise. Une maininvisible avait retourné le sablier de l’éternité, et les siècles, tombés grainà grain comme des heures dans la solitude et la nuit, recommençaient leurchute. L’histoire était comme non avenue: Moïse vivait, Pharaon régnait,et lui, Lord Evandale, se sentait embarrassé de ne pas avoir la coiffe à barbescannelées, le gorgerin d’émaux, et le pagne étroit bridant sur les hanches,seul costume convenable pour se présenter à une momie royale. Une sorted’horreur religieuse l’envahissait, quoique le lieu n’eût rien de sinistre, enviolant ce palais de la Mort défendu avec tant de soin contre les profanateurs.La tentative lui paraissait impie et sacrilège, et il se dit: «Sile Pharaon allait se relever sur sa couche et me frapper de sonsceptre!» Un instant il eut l’idée de laisser retomber le linceul,soulevé à demi, sur le cadavre de cette antique civilisation morte; maisle docteur, dominé par son enthousiasme scientifique, ne faisait pas cesréflexions, et il s’écriait d’une voix éclatante:

«Milord, milord, le sarcophage est intact!»

On entering, the impassible Evandale felt a strange emotion; it seemed tohim, as Shakespeare says, that the time was out of joint. The feeling of modernlife vanished, he forgot Great Britain and his name inscribed on the rolls ofthe peerage, his seat in Lincolnshire, his mansion in the West End, Hyde Park,Piccadilly, the Queen's Drawing-Room, the Yacht Squadron, and all thatconstituted his English existence. An invisible hand had turned upside down thesand-glass of eternity, and the centuries which had fallen one by one, like thehours, in the solitude of the night, were falling once more. History was as ifit were not: Moses was living, Pharaoh was reigning, and he, Lord Evandale,felt embarrassed because he did not wear his beard in ringlets, and had not anenamelled neck-plate and a narrow vestment wrinkling in folds upon hiships,—the only suitable dress in which to be presented to a royal mummy. A sortof religious horror filled him, although there was nothing sinister about theplace, as he violated this palace of death so carefully protected againstprofanation. His attempt seemed to him impious and sacrilegious, and he said tohimself, "Suppose this Pharaoh were to rise on his couch and strike me with hissceptre." For one moment he thought of letting fall the shroud half lifted fromthe body of this antique, dead civilisation, but the doctor, carried away byscientific enthusiasm, and not a prey to such thoughts, shouted in a loudvoice, "My lord, my lord, the sarcophagus is intact!"

Cette phrase rappela Lord Evandale au sentiment de la réalité. Par uneélectrique projection de pensée, il franchit les trois mille cinq cents ans quesa rêverie avait remontés, et il répondit:

«En vérité, cher docteur, intact?

These words recalled Lord Evandale to reality. By swift projection of histhought he traversed the thirty-five hundred years which he had gone back inhis reverie, and he answered, "Indeed, dear doctor, intact?"

— Bonheur inouï! chance merveilleuse! trouvailleinappréciable!» continua le docteur dans l’expansion de sa joied’érudit.

"Oh, unexpected luck! oh, marvellous chance! oh, wondrous find!" continuedthe doctor, in the excitement of a scholarly joy.

Argyropoulos, voyant l’enthousiasme du docteur, eut un remords, le seulqu’il pût éprouver du reste, le remords de n’avoir demandé que vingt-cinq millefrancs. «J’ai été naïf, se dit-il à lui-même; cela ne m’arriveraplus; ce milord m’a volé.»

Et il se promit bien de se corriger à l’avenir.

Argyropoulos, on beholding the doctor's enthusiasm, felt a pang ofremorse,—the only kind of remorse that he could feel,—at not having asked morethan twenty-five thousand francs. "I was a fool!" he said to himself. "Thisshall not happen again. That nobleman has robbed me."

Pour faire jouir les étrangers de la beauté du coup d’œil, les fellahsavaient allumé toutes leurs torches. Le spectacle était en effet étrange etmagnifique! Les galeries et les salles qui conduisent à la salle dusarcophage ont des plafonds plats et ne dépassent pas une hauteur de huit oudix pieds; mais le sanctuaire où aboutissent ces dédales a de tout autresproportions. Lord Evandale et Rumphius restèrent stupéfiés d’admiration,quoiqu’ils fussent déjà familiarisés avec les splendeurs funèbres de l’artégyptien.

In order to enable the strangers to enjoy the beauty of the spectacle, thefellahs had lighted all their torches. The sight was indeed strange andmagnificent. The galleries and halls which led to the sarcophagus hall wereflat-ceiled and not more than eight or ten feet high; but the sanctuary, theone to which all these labyrinths led, was of much greater proportions. LordEvandale and Dr. Rumphius remained dumb with admiration, although they werealready familiar with the funereal splendours of Egyptian art.

Illuminée ainsi, la salle dorée flamboya, et, pour la première foispeut-être, les couleurs de ses peintures éclatèrent dans tout leur jour. Desrouges, des bleus, des verts, des blancs, d’un éclat neuf, d’une fraîcheurvirginale, d’une pureté inouïe, se détachaient de l’espace de vernis d’or quiservait de fond aux figures et aux hiéroglyphes, et saisissaient les yeux avantqu’on eût pu discerner les sujets que composait leur assemblage.

Thus lighted up, the Golden Hall flamed, and for the first time, perhaps,the colours of the paintings shone in all their brilliancy. Red and blue,green and white, of virginal purity, brilliantly fresh and amazingly clear,stood out from the golden background of the figures and hieroglyphs, andattracted the eye before the subjects which they formed could be discerned. Atfirst glance it looked like a vast tapestry of the richest stuffs.

Au premier abord, on eût dit une immense tapisserie de l’étoffe la plusriche; la voûte, haute de trente pieds, présentait une sorte de velariumd’azur, bordé de longues palmettes jaunes.

The vault, some thirty feet high, formed a sort of azure velarium borderedwith long yellow palm-leaves. On the walls the symbolical globe spread itsmighty wings and the royal cartouches showed around.

Sur les parois des murs, le globe symbolique ouvrait son enverguredémesurée, et les cartouches royaux inscrivaient leur contour. Plus loin, Isiset Nephthys secouaient leurs bras frangés de plumes comme des ailerons. Lesuræus gonflaient leurs gorges bleues, les scarabées essayaient de déployerleurs élytres, les dieux à têtes d’animaux dressaient leurs oreilles de chacal,aiguisaient leur bec d’épervier, ridaient leur museau de cynocéphale,rentraient dans leurs épaules leur cou de vautour ou de serpent comme s’ilseussent été doués de vie. Des baris mystiques passaient sur leurs traîneaux,tirées par des figures aux poses compassées, au geste anguleux, ou flottaientsur des eaux ondulées symétriquement, conduites par des rameurs demi-nus. Despleureuses, agenouillées et la main placée en signe de deuil sur leur chevelurebleue, se retournaient vers les catafalques, tandis que des prêtres à têterase, une peau de léopard sur l’épaule, brûlaient les parfums sous le nez desmorts divinisés, au bout d’une spatule terminée par une main soutenant unepetite coupe. D’autres personnages offraient aux génies funéraires des lotus enfleur ou en bouton, des plantes bulbeuses, des volatiles, des quartiersd’antilope et des buires de liqueurs. Des Justices acéphales amenaient des âmesdevant des Osiris aux bras pris dans un contour inflexible, comme dans unecamisole de force, qu’assistaient les quarante-deux juges de l’Amenti accroupissur deux files et portant sur leurs têtes empruntées à tous les règnes de lazoologie une plume d’autruche en équilibre.

Farther on, Isis and Nephthys waved their arms furnished with feathers likewings; the uræus swelled its blue throat, the scarabæus unfolded its wings, theanimal-headed gods pricked up their jackal ears, sharpened their hawk's-beaks,wrinkled their baboon faces, and drew into their shoulders their vulture orserpent necks as if they were endowed with life. Mystical consecrated boats(baris) passed by on their sledges drawn by figures in attitudes of sadness,with angular gestures, or propelled by half-naked oarsmen, they floated uponsymbolical undulating waves. Mourners kneeling, their hand placed on theirblue hair in token of grief, turned towards the catafalques, while shavenpriests, leopard-skin on shoulder, burned perfumes in a spatula terminating ina hand bearing a cup under the nose of the godlike dead. Other personagesoffered to the funeral genii lotus in bloom or in bud, bulbous plants, birds,pieces of antelope, and vases of liquors. Acephalous figures of Justice broughtsouls before Osiris, whose arms were set in inflexible contour, and who wasassisted by the forty-two judges of Amenti, seated in two rows and bearing anostrich-plume on their heads, the forms of which were borrowed from every realmof zoölogy.

Toutes ces figurations, cernées d’un trait creusé dans le calcaire etbariolées des couleurs les plus vives, avaient cette vie immobile, ce mouvementfigé, cette intensité mystérieuse de l’art égyptien, contrarié par la règlesacerdotale, et qui ressemble à un homme bâillonné tâchant de faire comprendreson secret.

All these figures, drawn in hollowed lines in the limestone and painted inthe brightest colours, were endowed with that motionless life, that frozenmotion, that mysterious intensity of Egyptian art, which was hemmed in by thepriestly rule, and which resembles a gagged man trying to utter his secret.

Au milieu de la salle se dressait massif et grandiose le sarcophage creusédans un énorme bloc de basalte noir que fermait un couvercle de même matière,taillé en dos d’âne. Les quatre faces du monolithe funèbre étaient couvertes depersonnages et d’hiéroglyphes aussi précieusem*nt gravés que l’intaille d’unebague en pierre fine, quoique les Égyptiens ne connussent pas le fer et que lebasalte ait un grain réfractaire à émousser les aciers les plus durs.L’imagination se perd à rêver le procédé par lequel ce peuple merveilleuxécrivait sur le porphyre et le granit, comme avec une pointe sur des tablettesde cire.

In the centre of the hall rose, massive and splendid, the sarcophagus, cutout of a solid block of black basalt and closed by a cover of the samematerial, carved in the shape of an arch. The four sides of the funeralmonolith were covered with figures and hieroglyphs as carefully engraved as theintaglio of a gem, although the Egyptians did not know the use of iron, and thegrain of basalt is hard enough to blunt the best-tempered steel. Imaginationloses itself when it tries to discover the process by which that marvellouspeople wrought on porphyry and granite as with a style on wax tablets.

Aux angles du sarcophage étaient posés quatre vases d’albâtre oriental dugalbe le plus élégant et le plus pur, dont les couvercles sculptésreprésentaient la tête d’homme d’Amset, la tête de cynocéphale d’Hapi, la têtede chacal de Soumaoutf, la tête d’épervier de Kebsbnif: c’étaient lesvases contenant les viscères de la momie enfermée dans le sarcophage. À la têtedu tombeau, une effigie d’Osiris, la barbe nattée, semblait veiller sur lesommeil du mort. Deux statues de femme coloriées se dressaient à droite et àgauche de la tombe, soutenant d’une main sur leur tête une boîte carrée, et del’autre, appuyé à leur flanc, un vase à libations. L’une était vêtue d’unsimple jupon blanc collant sur les hanches et suspendu par des bretellescroisées; l’autre, plus richement habillée, s’emboîtait dans une espècede fourreau étroit papelonné d’écailles successivement rouges et vertes.

At the angles of the sarcophagus were set four vases of oriental alabaster,of most elegant and perfect outline, the carved covers of which represented theman's head of Amset, the monkey head of Hapi, the jackal head of Tuamutef, andthe hawk head of Kebhsnauf. The vases contained the visceræ of the mummyenclosed in the sarcophagus. At the head of the tomb an effigy of Osiris withplaited beard seemed to watch over the dead. Two coloured statues of womenstood right and left of the tomb, supporting, with one hand a square box ontheir head, and holding in the other a vase for ablutions which they rested ontheir hip. The one was dressed in a simple white skirt clinging to the hipsand held up by crossed braces; the other, more richly costumed, was wrapped ina sort of narrow shift, covered with scales alternately red and green.

À côté de la première, l’on voyait trois jarres primitivement remplies d’eaudu Nil, qui en s’évaporant n’avait laissé que son limon, et un plat contenantune pâte alimentaire desséchée.

By the side of the first there were three water-jars, originally filledwith Nile water, which, as it evaporated, had left its mud, and a plate holdingsome alimentary paste, now dried up.

À côté de la seconde, deux petit* navires, pareils à ces modèles devaisseaux qu’on fabrique dans les ports de mer, rappelaient avec exactitude,celui-ci, les moindres détails des barques destinées à transporter les corps deDiospolis aux Memnonia; celui-là, la nef symbolique qui fait passer l’âmeaux régions de l’Occident. Rien n’était oublié, ni les mâts, ni le gouvernail,composé d’un long aviron, ni le pilote, ni les rameurs, ni la momie entourée depleureuses et couchée sous le naos, sur un lit à pattes de lion, ni les figuresallégoriques des divinités funèbres accomplissant leurs fonctions sacrées.Barques et personnages étaient peints de couleurs vives, et sur les deux jouesde la proue relevée en bec comme la poupe, s’ouvrait le grand œil osirienallongé d’antimoine; un bucrane et des ossem*nts de bœuf semés ça et làtémoignaient qu’une victime avait été immolée pour assumer les mauvaiseschances qui eussent pu troubler le repos du mort. Des coffrets peints etchamarrés d’hiéroglyphes étaient placés sur le tombeau; des tables deroseau soutenaient encore les offrandes funèbres; rien n’avait été touchédans ce palais de la Mort, depuis le jour où la momie, avec son cartonnage etses deux cercueils, s’était allongée sur sa couche de basalte. Le ver dusépulcre, qui sait si bien se frayer passage à travers les bières les mieuxfermées, avait lui-même rebroussé chemin, repoussé par les âcres parfums dubitume et des aromates.

By the side of the second, two small ships, like the model ships made inseaports, which reproduced accurately, the one the minutest details of theboats destined to bear the bodies from Diospolis to Memnonia, the other thesymbolical boat in which the soul is carried to the regions of the West.Nothing was forgotten,—neither the masts, nor the rudder formed of one longsweep, nor the pilot, nor the oarsmen, nor the mummy surrounded by mourners andlying under the shrine on a bed with feet formed of lion's claws, nor theallegorical figures of the funeral divinities fulfilling their sacredfunctions. Both the boats and the figures were painted in brilliant colours,and on the two sides of the prow, beak-like as the poop, showed the greatOsiris' eye, made longer still by the use of antimony. The bones and skull ofan ox scattered here and there showed that a victim had been offered up as ascapegoat to the Fate which might have disturbed the repose of the dead.Coffers painted and bedizened with hieroglyphs were placed on the tomb; reedtables yet bore the final offerings. Nothing had been touched in this palaceof death since the day when the mummy in its cartonnage and its two coffins hadbeen placed upon its basalt couch. The worm of the sepulchre, which can find away through the closest biers, had itself retreated, driven back by the bitterscent of the bitumen and the aromatic essences.

«Faut-il ouvrir le sarcophage? dit Argyropoulos après avoirlaissé à Lord Evandale et à Rumphius le temps d’admirer les splendeurs de lasalle dorée.

"Shall I open the sarcophagus?" said Argyropoulos, after Lord Evandale andDoctor Rumphius had had time to admire the beauty of the Golden Hall.

— Certainement, répondit le jeune lord; mais prenez garde d’écornerles bords du couvercle en introduisant vos leviers dans la jointure, car jeveux enlever ce tombeau et en faire présent au British Muséum.»

"Unquestionably," replied the nobleman; "but take care not to chip the edgesof the cover as you put in your crow-bars, for I propose to carry off the tomband present it to the British Museum."

Toute la troupe réunit ses efforts pour déplacer le monolithe; descoins de bois furent enfoncés avec précaution, et, au bout de quelques minutesde travail, l’énorme pierre se déplaça et glissa sur les tasseaux préparés pourla recevoir. Le sarcophage ouvert laissa voir le premier cercueilhermétiquement fermé. C’était un coffre orné de peintures et de dorures,représentant une espèce de naos, avec des dessins symétriques, des losanges,des quadrilles, des palmettes et des lignes d’hiéroglyphes. On fit sauter lecouvercle, et Rumphius, qui se penchait sur le sarcophage, poussa un cri desurprise lorsqu’il découvrit le contenu du cercueil: «Unefemme! une femme!» s’écria-t-il, ayant reconnu le sexe de lamomie à l’absence de barbe osirienne et à la forme du cartonnage.

The whole company bent their efforts to displacing the monolith. Woodenwedges were carefully driven in, and presently the huge stone was moved andslid down the props prepared to receive it. The sarcophagus having been opened,showed the first bier hermetically sealed. It was a coffer adorned withpaintings and gilding, representing a sort of shrine with symmetrical designs,lozenges, quadrilles, palm leaves, and lines of hieroglyphs. The cover wasopened, and Rumphius, who was bending over the sarcophagus, uttered a cry ofsurprise when he discovered the contents of the coffin, having recognised thesex of the mummy by the absence of the Osiris beard and the shape of thecartonnage.

Le Grec aussi parut étonné; sa vieille expérience de fouilleur lemettait à même de comprendre tout ce qu’une pareille trouvaille avaitd’insolite. La vallée de Biban-el-Molouk est le Saint-Denis de l’ancienneThèbes, et ne contient que des tombes de rois. La nécropole des reines estsituée plus loin, dans une autre gorge de la montagne. Les tombeaux des reinessont fort simples, et composés ordinairement de deux ou trois couloirs et d’uneou deux chambres. Les femmes, en Orient, ont toujours été regardées commeinférieures à l’homme, même dans la mort. La plupart de ces tombes, violées àdes époques très anciennes, ont servi de réceptacle à des momies difformesgrossièrement embaumées, où se voient encore des traces de lèpre etd’éléphantiasis. Par quelle singularité, par quel miracle, par quellesubstitution ce cercueil féminin occupait-il ce sarcophage royal, au milieu dece palais cryptique, digne du plus illustre et du plus puissant desPharaons!

The Greek himself appeared amazed. His long experience in excavationsenabled him to understand the strangeness of such a find. The valley of Bibanel Molûk contains the tombs of kings only: the necropolis of the queens issituated farther away, in another mountain gorge. The tombs of the queens arevery simple, and usually consist of two or three passage-ways and one or tworooms. Women in the East have always been considered as inferior to men, evenin death. Most of these tombs, which were broken into at a very distant period,were used as receptacles for shapeless mummies carelessly embalmed, which stillexhibit traces of leprosy and elephantiasis. How did this woman's coffin cometo occupy this royal sarcophagus, in the centre of this cryptic palace worthyof the most illustrious and most powerful of the Pharaohs?

«Ceci dérange, dit le docteur à Lord Evandale, toutes mes notions ettoutes mes théories, et renverse les systèmes les mieux assis sur les ritesfunèbres égyptiens, si exactement suivis pourtant pendant des milliersd’années! Nous touchons sans doute à quelque point obscur, à quelquemystère perdu de l’histoire. Une femme est montée sur le trône des Pharaons eta gouverné l’Égypte. Elle s’appelait Tahoser, s’il faut en croire descartouches gravés sur des martelages d’inscriptions plus anciennes; ellea usurpé la tombe comme le trône, ou peut-être quelque ambitieuse, dontl’histoire n’a pas gardé souvenir, a renouvelé sa tentative.

"This," said the doctor to Lord Evandale, "upsets all my notions and all mytheories. It overthrows the system most carefully built upon the Egyptianfuneral rites, which nevertheless have been so carefully followed out duringthousands of years. No doubt we have come upon some obscure point, someforgotten mystery of history. A woman did ascend the throne of the Pharaohs anddid govern Egypt. She was called Tahoser, as we learn from the cartouchesengraved upon older inscriptions hammered away. She usurped the tomb as sheusurped the throne. Or perhaps some other ambitious woman, of whom history haspreserved no trace, renewed her attempt."

— Personne mieux que vous n’est en état de résoudre ce problème difficile,fit Lord Evandale; nous allons emporter cette caisse pleine de secretsdans notre cange, où vous dépouillerez à votre aise ce document historique, etdevinerez sans doute l’énigme que proposent ces éperviers, ces scarabées, cesfigures à genoux, ces lignes en dents de scie, ces uræusailés, ces mains en spatule que vous lisez aussi couramment que le grandChampollion.»

"No one is better able to solve this difficult problem than you," said LordEvandale. "We will carry this box full of secrets to our boat, where you will,at your leisure, decipher this historic document and read the riddle set bythese hawks, scarabæi, kneeling figures, serrated lines, winged uræus, andspatula hands, which you read as readily as did the great Champollion."

Les fellahs, dirigés par Argyropoulos, enlevèrent l’énorme coffre sur leursépaules, et la momie, refaisant en sens inverse la promenade funèbre qu’elleavait accomplie du temps de Moïse, dans une bari peinte et dorée, précédée d’unlong cortège, embarquée sur le sandal qui avait amené les voyageurs, arrivabientôt à la cange amarrée sur le Nil, et fut placée dans la cabine assezsemblable, tant les formes changent peu en Égypte, au naos de la barquefunéraire.

The fellahs, under the orders of Argyropoulos, carried off the huge cofferon their shoulders, and the mummy, performing in an inverse direction thefuneral travel it had accomplished in the days of Moses, in a painted andgilded bari preceded by a long procession, was embarked upon the sandal whichhad brought the travellers, soon reached the vessel moored on the Nile, and wasplaced in the cabin, which was not unlike, so little do forms change in Egypt,the shrine of the funeral boat.

Argyropoulos, ayant rangé autour de la caisse tous les objets trouvés prèsd’elle, se tint debout respectueusem*nt à la porte de la cabine, et parutattendre. Lord Evandale comprit et lui fit compter les vingt-cinq mille francspar son valet de chambre.

Argyropoulos, having arranged about the box all the objects which had beenfound near it, stood respectfully at the cabin door and appeared to be waiting.Lord Evandale understood, and ordered his valet to pay him the twenty-fivethousand francs.

Le cercueil ouvert posait sur des tasseaux, au milieu de la cabine, brillantd’un éclat aussi vif que si les couleurs de ses ornements eussent étéappliquées d’hier, et encadrait la momie, moulée dans son cartonnage, d’un finiet d’une richesse d’exécution remarquables.

The open bier was placed upon rests in the centre of the cabin; it shone asbrilliantly as if the colours had been put on the day before, and framed in themummy, moulded within its cartonnage, the workmanship of which was remarkablyfine and rich.

Jamais l’antique Égypte n’avait emmailloté avec plus de soin un de sesenfants pour le sommeil éternel. Quoique aucune forme ne fût indiquée dans cetHermès funèbre, terminé en gaine, d’où se détachaient seules les épaules et latête, on devinait vaguement un corps jeune et gracieux sous cette enveloppeépaissie. Le masque doré, avec ses longs yeux cernés de noir et avivés d’émail,son nez aux ailes délicatement coupées, ses pommettes arrondies, ses lèvresépanouies et souriant de cet indescriptible sourire du sphinx, son menton,d’une courbe un peu courte, mais d’une finesse extrême de contour, offraient leplus pur type de l’idéal égyptien, et accusaient, par mille petit* détailscaractéristiques, que l’art n’invente pas, la physionomie individuelle d’unportrait. Une multitude de fines nattes, tressées en cordelettes et séparéespar des bandeaux, retombaient, de chaque côté du masque, en masses opulentes.Une tige de lotus, partant de la nuque, s’arrondissait au-dessus de la tête etvenait ouvrir son calice d’azur sur l’or mat du front, et complétait, avec lecône funéraire, cette coiffure aussi riche qu’élégante.

Never had ancient Egypt more carefully wrapped up one of her children forthe eternal sleep. Although no shape was indicated by the funeral Hermes,ending in a sheath from which stood out alone the shoulders and the head, onecould guess there was under that thick envelope a young and graceful form. Thegilded mask, with its long eyes outlined with black and brightened with enamel,the nose with its delicate nostrils, the rounded cheek-bones, the half-openlips smiling with an indescribable, sphinx-like smile, the chin somewhat shortin curve but of extreme beauty of contour, presented the purest type of theEgyptian ideal, and testified by a thousand small, characteristic details whichart cannot invent, to the individual character of the portrait. Numberlessfine plaits of hair, tressed with cords and separated by bandeaux, fell inopulent masses on either side of the face. A lotus stem, springing from theback of the neck, bowed over the head and opened its azure calyx over the dead,cold brow, completing with a funeral cone this rich and elegant head-dress.

Un large gorgerin, composé de fins émaux cloisonnés de traits d’or, cerclaitla base du col et descendait en plusieurs rangs, laissant voir, comme deuxcoupes d’or, le contour ferme et pur de deux seins vierges.

A broad necklace, composed of fine enamels cloisonnés with gold and formedof several rows, lay upon the lower portion of the neck, and allowed to be seenthe clean, firm contour of two virgin breasts like two golden cups.

Sur la poitrine, l’oiseau sacré à la tête de bélier, portant entre sescornes vertes le cercle rouge du soleil occidental et soutenu par deux serpentscoiffés du pschent qui gonflaient leurs poches, dessinait sa configurationmonstrueuse pleine de sens symboliques. Plus bas, dans les espaces laisséslibres par les zones transversales et rayées de vives couleurs représentant lesbandelettes, l’épervier de Phré couronné du globe, l’envergure éployée, lecorps imbriqué de plumes symétriques, et la queue épanouie en éventail, tenaitentre chacune de ses serres le Tau mystérieux, emblème d’immortalité. Des dieuxfunéraires, à face verte, à museau de singe et de chacal, présentaient, d’ungeste hiératiquement roide, le fouet, le pedum, le sceptre; l’œil osiriendilatait sa prunelle rouge cernée d’antimoine; les vipères célestesépaississaient leur gorge autour des disques sacrés; des figuressymboliques allongeaient leurs bras empennés de plumes semblables à des lamesde jalousie, et les deux déesses du commencement et de la fin, la chevelurepoudrée de poudre bleue, le buste nu jusqu’au dessous du sein, le reste ducorps bridé dans un étroit jupon, s’agenouillaient, à la mode égyptienne, surdes coussins verts et rouges, ornés de gros glands.

The sacred ram-headed bird, bearing between its green horns the red disc ofthe setting sun and supported by two serpents wearing the pschent and swellingout their hoods, showed on the bosom of the figure its monstrous form full ofsymbolic meaning. Lower down, in the spaces left free by the crossed zones, andrayed with brilliant colours representing bandages, the vulture of Phra,crowned with a globe, with outspread wings, the body covered with symmetricallyarranged feathers, and the tail spread out fanwise, held in its talons the hugeTau, emblem of immortality. The funeral gods, green-faced, with the mouths ofmonkeys or jackals, held out with a gesture hieratic in its stiffness the whip,the crook, and the sceptre. The eye of Osiris opened its red ball outlinedwith antimony. Celestial snakes swelled their hoods around the sacred discs;symbolical figures projected their feathered arms; and the two goddesses of theBeginning and the End, their hair powdered with blue dust, bare down to belowthe breasts and the rest of the body wrapped in a close-fitting skirt, knelt inEgyptian fashion on green and red cushions adorned with heavy tufts.

Une bandelette longitudinale d’hiéroglyphes, partant de la ceinture et seprolongeant jusqu’aux pieds, contenait sans doute quelques formules du rituelfunèbre, ou plutôt les nom et qualités de la défunte, problème que Rumphius sepromit de résoudre plus tard.

A longitudinal band of hieroglyphs, springing from the belt and running downto the feet, contained no doubt some formal funeral ritual, or rather, thenames and titles of the deceased, a problem which Dr. Rumphius promised himselfto solve later.

Toutes les peintures, par le style du dessin, la hardiesse du trait, l’éclatde la couleur, dénotaient de la façon la plus évidente, pour un œil exercé, laplus belle période de l’art égyptien.

The character of the drawing, the boldness of the lines, the brilliancy ofthe colours in all these paintings denoted in the plainest manner to apractised eye that they belonged to the finest period of Egyptian art.

Lorsque le lord et le savant eurent assez contemplé cette premièreenveloppe, ils tirèrent le cartonnage de sa boîte et le dressèrent contre uneparoi de la cabine.

C’était un spectacle étrange que ce maillot funèbre à masque doré, setenant debout comme un spectre matériel, et reprenant une fausse attitude devie, après avoir gardé si longtemps la pose horizontale de la mort sur un litde basalte, au cœur d’une montagne éventrée par une curiosité impie. L’âme dela défunte, qui comptait sur l’éternel repos, et qui avait pris tant de soinspour préserver sa dépouille de toute violation, dut s’en émouvoir, au-delà desmondes, dans le cercle de ses voyages et de ses métamorphoses.

When the English nobleman and his companion had sufficiently studied thisouter case, they drew the cartonnage from the box and set it up against theside of the cabin, where the funeral form, with its gilded mask, presented astrange spectacle, standing upright like a materialised spectre and with aseeming attitude of life, after having preserved so long the horizontalattitude of death on a basalt bed in the heart of the mountain, opened up byimpious curiosity. The soul of the deceased, which had reckoned on eternalrest and which had taken such care to preserve its remains from violation, musthave been moved, beyond the worlds, in the circuit of its travels andtransmigrations.

Rumphius, armé d’un ciseau et d’un marteau pour séparer en deux lecartonnage de la momie, avait l’air d’un de ces génies funèbres coiffés d’unmasque bestial, qu’on voit dans les peintures des hypogées s’empresser autourdes morts pour accomplir quelque rite effrayant et mystérieux; LordEvandale, attentif et calme, ressemblait avec son pur profil au divin Osirisattendant l’âme pour la juger, et, si l’on veut pousser la comparaison plusloin, son stick rappelait le sceptre que tient le dieu.

Dr. Rumphius, armed with a chisel and a hammer, to separate the two parts ofthe cartonnage of the mummy, looked like one of those funeral genii which weara bestial mask and which are seen in the paintings of the hypogea crowdingaround the dead in the performance of some frightful and mysterious rite; theclean profile of Lord Evandale, calm and attentive, made him look like thedivine Osiris awaiting the soul to be judged.

L’opération terminée, ce qui prit assez de temps, car le docteur ne voulaitpas écailler les dorures, la boîte reposée à terre se sépara en deux comme unmoule qu’on ouvre, et la momie apparut dans tout l’éclat de sa toilettefunèbre, parée coquettement, comme si elle eût voulu séduire les génies del’empire souterrain.

The operation having been at length completed—for the doctor wished not toscale off the gilding,—the box, resting on the ground, was separated into twoparts like the casing of a cast, and the mummy appeared in all the brilliancyof its death toilet, coquettishly adorned as if it had wished to charm thegenii of the subterranean realms.

À l’ouverture du cartonnage, une vague et délicieuse odeur d’aromates, deliqueur de cèdre, de poudre de santal, de myrrhe et de cinnamome, se répanditpar la cabine de la cange: car le corps n’avait pas été englué et durcidans ce bitume noir qui pétrifie les cadavres vulgaires, et tout l’art desembaumeurs, anciens habitants des Memnonia, semblait s’être épuisé à conservercette dépouille précieuse.

On opening the case, a faint, delightful, aromatic odour of cedar liquor, ofsandal powder, of myrrh and cinnamon spread through the cabin of the vessel;for the body had not been gummed up and hardened with the black bitumen used inembalming the bodies of ordinary persons, and all the skill of the embalmers,the former inhabitants of Memnonia, seemed to have been directed to thepreservation of these precious remains.

Un lacis d’étroites bandelettes en fine toile de lin, sous lequels’ébauchaient vaguement les traits de la figure, enveloppait la tête; lesbaumes dont ils étaient imprégnés avaient coloré ces tissus d’une belle teintefauve. À partir de la poitrine, un filet de minces tuyaux de verre bleu,semblables à ces cannetilles de jais qui servent à broder les basquinesespagnoles, croisait ses mailles réunies à leurs points d’intersection par depetit* grains dorés, et, s’allongeant jusqu’aux jambes, formait à la morte unsuaire de perles digne d’une reine; les statuettes des quatre dieux del’Amenti, en or repoussé, brillaient rangées symétriquement au bord supérieurdu filet, terminé en bas par une frange d’ornements du goût le plus pur. Entreles figures des dieux funèbres s’allongeait une plaque d’or au-dessus delaquelle un scarabée de lapis-lazuli étendait ses longues ailes dorées.

The head was enveloped in a network of narrow bands of fine linen, throughwhich the face showed faintly. The essences in which they had been steeped haddyed the tissue a beautiful tawny tint. Over the breast a network of fine tubesof blue glass, very like the long jet beads which are used to embroider Spanishbodices, with little golden drops wherever the tubes crossed, fell down to thefeet and formed a pearly shroud worthy of a queen. The statuettes of the fourgods of Amenti in hammered gold shone brilliantly, and were symmetricallyarranged along the upper edge of the network, which ended below in a fringe ofmost tasteful ornaments. Between the statuettes of the funeral gods was agolden plate, above which a lapis-lazuli scarabæus spread out its long goldenwings.

Sous la tête de la momie était placé un riche miroir de métal poli, comme sil’on eût voulu fournir à l’âme de la morte le moyen de contempler le spectre desa beauté pendant la longue nuit du sépulcre. À côté du miroir, un coffret enterre émaillée, d’un travail précieux, renfermait un collier composé d’anneauxd’ivoire, alternant avec des perles d’or, de lapis-lazuli et de cornaline. Aulong du corps, on avait mis l’étroite cuvette carrée en bois de santal, où deson vivant la morte accomplissait ses ablutions parfumées. Trois vases enalbâtre rubané, fixés au fond du cercueil, ainsi que la momie, par une couchede natrum, contenaient les deux premiers des baumes d’une couleur encoreappréciable, et le troisième de la poudre d’antimoine et une petite spatulepour colorer le bord des paupières et en prolonger l’angle externe, suivantl’antique usage égyptien, pratiqué de nos jours par les femmes orientales.

Under the mummy's head was placed a rich mirror of polished metal, as ifit had been desired to give the dead soul an opportunity of beholding thespectre of its beauty during the long night of the tomb. By the mirror lay acoffer of enamelled ware, of most precious workmanship, which contained anecklace composed of ivory rings alternating with beads, gold, lapis-lazuli,and cornelian. By the side of the beauty had been placed also a narrow, squaresandal-wood basin in which, during her lifetime, the dead woman had performedher perfumed ablutions. Three vases of wavy alabaster fastened to the bier, aswas also the mummy, by a layer of natron, contained, the first two, essences,the scent of which could still be noticed, and the third, antimony powder and asmall spatula for the purpose of colouring the edge of the eyelids andextending the outer angle according to the antique Egyptian usage, stillpractised at the present time by Eastern women.

«Quelle touchante coutume, dit le docteur Rumphius, enthousiasmé à lavue de ces trésors, d’ensevelir avec une jeune femme tout son coquet arsenal detoilette! car c’est une jeune femme, à coup sûr, qu’enveloppent cesbandes de toile jaunies par le temps et les essences: à côté desÉgyptiens, nous sommes vraiment des barbares; emportés par une viebrutale, nous n’avons plus le sens délicat de la mort. Que de tendresse, que deregrets, que d’amour révèlent ces soins minutieux, ces précautions infinies,ces soins inutiles que personne ne devait jamais voir, ces caresses à unedépouille insensible, cette lutte pour arracher à la destruction une formeadorée, et la rendre intacte à l’âme au jour de la réunion suprême!

"What a touching custom!" said Dr. Rumphius, excited by the sight of thesetreasures; "what a touching custom it was to bury with a young woman all herpretty toilet articles! For it is a young woman unquestionably that these linenbands, yellow with time and with essences, envelop. Compared with theEgyptians, we are downright barbarians; hurried on by our brutal way of living,we have lost the delicate sense of death. How much tenderness, how much regard,how much love do not these minute cares reveal, these infinite precautions,these useless caresses bestowed upon a senseless body,—that struggle to snatchfrom destruction an adored form and to restore it intact to the soul on the dayof the supreme reunion!"

— Peut-être, répondit Lord Evandale tout pensif, notre civilisation, quenous croyons culminante, n’est-elle qu’une décadence profonde, n’ayant plusmême le souvenir historique des gigantesques sociétés disparues. Nous sommesstupidement fiers de quelques ingénieux mécanismes récemment inventés, et nousne pensons pas aux colossales splendeurs, aux énormités irréalisables pour toutautre peuple de l’antique terre des Pharaons. Nous avons la vapeur; maisla vapeur est moins forte que la pensée qui élevait les pyramides, creusait leshypogées, taillait les montagnes en sphinx, en obélisques, couvrait des sallesd’un seul bloc que tous nos engins ne sauraient remuer, ciselait des chapellesmonolithes et savait défendre contre le néant la fragile dépouille humaine,tant elle avait le sens de l’éternité!

"Perhaps," replied Lord Evandale, very thoughtful, "our civilisation, whichwe think so highly developed, is, after all, but a great decadence which haslost even the historical remembrance of the gigantic societies which havedisappeared. We are stupidly proud of a few ingenious pieces of mechanism whichwe have recently invented, and we forget the colossal splendours and the vastworks impossible to any other nation, which are found in the ancient land ofthe Pharaohs. We have steam, but steam is less powerful than the force whichbuilt the Pyramids, dug out hypogea, carved mountains into the shapes ofsphinxes and obelisks, sealed halls with one great stone which all our enginescould not move, cut out monolithic chapels, and saved frail human remains fromannihilation,—so deep a sense of eternity did it already possess."

— Oh! les Égyptiens, dit Rumphius en souriant, étaient de prodigieuxarchitectes, d’étonnants artistes, de profonds savants; les prêtres deMemphis et de Thèbes auraient rendu des points même à nos érudits d’Allemagne,et pour la symbolique, ils étaient de la force de plusieurs Creuzer; maisnous finirons par déchiffrer leurs grimoires et leur arracher leur secret. Legrand Champollion a donné leur alphabet; nous autres, nous lironscouramment leurs livres de granit. En attendant, déshabillons cette jeunebeauté, plus de trois fois millénaire, avec toute la délicatesse possible.

"Oh, the Egyptians," said Dr. Rumphius, smiling, "were wonderful architects,amazing artists, and great scholars. A priest of Memphis and of Thebes couldhave taught even our German scholars; and as regards symbolism, they weregreater than any symbolists of our day. But we shall succeed eventually indeciphering their hieroglyphs and penetrating their mysteries. The greatChampollion has made out their alphabet; we shall easily read their granitebooks. Meanwhile, let us strip, as delicately as possible, this young beautywho is more than three thousand years of age."

— Pauvre lady! murmura le jeune lord; des yeux profanes vontparcourir ces charmes mystérieux que l’amour même n’a peut-être pas connus.Oh! oui, sous un vain prétexte de science, nous sommes aussi sauvages queles Perses de Cambyse; et, si je ne craignais de pousser au désespoir cethonnête docteur, je te renfermerais, sans avoir soulevé ton dernier voile, dansla triple boîte de tes cercueils!»

"Poor woman!" murmured the young lord. "Profane eyes will now behold themysterious charms which love itself perhaps never saw. Truly, under the emptypretext of scientific pursuit, we are as barbarous as the Persians of Cambyses,and if I were not afraid of driving to despair this worthy scholar, I shouldenclose you again, without having stripped off your last veil, within thetriple box of your bier."

Rumphius souleva hors du cartonnage la momie, qui ne pesait pas plus que lecorps d’un enfant, et il commença à la démailloter avec l’adresse et lalégèreté d’une mère voulant mettre à l’air les membres de son nourrisson;il défit d’abord l’enveloppe de toile cousue, imprégnée de vin de palmier, etles larges bandes qui, d’espace en espace, cerclaient le corps; puis ilatteignit l’extrémité d’une bandelette mince enroulant ses spirales infiniesautour des membres de la jeune Égyptienne; il pelotonnait sur elle-mêmela bandelette, comme eût pu le faire un des plus habiles tarischeutes de laville funèbre, la suivant dans tous ses méandres et ses circonvolutions. Àmesure que son travail avançait, la momie, dégagée de ses épaisseurs, comme lastatue qu’un praticien dégrossit dans un bloc de marbre, apparaissait plussvelte et plus pure. Cette bandelette déroulée, une autre se présenta, plusétroite et destinée à serrer les formes de plus près. Elle était d’une toile sifine, d’une trame si égale qu’elle eût pu soutenir la comparaison avec labatiste et la mousseline de nos jours. Elle suivait exactement les contours,emprisonnant les doigts des mains et des pieds moulant comme un masque lestraits de la figure déjà presque visible à travers son mince tissu. Les baumesdans lesquels on l’avait baignée l’avaient comme empesée, et, en se détachantsous la traction des doigts du docteur, elle faisait un petit bruit sec commecelui du papier qu’on froisse ou qu’on déchire.

Dr. Rumphius raised from the casing the mummy, which was no heavier than achild's body, and began to unwrap it with motherly skill and lightness oftouch. He first of all undid the outer envelope of linen, sewed together andimpregnated with palm wine, and the broad bands which here and there girdledthe body. Then he took hold of the end of a thin, narrow band, the infinitewindings of which enclosed the limbs of the young Egyptian. He rolled up theband on itself as cleverly as the most skilful embalmer of the City of theDead, following it up in all its meanderings and circumvolutions. As heprogressed in his work, the mummy, freed from its envelope, like a statue whicha sculptor blocks out of the marble, appeared more slender and exquisite inform. The bandage having been unrolled, another narrower one was seen, intendedto bind the body more closely. It was of such fine linen, and so finely woven,that it was comparable to modern cambric and muslin. This bandage followedaccurately every outline, imprisoning the fingers and the toes, moulding like amask the features of the face, which was visible through the thin tissue. Thearomatic balm in which it had been steeped had stiffened it, and as it cameaway under the fingers of the doctor, it gave out a little dry sound like thatof paper that is being crushed or torn.

Un seul tour restait encore à enlever, et, quelque familiarisé qu’il fûtavec des opérations pareilles, le docteur Rumphius suspendit un moment sabesogne, soit par une espèce de respect pour les pudeurs de la mort, soit parce sentiment qui empêche l’homme de décacheter la lettre, d’ouvrir la porte, desoulever le voile qui cache le secret qu’il brûle d’apprendre; il mit cetemps d’arrêt sur le compte de la fatigue, et en effet la sueur lui ruisselaitdu front sans qu’il songeât à l’essuyer de son fameux mouchoir à carreauxbleus: mais la fatigue n’y était pour rien.

There remained but one turn to be taken off, and familiar though he was withsuch work, Dr. Rumphius stopped for a moment, either through respect for thedead, or through that feeling which prevents a man from breaking open a letter,from opening a door, from raising a veil which hides a secret that he burns tolearn. He ascribed his momentary pause to fatigue, and as a matter of fact, theperspiration was dripping from his forehead without his thinking of wiping itwith his great blue-checked handkerchief; but fatigue had nothing to do withit.

Cependant la morte transparaissait sous la trame fine comme sous une gaze,et à travers les réseaux brillaient vaguement quelques dorures.

Meanwhile the dead form showed through the fine, gauze-like stuff, and somegold work shone faintly through it as well.

Le dernier obstacle enlevé, la jeune femme se dessina dans la chaste nuditéde ses belles formes, gardant, malgré tant de siècles écoulés, toute la rondeurde ses contours, toute la grâce souple de ses lignes pures. Sa pose, peufréquente chez les momies, était celle de la Vénus de Médicis, comme si lesembaumeurs eussent voulu ôter à ce corps charmant la triste attitude de lamort, et adoucir pour lui l’inflexible rigidité du cadavre. L’une de ses mainsvoilait à demi sa gorge virginale, l’autre cachait des beautés mystérieuses,comme si la pudeur de la morte n’eût pas été rassurée suffisamment par lesombres protectrices du sépulcre.

The last wrapping taken off, the young woman showed in the chaste nudity ofher lovely form, preserving, in spite of so many centuries that had passedaway, the fulness of her contours, and the easy grace of her pure lines. Herpose, an infrequent one in the case of mummies, was that of the Venus ofMedici, as if the embalmers had wished to save this beautiful body from the setattitude of death and to soften the inflexible rigidity of the cadaver.

Un cri d’admiration jaillit en même temps des lèvres de Rumphius etd’Evandale à la vue de cette merveille.

A cry of admiration was uttered at the same time by Rumphius and Evandale atthe sight of the marvel.

Jamais statue grecque ou romaine n’offrit un galbe plus élégant; lescaractères particuliers de l’idéal égyptien donnaient même à ce beau corps simiraculeusem*nt conservé une sveltesse et une légèreté que n’ont pas lesmarbres antiques. L’exiguïté des mains fuselées, la distinction des piedsétroits, aux doigts terminés par des ongles brillants comme l’agate, la finessede la taille, la coupe du sein, petit et retroussé comme la pointe d’un tatbebssous la feuille d’or qui l’enveloppait, le contour peu sorti de la hanche, larondeur de la cuisse, la jambe un peu longue aux malléoles délicatementmodelées rappelaient la grâce élancée des musiciennes et des danseusesreprésentées sur les fresques figurant des repas funèbres, dans les hypogées deThèbes. C’était cette forme d’une gracilité encore enfantine et possédant déjàtoutes les perfections de la femme que l’art égyptien exprime avec une suavitési tendre, soit qu’il peigne les murs des syringes d’un pinceau rapide, soitqu’il fouille patiemment le basalte rebelle.

Never did a Greek or Roman statue present a more beautiful appearance. Thepeculiar characteristics of the Egyptian ideal gave indeed to this lovely body,so miraculously preserved, a slenderness and a grace lacking in antiquemarbles,—the long hands, the high-bred, narrow feet, the nails shining likeagate, the slender waist, the shape of the breasts, small and turned up like asandal beneath the veil which enveloped it, the slightly protruding contour ofthe hip, the roundness of the thigh, the somewhat long leg recalling theslender grace of the musicians and dancers represented on the frescoes offuneral repasts in the Thebes hypogea. It was a shape still childish in itsgracefulness, yet possessing already all the perfections of a woman whichEgyptian art expresses with such tender suavity, whether it paints the walls ofthe passages with a brush, or whether it patiently carves the hard basalt.

Ordinairement, les momies pénétrées de bitume et de natrum ressemblent à denoirs simulacres taillés dans l’ébène; la dissolution ne peut lesattaquer, mais les apparences de la vie leur manquent. Les cadavres ne sont pasretournés à la poussière d’où ils étaient sortis; mais ils se sontpétrifiés sous une forme hideuse qu’on ne saurait regarder sans dégoût ou sanseffroi. Ici le corps, préparé soigneusem*nt par des procédés plus sûrs, pluslongs et plus coûteux, avait conservé l’élasticité de la chair, le grain del’épiderme et presque la coloration naturelle; la peau, d’un brun clair,avait la nuance blonde d’un bronze florentin neuf; et ce ton ambré etchaud qu’on admire dans les peintures de Giorgione ou du Titien, enfumées devernis, ne devait pas différer beaucoup du teint de la jeune Égyptienne en sonvivant.

As a general rule mummies which have been filled with bitumen and natronresemble black simulacra carved in ebony; corruption cannot attack them, butthe appearance of life is wholly lacking; the bodies have not returned to thedust whence they came, but they have been petrified in a hideous shape, whichone cannot contemplate without disgust and terror. In this case, the body,carefully prepared by surer, longer, and more costly processes, had preservedthe elasticity of the flesh, the grain of the skin, and almost its naturalcolour. The skin, of a light brown, had the golden tint of a new Florentinebronze, and the amber, warm tone which is admired in the paintings of Giorgioneand Titian covered with a smoky varnish, was not very different from what musthave been the complexion of the young Egyptian during her lifetime.

La tête semblait endormie plutôt que morte; les paupières, encorefrangées de leurs longs cils, faisaient briller entre leurs lignes d’antimoinedes yeux d’émail lustrés des humides lueurs de la vie; on eût ditqu’elles allaient secouer comme un rêve léger leur sommeil de trente siècles.Le nez, mince et fin, conservait ses pures arêtes; aucune dépression nedéformait les joues, arrondies comme le flanc d’un vase; la bouche,colorée d’une faible rougeur, avait gardé ses plis imperceptibles, et sur leslèvres voluptueusem*nt modelées, voltigeait un mélancolique et mystérieuxsourire plein de douceur, de tristesse et de charme: ce sourire tendre etrésigné qui plisse d’une si délicieuse moue les bouches des têtes adorablessurmontant les vases canopes au Musée du Louvre.

She seemed to be asleep rather than dead. The eyelids, still fringed withtheir long lashes, allowed eyes lustrous with the humid gleam of life to shinebetween their lines of antimony. One could have sworn they were about to shakeoff, as a light dream, their sleep of thirty centuries. The nose, delicate andfine, preserved its pure outline; no depression deformed the cheeks, which wereas round as the side of a vase; the mouth, coloured with a faint blush, hadpreserved its imperceptible lines, and on the lips, voluptuously moulded,fluttered a melancholy and mysterious smile, full of gentleness, sadness, andcharm,—that tender and resigned smile which pouts so prettily the lips of theadorable heads which surmount the Canopean vases in the Louvre.

Autour du front uni et bas, comme l’exigent les lois de la beauté antique,se massaient des cheveux d’un noir de jais, divisés et nattés en une multitudede fines cordelettes qui retombaient sur chaque épaule. Vingt épingles d’or,piquées parmi ces tresses comme des fleurs dans une coiffure de bal, étoilaientde points brillants cette épaisse et sombre chevelure qu’on eût pu croirefactice tant elle était abondante. Deux grandes boucles d’oreilles, arrondiesen disques comme de petit* boucliers, faisaient frissonner leur lumière jaune àcôté de ses joues brunes. Un collier magnifique, composé de trois rangs dedivinités et d’amulettes en or et en pierres fines, entourait le col de lacoquette momie, et plus bas, sur sa poitrine, descendaient deux autrescolliers, dont les perles et les rosettes en or, lapis-lazuli et cornalineformaient des alternances symétriques du goût le plus exquis.

Around the forehead, low and smooth in accordance with the laws of antiquebeauty, was massed jet-black hair divided and plaited into a multitude of finetresses which fell on either shoulder. Twenty golden pins stuck into thetresses, like flowers in a ball head-dress, studded with brilliant points thethick dark hair which might have been thought artificial, so abundant was it.Two great earrings, round discs resembling small bucklers, shimmered withyellow light by the side of the brown cheeks. A magnificent necklace, composedof three rows of divinities and amulets in gold and precious stones, encircledthe neck of the coquettish mummy, and lower down upon her breast hung two othercollars, the pearl, gold, lapis-lazuli, and cornelian rosettes of whichalternated symmetrically with the most perfect taste.

Une ceinture à peu près du même dessin enserrait sa taille svelte d’uncercle d’or et de pierres de couleur.

A girdle of nearly the same design enclosed her waist with a belt of goldand gems.

Un bracelet à double rang en perles d’or et de cornaline entourait sonpoignet gauche, et à l’index de la main, du même côté, scintillait un toutpetit scarabée en émaux cloisonnés d’or, formant chaton de bague, et maintenupar un fil d’or précieusem*nt natté.

A double bracelet of gold and cornelian beads adorned her left wrist, and onthe index of the left hand shone a very small scarabæus of golden cloisonnéenamel, which formed a seal ring and was held by a gold thread mostmarvellously plaited.

Quelle sensation étrange! se trouver en face d’un être humain quivivait aux époques où l’Histoire bégayait à peine, recueillant les contes de latradition, en face d’une beauté contemporaine de Moïse et conservant encore lesformes exquises de la jeunesse; toucher cette petite main douce etimprégnée de parfums qu’avait peut-être baisée un Pharaon; effleurer cescheveux plus durables que des empires, plus solides que des monuments degranit!

Strange were the sensations of the two men as they found themselves face toface with a human being who had lived in the days when history was yet youngand was collecting the stories told by tradition; face to face with a bodycontemporary with Moses, which yet preserved the exquisite form of youth; asthey touched the gentle little hand impregnated with perfumes, which a Pharaohperhaps had kissed; as they fingered the hair, more durable than empire, moresolid than granite monuments.

À l’aspect de la belle morte, le jeune lord éprouva ce désir rétrospectifqu’inspire souvent la vue d’un marbre ou d’un tableau représentant une femme dutemps passé, célèbre par ses charmes; il lui sembla qu’il aurait aimé,s’il eût vécu trois mille cinq cents ans plus tôt, cette beauté que le néantn’avait pas voulu détruire, et sa pensée sympathique arriva peut-être à l’âmeinquiète qui errait autour de sa dépouille profanée.

At the sight of the lovely dead girl, the young nobleman felt theretrospective desire often inspired by the sight of a statue or a paintingrepresenting a woman of past days famous for her beauty. It seemed to him thathe would have loved, had he lived three thousand years earlier, that beautywhich nothingness had refused to destroy; and the sympathetic thought perhapsreached the restless soul that fluttered above its profaned frame.

Beaucoup moins poétique que le jeune lord, le docte Rumphius procédait àl’inventaire des bijoux, sans toutefois les détacher, car Evandale avait désiréqu’on n’enlevât pas à la momie cette frêle et dernière consolation; ôterses bijoux à une femme même morte, c’est la tuer une seconde fois! quandtout à coup un rouleau de papyrus caché entre le flanc et le bras de la momiefrappa les yeux du docteur.

Far less poetic than the young nobleman, Dr. Rumphius was making theinventory of the gems, without, however, taking them off; for Evandale hadordered that the mummy should not be deprived of this last frail consolation.To take away gems from a woman, even dead, is to kill her a second time.Suddenly a papyrus roll concealed between the side and arm of the mummy caughtthe doctor's eye.

«Ah! dit-il, c’est sans doute l’exemplaire du rituel funérairequ’on plaçait dans le dernier cercueil, écrit avec plus ou moins de soin selonla richesse et l’importance du personnage.»

"Oh!" said he, "this is no doubt a copy of the funeral ritual placed in theinner coffin and written with more or less care according to the wealth andrank of the person."

Et il se mit à dérouler la bande fragile avec des précautions infinies. Dèsque les premières lignes apparurent, Rumphius sembla surpris; il nereconnaissait pas les figures et les signes ordinaires du rituel: ilchercha vainement, à la place consacrée, les vignettes représentant lesfunérailles et le convoi funèbre qui servent de frontispice à ce papyrus;il ne trouva pas non plus la litanie des cent noms d’Osiris, ni le passeport del’âme, ni la supplique aux dieux de l’Amenti. Des dessins d’une natureparticulière annonçaient des scènes toutes différentes, se rattachant à la viehumaine, et non au voyage de l’ombre dans l’extra-monde. Des chapitres ou desalinéas semblaient indiqués par des caractères tracés en rouge, pour tranchersur le reste du texte écrit en noir, et fixer l’attention du lecteur auxendroits intéressants. Une inscription placée en tête paraissait contenir letitre de l’ouvrage et le nom du grammate qui l’avait écrit ou copié; dumoins, c’est ce que crut démêler à première vue la sagace intuition dudocteur.

He unrolled the delicate band with infinite precautions. As soon as thefirst lines showed, he exhibited surprise, for he did not recognise theordinary figures and signs of the ritual. In vain he sought in the usual placesfor the vignettes representing the funeral, which serve as a frontispiece tosuch papyri, nor did he find the Litany of the Hundred Names of Osiris, nor thesoul's passport, nor the petition to the gods of Amenti. Drawings of apeculiar kind illustrated entirely different scenes connected with human life,and not with the voyage of the shade to the world beyond. Chapters andparagraphs seemed to be indicated by characters written in red, evidently forthe purpose of distinguishing them from the remainder of the text, which was inblack, and of calling the attention of the reader to interesting points. Aninscription placed at the head appeared to contain the title of the work, andthe name of the grammat who had written or copied it,—so much, at least, didthe sagacious intuition of the doctor make out at the first glance.

«Décidément, milord, nous avons volé le sieur Argyropoulos, ditRumphius à Evandale, en lui faisant remarquer toutes les différences du papyruset des rituels ordinaires. C’est la première fois que l’on trouve un manuscritégyptien contenant autre chose que des formules hiératiques! Oh! jele déchiffrerai, dussé-je y perdre les yeux! dût ma barbe non coupéefaire trois fois le tour de mon bureau! Oui, je t’arracherai ton secret,mystérieuse Égypte; oui, je saurai ton histoire, belle morte, car cepapyrus serré sur ton cœur par ton bras charmant doit la contenir! et jeme couvrirai de gloire, et j’égalerai Champollion, et je ferai mourir Lepsiusde jalousie!»

"Undoubtedly, my lord, we have robbed Master Argyropoulos," said he toEvandale, as he pointed out the differences between the papyrus and the usualritual. "This is the first time that an Egyptian manuscript has been found tocontain anything else than hieratic formulæ. I am bound to decipher it, even ifit costs me my sight, even if my beard grows thrice around my desk. Yes, Ishall ferret out your secret, mysterious Egypt! Yes, I shall learn your story,you lovely dead; for that papyrus pressed close to your heart by your lovelyarm surely contains it. And I shall be covered with glory, become the equal ofChampollion, and make Lepsius die of jealousy."

Le docteur et le lord retournèrent en Europe; la momie, recouverte detoutes ses bandelettes et replacée dans ses trois cercueils, habite, dans leparc de Lord Evandale, au Lincolnshire, le sarcophage de basalte qu’il a faitvenir à grands frais de Biban-el-Molouk et n’a pas donné au British Muséum.Quelquefois le lord s’accoude sur le sarcophage, paraît rêver profondément etsoupire…

The nobleman and the doctor returned to Europe. The mummy, wrapped up againin all its bandages and replaced within its three cases, rests within LordEvandale's park in Lincolnshire, in the basalt sarcophagus which he brought atgreat expense from Biban el Molûk and which he did not give to the BritishMuseum. Sometimes Lord Evandale leans upon the sarcophagus, sinks into a deepreverie, and sighs.

Après trois ans d’études acharnées, Rumphius est parvenu à déchiffrer lepapyrus mystérieux, sauf quelques endroits altérés ou présentant des signesinconnus, et c’est sa traduction latine, tournée par nous en français, que vousallez lire sous ce nom: Le Roman de la momie.

After three years of unflagging application, Dr. Rumphius succeeded indeciphering the mysterious papyrus, save in some damaged parts, and in otherswhich contained unknown signs. And it is his translation into Latin—which wehave turned into French—that you are about to read, under the name, "TheRomance of a Mummy."

Fin du Prologue.

I

I

Oph (c’est le nom égyptien de la ville que l’antiquité appelait Thèbes auxcent portes ou Diospolis Magna) semblait endormie sous l’action dévorante d’unsoleil de plomb. Il était midi; une lumière blanche tombait du ciel pâlesur la terre pâmée de chaleur; le sol brillanté de réverbérations luisaitcomme du métal fourbi, et l’ombre ne traçait plus au pied des édifices qu’unmince filet bleuâtre, pareil à la ligne d’encre dont un architecte dessine sonplan sur le papyrus; les maisons, aux murs légèrement inclinés en talus,flamboyaient comme des briques au four; les portes étaient closes, et auxfenêtres, fermées de stores en roseaux clissés, nulle tête n’apparaissait.

Oph (that is the name of the city which antiquity called Thebes of theHundred Gates, or Diospolis Magna), seemed asleep under the burning beams ofthe blazing sun. It was noon. A white light fell from the pale sky upon thebaked earth; the sand, shimmering and scintillating, shone like burnishedmetal; shadows there were none, save a narrow, bluish line at the foot ofbuildings, like the inky line with which an architect draws upon papyrus; thehouses, whose walls sloped well inwards, glowed like bricks in an oven; everydoor was closed, and no one showed at the windows, which were closed withblinds of reeds.

Au bout des rues désertes, et au-dessus des terrasses, se découpaient, dansl’air d’une incandescente pureté, la pointe des obélisques, le sommet despylônes, l’entablement des palais et des temples, dont les chapiteaux, à facehumaine ou à fleurs de lotus, émergeaient à demi, rompant les ligneshorizontales des toits, et s’élevant comme des écueils parmi l’amas desédifices privés.

At the end of the deserted streets and above the terraces stood out in thehot, transparent air the tips of obelisks, the tops of pylons, the entablaturesof palaces and temples, whose capitals, formed of human faces or lotus flowers,showed partially, breaking the horizontal lines of the roofs and rising likereefs amid the mass of private buildings.

De loin en loin, par-dessus le mur d’un jardin, quelque palmier dardait sonfût écaillé, terminé par un éventail de feuilles dont pas une ne bougeait, carnul souffle n’agitait l’atmosphère; des acacias, des mimosas et desfiguiers de Pharaon déversaient une cascade de feuillage, tachant d’une étroiteombre bleue la lumière étincelante du terrain; ces touches vertesanimaient et rafraîchissaient l’aridité solennelle du tableau, qui, sans elles,eût présenté l’aspect d’une ville morte.

Here and there above a garden wall shot up the scaly trunk of a palm treeending in a plume of leaves, not one of which stirred, for never a breath blew.Acacias, mimosas, and Pharaoh fig-trees formed a cascade of foliage that cast anarrow blue shadow upon the dazzling brilliancy of the ground. These greenspots refreshed and enlivened the solemn aridity of the picture, which but forthem would have been that of a dead city.

Quelques rares esclaves de la race Nahasi, au teint noir, au masquesimiesque, à l’allure bestiale, bravant seuls l’ardeur du jour, portaient chezleurs maîtres l’eau puisée au Nil dans des jarres suspendues à un bâton posésur l’épaule; quoiqu’ils n’eussent pour vêtement qu’un caleçon rayébridant sur les hanches, leurs torses brillants et polis comme du basalteruisselaient de sueur, et ils hâtaient le pas pour ne pas brûler la planteépaisse de leurs pieds aux dalles chaudes comme le pavé d’une étuve. Lesmatelots dormaient dans le naos de leurs canges amarrées au quai de briques dufleuve, sûrs que personne ne les éveillerait pour passer sur l’autre rive, auquartier des Memnonia. Au plus haut du ciel tournoyaient des gypaètes dont lesilence général permettait d’entendre le piaulement aigu, qui, à un autremoment du jour, se fût perdu dans la rumeur de la cité. Sur les corniches desmonuments, deux ou trois ibis, une patte repliée sous le ventre, le bec enfouidans le jabot, semblaient méditer profondément, et dessinaient leur silhouettegrêle sur le bleu calciné et blanchissant qui leur servait de fond.

A few slaves of the Nahasi race, black complexioned, monkey-faced, withbestial gait, alone braving the heat of the day, were bearing to their masters'homes the water drawn from the Nile in jars that were hung from a stick placedon their shoulder. Although they wore nothing but striped drawers wrinkling ontheir hips, their torsos, brilliant and polished like basalt, streamed withperspiration as they quickened their pace lest they should scorch the thicksoles of their feet on the pavements, which were as hot as the floor of avapour bath. The boatmen were asleep in the cabins of their boats moored to thebrick wall of the river quay, sure that no one would waken them to cross to theother bank, where lay the Memnonia quarter. In the highest heaven wheeledvultures, whose shrill call, that at any other time would have been lost in therumour of the city, could be plainly heard in the general silence. On thecornices of the monuments two or three ibises, one leg drawn up under theirbody, their long bill resting on their breast, seemed to be meditating deeply,and stood out against the calcined, whitish blue which formed thebackground.

Cependant tout ne dormait pas dans Thèbes; des murs d’un grand palais,dont l’entablement orné de palmettes traçait sa longue ligne droite sur le cielenflammé, sortait comme un vague murmure de musique; ces boufféesd’harmonie se répandaient de temps à autre à travers le tremblement diaphane del’atmosphère, où l’œil eût pu suivre presque leurs ondulations sonores.

And yet all did not sleep. From the walls of a great palace whoseentablature, adorned with palmettoes, made a long, straight line against theflaming sky, there came a faint murmur of music. These bursts of harmony spreadnow and then through the diaphanous shimmer of the atmosphere, and the eyemight almost have followed their sonorous undulations.

Étouffée par l’épaisseur des murailles, comme par une sourdine, la musiqueavait une douceur étrange: c’était un chant d’une volupté triste, d’unelangueur exténuée, exprimant la fatigue du corps et le découragement de lapassion; on y pouvait deviner aussi l’ennui lumineux de l’éternel azur,l’indéfinissable accablement des pays chauds.

Deadened by the thickness of the walls, the music was strangely sweet. Itwas a song voluptuously sad, wearily languorous, expressing bodily fatigue andthe discouragement of passion. It was full of the eternal weariness of theluminous azure, of the indescribable helplessness of hot countries.

En longeant cette muraille, l’esclave, oubliant le fouet du maître,suspendait sa marche et s’arrêtait pour aspirer, l’oreille tendue, ce chantimprégné de toutes les nostalgies secrètes de l’âme, et qui le faisait songer àla patrie perdue, aux amours brisées et aux insurmontables obstacles dusort.

As the slave passed by the wall, forgetting the master's lash he wouldsuspend his walk and stop to breathe in that song, impregnated with all thesecret homesickness of the soul, which made him think of his far distantcountry, of his lost love, and of the insurmountable obstacles of fate.

D’où venait-il, ce chant, ce soupir exhalé à petit bruit dans le silence dela ville? Quelle âme inquiète veillait, lorsque tout dormait autourd’elle?

Whence came that song, that sigh softly breathed in the silence of the city?What restless soul was awake when all around was asleep?

La façade du palais, tournée vers une place assez vaste, avait cetterectitude de lignes et cette assiette monumentale, type de l’architectureégyptienne civile et religieuse. Cette habitation ne pouvait être que celled’une famille princière ou sacerdotale; on le devinait au choix desmatériaux, au soin de la bâtisse, à la richesse des ornements.

The straight lines and the monumental appearance of the façade of thepalace, which looked upon the face of the square, were typical of the civil andreligious architecture of Egypt. The dwelling could belong to a princely or apriestly family only. So much was readily seen from the materials of which itwas built, the careful construction, and the richness of the ornamentation.

Au centre de la façade s’élevait un grand pavillon flanqué de deux ailes, etsurmonté d’un toit formant un triangle écimé. Une large moulure à la gorgeprofondément évidée, et d’un profil saillant, terminait la muraille, où l’on neremarquait d’autre ouverture qu’une porte, non pas placée symétriquement aumilieu, mais dans le coin du pavillon, sans doute pour laisser leur liberté dedéveloppement aux marches de l’escalier intérieur. Une corniche, du même styleque l’entablement, couronnait cette porte unique.

In the centre of the façade rose a great building flanked by two wingssurmounted by a roof in the form of a truncated triangle. A broad, deeply cutmoulding of striking profile ended the wall, in which was visible no openingother than a door placed, not symmetrically in the centre, but in the corner ofthe building, no doubt to allow ample space for the staircase within. A cornicein the same style as the entablature surmounted this single door.

Le pavillon saillait en avant d’une muraille à laquelle s’appliquaient,comme des balcons, deux étages de galeries, espèces de portiques ouverts, faitsde colonnes d’une fantaisie architecturale singulière; les bases de cescolonnes représentaient d’énormes boutons de lotus, dont la capsule, sedéchirant en lobes dentelés, laissait jaillir, comme un pistil gigantesque, lahampe renflée du bas, amenuisée du haut, étranglée sous le chapiteau par uncollier de moulures, et se terminant en fleur épanouie.

The building projected from a wall on which rested like balconies twostories of galleries, resembling open porticoes, composed of pillars singularlyfantastic in style. The bases of these pillars represented huge lotus-buds,from the capsule of which, as it opened its dentelated rim, sprang the shaftlike a giant pistil, swelling below, more slender at the top, girdled under thecapital by a collar of mouldings, and ending in a half-blown flower.

Entre les larges baies des entre-colonnements, on apercevait de petitesfenêtres à deux vantaux garnis de verres de couleur. Au-dessus régnait un toiten terrasse dallé d’énormes pierres.

Between the broad bays were small windows with their sashes in two partsfilled with stained glass. Above ran a terraced roof flagged with huge slabs ofstone.

Dans ces galeries extérieures, de grands vases d’argile, frottés en dedansd’amandes amères, bouchés de tampons de feuillage et posés sur des trépieds debois, rafraîchissaient l’eau du Nil aux courants d’air. Des guéridonssupportaient des pyramides de fruits, des gerbes de fleurs et des coupes àboire de différentes formes: car les Égyptiens aiment à manger en pleinair, et prennent, pour ainsi dire, leurs repas sur la voie publique.

On the outer galleries great clay vases, rubbed inside with bitter almondsand closed with leaves, resting upon wooden pedestals, cooled the Nile water inthe draughts of air. Tables bore pyramids of fruits, sheaves of flowers anddrinking-cups of different shapes; for the Egyptians love to eat in the openair, and take their meals, so to speak, upon the public street.

De chaque côté de cet avant-corps s’étendaient des bâtiments n’ayant qu’unrez-de-chaussée, et formés d’un rang de colonnes engagées à mi-hauteur dans unemuraille divisée en panneaux de manière à former autour de la maison unpromenoir abrité contre le soleil et les regards. Toute cette architecture,égayée de peintures ornementales (car les chapiteaux, les fûts, les corniches,les panneaux étaient coloriés), produisait un effet heureux et splendide.

On either side of the main building stretched others rising to the height ofone story only, formed of a row of pillars engaged half-way up in a walldivided into panels in such a manner as to form around the house a shelterclosed to the sun and the gaze of the outer world. All these buildings,enlivened by ornamental paintings,—for the capitals, the shafts, the cornices,and the panels were coloured,—produced a delightful and superb effect.

En franchissant la porte, on entrait dans une vaste cour entourée d’unportique quadrilatéral, soutenu par des piliers ayant pour chapiteaux quatretêtes de femmes aux oreilles de vache, aux longs yeux bridés, au nez légèrementcamard, au sourire largement épanoui, coiffées d’un épais bourrelet rayé, quisupportaient un dé de grès dur.

The door opened into a vast court surrounded by a quadrilateral porticosupported by pillars, the capitals of which showed on each face a woman's head,with the ears of a cow, long, narrow eyes, slightly flattened noses, and abroad smile; each wore a thick red cushion and supported a cap of hardsandstone.

Sous ce portique s’ouvraient les portes des appartements, où ne pénétraitqu’une lumière adoucie par l’ombre de la galerie.

Under the portico opened the doors of the apartments, into which the lightcame softened by the shade of the galleries.

Au milieu de la cour scintillait sous le soleil une pièce d’eau bordée d’unemarge en granit de Syène, et sur laquelle s’étalaient les larges feuillestaillées en cœur des lotus, dont les fleurs roses ou bleues se fermaient àdemi, comme pâmées de chaleur, malgré l’eau où elles baignaient.

In the centre of the court sparkled in the sunshine a pool of water, edgedwith a margin of Syêné granite. On the surface of the pond spread theheart-shaped leaves of the lotus, the rose and blue flowers of which were halfclosed as if overcome by the heat in spite of the water in which they wereplunged.

Dans les plates-bandes encadrant le bassin étaient plantées des fleursdisposées en éventail sur de petit* monticules de terre, et, par les étroitschemins tracés entre les touffes, se promenaient avec précaution deux cigognesfamilières, faisant de temps à autre claquer leur long bec et palpiter leursailes comme si elles voulaient s’envoler.

In the flower-beds around the pool were planted flowers arranged fanlikeupon small hillocks, and along the narrow walks laid out between the bedswalked carefully two tame storks, which from time to time snapped their billsand fluttered their wings as if about to take flight.

Aux angles de la cour, quatre grands perséas tordaient leurs troncs etdécoupaient leurs masses de feuillage d’un vert métallique.

At the angles of the court the twisted trunks of four huge persæas exhibiteda mass of metallic green foliage.

Au fond, une espèce de pylône interrompait le portique, et sa large baieencadrant l’air bleu laissait apercevoir au bout d’un long berceau de treillesun kiosque d’été d’une construction aussi riche qu’élégante.

At the end a sort of pylon broke the portico, and its large bay, framing inthe blue air, showed at the end of a long avenue a summer kiosk of rich andelegant design.

Dans les compartiments tracés à droite et à gauche de la tonnelle par desarbres nains taillés en cône, verdoyaient des grenadiers, des sycomores, destamarisques, des périplocas, des mimosas, des acacias, dont les fleursbrillaient comme des étincelles coloriées sur le fond intense du feuillagedépassant la muraille.

In the compartments traced on the right and on the left of the arbour bydwarf trees cut into the shape of cones, bloomed pomegranates, sycamores,tamarinds, periplocas, mimosas, and acacias, the flowers of which shone likecoloured lights on the deep green of the foliage which overhung the walls.

La musique faible et douce dont nous avons parlé sortait d’une des chambresouvrant leur porte sous le portique intérieur.

The faint, sweet music of which we have spoken proceeded from one of therooms which opened into the interior portico.

Quoique le soleil donnât en plein dans la cour dont le sol brillait inondéd’une lumière crue, une ombre bleue et fraîche, transparente dans sonintensité, baignait l’appartement où l’œil, aveuglé par les ardentesréverbérations, cherchait d’abord les formes et finissait par les démêlerlorsqu’il s’était habitué à ce demi-jour.

Although the sun shone full into the court, the ground of which blazed inthe flood of light, a blue, cool shadow, transparently intense, filled theapartment, in which the eye, blinded by the dazzling reverberation, sought todistinguish shapes and at last made them out when it had become accustomed tothe semi-light.

Une teinte lilas tendre colorait les parois de la chambre, autour delaquelle régnait une corniche enluminée de tons éclatants et fleurie depalmettes d’or. Des divisions architecturales heureusem*nt combinées traçaientsur ces espaces plans des panneaux qui encadraient des dessins, des ornements,des gerbes de fleurs, des figures d’oiseaux, des damiers de couleurscontrastées, et des scènes de la vie intime.

A tender lilac tone overspread the walls of the room, around which ran acornice painted in brilliant tones and enriched with small goldenpalm-branches. Architectural designs skilfully combined formed on the plainspaces panels which framed in ornaments, sheaves of flowers, birds, diapers ofcontrasted colours, and scenes of domestic life.

Au fond, près de la muraille, se dessinait un lit de forme bizarre,représentant un bœuf coiffé de plumes d’autruche, un disque entre les cornes,aplatissant son dos pour recevoir le dormeur ou la dormeuse sur son mincematelas rouge, arc-boutant contre le sol, en manière de pieds, ses jambesnoires terminées par des sabots verts, et retroussant sa queue divisée en deuxflocons. Ce quadrupède-lit, cet animal-meuble eût paru étrange en tout autrepays que l’Égypte, où les lions et les chacals se laissent également arrangeren lits par le caprice de l’ouvrier. Devant cette couche était placé unescabeau à quatre marches pour y monter; à la tête, un chevet d’albâtreoriental, destiné à soutenir le col sans déranger la coiffure, se creusait endemi-lune.

At the back, near the wall, stood a strangely shaped bed, representing an oxwearing ostrich-feathers with a disc between its horns, broadening its back toreceive the sleeper upon a thin red mattress, and stiffening by way of feet itsblack legs ending in green hoofs, while its curled-up tail was divided into twotufts. This quadruped bed, this piece of animal furniture, would have seemedstrange in any other country than Egypt, where lions and jackals are alsoturned into beds by the fancy of the workmen.

In front of the couch was placed a stool with four steps, which gave accessto it: at the head, a pillow of Oriental alabaster, destined to support theneck without deranging the head-dress, was hollowed out in the shape of a halfmoon.

Au milieu, une table de bois précieux travaillé avec un soin charmant posaitson disque sur un socle évidé. Différents objets l’encombraient: un potde fleurs de lotus, un miroir de bronze poli à pied d’ivoire, une buire d’agaterubanée pleine de poudre d’antimoine, une spatule à parfums en bois desycomore, formée par une jeune fille nue jusqu’aux reins, allongée dans uneposition de nage et semblant vouloir soutenir sa cassolette au-dessus del’eau.

In the centre a table of precious wood carved with exceeding care, stoodupon a richly carved pedestal. A number of objects were placed upon it: a potof lotus flowers, a mirror of polished bronze on an ivory stand, a vase of mossagate filled with antimony powder, a perfume spatula of sycamore wood in theshape of a woman bare to the waist stretching out as if she were swimming, andappearing to attempt to hold her box above the water.

Près de la table, sur un fauteuil en bois doré réchampi de rouge, aux piedsbleus, aux bras figurés par des lions, recouvert d’un épais coussin à fondpourpre étoilé d’or et quadrillé de noir, dont le bout débordait en volutepar-dessus le dossier, était assise une jeune femme ou plutôt une jeune filled’une merveilleuse beauté, dans une gracieuse attitude de nonchalance et demélancolie.

Near the table, on an armchair of gilded wood picked out with red, with bluefeet, and with lions for arms, covered with a thick cushion of purple stuffstarred with gold and crossed with black, the end of which fell over the back,was seated a young woman, or rather, a young girl of marvellous beauty, in agraceful attitude of nonchalance and melancholy.

Ses traits, d’une délicatesse idéale, offraient le plus pur type égyptien,et souvent les sculpteurs avaient dû penser à elle en taillant les imagesd’Isis et d’Hâthor, au risque d’enfreindre les rigoureuses loishiératiques; des reflets d’or et de rose coloraient sa pâleur ardente oùse dessinaient ses longs yeux noirs, agrandis par une ligne d’antimoine etalanguis d’une indicible tristesse. Ce grand œil sombre, aux sourcils marquéset aux paupières teintes, prenait une expression étrange dans ce visage mignon,presque enfantin. La bouche mi-ouverte, colorée comme une fleur de grenade,laissait briller entre ses lèvres, un peu épaisses, un éclair humide de nacrebleuâtre, et gardait ce sourire involontaire et presque douloureux qui donne uncharme si sympathique aux figures égyptiennes; le nez, légèrement dépriméà la racine, à l’endroit où les sourcils se confondaient dans une ombreveloutée, se relevait avec des lignes si pures, des arêtes si fines, etdécoupait ses narines d’un trait si net que toute femme ou toute déesse s’enserait contentée, malgré son profil imperceptiblement africain; le mentons’arrondissait par une courbe d’une élégance extrême, et brillait poli commel’ivoire; les joues, un peu plus développées que chez les beautés desautres peuples, prêtaient à la physionomie une expression de douceur et degrâce d’un charme extrême.

Her features, of ideal delicacy, were of the purest Egyptian type, andsculptors must have often thought of her as they carved the images of Isis andHathor, even at the risk of breaking the rigorous hieratic laws. Golden androsy reflections coloured her warm pallor, in which showed her long black eyes,made to appear larger by lines of antimony, and full of a languorous,inexpressible sadness. Those great dark eyes, with the eyebrows strongly markedand the eyelids coloured, gave a strange expression to the dainty, almostchildish face. The half-parted lips, somewhat thick, of the colour of apomegranate flower, showed a gleam of polished white and preserved theinvoluntary and almost painful smile which imparts so sympathetic a charm tothe Egyptian face. The nose, slightly depressed at the root, where theeyebrows melted one into another in a velvety shadow, rose in such pure lines,such delicate outlines, and with such well-cut nostrils that any woman orgoddess would have been satisfied with it in spite of its slightly Africanprofile. The chin was rounded with marvellous elegance and shone like polishedivory. The cheeks, rather rounder than those of the beauties of other nations,added to the face an expression of extreme sweetness and gracefulness.

Cette belle fille avait pour coiffure une sorte de casque formé par unepintade dont les ailes à demi déployées s’abattaient sur ses tempes, et dont lajolie tête effilée s’avançait jusqu’au milieu de son front, tandis que laqueue, constellée de points blancs, se déployait sur sa nuque. Une habilecombinaison d’émail imitait à s’y tromper le plumage ocellé de l’oiseau;des pennes d’autruche, implantées dans le casque comme une aigrette,complétaient cette coiffure réservée aux jeunes vierges, de même que levautour, symbole de la maternité, n’appartient qu’aux femmes.

This lovely girl wore for head-dress a sort of helmet formed of a Guineafowl, the half-closed wings of which fell upon her temples, and the pretty,small head of which came down to the centre of her brow, while the tail, markedwith white spots, spread out on the back of her neck. A clever combination ofenamel imitated to perfection the plumage of the bird. Ostrich-feathers,planted in the helmet like an aigrette, completed this head-dress, which wasreserved for young virgins, as the vulture, the symbol of maternity, is wornonly by women.

Les cheveux de la jeune fille d’un noir brillant, tressés en fines nattes,se massaient de chaque côté de ses joues rondes et lisses, dont ils accusaientle contour, et s’allongeaient jusqu’aux épaules; dans leur ombreluisaient, comme des soleils dans un nuage, de grands disques d’or en façon deboucles d’oreilles; de cette coiffure partaient deux longues bandesd’étoffe aux bouts frangés qui retombaient avec grâce derrière le dos. Un largepectoral composé de plusieurs rangs d’émaux, de perles d’or, de grains decornaline, de poissons et de lézards en or estampé couvrait la poitrine de labase du col à la naissance de la gorge, qui transparaissait rose et blanche àtravers la trame aérienne de la calasiris. La robe, quadrillée de largescarreaux, se nouait sous le sein au moyen d’une ceinture à bouts flottants, etse terminait par une large bordure à raies transversales garnie de franges. Detriples bracelets en grains de lapis-lazuli, striés de distance en distanced’une rangée de perles d’or, cerclaient ses poignets minces, délicats commeceux d’un enfant; et ses beaux pieds étroits, aux doigts souples etlongs, chaussés de tatbebs en cuir blanc gaufré de dessins d’or, reposaient surun tabouret de cèdre incrusté d’émaux verts et rouges.

The hair of the young girl, of a brilliant black, plaited into tresses, hungin masses on either side of her smooth, round cheeks, and fell down to hershoulders. In the shadowy masses of the hair shone, like suns in a cloud, greatdiscs of gold worn as earrings. From the head-dress hung gracefully down theback two long bands of stuff with fringed ends. A broad pectoral ornament,composed of several rows of enamels, gold and cornelian beads, and fishes andlizards of stamped gold, covered her breast from the lower part of the neck tothe upper part of the bosom, which showed pink and white through the thin warpof the calasiris. The dress, of a large checkered pattern, was fastened underthe bosom with a girdle with long ends, and ended in a broader border oftransverse stripes edged with a fringe. Triple bracelets of lapis-lazulibeads, divided here and there by golden balls, encircled her slender wrists,delicate as those of a child; and her lovely, narrow feet with long, suppletoes, were shod with sandals of white kid stamped with designs in gold, andrested on a cedar stool incrusted with red and green enamel.

Près de Tahoser, c’est le nom de la jeune Égyptienne, se tenait agenouillée,une jambe repliée sous la cuisse et l’autre formant un angle obtus, dans cetteattitude que les peintres aiment à reproduire aux murs des hypogées, unejoueuse de harpe posée sur une espèce de socle bas, destiné sans doute àaugmenter la résonance de l’instrument. Un morceau d’étoffe rayé de bandes decouleur, et dont les bouts rejetés en arrière flottaient en barbes cannelées,contenait ses cheveux et encadrait sa figure souriante et mystérieuse comme unmasque de sphinx. Une étroite robe, ou, pour mieux dire, un fourreau de gazetransparente, moulait exactement les contours juvéniles de son corps élégant etfrêle; cette robe, coupée au-dessous du sein, laissait les épaules, lapoitrine et les bras libres dans leur chaste nudité.

Near Tahoser (for this was the name of the young Egyptian) knelt, one legdrawn back under the thigh and the other forming an obtuse angle, in theattitude which the painters love to reproduce on the walls of hypogea, a femaleharpist placed upon a sort of low pedestal, destined no doubt to increase theresonance of the instrument. A piece of stuff striped with coloured bands, theends of which, thrown back, hung in fluted lappets, bound her hair and framedin her face, smiling mysteriously like that of a sphinx. A narrow dress, orrather sheath, of transparent gauze outlined closely the youthful contours ofher elegant, slender form. Her dress, cut below the breast, left her shoulders,chest, and arms free in their chaste nudity.

Un support, fiché dans le socle sur lequel était placée la musicienne, ettraversé d’une cheville en forme de clef, servait de point d’appui à la harpe,dont, sans cela, le poids eût pesé tout entier sur l’épaule de la jeune femme.Cette harpe, terminée par une sorte de table d’harmonie, arrondie en conque etcoloriée de peintures ornementales, portait, à son extrémité supérieure, unetête sculptée d’Hâthor surmontée d’une plume d’autruche; les cordes, aunombre de neuf, se tendaient diagonalement et frémissaient sous les doigtslongs et menus de la harpiste, qui souvent, pour atteindre les notes graves, sepenchait, avec un mouvement gracieux comme si elle eût voulu nager sur lesondes sonores de la musique, et accompagner l’harmonie qui s’éloignait.

A support, fixed to the pedestal on which was placed the player, andtraversed by a bolt in the shape of a key, formed a rest for the harp, theweight of which, but for that, would have borne wholly upon the shoulders ofthe young woman. The harp, which ended in a sort of keyboard, rounded like ashell and covered with ornamental paintings, bore at its upper end a sculpturedhead of Hathor surmounted by an ostrich-plume. The nine cords were stretcheddiagonally and quivered under the long, slender hands of the harpist, whooften, in order to reach the lower notes, bent with a sinuous motion as if shewere about to float on the waves of music and accompany the vanishingharmony.

Derrière elle, une autre musicienne debout, qu’on aurait pu croire nue sansle léger brouillard blanc qui atténuait la couleur bronzée de son corps, jouaitd’une espèce de mandore au manche démesurément long, dont les trois cordesétaient coquettement ornées, à leur extrémité, de houppes de couleur. Un de sesbras, mince et rond cependant, s’allongeait jusqu’au haut du manche avec unepose sculpturale, tandis que l’autre soutenait l’instrument et agaçait lescordes.

Behind her stood another musician, who might have been thought nude but forthe faint white haze which toned the bronze colour of her body. She played on asort of guitar with an exceedingly long handle, the three cords of which werecoquettishly adorned at their extremity with coloured tufts. One of her arms,slender yet round, grasped the top of the handle with a sculptural pose, whilethe other upheld the instrument and touched the strings.

Une troisième jeune femme, que son énorme chevelure faisait paraître encoreplus fluette, marquait la mesure sur un tympanon formé d’un cadre de boislégèrement infléchi en dedans et tendu de peau d’onagre.

A third young woman, whose enormous mass of hair made her look all the moreslender, beat time upon a tympanum formed of a wooden frame slightly curvedinward, on which was stretched an onager-skin.

La joueuse de harpe chantait une mélopée plaintive, accompagnée à l’unisson,d’une douceur inexprimable et d’une tristesse profonde. Les paroles exprimaientde vagues aspirations, des regrets voilés, un hymne d’amour à l’inconnu, et desplaintes timides sur la rigueur des dieux et la cruauté du sort.

The harpist sang a plaintive melody, accompanied in unison, inexpressiblysad. The words breathed vague aspirations, vague regrets, a hymn of love to theunknown, and timid plaints of the rigour of the gods and the cruelty of fate.

Tahoser, le coude appuyé sur un des lions de son fauteuil, la main à la joueet le doigt retroussé contre la tempe, écoutait avec une distraction plusapparente que réelle le chant de la musicienne; parfois un soupirgonflait sa poitrine et soulevait les émaux de son gorgerin; parfois unelueur humide, causée par une larme qui germait, lustrait le globe de son œilentre les lignes d’antimoine, et ses petites dents mordaient sa lèvreinférieure comme si elle se fût rebellée contre son émotion.

Tahoser, leaning upon one of the lions of her armchair, her hand under hercheek and her finger curved against her temple, listened with inattention moreapparent than real, to the song of the musician. At times a sigh made herbreast heave and raised the enamels of her necklace. Sometimes a moist lightcaused by a growing tear shone in her eye between the lines of antimony, andher tiny teeth bit her lower lip as if she were fighting her own emotion.

«Satou, fit-elle en frappant l’une contre l’autre ses mains délicatespour imposer silence à la musicienne, qui étouffa aussitôt avec sa paume lesvibrations de la harpe, ton chant m’énerve, m’alanguit, et me ferait tourner latête comme un parfum trop fort. Les cordes de ta harpe semblent tordues avecles fibres de mon cœur et me résonnent douloureusem*nt dans la poitrine;tu me rends presque honteuse, car c’est mon âme qui pleure à travers lamusique; et qui peut t’en avoir dit les secrets?

"Satou," she said, clapping her delicate hands together to silence themusician, who at once deadened with her palm the vibrations of the harp, "yoursong enervates me, makes me languid, and would make me giddy like overpowerfulperfumes. The strings of your harp seem to be twisted with the vibrations of myheart and sound painfully within my breast. You make me almost ashamed, for itis my soul that mourns in your music. Who can have told you my secrets?"

— Maîtresse, répondit la harpiste, le poète et le musicien saventtout; les dieux leur révèlent les choses cachées; ils exprimentdans leurs rythmes ce que la pensée conçoit à peine et ce que la languebalbutie confusément. Mais si mon chant t’attriste, je puis, en changeant demode, faire naître des idées plus riantes dans ton esprit.»

Et Satou attaqua les cordes de sa harpe avec une énergie joyeuse et sur unrythme vif que le tympanon accentuait de coups pressés; après ce prélude,elle entonna un chant célébrant les charmes du vin, l’enivrement des parfums etle délire de la danse.

"Mistress," replied the harpist, "the poet and the musician know everything;the gods reveal hidden things to them; they express in their rhythm what thethought scarcely conceives and what the tongue confusedly stammers. But if mysong saddens you, I can, by changing its mode, bring brighter ideas to yourmind." And Satou struck the cords of her harp with joyous energy, and with aquick measure which the tympanum marked with more rapid strokes.

Quelques-unes des femmes qui, assises sur ces pliants à cols de cygnes bleusdont le bec jaune mord les bâtons du siège, ou agenouillées sur des coussinsécarlates gonflés de barbe de chardon, gardaient, sous l’influence de lamusique de Satou, des poses d’une langueur désespérée, frissonnèrent, ouvrirentles narines, aspirèrent le rythme magique, se dressèrent sur leurs pieds, et,mues d’une impulsion irrésistible, se mirent à danser.

After this prelude she began a song praising the charms of wine, theintoxication of perfumes, and the delight of the dance. Some of the women, who,seated upon folding-stools formed of the necks of blue swans, whose yellowbills clasped the frame of the seat, or kneeling upon scarlet cushions filledwith the down of thistles, had assumed under the influence of Satou's musicposes of utter languor, shivered; their nostrils swelled; they breathed in themagic rhythm; they rose to their feet, and, moved by an irresistible impulse,began to dance.

Une coiffure en forme de casque échancré à l’oreille enveloppait leurchevelure, dont quelques spirales s’échappaient et flagellaient leurs jouesbrunes, où l’ardeur de la danse mit bientôt des couleurs roses. De largescercles d’or battaient leur col, et à travers leur longue chemise de gaze,brodée de perles par en haut, on voyait leurs corps couleur de bronze jaunedoré s’agiter avec une souplesse de couleuvre; elles se tordaient, secambraient, remuaient leurs hanches cerclées d’une étroite ceinture, serenversaient, prenaient des attitudes penchées, inclinaient la tête à droite età gauche comme si elles eussent trouvé une volupté secrète à frôler de leurmenton poli leur épaule froide et nue, se rengorgeaient comme des colombes,s’agenouillaient et se relevaient, serraient les mains contre leur poitrine oudéployaient moelleusem*nt leurs bras qui semblaient battre des ailes comme ceuxd’Isis et de Nephthys, traînaient leurs jambes, ployaient leurs jarrets,déplaçaient leurs pieds agiles par de petit* mouvements saccadés, et suivaienttoutes les ondulations de la musique.

A head-dress, in the shape of a helmet cut out around the ear, enclosedtheir hair, some locks of which escaped and fell upon their brown cheeks, whichthe ardour of the dance soon turned rosy. Broad golden circles beat upon theirnecks, and through their long gauze shifts, embroidered at the top with pearls,showed their golden bronze bodies which moved with the ease of an adder. Theytwisted, turned, swayed their hips, bound with a narrow black girdle, threwthemselves back, bowed down, inclined their heads to right and left as if theyfound a secret voluptuousness in touching their polished chins with their cold,bare shoulders, swelled out their breasts like doves, knelt and rose, pressedtheir hands to their bosom or voluptuously outspread their arms, which seemedto flutter as the wings of Iris or Nephthys, dragged their limbs, bent theknee, displayed their swift feet with little staccato movements, and followedevery undulation of the music.

Les suivantes, debout contre la muraille pour laisser le champ libre auxévolutions des danseuses, marquaient le rythme en faisant craquer leurs doigtsou en frappant l’une contre l’autre la paume de leurs mains. Celles-ci,entièrement nues, n’avaient pour ornement qu’un bracelet en pâteémaillée; celles-là, vêtues d’un pagne étroit retenu par des bretelles,portaient pour coiffure quelques brins de fleurs tordus. C’était étrange etgracieux. Les boutons et les fleurs, doucement agités, répandaient leursparfums à travers la salle, et ces jeunes femmes couronnées eussent pu offriraux poëtes d’heureux sujets de comparaison.

The maids, standing against the wall to leave free space for the evolutionsof the dancers, marked the rhythm by snapping their fingers or clapping theirhands together. Some of these maids, absolutely nude, had no other raiment thana bracelet of enamelled ware; others wore a narrow cloth held by straps, and afew sprays of flowers twisted in their hair. It was a strange and gracefulsight. The buds and the flowers, gently moving, shed their perfume through thehall, and these young women, thus wreathed, might have suggested fortunatecomparisons to poets.

Mais Satou s’était exagéré la puissance de son art. Le rythme joyeuxsemblait avoir accru la mélancolie de Tahoser. Une larme roulait sur sa bellejoue, comme une goutte d’eau du Nil sur un pétale de nymphæa, et, cachant satête contre la poitrine de la suivante favorite qui se tenait accoudée aufauteuil de sa maîtresse, elle murmura dans un sanglot, avec un gémissem*nt decolombe étouffée:

«Oh! ma pauvre Nofré, je suis bien triste et bienmalheureuse!»

But Satou had overestimated the power of her art. The joyous rhythm seemedto increase Tahoser's melancholy. A tear rolled down her fair cheek like a dropof Nile water on a nymphœa, and hiding her face in the breast of her favouritemaid, who leaned upon the armchair of her mistress, she uttered with a sob,dovelike in its sadness, "Oh, my dear Nofré, I am very sad and veryunhappy!"

II

II

Nofré fit un signe, pressentant une confidence; la harpiste, les deuxmusiciennes, les danseuses et les suivantes se retirèrent silencieusem*nt à lafile, comme les figures peintes sur les fresques. Lorsque la dernière eutdisparu, la suivante favorite dit à sa maîtresse d’un ton câlin etcompatissant, comme une jeune mère qui berce les petit* chagrins de sonnourrisson:

Nofré, anticipating some confidence, made a sign, and the harpist, the twomusicians, the dancers, and the maids silently withdrew one by one, like thefigures painted on frescoes. When the last had gone, the favourite said to hermistress in a petting, sympathetic tone, like a young mother soothing herchild's tender grief,—

«Qu’as-tu, chère maîtresse, pour être triste et malheureuse?N’es-tu pas jeune, belle à faire envie aux plus belles, libre, et ton père, legrand prêtre Pétamounoph, dont la momie ignorée repose dans un riche tombeau,ne t’a-t-il pas laissé de grands biens dont tu disposes à ton gré? Tonpalais est très-beau, tes jardins sont très-vastes et arrosés d’eauxtransparentes. Tes coffres de pâte émaillée et de bois de sycomore contiennentdes colliers, des pectoraux, des gorgerins, des anneaux pour les jambes, desbagues aux chatons finement travaillés; tes robes, tes calasiris, tescoiffures dépassent le nombre des jours de l’année; Hôpi-Mou, le père deseaux, recouvre régulièrement de sa vase féconde tes domaines, dont un gypaètevolant à tire-d’aile ferait à peine le tour d’un soleil à l’autre; et toncœur, au lieu de s’ouvrir joyeusem*nt à la vie comme un bouton de lotus au moisd’Hâthor ou de Choïack, se referme et se contracte douloureusem*nt.»

"What is the matter, dear mistress, that you are sad and unhappy? Are younot young, so fair that the loveliest envy you, and free to do what you please?And did not your father, the high-priest Petamounoph, whose mummy restsconcealed within a rich tomb,—did he not leave you great wealth to do with asyou please? Your palace is splendid, your gardens vast and watered bytransparent streams, your coffers of enamelled ware and sycamore wood arefilled with necklaces, pectorals, neck-plates, anklets, finely wroughtseal-rings. Your gowns, your calasiris, your head-dresses are greater innumber than the days of the year. Hopi, the father of waters, regularly coverswith his fertilising mud your domains, which a vulture flying at top speedcould scarce traverse from sunrise to sunrise. And yet your heart, instead ofopening joyously like a lotus bud in the month of Hathor or of Choeak, closesand contracts painfully."

Tahoser répondit à Nofré:

Tahoser answered Nofré:—

«Oui, certes, les dieux des zones supérieures m’ont favorablementtraitée; mais qu’importent toutes les choses qu’on possède, si l’on n’apas la seule qu’on souhaite? Un désir non satisfait rend le riche aussipauvre dans son palais doré et peint de couleurs vives, au milieu de ses amasde blé, d’aromates et de matières précieuses, que le plus misérable ouvrier desMemnonia qui recueille avec de la sciure de bois le sang des cadavres, ou quele nègre demi-nu manœuvrant sur le Nil sa frêle barque de papyrus, à l’ardeurdu soleil de midi.»

"Yes, indeed, the gods of the higher zones have treated me favourably. Butwhat matter one's possessions if one lacks the one thing desired? Anunsatisfied wish makes the rich as poor, in his gilded, brightly paintedpalace, in the midst of his heaps of grain, of perfumes and precious things, asthe most wretched workman of the Memnonia, who sops up with sawdust the bloodof the bodies, or the semi-nude negro driving on the Nile his frailpapyrus-boat under the burning midday sun."

Nofré sourit et dit d’un air d’imperceptible raillerie:

Nofré smiled, and said with a look of imperceptible raillery,—

«Est-il possible, ô maîtresse, qu’un de tes caprices ne soit parréalisé sur-le-champ? Si tu rêves d’un bijou, tu livres à l’artisan unlingot d’or pur, des cornalines du lapis-lazuli, des agates, des hématites, etil exécute le dessin souhaité; il en est de même pour les robes, leschars, les parfums, les fleurs et les instruments de musique. Tes esclaves, dePhilæ à Héliopolis, cherchent pour toi ce qu’il y a de plus beau, de plusrare; si l’Égypte ne renferme pas ce que tu souhaites, les caravanes tel’apportent du bout du monde!»

"Is it possible, O mistress, that a single one of your fancies has not beenfulfilled at once? If you want a jewel, you give the workman an ingot of puregold, cornelians, lapis-lazuli, agates, and hematite, and he carries out thewished-for design. It is the same way with gowns, cars, perfumes, flowers, andmusical instruments. From Philæ to Heliopolis your slaves seek out for youwhat is most beautiful and most rare; and if Egypt does not hold what you want,caravans bring it to you from the ends of the world."

La belle Tahoser secoua sa jolie tête et parut impatientée du peud’intelligence de sa confidente.

The lovely Tahoser shook her pretty head and seemed annoyed at herconfidante's lack of intelligence.

«Pardon, maîtresse, dit Nofré se ravisant et comprenant qu’elle avaitfait fausse route, je ne songeais pas que depuis quatre mois bientôt le Pharaonest parti pour l’expédition de l’Éthiopie supérieure, et que le bel oëris(officier), qui ne passait pas sous la terrasse sans lever la tête et ralentirle pas, accompagne Sa Majesté. Qu’il avait bonne grâce en son costumemilitaire! qu’il était beau, jeune et vaillant!»

"Forgive me, mistress," said Nofré, changing her tone as she understood thatshe had made a mistake. "I had forgotten that it will soon be four monthssince the Pharaoh left on his expedition to Upper Ethiopia, and that thehandsome oëris (general), who never passed under the terrace without looking upand slowing his steps, accompanies His Majesty. How well he looked in hisuniform, how handsome, young, and bold!"

Comme si elle eût voulu parler, Tahoser ouvrit à demi ses lèvresroses; mais un léger nuage de pourpre se répandit sur ses joues, ellepencha la tête, et la phrase prête à s’envoler ne déploya pas ses ailessonores.

Tahoser's rosy lips half parted, as if she were about to speak, but a faint,rosy flush spread over her cheeks, she bowed her head, and the words ready toissue forth did not unfold their sonorous wings.

La suivante crut qu’elle avait touché juste et continua:

The maid thought she had guessed right, and continued,—

«En ce cas, maîtresse, ton chagrin va cesser, ce matin un coureurhaletant est arrivé, annonçant la rentrée triomphale du roi avant le coucher dusoleil. N’entends-tu pas déjà mille rumeurs bourdonner confusément dans la citéqui sort de sa torpeur méridienne? Écoute! les roues des charsrésonnent sur les dalles des rues; et déjà le peuple se porte en massescompactes vers la rive du fleuve pour le traverser et se rendre au champ demanœuvre. Secoue ta langueur, et toi aussi viens voir ce spectacle admirable.Quand on est triste, il faut se mêler à la foule. La solitude nourrit lespensées sombres. Du haut de son char de guerre, Ahmosis te décochera ungracieux sourire, et tu rentreras plus gaie à ton palais.

"In that case, mistress, your grief will soon end, for this morning abreathless runner arrived, announcing the triumphal return of the king beforesundown. Have you not already heard innumerable rumours buzzing confusedlyover the city, which is awakening from its midday torpor? List! The wheels ofthe cars sound upon the stone slabs of the streets, and already the people arehurrying in compact bodies to the river bank, to cross it and reach the paradeground. Throw off your languor and come also to see that wondrous spectacle.When one is sad, one ought to mingle with the crowd, for solitude feeds sombrethoughts. From his chariot Ahmosis will smile graciously upon you, and you willreturn happier to your palace."

— Ahmosis m’aime, répondit Tahoser, mais je ne l’aime pas.

"Ahmosis loves me, but I do not love him," answered Tahoser.

— Propos de jeune vierge, répliqua Nofré, à qui le beau chef militaireplaisait fort et qui croyait jouée la nonchalance dédaigneuse de Tahoser. Eneffet, Ahmosis était charmant: son profil ressemblait aux images desDieux taillées par les plus habiles sculpteurs; ses traits fiers,réguliers égalaient en beauté ceux d’une femme; son nez légèrementaquilin, ses yeux d’un noir brillant, agrandis d’antimoine, ses joues auxcontours polis, d’un grain aussi doux que celui de l’albâtre oriental, seslèvres bien modelées, l’élégance de sa haute taille, son buste aux épauleslarges, aux hanches étroites, ses bras vigoureux, où cependant nul muscle nefaisait saillir son relief grossier, avaient tout ce qu’il faut pour séduireles plus difficiles; mais Tahoser ne l’aimait pas, quoi qu’en pensâtNofré.

"You speak as a maid," replied Nofré, who was very much smitten with thehandsome officer, and who thought that the disdainful nonchalance of Tahoserwas assumed. In point of fact, Ahmosis was a very handsome fellow. His profileresembled that of the images of the gods carved by the most skilful sculptors.His proud, regular features equalled in beauty those of a woman; his slightlyaquiline nose, his brilliant black eyes lengthened with antimony, his polishedcheeks, smooth as Oriental alabaster, his well-shaped lips, his tall, handsomefigure, his broad chest, his narrow hips, his strong arms on which, however, nomuscle stood out in coarse relief, were all that were needed to seduce the mostdifficult to please; but Tahoser did not love him, whatever Nofré might think.

Une autre idée qu’elle n’exprima pas, car elle ne croyait pas Nofré capablede la comprendre, détermina la jeune fille: elle secoua sa nonchalance,quitta son fauteuil avec une vivacité qu’on n’aurait pas attendue d’elle, àl’attitude brisée qu’elle avait gardée pendant les chœurs et les danses. Nofré,agenouillée à ses pieds, lui chaussa des espèces de patins au bec recourbé,jeta de la poudre odorante sur ses cheveux, tira d’une boîte quelques braceletsen forme de serpent, quelques bagues ayant pour chaton le scarabée sacré;lui mit aux joues un peu de fard vert, que le contact de la peau fitimmédiatement rosir; polit ses ongles avec un cosmétique, rajusta lesplis un peu froissés de sa calasiris, en suivante zélée, qui veut faireparaître sa maîtresse dans tous ses avantages; puis elle appela deux outrois serviteurs, et leur dit de faire préparer la barque et passer de l’autrecôté du fleuve le chariot et son attelage.

Another idea, which she refrained from expressing, for she did not believeNofré capable of understanding her, helped the young girl to make up her mind.She threw off her languor, and rose from her armchair with a vivacity quiteunexpected after the broken-down attitude she had preserved during the singingand the dancing.

Nofré, kneeling before her, fastened on her feet sandals with turned-upends, cast scented powder on her hair, drew from a box several bracelets in theshape of serpents, and a few rings with sacred scarabæi for gems, put on hercheeks a green powder which immediately turned rose-colour as it touched theskin, polished her nails with a cosmetic, and adjusted the somewhat rumpledfolds of her calasiris like a zealous maid who means that her mistress shallshow to the greatest advantage. Then she called two or three servants, andordered them to make ready the boat and transport to the other side of theriver the chariot and oxen.

Le palais, ou, si ce titre semble trop pompeux, la maison de Tahosers’élevait tout près du Nil, dont elle n’était séparée que par des jardins. Lafille de Pétamounoph, la main posée sur l’épaule de Nofré, précédée de sesserviteurs, suivit jusqu’à la porte d’eau la tonnelle, dont les pampres,tamisant le soleil, bigarraient d’ombre et de clair sa charmante figure. Ellearriva bientôt sur un large quai de briques, où fourmillait une foule immense,attendant le départ ou le retour des embarcations.

The palace, or if this name seems too pompous, the dwelling of Tahoser, roseclose to the Nile, from which it was separated by gardens only. Petamounoph'sdaughter, her hand resting on Nofré's shoulder, and preceded by her servants,walked down to the water-gate through the arbour, the broad leaves of which,softening the rays of the sun, flecked with light shadows her lovely face. Shesoon reached the wide brick quay, on which swarmed a mighty multitude, awaitingthe departure or return of the boats.

Oph, la colossale cité, ne renfermait plus dans son sein que les malades,les infirmes, les vieillards incapables de se mouvoir, et les esclaves chargésde garder les maisons: par les rues, par les places, par les dromos, parles allées de sphinx, par les pylônes, par les quais coulait un fleuve d’êtreshumains se dirigeant vers le Nil. La variété la plus étrange bariolait cettemultitude, les Égyptiens formaient la masse et se reconnaissaient à leur profilpur, à leur taille svelte et haute, à leur robe de fin lin, ou à leur calasirissoigneusem*nt plissée; quelques-uns, la tête enveloppée dans une étoffe àraies bleues ou vertes, les reins serrés d’un étroit caleçon, montraientjusqu’à la ceinture leur torse nu couleur d’argile cuite.

The vast city held now only the sick, the invalids, old people unable tomove, and the slaves left in charge of the houses. Through the streets, thesquares, the dromos (temple avenues), down the sphinx avenues, through thepylons, along the quays, flowed streams of human beings all bound for the Nile.The multitude exhibited the strangest variety. The Egyptians were there inlargest numbers, and were recognisable by their clean profile, their tall,slender figures, their fine linen robes or their carefully pleated calasiris.Some, their heads enveloped in striped green or blue cloth, with narrow drawersclosely fitting to their loins, showed to the belt their bare torsos the colourof baked clay.

Sur ce fond indigène tranchaient des échantillons divers de racesexotiques: les nègres du haut Nil, noirs comme des dieux de basalte, lesbras cerclés de larges anneaux d’ivoire et faisant balancer à leurs oreilles desauvages ornements; les Éthiopiens bronzés, à la mine farouche, inquietsmalgré eux dans cette civilisation, comme des bêtes sauvages au pleinjour; les Asiatiques au teint jaune clair, aux yeux d’azur, à la barbefrisée en spirales, coiffés d’une tiare maintenue par un bandeau, drapés d’unerobe à franges chamarrée de broderies; les Pélasges vêtus de peaux debêtes rattachées à l’épaule, laissant voir leurs bras et leurs jambesbizarrement tatouées, et portant des plumes d’oiseaux sur leur tête, d’oùpendaient deux nattes de cheveux que terminait une mèche aiguisée enaccroche-cœur.

Against this mass of natives stood out divers members of exotic races:negroes from the Upper Nile, as black as basalt gods, their arms bound roundwith broad ivory rings, their ears adorned with barbaric ornaments; bronzedEthiopians, fierce-eyed, uneasy, and restless in the midst of thiscivilisation, like wild beasts in the glare of day; Asiatics with theirpale-yellow complexion and their blue eyes, their beard curled in spirals,wearing a tiara fastened by a band, and draped in heavily embroidered, fringedrobes; Pelasgi, dressed in wild beasts' skins fastened on the shoulder, showingtheir curiously tattooed legs and arms, wearing feathers in their hair, withtwo long love-locks hanging down.

À travers cette foule s’avançaient gravement des prêtres à la tête rasée,une peau de panthère tournée autour du corps, de façon que le mufle de l’animalsimulât une boucle de ceinture, des souliers de byblos aux pieds, à la main unehaute canne d’acacia, gravée de caractères hiéroglyphiques; des soldats,leur poignard à clous d’argent au côté, leur bouclier sur le dos, leur hache debronze au poing; des personnages recommandables, à la poitrine décorée degorgerins honorifiques, que saluaient très bas les esclaves en mettant leursmains près de terre. Se glissant le long des murs d’un air humble et triste, depauvres femmes demi-nues cheminaient, courbées sous le poids de leurs enfantssuspendus à leur cou dans des lambeaux d’étoffe ou des couffes de sparterie,tandis que de belles filles, accompagnées de trois ou quatre suivantes,passaient fièrement sous leurs longues robes transparentes nouées au-dessous dusein d’écharpes à bouts flottants, avec un scintillement d’émaux, de perles etd’or, et une fragrance de fleurs et d’aromates.

Through the multitude gravely marched shaven-headed priests with apanther's-skin twisted around their body in such a way that the head of theanimal formed a sort of belt-buckle, byblos shoes on their feet, in their handa tall acacia-stick on which were engraved hieroglyphic characters; soldiers,their silver-studded daggers by their side, their bucklers on their backs,their bronze axes in their hands; distinguished personages, their breastsadorned with neck-plates of honour, to whom the slaves bowed low, bringingtheir hands close to the ground; and sliding along the walls with humble andsad mien, poor, half-nude women travelling along bowed under the weight oftheir children suspended from their neck in rags of stuff or baskets ofespartero; while handsome girls, accompanied by three or four maids, passedproudly with their long, transparent dresses knotted under their breasts withlong, floating scarfs, sparkling with enamels, pearls, and gold, and giving outa fragrance of flowers and aromatic essences.

Parmi les piétons filaient les litières portées par des Éthiopiens au pasrapide et rythmique; des chars légers attelés de chevaux fringants auxtêtes empanachées, des chariots à bœufs d’une allure pesante et contenant unefamille. À peine si la foule insouciante d’être écrasée s’ouvrait pour leurfaire place, et souvent les conducteurs étaient obligés de frapper de leurfouet les retardataires ou les obstinés qui ne s’écartaient pas.

Among the foot-passengers went litters borne by Ethiopians running rapidlyand rhythmically; light carts drawn by spirited horses with plumed headgear; oxchariots moving slowly along and bearing a whole family. Scarcely did thecrowd, careless of being run over, draw aside to make room, and often thedrivers were forced to strike with their whips those who were slow or obstinatein moving away.

Un mouvement extraordinaire avait lieu sur le fleuve, couvert, malgré salargeur, à ne pas en apercevoir l’eau, dans toute la longueur de la ville, debarques de toute espèce; depuis la cange à la proue et à la poupeélevées, au naos chamarré de couleurs et de dorures, jusqu’au mince esquif depapyrus, tout était employé. On n’avait pas même dédaigné les bateaux à passerle bétail et à transporter les fruits, les radeaux de joncs soutenus par desoutres qu’on charge ordinairement de vases d’argile.

Ce n’était pas une mince besogne de transvaser d’un bord du fleuve à l’autreune population de plus d’un million d’âmes, et il fallait pour l’opérer toutel’adresse active des matelots de Thèbes.

L’eau du Nil, battue, fouettée, divisée par les rames, les avirons, lesgouvernails, écumait comme une mer, et formait mille remous qui rompaient laforce du courant.

The greatest animation reigned on the river, which, notwithstanding itsbreadth, was so covered with boats of all kinds that the water was invisiblealong the whole stretch of the city; all manner of craft, from the bark withraised poop and prow and richly painted and gilded cabin to the light papyrusskiff,—everything had been called into use. Even the boats used to ferry cattleand to carry freight, and the reed rafts kept up by skins, which generallycarried loads of clay vessels, had not been disdained. The waters of the Nile,beaten, lashed, and cut by oars, sweeps, and rudders, foamed like the sea, andformed many an eddy that broke the force of the current.

La structure des barques était aussi variée que pittoresque: les unesse terminaient à chaque extrémité par une grande fleur de lotus recourbée endedans et serrée à sa tige d’une cravate de banderoles; les autres sebifurquaient à la poupe et s’aiguisaient en pointe; celles-cis’arrondissaient en croissant et se relevaient aux deux bouts; celles-làportaient des espèces de châteaux ou plates-formes où se tenaient debout lespilotes; quelques-unes consistaient en trois bandes d’écorce reliées avecdes cordes et manœuvrées par une pagaie. Les bateaux destinés au transport desanimaux et des chars étaient accolés bord à bord, et supportaient un planchersur lequel se remployait un pont volant permettant d’embarquer et de débarquersans peine: le nombre en était grand. Les chevaux surpris hennissaient etfrappaient le bois de leur corne sonore, les bœufs tournaient avec inquiétudedu côté de la rive leurs mufles lustrés d’où pendaient des filaments de bave,et se calmaient sous les caresses des conducteurs.

The build of the boats was as varied as it was picturesque. Some werefinished off at each end with a great lotus flower curving inwards, the stemadorned with fluttering flags; others were forked at the poop which rose to apoint; others again were crescent-shaped, with horns at either end; others borea sort of a castle or platform on which stood the pilots; still others werecomposed of three strips of bark bound with cords, and were driven by a paddle.The boats for the transport of animals and chariots were moored side by side,supporting a platform on which rested a floating bridge to facilitate embarkingand disembarking. The number of these was very great. The horses, terrified,neighed and stamped with their sounding hoofs; the oxen turned restlesslytowards the shore their shining noses whence hung filaments of saliva, but grewcalmer under the caresses of their drivers.

Les contremaîtres marquaient le rythme aux rameurs en heurtant l’une contrel’autre la paume de leurs mains; les pilotes, juchés sur la poupe ou sepromenant sur le toit des naos, criaient leurs ordres, indiquant les manœuvresnécessaires pour se diriger à travers le dédale mouvant des embarcations.Parfois, malgré les précautions, les bateaux se choquaient, et les marinierséchangeaient des injures ou se frappaient de leurs rames.

The boatswains marked time for the rowers by striking together the palms oftheir hands; the pilots, perched on the poop or walking about on the raisedcabins, shouted their orders, indicating the manoeuvres necessary to make waythrough the moving labyrinth of vessels. Sometimes, in spite of allprecautions, boats collided, and crews exchanged insults or struck at eachother with their oars.

Ces milliers de nefs, peintes la plupart en blanc et relevées d’ornementsverts, bleus et rouges, chargées d’hommes et de femmes vêtus de costumesmulticolores, faisaient disparaître entièrement le Nil sur une surface deplusieurs lieues, et présentaient, sous la vive couleur du soleil d’Égypte, unspectacle d’un éclat éblouissant dans sa mobilité; l’eau agitée en toussens fourmillait, scintillait, miroitait comme du vif-argent, et ressemblait àun soleil brisé en millions de pièces.

These countless crafts, most of them painted white and adorned withornaments of green, blue, or red, laden with men and women dressed inmany-coloured costumes, caused the Nile to disappear entirely over an extent ofmany miles, and presented under the brilliant Egyptian sun a spectacle dazzlingin its changefulness. The water, agitated in every direction, surged, sparkled,and gleamed like quicksilver, and resembled a sun shattered into millions ofpieces.

Tahoser entra dans sa cange, décorée avec une richesse extrême, dont lecentre était occupé par une cabine ou naos à l’entablement surmonté d’unerangée d’uræus, aux angles équarris en piliers, aux parois bariolées de dessinssymétriques. Un habitacle à toit aigu chargeait la poupe, contrebalancée àl’autre extrémité par une sorte d’autel enjolivé de peintures. Le gouvernail secomposait de deux immenses rames terminées en têtes d’Hâthor, nouées au col delongs bouts d’étoffe et jouant sur des pieux échancrés, Au mât dressépalpitait, car le vent d’est venait de se lever, une voile oblongue fixée àdeux vergues, dont la riche étoffe était brodée et peinte de losanges, dechevrons, de quadrilles, d’oiseaux, d’animaux chimériques aux couleurséclatantes; à la vergue inférieure pendait une frange de grosseshouppes.

Tahoser entered her barge, which was decorated with wondrous richness. Inthe centre stood a cabin, its entablature surmounted with a row ofuræus-snakes, the angles squared to the shape of pillars, and the walls adornedwith designs. A binnacle with pointed roof stood on the poop, and was matchedat the other end by a sort of altar enriched with paintings. The rudderconsisted of two huge sweeps, ending in heads of Hathor, that were fastenedwith long strips of stuff and worked upon hollow posts. On the mastshivered—for the east wind had just risen—an oblong sail fastened to two yards,the rich stuff of which was embroidered and painted with lozenges, chevrons,birds, and chimerical animals in brilliant colours; from the lower yard hung afringe of great tufts.

L’amarre dénouée et la voile tournée au vent, la cange s’éloigna de la rive,divisant de sa proue les agrégations de barques dont les rames s’enchevêtraientet s’agitaient comme des pattes de scarabées retournés sur le dos; ellefilait insouciamment au milieu d’un concert d’injures et de cris; saforce supérieure lui permettait de dédaigner des chocs qui eussent coulé basdes embarcations plus frêles. D’ailleurs les matelots de Tahoser étaient sihabiles que la cange qu’ils dirigeaient semblait douée d’intelligence, tantelle obéissait avec promptitude au gouvernail et se détournait à propos desobstacles sérieux. Elle eut bientôt laissé derrière elle les bateauxappesantis, dont le naos plein de passagers à l’intérieur était encore chargésur le toit de trois ou quatre rangées d’hommes, de femmes et d’enfantsaccroupis dans l’attitude si chère au peuple égyptien. À voir ces personnagesagenouillés ainsi, on les eût pris pour les juges assesseurs d’Osiris, si leurphysionomie, au lieu d’exprimer le recueillement propre à des conseillersfunèbres, n’eût respiré la gaieté la plus franche. En effet, le Pharaonrevenait vainqueur et ramenait un immense butin. Thèbes était dans la joie, etsa population tout entière allait au-devant du favori d’Ammon-Ra, seigneur desdiadèmes, modérateur de la région pure, Aroëris tout-puissant, roi-soleil etconculcateur des peuples!

The moorings cast off and the sail braced to the wind, the vessel left thebank, sheering with its sharp prow between the innumerable boats, the oars ofwhich became entangled and moved about like the legs of a scarabæus thrown overon its back. It sailed on carelessly amidst a stream of insults and shouts. Itsgreater power enabled it to disdain collisions which would have run downfrailer vessels. Besides, Tahoser's crew were so skilful that their vesselseemed endowed with life, so swiftly did it obey the rudder and avoid in thenick of time serious obstacles. Soon it had left behind the heavily laden boatswith their cabins filled with passengers inside, and on the roof three or fourrows of men, women, and children crouching in the attitude so dear to theEgyptian people. These individuals, so kneeling, might have been mistaken forthe assistant judges of Osiris, had not their faces, instead of bearing theexpression of meditation suited to funeral councillors, expressed the mostunmistakable delight. The fact was that the Pharaoh was returning victorious,bringing vast booty with him. Thebes was given up to joy, and its wholepopulation was proceeding to welcome the favourite of Ammon Ra, Lord of theDiadem, the Emperor of the Pure Region, the mighty Aroëris, the Sun God and theSubduer of Nations.

La cange de Tahoser atteignit bientôt la rive opposée. La barque qui portaitle char aborda presque en même temps: les bœufs passèrent sur le pontvolant et furent placés sous le joug en quelques minutes par les serviteursalertes débarqués avec eux.

Tahoser's barge soon reached the opposite bank. The boat bearing her carcame alongside almost at the same moment. The oxen ascended the flying bridge,and in a few minutes were yoked by the alert servants who had been landed withthem.

Ces bœufs blancs, tachetés de noir, étaient coiffés d’une sorte de tiarerecouvrant en partie le joug attaché au timon et maintenu par deux largescourroies de cuir, dont l’une entourait leur col, et dont l’autre, reliée à lapremière, leur passait sous le ventre. Leurs garrots élevés, leurs largesfanons, leurs jarrets secs et nerveux, leurs sabots mignons et brillants commede l’agate, leur queue au flocon soigneusem*nt peigné montraient qu’ilsétaient de race pure, et que les pénibles travaux des champs ne les avaientjamais déformés. Ils avaient cette placidité majestueuse d’Apis, le taureausacré, lorsqu’il reçoit les hommages et les offrandes.

The oxen were white spotted with black, and bore on their heads a sort oftiara which partly covered the yoke; the latter was fastened by broad leatherstraps, one of which passed around the neck of the oxen, and the other,fastened to the first, passed under their belly. Their high withers, theirbroad dewlaps, their clean limbs, their small hoofs, shining like agate, theirtails with the tuft carefully combed, showed that they were thorough-bred andthat hard field-work had never deformed them. They exhibited the majesticplacidity of Apis, the sacred bull, when it receives homage and offerings.

Le char, d’une légèreté extrême, pouvait contenir deux ou trois personnesdebout; sa caisse, demi-circulaire, couverte d’ornements et de doruresdistribués en lignes d’une courbe gracieuse, était soutenue par une sorted’étançon diagonal dépassant un peu le rebord supérieur, et auquel le voyageurs’accrochait de la main lorsque la route était raboteuse ou l’allure del’attelage rapide; sur l’essieu, placé à l’arrière de la caisse pouradoucir les cahots, pivotaient deux roues à six rayons que maintenaient desclavettes rivées. Au bout d’une hampe plantée dans le fond du chars’épanouissait un parasol figurant des feuilles de palmier.

The chariot, extremely light, could hold two or three persons standing. Thesemicircular body, covered with ornaments and gilding arranged in gracefulcurved lines, was supported by a sort of diagonal stay, which rose somewhatbeyond the upper edge and to which the traveller clung with his hand when theroad was rough or the speed of the oxen rapid. On the axle, placed at the backof the body in order to diminish the jolting, were two six-spoked wheels heldby keyed bolts. On top of a staff planted at the back of the vehicle spread aparasol in the shape of palm leaves.

Nofré, penchée sur le rebord du char, tenait les rênes des bœufs bridéscomme des chevaux, et conduisait le char suivant la coutume égyptienne, tandisque Tahoser, immobile à côté d’elle, appuyait sa main, constellée de baguesdepuis le petit doigt jusqu’au pouce, à la moulure dorée de la conque.

Nofré, bending over the edge of the chariot, held the reins of the oxen,bridled like horses, and drove the car in the Egyptian fashion, while Tahoser,motionless by her side, leaned a hand, studded with rings from the littlefinger to the thumb, on the gilded moulding of the shell.

Ces deux belles filles, l’une étincelante d’émaux et de pierres précieuses,l’autre à peine voilée d’une transparente tunique de gaze, formaient un groupecharmant sur ce char aux brillantes couleurs. Huit ou dix serviteurs, vêtusd’une cotte à raies obliques dont les plis se massaient par-devant,accompagnaient l’équipage, se réglant sur l’allure des bœufs.

These two lovely maidens, the one brilliant with enamels and preciousstones, the other scarcely veiled in a transparent tunic of gauze, formed acharming group on the brilliantly painted car. Eight or ten men-servants,dressed in tunics with transverse stripes, the folds of which were massed infront, accompanied the equipage, keeping step with the oxen.

De ce côté du fleuve l’affluence n’était pas moins grande; leshabitants du quartier des Memnonia et des villages circonvoisins arrivaient deleur côté, et à chaque instant les barques, déposant leur charge sur le quai debriques, apportaient de nouveaux curieux qui épaississaient la foule.D’innombrables chars, se dirigeant vers le champ de manœuvre, faisaientrayonner leurs roues comme des soleils parmi la poussière dorée qu’ilssoulevaient. Thèbes, à ce moment, devait être déserte comme si un conquéranteût emmené son peuple en captivité.

On this side of the river the crowd was not less great. The inhabitants ofthe Memnonia quarters and of the neighbouring villages were arriving in theirturn, and every moment the boats, landing their passengers on the brick quaywall, brought additional sight-seers to swell the multitude. The wheels ofinnumerable chariots, all driving towards the parade ground, flashed like sunsin the golden dust which they raised. Thebes at that moment must have been asdeserted as if a conqueror had carried away its people into captivity.

Le cadre était d’ailleurs digne du tableau. Au milieu de verdoyantescultures, d’où jaillissaient des aigrettes de palmiers-doums, se dessinaient,vivement coloriés, des habitations de plaisance, des palais, des pavillonsd’été entourés de sycomores et de mimosas. Des bassins miroitaient au soleil,des vignes enlaçaient leurs festons à des treillages voûtés; au fond, sedécoupait la gigantesque silhouette du palais de Rhamsès-Meïamoun, avec sespylônes démesurés, ses murailles énormes, ses mâts dorés et peints, dont lesbanderoles flottaient au vent; plus au nord, les deux colosses quitrônent avec une pose d’éternelle impassibilité, montagne de granit à formehumaine, devant l’entrée de l’Aménophium, s’ébauchaient dans une demi-teintebleuâtre, masquant à demi le Rhamesséium plus lointain et le tombeau en retraitdu grand prêtre, mais laissant entrevoir par un de ses angles le palais deMénephta.

The frame, too, was worthy of the picture. In the midst of green fieldswhence rose the aigrettes of the dôm palms, showed in bright colours houses ofpleasaunce, palaces, and summer homes surrounded by sycamores and mimosas.Pools of water sparkled in the sunshine, the festoons of vines climbed on thearched arbours, and in the background stood out the gigantic pylons of thepalace of Rameses Meïamoun, with its huge pylons, its enormous walls, itsgilded and painted flagstaffs from which the colours blew out in the wind; andfurther to the north the two colossi sitting in postures of eternal immobility,mountains of granite in human shape, before the entrance to the Amenophium,showed through a bluish haze, half masking the still more distant Rhamesseium,and beyond it the tomb of the high-priest, but allowing the palace of Menephtato be seen at one of its angles.

Plus près de la chaîne libyque, le quartier des Memnonia, habité par lescolchytes, les paraschistes et les taricheutes, faisait monter dans l’air bleules rousses fumées de ses chaudières de natron: car le travail de la mortne s’arrête jamais, et la vie a beau se répandre tumultueuse, les bandelettesse préparent, les cartonnages se moulent, les cercueils se couvrentd’hiéroglyphes, et quelque cadavre froid, allongé sur le lit funèbre à pieds delion ou de chacal, attend qu’on lui fasse sa toilette d’éternité.

Nearer the Lybian chain, from the Memnonian quarter inhabited by theundertakers, dissectors, and embalmers, went up into the blue air the red smokeof the natron boilers, for the work of death never ceased; in vain did lifespread tumultuously around, the bandages were being prepared, the casesmoulded, the coffins carved with hieroglyphs, and some cold body was stretchedout upon the funeral bed, with feet of lion or jackal, waiting to have itstoilet made for eternity.

À l’horizon, mais rapprochées par la transparence de l’air, les montagneslibyques découpaient sur le ciel pur leurs dentelures calcaires, et leursmasses arides évidées par les hypogées et les syringes.

On the horizon, but, owing to the transparency of the air, seeming to bemuch nearer, the Libyan mountains showed against the clear sky their limestonecrests and their barren slopes hollowed out into hypogea and passages.

Lorsqu’on se tournait vers l’autre rive, la vue n’était pas moinsmerveilleuse; les rayons du soleil coloraient en rose, sur le fondvaporeux de la chaîne arabique, la masse gigantesque du palais du Nord, quel’éloignement pouvait à peine diminuer, et qui dressait ses montagnes degranit, sa forêt de colonnes géantes, au-dessus des habitations à toitplat.

Looking towards the other bank the prospect was no less wondrous. Againstthe vaporous background of the Arabian chain, the gigantic pile of the NorthernPalace, which distance itself could scarce diminish, reared above theflat-roofed dwellings its mountains of granite, its forest of giant pillars,rose-coloured in the rays of the sunshine.

Devant le palais s’étendait une vaste esplanade descendant au fleuve pardeux escaliers placés à ses angles; au milieu, un dromos de criosphinx,perpendiculaire au Nil, conduisait à un pylône démesuré, précédé de deuxstatues colossales, et d’une paire d’obélisques dont les pyramidions dépassantsa corniche découpaient leur pointe couleur de chair sur l’azur uni duciel.

In front of the palace stretched a vast esplanade reaching down to the riverby a staircase placed at the angles; in the centre an avenue of ram-headedsphinxes perpendicular to the Nile, led to a huge pylon, in front of whichstood two colossal statues and a pair of obelisks, the pyramidions of which,rising above the cornice, showed their flesh-coloured points against theuniform blue of the sky.

En recul au-dessus de la muraille d’enceinte se présentait par sa facelatérale le temple d’Ammon; et plus à droite s’élevaient le temple deKhons et le temple d’Opht; un gigantesque pylône vu de profil et tournévers le midi, deux obélisques de soixante coudées de haut marquaient lecommencement de cette prodigieuse allée de deux mille sphinx à corps de lion età tête de bélier, se prolongeant du palais du Nord au palais du Sud; surles piédestaux l’on voyait s’évaser les croupes énormes de la première rangéede ces monstres tournant le dos au Nil.

Beyond and above the boundary wall rose the side façade of the temple ofAmmon. More to the right were the temples of Khons and Oph. A giant pylon,seen in profile and facing to the south, and two obelisks sixty cubits inheight, marked the beginning of that marvellous avenue of two thousand sphinxeswith lions' bodies and rams' heads, which reached from the Northern Palace tothe Southern Palace. On the pedestals could be seen swelling the huge quartersof the first row of these monsters, that turned their backs to the Nile.

Plus loin s’ébauchaient vaguement dans une lumière rosée des corniches où leglobe mystique déployait ses vastes ailes, des têtes de colosses à figureplacide, des angles d’édifices immenses, des aiguilles de granit, dessuperpositions de terrasses, des bouquets de palmiers, s’épanouissant comme destouffes d’herbe entre ces prodigieux entassem*nts; et le palais du Suddéveloppait ses hautes parois coloriées, ses mâts pavoisés, ses portes entalus, ses obélisques et ses troupeaux de sphinx.

Farther still, there showed faintly in the rosy light cornices on which themystic globe outspread its vast wings, heads of placid-faced colossi, cornersof mighty buildings, needles of granite, terraces rising above terraces,columns of palm trees growing like tufts of grass amid these vastconstructions; and the Palace of the South uprose, with high painted walls,flag-adorned staffs, sloping doors, obelisks, and herds of sphinxes.

Au-delà tant que la vue pouvait s’étendre, Oph se déployait avec ses palais,ses collèges de prêtres, ses maisons, et de faibles lignes bleues indiquaientaux derniers plans la crête de ses murailles et le sommet de ses portes.

Beyond, as far as the eye could reach, Oph stretched out with its palaces,its priests' colleges, its houses, and in the dimmest distance the crests ofits walls and the summits of its gates showed as faint blue lines.

Tahoser regardait vaguement cette perspective familière pour elle, et sesyeux distraits n’exprimaient aucune admiration; mais, en passant devantune maison presque enfouie dans une touffe de luxuriante végétation, ellesortit de son apathie, sembla chercher du regard sur la terrasse et à lagalerie extérieure une figure connue.

Tahoser gazed upon the prospect which was so familiar to her, but her glanceexpressed no admiration; however, as she passed a house almost buried amidluxuriant vegetation, she lost her apathy, and seemed to seek on the terracesand on the outer gallery some well-known form.

Un beau jeune homme, nonchalamment appuyé à une des colonnettes du pavillon,paraissait regarder la foule; mais ses prunelles sombres, devantlesquelles semblait danser un rêve, ne s’arrêtèrent pas sur le char qui portaitTahoser et Nofré.

A handsome young man, carelessly leaning against one of the slender pillarsof the building, appeared to be watching the crowd, but his dark eyes, withtheir dreamy look, did not rest on the chariot which bore Tahoser andNofré.

Cependant la petite main de la fille de Pétamounoph s’accrochaitnerveusem*nt au rebord du char. Ses joues avaient pâli sous la légère couche defard dont Nofré les avaient peintes et, comme si elle défaillait, à plusieursreprises elle aspira l’odeur de son bouquet de lotus.

Meanwhile the hand of the daughter of Petamounoph clung nervously to theedge of the car; her cheeks turned pale under the light touch of rouge whichNofré had put on, and as if she felt herself fainting, she breathed in rapidlyand often the scent of her nosegay of lotus.

III

III

Malgré sa perspicacité habituelle, Nofré n’avait pas remarqué l’effetproduit sur sa maîtresse par le dédaigneux inconnu: elle n’avait vu ni sapâleur suivie d’une rougeur foncée, ni la lueur plus vive de son regard, nientendu le bruissem*nt des émaux et des perles de ses colliers, que soulevaitle mouvement de sa gorge palpitante; il est vrai que son attention toutentière était occupée à diriger son attelage, chose assez difficile parmi lesmasses de plus en plus compactes de curieux accourus pour assister à la rentréetriomphale du Pharaon.

In spite of her usual perspicacity, Nofré had not noticed the effectproduced on her mistress by the sight of the careless stranger. She hadobserved neither her pallor, followed by a deep blush, nor the brighter gleamof her glance nor the rustling of the enamels and pearls of her necklace risingand falling with her bosom. It is true that her whole attention was given tothe management of the equipage, which presented a good deal of difficulty inview of the ever denser masses of sight-seers crowding to be present at thetriumphal entrance of the Pharaoh.

Enfin le char arriva au champ de manœuvre, immense enceinte aplanie avecsoin pour le déploiement des pompes militaires: des terrassem*nts, quiavaient dû employer pendant des années les bras de trente nations emmenées enesclavage, formaient un cadre en relief au gigantesque parallélogramme;des murs de briques crues formant talus revêtaient ces terrassem*nts, leurscrêtes étaient garnies, sur plusieurs rangées de profondeur, par des centainesde mille d’Égyptiens dont les costumes blancs ou bigarrés de couleurs vivespapillotaient au soleil dans ce fourmillement perpétuel qui caractérise lamultitude, même lorsqu’elle semble immobile; en arrière de ce cordon despectateurs, les chars, les chariots, les litières, gardés par les cochers, lesconducteurs et les esclaves, avaient l’aspect d’un campement de peuple enmigration, tant le nombre en était considérable: car Thèbes, la merveilledu monde antique, comptait plus d’habitants que certains royaumes.

At last the car reached the parade ground, a vast enclosure carefullylevelled for military displays. Great banks, which must have cost thirtyenslaved nations the labour of years, formed a bold framework for the immenseparallelogram. Sloping revetment walls of unbaked bricks covered the banks, andthe crests were lined many files deep by hundreds of thousands of Egyptians,whose white or brightly striped costumes fluttered in the sun with thatconstant motion characteristic of a multitude even when it seems to bemotionless. Behind this ring of spectators the cars, chariots, and litterswatched by the coachmen, drivers, and slaves, seemed to be the camp of amigrating nation, so great was their number; for Thebes, the wonder of theancient world, reckoned more inhabitants than do certain kingdoms.

Le sable uni et fin de la vaste arène bordée d’un million de têtes,scintillait de points micacés, sous la lumière tombant d’un ciel bleu commel’émail des statuettes d’Osiris.

The fine, smooth sand of the vast arena lined with a million people,sparkled under the light, falling from a sky as blue as the enamel of theOsiris statuettes.

Sur le côté sud du champ de manœuvre, le revêtement s’interrompait etlaissait déboucher dans la place une route se prolongeant vers l’Éthiopiesupérieure, le long de la chaîne libyque. À l’angle opposé, le talus coupépermettait au chemin de se continuer jusqu’au palais de Rhamsès-Meïamoun, enpassant à travers les épaisses murailles de briques.

On the southern side of the parade ground the revetment wall was cut throughby a road which ran towards Upper Egypt along the foot of the Libyan chain. Atthe opposite corner the revetment was again cut so that the road was prolongedto the palace of Rameses Meïamoun through the thick brick walls.

La fille de Pétamounoph et Nofré, à qui les serviteurs avaient fait faireplace, se tenaient à cet angle, sur le sommet du talus, de façon à voir défilertout le cortège sous leurs pieds.

Petamounoph's daughter and Nofré, for whom the servants had made room, stoodon this corner on the top of the wall, so that they could see the wholeprocession pass at their feet.

Une prodigieuse rumeur, sourde, profonde et puissante comme celle d’une merqui approche, se fit entendre dans le lointain et couvrit les millesusurrements de la foule: ainsi le rugissem*nt d’un lion fait taire lesmiaulements d’une troupe de chacals. Bientôt le bruit particulier desinstruments se détacha de ce tonnerre terrestre produit par le roulement deschars de guerre et le pas rythmé des combattants à pied; une sorte debrume roussâtre, comme celle que soulève le vent du désert, envahit le ciel dece côté, et pourtant la brise était tombée; il n’y avait pas un souffled’air, et les branches les plus délicates des palmiers restaient immobilescomme si elles eussent été sculptées dans le granit des chapiteaux; pasun cheveu ne frissonnait sur la tempe moite des femmes, et les barbes canneléesde leurs coiffures s’allongeaient flasquement derrière leur dos. Ce brouillardpoudreux était produit par l’armée en marche, et planait au-dessus d’elle commeun nuage fauve.

A mighty rumour, low, deep, and powerful, like that of an advancing ocean,was heard in the distance and drowned the innumerable noises arising from thecrowd, as the roar of a lion silences the yelping of a tribe of jackals. Soonthe separate sounds of the instruments were heard amidst the thunderous noiseproduced by the driving of war chariots and the rhythmic marching of thesoldiers. A sort of reddish mist like that raised by the desert wind filled thesky in that direction, and yet there was no breeze,—not a breath of air,—andthe most delicate branches of the palms were as motionless as if they had beencarved on granite capitals. Not a hair moved on the wet temples of the women,and the fluted lappets of their head-dresses fell limp behind their backs. Thedusty mist was produced by the army on the march, and hovered above it like adun-coloured cloud.

Le tumulte augmentait; les tourbillons de poussière s’ouvrirent, etles premières files de musiciens débouchèrent dans l’immense arène, à la grandesatisfaction de la multitude, qui malgré son respect pour la majestépharaonique, commençait à se lasser d’attendre sous un soleil qui eût faitfondre tout autre crâne que des crânes égyptiens.

The roar increased, the cloud of dust opened, and the first files ofmusicians debouched into the vast arena, to the intense delight of themultitude, which, notwithstanding its respect for the majesty of the Pharaoh,was beginning to weary of waiting under a sunshine which would have melted anybut Egyptian skulls.

L’avant-garde des musiciens s’arrêta quelques instants; des collègesde prêtres, des députations des principaux habitants de Thèbes traversèrent lechamp de manœuvre pour aller au-devant du Pharaon, et se rangèrent en haie dansles poses du respect le plus profond, de manière à laisser le passage libre aucortège.

The advance guard of musicians stopped for a few moments. Delegations ofpriests and deputations of the chief inhabitants of Thebes crossed the paradeground to meet the Pharaoh, and drew up in double line in attitudes of thedeepest respect so as to leave a free passage for the procession.

La musique, qui, à elle seule, eût pu former une petite armée, se composaitde tambours, de tambourins, de trompettes et de sistres.

The music, which alone might have formed a small army, was composed ofdrums, tambourines, trumpets, and sistra.

Le premier peloton passa, sonnant une retentissante fanfare de triomphe dansses courts clairons de cuivre brillants comme de l’or. Chacun de ces musiciensportait un second clairon sous le bras, comme si l’instrument avait dû sefatiguer plutôt que l’homme. Le costume de ces trompettes consistait en unesorte de courte tunique serrée par une ceinture dont les larges boutsretombaient par-devant; une bandelette où s’implantaient deux plumesd’autruche divergentes serrait leur épaisse chevelure. Ces plumes ainsi poséesrappelaient les antennes des scarabées et donnaient à ceux qui en étaientcoiffés une bizarre apparence d’insectes.

The first squad passed, blowing a sounding blare of triumph through itsshort copper bugles that shone like gold. Every one of these musicians carrieda second bugle under his arm, as if the instrument were likely to be worn outbefore the man. The costume of the trumpeters consisted of a short tunic boundby a sash the broad ends of which fell in front. A narrow band upholding twoostrich-plumes fastened their thick hair. The plumes thus placed looked likethe antennæ of a scarabæus, and imparted to those who wore them a quaint,insect-like appearance.

Les tambours, vêtus d’une simple cotte plissée et nus jusqu’à la ceinture,frappaient avec des baguettes en bois de sycomore la peau d’onagre de leurscaisses au ventre bombé, suspendues à un baudrier de cuir, d’après le rythmeque leur indiquait en tapant dans ses mains un maître tambour qui se retournaitsouvent vers eux.

The drummers, clad in a mere pleated kilt and bare to the belt, struck withsycamore sticks the wild-ass-skin stretched over their kettledrums suspendedfrom a leather baldric, keeping the time which the drum major marked byclapping his hands as he frequently turned towards them.

Après les tambours venaient les joueurs de sistre, qui secouaient leurinstrument par un geste brusque et saccadé, et faisaient sonner, à intervallesmesurés, les anneaux de métal sur les quatre tringles de bronze.

Next to the drummers came the sistrum players, who shook their instrumentswith sharp, quick movements, and at regular intervals made the metal ringssound upon the four bronze bars.

Les tambourins portaient transversalement devant eux leur caisse oblongue,rattachée par une écharpe passée derrière leur col, et frappaient à pleinspoings la peau tendue aux deux bouts.

The tambourine players carried transversely before them their oblonginstrument fastened by a scarf passed behind their neck, and struck with bothfists the skin stretched on either end.

Chaque corps de musique ne comptait pas moins de deux cents hommes;mais l’ouragan de bruit que produisaient clairons, tambours, sistres,tambourins, et qui eût fait saigner les oreilles dans l’intérieur d’un palais,n’avait rien de trop éclatant ni de trop formidable sous la vaste coupole duciel, au milieu de cet immense espace, parmi ce peuple bourdonnant, en tête decette armée à lasser les nornenclateurs, qui s’avançait avec le grondement desgrandes eaux.

Each band numbered not less than two hundred men, but the storm of soundproduced by the bugles, drums, sistra, and tambourines, which would have beendeafening within the palace, was in no wise too loud or too tremendous underthe vast cupola of the heavens, in the centre of that immense space, amidbuzzing multitudes, at the head of an army which baffles enumeration and whichwas advancing with the roar of great waters.

Était-ce trop d’ailleurs de huit cents musiciens pour précéder un Pharaonbien-aimé d’Ammon-Ra, représentépar des colosses de basalte et de granit de soixante coudées de haut, ayant sonnom écrit dans des cartouches sur des monuments impérissables, et son histoiresculptée et peinte sur les murs des salles hypostyles, sur les parois despylônes, en interminables bas-reliefs, en fresques sans fin? était-cetrop, en vérité, pour un roi soulevant par leur chevelure cent peuples conquis,et du haut de son trône morigénant les nations avec son fouet, pour un Soleilvivant brûlant les yeux éblouis, pour un dieu, à l’éternité près?

Besides, were eight hundred musicians too many to precede the Pharaoh,beloved of Ammon Ra, represented by colossi of basalt and granite sixty cubitshigh, whose name was written on the cartouches of imperishable monuments, andwhose story was carved and painted upon the walls of the hypostyle halls, onthe sides of pillars, in endless bassi-relievi and innumerable frescoes?Was it too much indeed for a king who dragged a hundred conquered nations bytheir hair, and from the height of his throne ruled the nations with his whip?For the living Sun that flamed on dazzled eyes? For one who, save that he didnot possess eternal life, was a god?

Après la musique arrivaient les captifs barbares, à tournures étranges, àmasque bestial, à peau noire, à chevelure crépue, ressemblant autant au singequ’à l’homme, et vêtus du costume de leur pays: une jupe au-dessus deshanches et retenue par une bretelle unique, brodée d’ornements de couleursdiverses.

Behind the music came the captive barbarians, strange to look at, withbestial faces, black skins, woolly hair, as much like monkeys as men, anddressed in the costume of their country,—a skirt just above the hips held by asingle brace, embroidered with ornaments in divers colours.

Une cruauté ingénieuse et fantasque avait présidé à l’enchaînement de cesprisonniers. Les uns étaient liés derrière le dos par les coudes; lesautres, par les mains élevées au-dessus de la tête, dans la position la plusgênante; ceux-ci avaient les poignets pris dans des cangues debois; ceux-là, le col étranglé dans un carcan ou dans une corde quienchaînait toute une file, faisant un nœud à chaque victime. Il semblait qu’oneût pris plaisir à contrarier autant que possible les attitudes humaines, engarrottant ces malheureux qui s’avançaient devant leur vainqueur d’un pasgauche et contraint, roulant de gros yeux et se livrant à des contorsionsarrachées par la douleur.

An ingenious cruelty had directed the binding together of the prisoners.Some were bound by the elbows behind the back; others by their hands raisedabove their head, in the most uncomfortable position; others again had theirwrists caught in stocks; others with their neck in an iron collar or held by arope which fastened a whole file of them, with a loop for each victim. Itseemed as if the object sought had been to thwart as much as possible naturalattitudes in the fettering of these poor wretches, who marched before theirconqueror awkwardly and with difficulty, rolling their big eyes and twistingand writhing in pain.

Des gardiens marchant à côté d’eux réglaient leur allure à coups debâton.

Guards marched at their side, striking them with sticks to make them keeptime.

Des femmes basanées, aux longues tresses pendantes, portant leurs enfantsdans un lambeau d’étoffe noué à leur front, venaient derrière, honteuses,courbées, laissant voir leur nudité grêle et difforme, vil troupeau dévoué auxusages les plus infimes.

Next came, bowed with shame, exposed in their wretched, deformed nudity,dark-complexioned women, with long hanging tresses, carrying their children ina piece of stuff fastened around their brow,—a vile herd intended for themeanest uses.

D’autres, jeunes et belles, la peau d’une nuance moins foncée, les brasornés de larges cercles d’ivoire, les oreilles allongées par de grands disquesde métal, s’enveloppaient de longues tuniques à manches larges, entourées aucol d’un ourlet de broderies et tombant à plis fins et pressés jusque sur leurschevilles, où bruissaient des anneaux; pauvres filles arrachées à leurpatrie, à leurs parents, à leurs amours peut-être; elles souriaientcependant à travers leurs larmes, car le pouvoir de la beauté est sans bornes,l’étrangeté fait naître le caprice, et peut-être la faveur royaleattendait-elle une de ces captives barbares dans les profondeurs secrètes dugynécée.

Others, young, handsome and fairer, their arms adorned with broad braceletsof ivory, their ears pulled down by great metal discs, wrapped themselves inlong, wide-sleeved tunics embroidered around the neck and falling in fine,close folds down to their ankles, on which rattled anklets,—poor girls,snatched from their country, their parents, their lovers perhaps; yet theysmiled through their tears, for the power of beauty is boundless, strangenessgives birth to caprice, and perhaps the royal favour awaited some of thesebarbaric captives in the secret depths of the harem.

Des soldats les accompagnaient et les préservaient du contact de lafoule.

Soldiers accompanied them and kept the multitude from crowding uponthem.

Les porte-étendards venaient ensuite, élevant les hampes dorées de leursenseignes représentant des bans mystiques, des éperviers sacrés, des têtesd’Hâthor surmontées de plumes d’autruche, des ibex ailés, des cartoucheshistoriés au nom du roi, des crocodiles et autres symboles religieux ouguerriers. À ces étendards étaient nouées de longues cravates blanches,ocellées de points noirs que le mouvement de la marche faisait gracieusem*ntvoltiger.

The standard-bearers followed, bearing on high the golden staff of theirensigns, which represented mystic baris, sacred hawks, heads of Hathorsurmounted by ostrich-plumes, winged ibex, cartouches bearing the king's name,crocodiles, and other warlike or religious symbols. Long white streamersspotted with black spots were tied to these standards, and fluttered gracefullyon the march.

À l’aspect des étendards annonçant la venue du Pharaon, les députations deprêtres et de notables tendirent vers lui leurs mains suppliantes, ou leslaissèrent pendre sur leurs genoux, les paumes tournées en l’air. Quelques-unsmême se prosternèrent les coudes serrés au long du corps, le front dans lapoudre, avec des attitudes de soumission absolue et d’adoration profonde;les spectateurs agitaient en tous sens leurs grandes palmes.

At the sight of the standards which announced the arrival of the Pharaoh,the deputations of priests and notables stretched out their hands insupplication towards him, or let them fall on their knees, the palms turned up.Some even prostrated themselves, their knees close to the body, their faces inthe dust, in an attitude of absolute submission and deep adoration, while thespectators waved great palm-branches.

Un héraut ou lecteur, tenant à la main un rouleau couvert de signeshiéroglyphiques, s’avança tout seul entre les porte étendards et lesthuriféraires qui précédaient la litière du roi.

A herald or reader, holding in his hand a roll covered with hieroglyphicsigns, marched along between the standard-bearers and the incense-burners, whopreceded the king's litter.

Il proclamait d’une voix forte, retentissante comme une trompette d’airain,les victoires du Pharaon: il disait les fortunes des divers combats, lenombre des captifs et des chars de guerre enlevés à l’ennemi, le montant dubutin, les mesures de poudre d’or, les dents d’éléphant, les plumes d’autruche,les masses de gomme odorante, les girafes, les lions, les panthères et autresanimaux rares; il citait le nom des chefs barbares tués par les javelinesou les flèches de Sa Majesté, l’Aroëris tout-puissant, le favori des dieux.

He shouted, in a loud voice as sonorous as a brazen trumpet, the victoriesof the Pharaoh; he related the fortunes of the Pharaoh's battles, announced thenumber of captives and of war chariots taken from the enemy, the amount of thebooty, the measures of gold-dust, the elephants' tusks, the ostrich-plumes, thequantities of balsamic gum, the giraffes, lions, panthers, and other rareanimals. He named the barbaric chiefs who had been slain by the javelins of HisMajesty the Almighty Aroëris, favourite of the gods.

À chaque énonciation, le peuple poussait une clameur immense, et, du hautdes talus, jetait sur la route du vainqueur de longues branches vertes depalmier qu’il balançait.

At each proclamation the people uttered a mighty shout, and from the top ofthe revetment banks threw down upon the conqueror's pathway long, greenpalm-branches.

Enfin le Pharaon parut!

At last the Pharaoh appeared.

Des prêtres, se retournant à intervalles égaux, allongeaient vers lui leursamschirs après avoir jeté de l’encens sur les charbons allumés dans la petitecoupe de bronze, soutenue par une main emmanchée d’une espèce de sceptreterminé à l’autre bout par une tête d’animal sacré, et marchaientrespectueusem*nt à reculons pendant que la fumée odorante et bleue montait auxnarines du triomphateur, en apparence indifférent à ces honneurs comme unedivinité de bronze ou de basalte.

Priests, who turned and faced him at regular intervals, swung their censers,after having cast incense upon the coals lighted in a little bronze cup whichwas held by a hand at the end of a sort of sceptre topped by a sacred animal'shead. They marched respectfully backwards while the scented blue smoke rose tothe nostrils of the triumphant sovereign, apparently as indifferent to thesehonours as if he were a god of bronze or basalt.

Douze oëris ou chefs militaires, la tête couverte d’un léger casque surmontéd’une plume d’autruche, le torse nu, les reins enveloppés d’un pagne à plisroides, portant devant eux leur targe suspendue à leur ceinture, soutenaientune sorte de pavois sur lequel posait le trône du Pharaon. C’était un siège àpieds et à bras de lion, au dossier élevé, garni d’un coussin débordant, ornésur sa face latérale d’un lacis de fleurs roses et bleues; les pieds, lesbras, les nervures du trône étaient dorés, et de vives couleurs remplissaientles places laissées vides par la dorure.

Twelve oëris, or military chiefs, their heads covered with a light helmetsurmounted by an ostrich-plume, bare to the belt, their loins wrapped in a loincloth of stiff folds, wearing their buckler hanging from their belt, supporteda sort of dais on which rested the throne of the Pharaoh. This was a chair withfeet and arms formed of lions, with a high back provided with a cushion thatfell over it, and adorned on its sides with a network of rose and blue flowers.The feet, the arms, and the edges of the throne were gilded, while brilliantcolours filled the places left empty.

De chaque côté du brancard, quatre flabellifères agitaient au bout de hampesdorées d’énormes éventails de plumes d’une forme semi-circulaire; deuxprêtres soulevaient une grande corne d’abondance richement ornementée, d’oùretombaient en gerbes de gigantesques fleurs de lotus.

On either side of the litter four fan-bearers waved huge feather fans,semicircular in form, carried at the end of long, gilded handles. Two priestsbore a huge cornucopia richly ornamented, whence fell quantities of giantlotus-flowers.

Le Pharaon était coiffé d’un casque allongé en mitre, découpant par uneéchancrure la conque de l’oreille et se rabattant vers la nuque pour laprotéger. Sur le fond bleu du casque scintillait un semis de points semblablesà des prunelles d’oiseau et formés de trois cercles noirs, blancs etrouges; un liséré écarlate et jaune en garnissait le bord, et la vipèresymbolique, tordant ses anneaux d’or sur la partie antérieure, se redressait etse rengorgeait au-dessus du front royal; deux longues barbes cannelées etde couleur pourpre flottaient sur les épaules et complétaient cette coiffured’une majestueuse élégance.

The Pharaoh wore a helmet shaped like a mitre and cut out around the ears,where it fell over the neck by way of a protection. On the blue ground of thehelmet sparkled innumerable dots like birds' eyes, formed of three circles,black, white, and red. It was adorned with scarlet and yellow lines, and thesymbolic uræus snake, twisting its golden scales on the fore part, rose andswelled above the royal brow. Two long, purple, fluted lappets fell upon hisshoulders and completed this majestic head-dress.

Un large gorgerin à sept rangs d’émaux, de pierres précieuses et de perlesd’or s’arrondissait sur la poitrine du Pharaon et jetait de vives lueurs ausoleil. Pour vêtement supérieur il portait une espèce de brassière quadrilléede rose et de noir, dont les bouts allongés en bandelettes tournaient plusieursfois autour du buste et le serraient étroitement; les manches, coupées àla hauteur du biceps et bordées de lignes transversales d’or, de rouge et debleu, laissaient voir des bras ronds et forts, dont le gauche était garni d’unlarge poignet de métal destiné à amortir le frôlement de la corde lorsque lePharaon décochait une flèche de son arc triangulaire, et dont le droit, ornéd’un bracelet composé d’un serpent enroulé plusieurs fois sur lui-même, tenaitun long sceptre d’or terminé par un bouton de lotus. Le reste du corps étaitenveloppé d’une draperie du plus fin lin à plis multipliés, arrêtée aux hanchespar une ceinture imbriquée de plaquettes en émail et en or. Entre la brassièreet la ceinture, le torse apparaissait luisant et poli comme le granit rosetravaillé par un ouvrier habile. Des sandales à pointes recourbées, pareilles àdes patins, chaussaient ses pieds étroits et longs, rapprochés l’un de l’autrecomme les pieds des dieux sur les murailles des temples.

A broad necklace, of seven rows of enamels, gems, and golden beads, swelledon the Pharaoh's breast and shone in the sun. His upper garment was a sort ofclose-fitting jacket, of rose and black checkers, the ends of which, shapedlike narrow bands, were twisted tightly several times around the bust. Thesleeves, which came down to the biceps and were edged with transverse lines ofgold, red, and blue, showed round, firm arms, the left provided with a broadwristlet of metal intended to protect it from the switch of the cord when thePharaoh shot an arrow from his triangular bow. His right arm was adorned with abracelet formed of a serpent twisted several times on itself, and in his handhe held a long golden sceptre ending in a lotus-bud. The rest of the body wasenveloped in the finest linen cloth with innumerable folds, held to the hips bya girdle inlaid with plates of enamel and gold. Between the jacket and thebelt, the torso showed, shining and polished like rose granite worked by askilful workman. Sandals with pointed upturned toes protected his long narrowfeet, which were held close to one another like the feet of the gods on thewalls of the temples.

Sa figure lisse, imberbe, aux grands traits purs, qu’il ne semblait aupouvoir d’aucune émotion humaine de déranger et que le sang de la vie vulgairene colorait pas, avec sa pâleur morte, ses lèvres scellées, ses yeux énormes,agrandis de lignes noires, dont les paupières ne s’abaissaient non plus quecelles de l’épervier sacré, inspirait par son immobilité même une respectueuseépouvante. On eût dit que ces yeux fixes ne regardaient que l’éternité etl’infini; les objets environnants ne paraissaient pas s’y refléter. Lessatiétés de la jouissance, le blasem*nt des volontés satisfaites aussitôtqu’exprimées, l’isolement du demi-dieu qui n’a pas de semblables parmi lesmortels, le dégoût des adorations et comme l’ennui du triomphe avaient figé àjamais cette physionomie, implacablement douce et d’une sérénité granitique.Osiris jugeant les âmes n’eût pas eu l’air plus majestueux et plus calme.

His smooth, beardless face with its great, regular features, which it seemedimpossible for any human emotion to alter, and which the blood of vulgar lifedid not colour, with its deathlike pallor, its closed lips, its great eyes madelarger still by black lines, the eyelids of which never closed any more thandid those of the sacred hawk,—inspired through its very immobility respect andawe. It seemed as though those fixed eyes gazed upon eternity and the infiniteonly; surrounding objects did not appear to be reflected in them. The satietyof enjoyment, of will satisfied the moment it was expressed, the isolation of ademigod who has no fellow among mortals, the disgust of worship, and theweariness of triumph had forever marked that face, implacably sweet and ofgranite-like serenity. Not even Osiris judging the souls of the dead could lookmore majestic and more calm.

Un grand lion privé, couché à côté de lui sur le brancard, allongeait sesénormes pattes comme un sphinx sur son piédestal, et clignait ses prunellesjaunes.

A great tame lion, lying by his side upon the litter, stretched out itsenormous paws like a sphinx upon a pedestal, and winked its yellow eyes.

Une corde, attachée à la litière, reliait au Pharaon les chars de guerre deschefs vaincus; il les traînait derrière lui, comme des animaux à lalaisse. Ces chefs, à l’attitude morne et farouche, dont les coudes rapprochéspar une ligature formaient un angle disgracieux, vacillaient gauchement à latrépidation des chars, que menaient des cochers égyptiens.

A rope fixed to the litter, fastened to the Pharaoh the chariots of theconquered chiefs. He dragged them behind him like animals in a leash. Thesevanquished chiefs, in gloomy, fierce attitudes, whose elbows, drawn together bytheir points, formed an ugly angle, staggered awkwardly as they were dragged bythe cars driven by Egyptian coachmen.

Ensuite venaient les chars de guerre des jeunes princes de la familleroyale; des chevaux de race pure, aux formes élégantes et nobles, auxjambes fines, aux jarrets nerveux, à la crinière taillée en brosse, lestraînaient, attelés deux à deux, en secouant leurs têtes empanachées de plumesrouges, ornées de têtières et de frontaux à bossettes de métal. Un timon courbeappuyait sur leurs garrots garnis de panneaux écarlates deux sellettessurmontées de boules en airain poli, et que réunissait un joug léger, infléchicomme un arc dont les cornes rebrousseraient; une sous-ventrière et unecourroie pectorale richement piquée et brodée, de riches housses rayées de bleuou de rouge et frangées de houppes complétaient ce harnachement solide,gracieux et léger.

Next came the war chariots of the young princes of the royal family, drawnby pairs of thorough-bred horses of noble and elegant shape, with slender legsand muscular quarters, their manes cut close and short, shaking their headsadorned with red plumes, frontlets, and headgear of metal bosses. A curvedpole, adorned with scarlet squares, pressed down on their withers, andsupported two small saddles surmounted with balls of polished brass heldtogether by a light yoke, with curved ends. Girths and breast-harnesses richlyembroidered, and superb housings rayed with blue or red and fringed with tufts,completed their strong, graceful, and light harness.

La caisse du char, peinte de rouge et de vert, garnie de plaques et dedemi-sphères de bronze, semblable à l’umbo des boucliers, était flanquéede deux grands carquois posés diagonalement en sens contraire, dont l’unrenfermait des javelines et l’autre des flèches. Sur chaque face, un lionsculpté et doré, les pattes en arrêt, le mufle plissé par un effroyable rictus,semblait rugir et vouloir s’élancer sur les ennemis.

The body of the car, painted red and green, and ornamented with plates andbosses of bronze like the boss on the bucklers, had on either side two greatquivers placed diagonally in opposite directions, the one containing javelins,and the other arrows. On either side a carved and gilded lion, its facewrinkled with a dreadful grin, seemed to roar, and to be about to spring at thefoe.

Les jeunes princes avaient pour coiffure une bandelette qui serrait leurscheveux et où s’entortillait, en gonflant sa gorge, la vipère royale;pour vêtement une tunique ornée au col et aux manches de broderies éclatanteset cerclée à la taille d’un ceinturon de cuir fermé par une plaque de métalgravée d’hiéroglyphes; à ce ceinturon était passé un long poignard à lamed’airain triangulaire, dont la poignée cannelée transversalement se terminaiten tête d’épervier.

The young princes wore for a head-dress a narrow band which bound their hairand in which twisted, as it swelled its hood, the royal asp. For dress theywore a tunic embroidered around the neck and the sleeves with brilliantembroidery and bound at the waist with a leather belt fastened with a metalplate on which were engraved hieroglyphs. Through the belt was passed a long,triangular, brazen-bladed poniard, the handle of which, fluted transversely,ended in a hawk's-head.

Sur le char, à côté de chaque prince, se tenaient le cocher chargé deconduire le char pendant la bataille, et l’écuyer occupé à parer avec lebouclier les coups dirigés vers le combattant, pendant que lui-même décochaitles flèches ou dardait les javelines puisées aux carquois latéraux.

On the car, by the side of each prince, stood the driver, whose business itwas to drive during the battle, and the equerry charged with warding off with abuckler the blows directed at the fighter, while he himself shot his arrows orhurled the javelins which he took from the quivers at the sides.

À la suite des princes arrivaient les chars, cavalerie des Égyptiens, aunombre de vingt mille, chacun traîné par deux chevaux et monté par troishommes. Ils s’avançaient par dix de front, les essieux se touchant presque etne se heurtant jamais, tant l’habileté des cochers était grande.

Behind the princes came the chariots which formed the Egyptian cavalry, tothe number of twenty thousand, each drawn by two horses and carrying three men.These chariots came ten abreast, with wheels almost touching yet never meeting,so skilful were the drivers.

Quelques chars moins pesants, destinés aux escarmouches et auxreconnaissances, marchaient en tête et ne portaient qu’un seul guerrier ayant,pour garder les mains libres pendant la bataille, les rênes de son attelagepassées autour du corps; avec quelques pesées à droite, à gauche ou enarrière, il dirigeait et arrêtait ses chevaux; et c’était vraimentmerveilleux de voir ces nobles bêtes, qui semblaient abandonnées à elles-mêmes,guidées par d’imperceptibles mouvements, conserver une imperturbable régularitéd’allure.

Some lighter cars, intended for skirmishes and reconnaissances cameforemost, bearing a single warrior, who in order to have his hands free whilefighting, passed the reins around his body. By leaning to the right, to theleft or backwards, he directed and stopped his horses, and it was trulymarvellous to see these noble animals, which seemed left to themselves, guidedby imperceptible movements and preserving an unchangingly regular gait.

Sur un de ces chars, l’élégant Ahmosis, le protégé de Nofré, dressait sahaute taille et promenait ses regards sur la foule, en cherchant à y découvrirTahoser.

On one of these chariots the elegant Ahmosis, Nofré's protégé, showed histall figure and cast his glance over the multitude, trying to make outTahoser.

Le piétinement des chevaux, contenus à grand-peine, le tonnerre des rouesgarnies de bronze, le frisson métallique des armes donnaient à ce défiléquelque chose d’imposant et de formidable, fait pour jeter la terreur dans lesâmes les plus intrépides. Les casques, les plumes, les boucliers, les corseletspapelonnés d’écailles vertes, rouges et jaunes, les arcs dorés, les glaivesd’airain reluisaient et flamboyaient terriblement au soleil ouvert dans leciel, au-dessus de la chaîne libyque, comme un grand œil osirien, et l’onsentait que le choc d’une pareille armée devait balayer les nations commel’ouragan chasse devant lui une paille légère.

The trampling of the horses held in with difficulty, the thunder of thebronze-bound wheels, the metallic justling of weapons, imparted to theprocession an imposing and formidable character well calculated to striketerror into the bravest souls. Helmets, plumes, corselets covered with green,red, and yellow scales, gilded bows, brazen swords, flashed and gleamedfiercely in the sun shining in the heavens above the Libyan chain like a greatOsiris eye, and one felt that the charge of such an army must necessarily sweepthe nations before it even as the storm drives the light straw.

Sous ces roues innombrables, la terre résonnait et tremblait sourdement,comme si une catastrophe de la nature l’eût agitée.

Under these numberless wheels the earth resounded and trembled as if in thethroes of an earthquake.

Aux chars succédèrent les bataillons d’infanterie, marchant en ordre, lebouclier au bras gauche, et, suivant leur arme, la lance, le harpé, l’arc, lafronde ou la hache à la main droite; les têtes de ces soldats étaientcouvertes d’armets ornés de deux mèches de crin, leurs corps sanglés par uneceinture-cuirasse en peau de crocodile. Leur air impassible, la régularitéparfaite de leurs mouvements, leur teint de cuivre rouge foncé encore par uneexpédition récente aux régions brûlantes de l’Éthiopie supérieure, la poudre dudésert tamisée sur leurs vêtements inspiraient l’admiration pour leurdiscipline et leur courage. Avec de tels soldats, l’Égypte pouvait conquérir lemonde.

Next to the chariots came the infantry battalions marching in order, the mencarrying their shields on the left arm, and a lance, a javelin, a bow, a sling,or an axe in the right hand. The soldiers wore helmets adorned with twohorse-hair tails. Their bodies were protected by a cuirass of crocodile-skin;their impassible look, the perfect regularity of their motions, their copperycomplexion, deepened still more by the recent expedition to the burning regionsof Upper Egypt, the desert dust which lay upon their clothes, inspiredadmiration for their discipline and courage. With such soldiers Egypt couldconquer the world.

Ensuite venaient les troupes alliées, reconnaissables à la forme barbarede leurs casques pareils à des mitres tronquées, ou surmontés de croissantsembrochés dans une pointe. Leurs glaives aux larges tranchants, leurs hachestailladées devaient faire d’inguérissables blessures.

Then came the troops of the allies, easily known by the barbarous shape oftheir helmets, like mitres cut off, or else surmounted with a crescent stuck ona point. Their broad-bladed swords, their saw-edged axes, must have inflictedincurable wounds.

Des esclaves portaient le butin annoncé par le héraut sur leurs épaules ousur des brancards, et des belluaires traînaient en laisse des panthères, desguépards s’écrasant contre terre comme pour se cacher, des autruches battantdes ailes, des girafes dépassant la foule de toute la longueur de leur col, etjusqu’à des ours bruns pris, disait-on, dans les montagnes de la Lune.

Slaves carried the booty announced by the herald on their shoulders or onstretchers, and belluaria led panthers, wild-cats, crawling as if they soughtto hide themselves, ostriches flapping their wings, giraffes overtopping thecrowd with their long necks, and even brown bears taken, it was said, in theMountains of the Moon.

Depuis longtemps déjà le roi était rentré dans son palais que le défilécontinuait encore.

The King had long since entered his palace, yet the defile was stillproceeding.

En passant devant le talus où se tenaient Tahoser et Nofré, le Pharaon, quesa litière posée sur les épaules des oëris mettait par-dessus la foule auniveau de la jeune fille, avait lentement fixé sur elle son regard noir;il n’avait pas tourné la tête, pas un muscle de sa face n’avait bougé, et sonmasque était resté immobile comme le masque d’or d’une momie; pourtantses prunelles avaient glissé entre ses paupières peintes du côté de Tahoser, etune étincelle de désir avait animé leurs disques sombres: effet aussieffrayant que si les yeux de granit d’un simulacre divin, s’illuminant tout àcoup, exprimaient une idée humaine. Une de ses mains avait quitté le bras deson trône et s’était levée à demi; geste imperceptible pour tout lemonde, mais que remarqua un des serviteurs marchant près du brancard, et dontles yeux se dirigèrent vers la fille de Pétamounoph.

As he passed the revetment on which stood Tahoser and Nofré, thePharaoh, whose litter, borne upon the shoulders of oëris, placed him above thecrowd on a level with the young girl, had slowly fixed upon her his darkglance. He had not turned his head, not a muscle of his face had moved, and hisfeatures had remained as motionless as the golden mask of a mummy, yet his eyeshad turned between his painted eyelids towards Tahoser, and a flash of desirehad lighted up their sombre discs, an effect as terrific as if the granite eyesof a divine simulacrum, suddenly lighted up, were to express a human thought.He had half raised one of his hands from the arm of his throne, a gestureimperceptible to every one, but which one of the servants marching near thelitter noticed, and at once looked towards the daughter of Petamounoph.

Cependant la nuit était tombée subitement, car il n’y a pas de crépuscule enÉgypte; la nuit, ou plutôt un jour bleu succédant à un jour jaune. Surl’azur d’une transparence infinie s’allumaient d’innombrables étoiles, dont lesscintillations tremblaient confusément dans l’eau du Nil, agitée par lesbarques qui ramenaient à l’autre rive la population de Thèbes; et lesdernières cohortes de l’armée se déroulaient encore sur la plaine comme lesanneaux d’un serpent gigantesque lorsque la cange déposa Tahoser à la ported’eau de son palais.

Meanwhile night had suddenly fallen, for there is no twilight inEgypt,—night, or rather a blue day, treading close upon the yellow day. In theazure of infinite transparency gleamed unnumbered stars, their twinkling lightreflected confusedly in the waters of the Nile, which was stirred by the boatsthat brought back to the other shore the population of Thebes; and the lastcohorts of the army were still tramping across the plain, like a giganticserpent, when the barge landed Tahoser at the gate of her palace.

IV

IV

Le Pharaon arriva devant son palais, situé à peu de distance du champ demanœuvre, sur la rive gauche du Nil.

The Pharaoh reached his palace, situated a short distance from the paradeground on the left bank of the Nile.

Dans la transparence bleuâtre de la nuit, l’immense édifice prenait desproportions encore plus colossales et découpait ses angles énormes sur le fondviolet de la chaîne libyque avec une vigueur effrayante et sombre. L’idée d’unepuissance absolue s’attachait à ces masses inébranlables, sur lesquellesl’éternité semblait devoir glisser comme une goutte d’eau sur un marbre.

In the bluish transparency of the night the mighty edifice loomed morecolossal still, and its huge outlines stood out with terrifying and sombrevigour against the purple background of the Libyan chain. The feeling ofabsolute power was conveyed by that mighty, immovable mass, upon which eternityitself could make no more impression than a drop of water on marble.

Une grande cour entourée d’épaisses murailles ornées à leur sommet deprofondes moulures précédait le palais; au fond de cette cour sedressaient deux hautes colonnes à chapiteaux de palmes, marquant l’entrée d’uneseconde enceinte. Derrière les colonnes s’élevait un pylône gigantesque composéde deux monstrueux massifs, enserrant une porte monumentale plutôt faite pourlaisser passer des colosses de granit que des hommes de chair. Au-delà de cespropylées, remplissant le fond d’une troisième cour, le palais proprement ditapparaissait avec sa majesté formidable; deux avant-corps pareils auxbastions d’une forteresse se projetaient carrément, offrant sur leurs faces desbas-reliefs méplats d’une dimension prodigieuse, qui représentaient sous laforme consacrée le Pharaon vainqueur flagellant ses ennemis et les foulant auxpieds; pages d’histoire démesurées, écrites au ciseau sur un colossallivre de pierre, et que la postérité la plus reculée devait lire.

A vast court surrounded by thick walls, adorned at their summits with deeplycut mouldings, lay in front of the palace. At the end of the court rose twohigh columns with palm-leaf capitals, marking the entrance to a second court.Behind these columns rose a giant pylon, consisting of two huge massesenclosing a monumental gate, intended rather for colossi of granite than formere flesh and blood. Beyond these propylæa, and filling the end of a thirdcourt, the palace proper appeared in its formidable majesty. Two buildingsprojected squarely forward, like the bastions of a fortress, exhibiting ontheir faces low bassi-relievi of vast size, which represented, in theconsecrated manner, the victorious Pharaoh scourging his enemies and tramplingthem under foot; immense pages of history carved with a chisel on colossalstone books which the most distant posterity was yet to read.

Ces pavillons dépassaient de beaucoup la hauteur du pylône, et leur cornicheévasée et crénelée de merlons s’arrondissait orgueilleusem*nt sur la crête desmontagnes libyques, dernier plan du tableau.

These buildings rose much higher than the pylons. The cornices, curvingoutwards and topped with great stones so arranged as to form battlements,showed superbly against the crest of the Libyan Mountains, which formed thebackground of the picture.

Reliant l’un à l’autre, la façade du palais occupait tout l’espaceintermédiaire. Au-dessus de sa porte géante, flanquée de sphinx, flamboyaienttrois étages de fenêtres carrées trahissant au-dehors l’éclairage intérieur etdécoupant sur la paroi sombre une sorte de damier lumineux. Au premier étagesaillaient des balcons soutenus par des statues de prisonniers accroupis sousla tablette.

The façade of the palace connected these buildings and filled up the wholeof the intervening space. Above its giant gateway, flanked with sphinxes,showed three rows of square windows, through which streamed the light from theinterior and which formed upon the dark wall a sort of luminous checker-board.From the first story projected balconies, supported by statues of crouchingprisoners.

Les officiers de la maison du roi, les eunuques, les serviteurs, lesesclaves, prévenus de l’approche de Sa Majesté par la fanfare des clairons etle roulement des tambours, s’étaient portés à sa rencontre, et l’attendaientagenouillés ou prosternés sur le dallage des cours; des captifs de lamauvaise race de Schéto portaient des urnes remplies de sel et d’huile d’oliveoù trempait une mèche dont la flamme crépitait vive et claire, et se tenaientrangés en ligne, de la porte du palais à l’entrée de la première enceinte,immobiles comme des lampadaires de bronze.

The officers of the king's household, the eunuchs, the servants, and theslaves, informed of the approach of His Majesty by the blare of the trumpetsand the roll of the drums, had proceeded to meet him, and waited, kneeling andprostrate, in the court paved with great stone slabs. Captives, of the despisedrace of Scheto, bore urns filled with salt and olive oil, in which was dipped awick, the flame of which crackled bright and clear. These men stood ranged inline from the basalt gate to the entrance of the first court, motionless likebronze lamp-bearers.

Bientôt la tête du cortège pénétra dans le palais, et, répercutés par leséchos, les clairons et les tambours résonnèrent avec un fracas qui fits’envoler les ibis endormis sur les entablements.

Soon the head of the procession entered the pylon and the bugles and thedrums sounded with a din which, repeated by the echoes, drove the sleepingibises from the entablatures.

Les oëris s’arrêtèrent à la porte de la façade, entre les deux pavillons.Des esclaves apportèrent un escabeau à plusieurs marches et le placèrent à côtédu brancard; le Pharaon se leva avec une lenteur majestueuse, et se tintdebout quelques secondes dans une immobilité parfaite. Ainsi monté sur ce socled’épaules, il planait au-dessus des têtes et paraissait avoir douzecoudées; éclairé bizarrement, moitié par la lune qui se levait, moitiépar la lueur des lampes, sous ce costume dont les dorures et les émauxscintillaient brusquement, il ressemblait à Osiris ou plutôt à Typhon; ildescendit les marches d’un pas de statue, et pénétra enfin dans le palais.

The bearers stopped at the gate in the façade between the two pavilions;slaves brought a footstool with several steps and placed it by the side of thelitter. The Pharaoh rose with majestic slowness and stood for a few momentsperfectly motionless. Thus standing on a pedestal of shoulders, he soared aboveall heads and appeared to be twelve cubits high. Strangely lighted, half bythe rising moon, half by the light of the lamps, in a costume in which gold andenamels sparkled intermittently, he resembled Osiris, or Typhon rather. Hedescended the steps as if he were a statue, and at last entered the palace.

Une première cour intérieure, encadrée d’un rang d’énormes piliers bariolésd’hiéroglyphes et soutenant une frise terminée en volute, fut traverséelentement par le Pharaon au milieu d’une foule d’esclaves et de servantesprosternés.

A first inner court, framed in by a row of huge pillars covered withhieroglyphs, that bore a frieze ending in volutes, was slowly crossed by thePharaoh in the midst of a crowd of prostrate slaves and maids.

Une autre cour se présenta ensuite, entourée d’un promenoir couvert et decolonnes trapues portant pour chapiteau un dé de grès dur sur lequel pesait unemassive architrave. Un caractère d’indestructibilité était écrit dans leslignes droites et les formes géométriques de cette architecture bâtie avec desquartiers de montagnes: les piliers et les colonnes semblaient se piéterpuissamment pour soutenir le poids des immenses pierres appuyées sur les cubesde leurs chapiteaux; les murs se renverser en talus afin d’avoir plusd’assiette, et les assises se joindre de façon à ne former qu’un seulbloc; mais des décorations polychromes, des bas-reliefs en creuxrehaussés de teintes plates d’un vif éclat donnaient, dans le jour, de lalégèreté et de la richesse à ces énormes masses qui, la nuit, reprenaient touteleur carrure.

Then appeared another court surrounded by a covered cloister, and shortcolumns, the capitals of which were formed of a cube of hard sandstone, onwhich rested the massive architrave. The imprint of indestructibility markedthe straight lines and the geometric forms of this architecture built withpieces of mountains. The pillars and the columns seemed to strike firmly intothe ground in order to upbear the weight of the mighty stones placed on thecubes of their capitals, the walls to slope inwards so as to have a firmerfoundation, and the stones to join together so as to form but one block; butpolychromous decorations and bassi-relievi hollowed out and enrichedwith more brilliant tints added, in the daytime, lightness and richness tothese vast masses, which when night had fallen, recovered all their imposingeffect.

Sur la corniche de style égyptien, dont la ligne inflexible tranchait dansle ciel un vaste parallélogramme d’azur foncé, tremblotaient au souffleintermittent de la brise des lampes allumées de distance en distance; levivier, placé au milieu de la cour, mêlait, en les reflétant, leurs étincellesrouges aux étincelles bleues de la lune; des rangées d’arbustes plantésautour du bassin dégageaient leurs parfums faibles et doux.

Under the cornice, in the Egyptian style, the unchanging lines of whichformed against the sky a vast parallelogram of deep azure, quivered, in theintermittent breath of the breeze, lighted lamps placed at short distancesapart. The fish-pond in the centre of the court mingled, as it reflected them,their red flashes with the blue gleams of the moon. Rows of shrubs plantedaround the basin gave out a faint, sweet perfume.

Au fond s’ouvrait la porte du gynécée et des appartements secrets, décorésavec une magnificence toute particulière.

At the back opened the gate of the harem and of the private apartments,which were decorated with peculiar magnificence.

Au-dessous du plafond régnait une frise d’uræus dressés sur la queue etgonflant la gorge. Sur l’entablement de la porte, dans la courbure de lacorniche, le globe mystique déployait ses immenses ailes imbriquées; descolonnes disposées en lignes symétriques supportaient d’épaisses membrures degrès formant des soffites, dont le fond bleu était constellé d’étoiles d’or.Sur les murailles, de grands tableaux découpés en bas-reliefs méplats etcoloriés des teintes les plus brillantes représentaient les occupationsfamilières du gynécée et les scènes de la vie intime. On y voyait le Pharaonsur son trône et jouant gravement aux échecs avec une de ses femmes se tenantnue et debout devant lui, la tête ceinte d’un large bandeau d’oùs’épanouissaient en gerbe des fleurs de lotus. Dans un autre tableau, lePharaon, sans rien perdre de son impassibilité souveraine et sacerdotale,allongeait la main et touchait le menton d’une jeune fille, vêtue d’un collieret d’un bracelet, qui lui présentait un bouquet à respirer.

Below the ceiling ran a frieze of uræus snakes, standing on their tails andswelling their hoods. On the entablature of the door, in the hollow of thecornice, the mystic globe outspread its vast, imbricated wings; pillars rangedin symmetrical lines supported heavy sandstone blocks forming soffits, the blueground of which was studded with golden stars. On the walls vast pictures,carved in low, flat relief and coloured with the most brilliant tints,represented the usual scenes of the harem and of home life. The Pharaoh wasseen on his throne, gravely playing at draughts with one of his women who stoodnude before him, her head bound with a broad band from which rose a mass oflotus flowers. In another the Pharaoh, without parting with any of hissovereign and sacerdotal impassibility, stretched out his hand and touched thechin of a young maid dressed in a collar and bracelet, who held out to him abouquet of flowers.

Ailleurs on l’apercevait incertain et souriant, comme s’il eûtmalicieusem*nt suspendu son choix, au milieu des jeunes reines agaçant sagravité par toutes sortes de coquetteries caressantes et gracieuses.

Elsewhere he was seen undecided and smiling, as if he had slyly put offmaking a choice, in the midst of the young queens, who strove to overcome hisgravity by all sorts of caressing and graceful coquetries.

D’autres panneaux représentaient des musiciennes et des danseuses, desfemmes au bain, inondées d’essence et massées par des esclaves, avec uneélégance de poses, une suavité juvénile de formes et une pureté de traitsqu’aucun art n’a dépassées.

Other panels represented female musicians and dancers, women bathing,flooded with perfumes and massaged by slaves,—the poses so elegant, the formsso youthfully suave, and the outlines so pure, that no art has ever surpassedthem.

Des dessins d’ornementation d’un goût riche et compliqué, d’une exécutionparfaite, où se mariaient le vert, le rouge, le bleu, le jaune, le blanc,couvraient les espaces laissés vides. Dans des cartouches et des bandesallongées en stèles se lisaient les titres du Pharaon et des inscriptions enson honneur.

Rich and complicated ornamental designs, admirably carried out in harmoniousgreen, blue, red, yellow, and white, covered the spaces left empty. Oncartouches and bands in the shape of stelæ were inscribed the titles of thePharaoh and inscriptions in his honour.

Sur le fût des énormes colonnes tournaient des figures décoratives ousymboliques coiffées du pschent, armées du tau, qui se suivaientprocessionnellement, et dont l’œil, dessiné de face sur une tête de profil,semblait regarder curieusem*nt dans la salle. Des lignes d’hiéroglyphesperpendiculaires séparaient les zones de personnages. Parmi les feuilles vertesdécoupées sur le tambour du chapiteau, des boutons et des calices de lotus sedétachaient avec leurs couleurs naturelles et simulaient des corbeillesfleuries.

On the shafts of the huge columns were decorative or symbolical figureswearing the pschent, armed with the tau, following each other in procession,and whose eyes, showing full upon a side face, seemed to look inquisitivelyinto the hall. Lines of perpendicular hieroglyphs separated the zones ofpersonages. Among the green leaves carved on the drum of the capital, buds andlotus flowers stood out in their natural colours, imitating baskets ofbloom.

Entre chaque colonne, une selle élégante de bois de cèdre peint et dorésoutenait sur sa plate-forme une coupe de bronze remplie d’huile parfumée, oùles mèches de coton puisaient une clarté odorante.

Between each pair of columns an elegant table of cedar bore on its platforma bronze cup filled with scented oil, from which the cotton wicks drew anodoriferous light.

Des groupes de vases allongés et reliés par des guirlandes alternaient avecles lampes et faisaient épanouir au pied des colonnes des gerbes aux barbesd’or, mêlées d’herbes des champs et de plantes balsamiques.

Groups of tall vases, bound together with wreaths, alternated with the lampsand held at the foot of each pillar sheaves of golden grain mingled with fieldgrasses and balsamic plants.

Au milieu de la salle, une table ronde en porphyre, dont le disque étaitsupporté par une figure de captif, disparaissait sous un entassem*nt d’urnes,de vases, de buires, de pots, d’où jaillissait une forêt de fleursartificielles gigantesques: car des fleurs vraies eussent semblémesquines au centre de cette salle immense, et il fallait mettre la nature enproportion avec le travail grandiose de l’homme; les plus vives couleurs,jaune d’or, azur, pourpre, diapraient ces calices énormes.

In the centre of the hall a round porphyry table, the disc of which wassupported by the statue of a captive, disappeared under heaped-up urns, vases,flagons, and pots, whence rose a forest of gigantic artificial flowers; forreal flowers would have appeared mean in the centre of that vast hall, andnature had to be proportioned to the mighty work of man. These enormous calyxeswere of the most brilliant golden yellow, azure, and purple.

Au fond s’élevait le trône ou fauteuil du Pharaon, dont les pieds croisésbizarrement et retenus par des nervures enroulées contenaient, dans l’ouverturede leurs angles, quatre statuettes de prisonniers barbares asiatiques ouafricains, reconnaissables à leurs physionomies et à leurs vêtements; cesmalheureux, les coudes noués derrière le dos, à genoux dans une postureincommode, le corps tendu, portaient sur leur tête humiliée le coussinquadrillé d’or, de rouge et de noir où s’asseyait leur vainqueur. Des muflesd’animaux chimériques, dont la gueule laissait échapper en guise de langue unelongue houppe rouge, ornaient les traverses du siège.

At the back rose the throne, or chair, of the Pharaoh, the feet of which,curiously crossed and bound by encircling ribbing, had in their re-enteringangles four statuettes of barbaric Asiatic or African prisoners recognisable bytheir beards and their dress. These figures, their elbows tied behind theirbacks, and kneeling in constrained attitudes, their bodies bowed, bore upontheir humbled heads the cushion, checkered with gold, red, and black, on whichsat their conqueror. Faces of chimerical animals from whose mouths fell,instead of a tongue, a long red tuft, adorned the crossbars of the throne.

De chaque côté du trône étaient rangés, pour les princes, des fauteuilsmoins riches, mais encore d’une élégance extrême et d’un capricecharmant: car les Égyptiens ne sont pas moins adroits à sculpter le boisde cèdre, de cyprès et de sycomore, à le dorer, à le colorier, à l’incrusterd’émaux, qu’à tailler dans les carrières de Philæ ou de Syène de monstrueux blocs granitiques pour lespalais des Pharaons et le sanctuaire des dieux.

On either side of it were ranged, for the princes, less splendid, thoughstill extremely elegant and charmingly fanciful chairs; for the Egyptians areno less clever at carving cedar, cypress, and sycamore wood, in gilding,colouring, and inlaying it with enamels, than in cutting in the Philoe or Syênéquarries monstrous granite blocks for the palaces of the Pharaohs and thesanctuaries of the gods.

Le roi traversa la salle d’un pas lent et majestueux, sans que ses paupièresteintes eussent palpité une fois; rien n’indiquait qu’il entendît lescris d’amour qui l’accueillaient, ou qu’il aperçût les êtres humainsagenouillés ou prosternés, dont les plis de sa calasiris effleuraient le fronten écumant autour de ses pieds; il s’assit les chevilles jointes et lesmains posées sur les genoux, dans l’attitude solennelle des divinités.

The King crossed the hall with a slow, majestic step, without his paintedeyelids having once moved; nothing indicated that he heard the cries of lovethat welcomed him, or that he perceived the human beings kneeling or prostrate,whose brows were touched by the folds of the calasiris that fell around hisfeet. He sat down, placing his ankles close together and his hands on his kneesin the solemn attitude of the gods.

Les jeunes princes, beaux comme des femmes, prirent place à la droite et àla gauche de leur père. Des serviteurs les dépouillèrent de leurs gorgerinsd’émaux, de leurs ceinturons et de leurs glaives, versèrent sur leurs cheveuxdes flacons d’essences, leur frottèrent les bras d’huiles aromatiques, et leurprésentèrent des guirlandes de fleurs, frais colliers de parfums, luxe odorant,mieux accommodé aux fêtes que la lourde richesse de l’or, des pierresprécieuses et des perles, et qui, du reste, s’y marie admirablement.

The young princes, handsome as women, took their seats to the right and leftof their father. The servants took off their enamelled necklaces, their belts,and their swords, poured flagons of scent upon their hair, rubbed their armswith aromatic oils, and presented them with wreaths of flowers, cool, perfumedcollars, odorous luxuries better suited to the festival than the heavy richnessof gold, of precious stones and pearls, which, for the matter of that,harmonise admirably with flowers.

De belles esclaves nues, dont le corps svelte offrait le gracieux passage del’enfance à l’adolescence, les hanches cerclées d’une mince ceinture qui nevoilait aucun de leurs charmes, une fleur de lotus dans les cheveux, une buired’albâtre rubané à la main, s’empressaient timidement autour du Pharaon, etrépandaient l’huile de palme sur ses épaules, ses bras et son torse polis commele jaspe. D’autres servantes agitaient autour de sa tête de larges éventails deplumes d’autruche peintes, ajustées à des manches d’ivoire ou de bois desantal, qui, échauffé par leurs petites mains, dégageait une odeurdélicieuse; quelques-unes élevaient à la hauteur des narines du Pharaondes tiges de nymphæa au calice épanoui comme la coupe des amschirs. Tous cessoins étaient rendus avec une dévotion profonde et une sorte de terreurrespectueuse, comme à une personne divine, immortelle, descendue par pitié deszones supérieures parmi le vil troupeau des hommes. Car le roi est le fils desdieux, le favori de Phré, le protégé d’Ammon-Ra.

Lovely nude slaves, whose slender forms showed the graceful transition fromchildhood to youth, their hips circled with a narrow belt that concealed noneof their charms, lotus flowers in their hair, flagons of wavy alabaster intheir hands, timidly pressed around the Pharaoh and poured palm oil over hisshoulders, his arms, and his torso, polished like jasper. Other maids wavedaround his head broad fans of painted ostrich-feathers on long ivory orsandal-wood handles, that, as they were warmed by their small hands, gave fortha delightful odour. Others placed before the Pharaoh stalks of nymphœa thatbloomed like the cup of the censers. All these attentions were rendered with adeep devotion, and a sort of respectful awe, as if to a divine, immortalpersonage, called down by pity from the superior zones to the vile tribe ofmen; for the king is the Son of the gods, the favoured of Phré, the protégé ofAmmon Ra.

Les femmes du gynécée s’étaient relevées de leurs prostrations et assisessur de beaux fauteuils sculptés, dorés et peints, aux coussins de cuir rougegonflés avec de la barbe de chardon: rangées ainsi, elles formaient uneligne de têtes gracieuses et souriantes, que la peinture eût aimé à reproduire.

The women of the harem had risen from their prostrate attitude, and seatedthemselves on superb, carved and gilded chairs, with red-leather cushionsfilled with thistle-down. Thus ranged, they formed a line of graceful, smilingheads which a painter would have loved to reproduce.

Les unes avaient pour vêtement des tuniques de gaze blanche à raiesalternativement opaques et transparentes, dont les manches courtes mettaient ànu un bras mince et rond couvert de bracelets du poignet au coude; lesautres, nues jusqu’à la ceinture, portaient une cotte lilas tendre, striée debandes plus foncées, recouverte d’un filet de petit* tubes en verre roselaissant voir entre leurs losanges le cartouche du Pharaon tracé surl’étoffe; d’autres avaient la jupe rouge et le filet en perlesnoires; celles-ci, drapées d’un tissu aussi léger que l’air tramé, aussitranslucide que du verre, en tournaient les plis autour d’elles, s’arrangeantde façon à faire ressortir coquettement le contour de leur gorge pure;celles-là s’emprisonnaient dans un fourreau papelonné d’écailles bleues, verteset rouges, qui moulaient exactement leurs formes; il y en avait aussidont les épaules étaient couvertes d’une sorte de mante plissée, et quiserraient au-dessous du sein, par une ceinture à bouts flottants, leur longuerobe garnie de franges.

Some were dressed in tunics of white gauze with stripes alternately opaqueand transparent, the narrow sleeves of which left bare the delicate, round armscovered with bracelets from the wrist to the elbow: others, bare to the waist,wore a skirt of pale lilac rayed with darker stripes, and covered with a filletof little rose beads which showed in the diaper the cartouche of the Pharaohtraced on the stuff; others wore red skirts with black-pearl fillets; othersagain, draped in a tissue as light as woven air, as transparent as glass, woundthe folds around them, and managed to show off coquettishly the shape of theirlovely bosoms; others were enclosed in a sheath covered with blue, green, orred scales which moulded their forms accurately; and others again had theirshoulders covered with a sort of pleated cape, and their fringed skirts werefastened below the breast with a scarf with long, floating ends.

Les coiffures n’étaient pas moins variées: tantôt les cheveux nattéss’effilaient en spirales; tantôt ils se divisaient en trois masses, dontl’une s’allongeait sur le dos et les deux autres tombaient de chaque côté desjoues; de volumineuses perruques à petites boucles fortement crêpées, àinnombrables cordelettes maintenues transversalement par des fils d’or, desrangs d’émaux ou de perles, s’ajustaient comme des casques à des têtes jeuneset charmantes qui demandaient à l’art un secours inutile à leur beauté.

The head-dresses were no less varied. Sometimes the plaited hair was spunout into curls; sometimes it was divided into three parts, one of which felldown the back and the other two on either side of the cheeks. Huge periwigs,closely curled, with numberless cords maintained transversely by goldenthreads, rows of enamels, or pearls, were put on like helmets over young andlovely faces, which sought of art an aid which their beauty did not need.

Toutes ces femmes tenaient à la main une fleur de lotus bleue, rose oublanche, et respiraient amoureusem*nt, avec des palpitations de narines,l’odeur pénétrante qui s’exhalait du large calice. Une tige de la même fleur,partant de leur nuque, se courbait gracieusem*nt sur leur tête et allongeaitson bouton entre leurs sourcils rehaussés d’antimoine.

All these women held in their hands a flower of the blue or white lotus, andbreathed amorously, with a fluttering of their nostrils, the penetrating odourwhich the broad calyx exhaled. A stalk of the same flower, springing from theback of their necks, bowed over their heads and showed its bud between theireyebrows darkened with antimony.

Devant elles, des esclaves noires ou blanches, n’ayant d’autres vêtementsque le cercle lombaire, leur tendaient des colliers fleuris tressés de crocus,dont la fleur, blanche en dehors, est jaune en dedans, de carthames couleur depourpre, d’héliochryses couleur d’or, de trychos à baies rouges, de myosotisaux fleurs qu’on croirait faites avec l’émail bleu des statuettes d’Isis, denépenthès dont l’odeur enivrante fait tout oublier, jusqu’à la patrielointaine.

In front of them black or white slaves, with no other garment than a waistgirdle, held out to them necklaces of flowers made of crocuses, the blooms ofwhich, white outside, are yellow inside, purple safflowers, golden-yellowchrysanthemums, red-berried nightshade, myosotis whose flowers seemed made ofblue enamel of the statues of Isis, and nepenthes whose intoxicating odourmakes one forget everything, even the far-distant home.

À ces esclaves d’autres succédaient qui, sur la paume de leur main droiterenversée, portaient des coupes d’argent ou de bronze pleines de vin, et de lagauche tenaient une serviette où les convives s’essuyaient les lèvres.

These slaves were followed by others, who on the upturned palm of theirright hands bore cups of silver or bronze full of wine, and in the left heldnapkins with which the guests wiped their lips.

Ces vins étaient puisés dans des amphores d’argile, de verre ou de métal,qui contenaient d’élégants paniers clissés, posant sur des bases à quatrepieds, faites d’un bois léger et souple, entrelaçant ses courbures d’unemanière ingénieuse. Les paniers contenaient sept sortes de vins, de dattier, depalmier et de vigne, du vin blanc, du vin rouge, du vin vert, du vin nouveau,du vin de Phénicie et de Grèce, du vin blanc de Maréotique au bouquet deviolette.

The wines were drawn from amphoræ of clay, glass, or metal held in elegantwoven baskets placed on four-footed pedestals made of a light, supple woodinterlaced in ingenious fashion. The baskets contained seven sorts of wines:date wine, palm wine, and wine of the grape, white, red, and green wines, newwine, Phoenician and Greek wines, and white Mareotis wine with a bouquet ofviolets.

Le Pharaon prit aussi la coupe des mains de l’échanson debout près de sontrône, et trempa ses lèvres royales au breuvage fortifiant.

The Pharaoh also took a cup from the hands of his cup-bearer standing nearhis throne, and put to his royal lips the strengthening drink.

Alors résonnèrent les harpes, les lyres, les doubles flûtes, les mandores,accompagnant un chant triomphal qu’accentuaient les choristes rangés en face dutrône, un genou en terre et l’autre relevé, en frappant la mesure avec la paumede leurs mains.

Then sounded the harps, the lyres, the double flutes, the lutes,accompanying a song of triumph which choristers, ranged opposite the throne,one knee on the ground, accentuated as they beat time with the palms of theirhands.

Le repas commença. Les mets, apportés par des Éthiopiens des immensescuisines du palais, où mille esclaves s’occupaient dans une atmosphère deflamme des préparations du festin, étaient placés sur des guéridons à quelquedistance des convives; les plats de bronze, de bois odorant précieusem*ntsculpté, de terre ou de porcelaine émaillée de couleurs vives, contenaient desquartiers de bœuf, des cuisses d’antilope, des oies troussées, des silures duNil, des pâtes étirées en longs tuyaux et roulées, des gâteaux de sésame et demiel, des pastèques vertes à pulpe rose, des grenades pleines de rubis, desraisins couleur d’ambre ou d’améthyste. Des guirlandes de papyrus couronnaientces plats de leur feuillage vert; les coupes étaient également cercléesde fleurs, et au centre des tables, du milieu d’un amoncellement de pains àcroûte blonde, estampés de dessins et marqués d’hiéroglyphes, s’élançait unlong vase d’où retombait, élargie en ombrelle, une monstrueuse gerbe depersolutas, de myrtes, de grenadiers, de convolvulus, de chrysanthèmes,d’héliotropes, des sériphiums et de périplocas, mariant toutes les couleurs,confondant tous les parfums. Sous les tables mêmes, autour du socle, étaientrangés des pots de lotus. Des fleurs, des fleurs, des fleurs, encore desfleurs, partout des fleurs! Il y en avait jusque sous les sièges desconvives; les femmes en portaient aux bras, au col, sur la tête, enbracelets, en colliers, en couronnes; les lampes brûlaient au milieud’énormes bouquets; les plats disparaissaient dans les feuillages;les vins pétillaient, entourés de violettes et de roses: c’était unegigantesque débauche de fleurs, une colossale orgie aromale, d’un caractèretout particulier, inconnu chez les autres peuples.

The repast began. The dishes, brought by Ethiopians from the vast kitchensof the palace, where a thousand slaves were busy preparing the feast in a fieryatmosphere, were placed on tables close by the guests. The dishes, of scentedwood admirably carved, of bronze, of earthenware or porcelain enamelled inbrilliant colours, held large pieces of beef, antelope legs, trussed geese,siluras from the Nile, dough drawn out into long tubes and rolled, cakes ofsesamum and honey, green watermelons with rosy meat, pomegranates full ofrubies, grapes the colour of amber or of amethyst. Wreaths of papyrus crownedthese dishes with their green foliage. The cups were also wreathed in flowers,and in the centre of the table, amid a vast heap of golden-coloured breadstamped with designs and marked with hieroglyphs, rose a tall vase whenceemerged, spraying as it fell, a vast sheaf of persolutas, myrtles,pomegranates, convolvulus, chrysanthemums, heliotropes, seriphiums, andperiplocas, a mingling of colours and of scents. Under the tables, around thesupporting pillar, were arranged pots of lotus. Flowers, flowers everywhere,even under the seats of the guests! The women wore them on their arms, roundtheir necks, on their heads in the shape of bracelets, necklaces, and crowns;the lamps burned amid huge bouquets, the dishes disappeared under leaves, thewines sparkled amid violets and roses. It was a most characteristic, giganticdebauch of flowers, a colossal orgy of scents, unknown to other nations.

À chaque instant, des esclaves apportaient des jardins, qu’ils dépouillaientsans pouvoir les appauvrir, des brassées de clématites, de lauriers-roses, degrenadiers, de xéranthèmes, de lotus, pour renouveler les fleurs fanées déjà,tandis que des serviteurs jetaient sur les charbons des amschirs, des grains denard et de cinnamome.

Slaves constantly brought from the gardens, which they plundered withoutdiminishing their wealth, armfuls of rose laurel, of pomegranate, of lotus, torenew the flowers which had faded, while servants cast grains of nard andcinnamon upon the red-hot coals of the censers.

Lorsque les plats et les boîtes sculptées en oiseaux, en poissons, enchimères, qui contenaient les sauces et les condiments, furent emportés ainsique les spatules d’ivoire, de bronze ou de bois, les couteaux d’airain ou desilex, les convives se lavèrent les mains, et les coupes de vin ou de boissonfermentée continuèrent à circuler.

When the dishes and the boxes carved in the shape of birds, fishes, andchimeras, which held the sauces and condiments, had been cleared away, as wellas the ivory, bronze, or wooden spatulæ, and the bronze and flint knives, theguests washed their hands, and cups of wine and fermented drinks kept onpassing around.

L’échanson puisait, avec un godet de métal armé d’un long manche, le vinsombre et le vin transparent dans deux grands vases d’or ornés de figures dechevaux et de béliers, que des trépieds maintenaient en équilibre devant lePharaon.

The cup-bearer drew with a long-handled ladle the dark wine and thetransparent wine from two great, golden vases adorned with figures of horsesand rams, which were held in equilibrium in front of the Pharaoh by means oftripods on which they were set.

Des musiciennes parurent, car le chœur des musiciens s’était retiré:une large tunique de gaze couvrait leurs corps sveltes et jeunes, sans plus lesvoiler que l’eau pure d’un bassin ne dérobe les formes de la baigneuse qui s’yplonge; une guirlande de papyrus nouait leur épaisse chevelure et seprolongeait jusqu’à terre en brindilles flottantes; une fleur de lotuss’épanouissait au sommet de leur tête; de grands anneaux d’orscintillaient à leurs oreilles; un gorgerin d’émaux et de perles cerclaitleur col, et des bracelets se heurtaient en bruissant sur leurs poignets.

Female musicians appeared—for the orchestra of male musicians had withdrawn.A wide gauze tunic covered their slender, youthful bodies, veiling them no morethan the pure water of a pool conceals the form of the bather who plunges intoit. Papyrus wreaths bound their thick hair and fell to the ground in longtendrils; lotus flowers bloomed on top of their heads; great golden ringssparkled in their ears, necklaces of enamel and pearl encircled their necks,and bracelets clanked and rattled on their wrists.

L’une jouait de la harpe, l’autre de la mandore, la troisième de la doubleflûte que manœuvraient ses bras bizarrement croisés, le droit sur la flûtegauche, le gauche sur la flûte droite; la quatrième appliquaithorizontalement contre sa poitrine une lyre à cinq cordes; la cinquièmefrappait la peau d’onagre d’un tambour carré. Une petite fille de sept ou huitans, nue, coiffée de fleurs, sanglée d’une ceinture, frappant ses mains l’unecontre l’autre, battait la mesure.

One played on the harp, another on the lute, a third on the double flute,crossing her arms and using the right for the left flute and the left for theright flute; a fourth placed horizontally against her breast a five-stringedlyre; a fifth struck the onager-skin of a square drum; and a little girl sevenor eight years of age, with flowers in her hair and a belt drawn tight aroundher, beat time by clapping her hands.

Les danseuses firent leur entrée: elles étaient minces, élancées,souples comme des serpents; leurs grands yeux brillaient entre les lignesnoires de leurs paupières, leurs dents de nacre entre les lignes rouges deleurs lèvres; de longues spirales de cheveux leur flagellaient lesjoues; quelques-unes portaient une ample tunique rayée de blanc et debleu, nageant autour d’elles comme un brouillard; les autres n’avaientqu’une simple cotte plissée, commençant aux hanches et s’arrêtant aux genoux,qui permettait d’admirer leurs jambes élégantes et fines, leurs cuisses rondes,nerveuses et fortes.

The dancers came in. They were slight, slender, and as lithe as serpents;their great eyes shone between the black lines of their lids, their pearlyteeth between the red bars of their lips. Long curls floated down on theircheeks. Some wore full tunics striped white and blue, which floated around themlike a mist; others wore mere pleated short skirts falling over the hips to theknees, which allowed their beautiful, slender legs and round muscular thighs tobe easily seen.

Elles exécutèrent d’abord des poses d’une volupté lente, d’une grâceparesseuse; puis, agitant des rameaux fleuris, choquant des cliquettes debronze à tête d’Hâthor, heurtant des timbales de leur petit poing fermé,faisant ronfler sous leur pouce la peau tannée des tambourins, elles selivrèrent à des pas plus vifs, à des cambrures plus hardies; elles firentdes pirouettes, des jetés battus, et tourbillonnèrent avec un entrain toujourscroissant. Mais le Pharaon, soucieux et rêveur, ne daigna leur donner aucunsigne d’assentiment; ses yeux fixes ne les avaient même pas regardées.

They first assumed poses of languid voluptuousness and indolent grace, then,waving branches of bloom and clinking castanets, shaped like the head ofHathor, striking tambourines with their little closed hands, or making thetanned skin of drums resound under their thumbs, they gave themselves up toswifter steps and to bolder postures; they pirouetted, they whirled withever-increasing ardour. But the Pharaoh, thoughtful and dreamy, did notcondescend to bestow a glance of satisfaction upon them; his fixed gaze did noteven fall upon them.

Elles se retirèrent rougissantes et confuses, pressant de leurs mains leurpoitrine haletante.

They withdrew, blushing and confused, pressing their palpitating breastswith their hands.

Des nains aux pieds tors, au corps gibbeux et difforme, dont les grimacesavaient le privilège de dérider la majesté granitique du Pharaon, n’eurent pasplus de succès: leurs contorsions n’arrachèrent pas un sourire à seslèvres, dont les coins ne voulaient pas se relever.

Dwarfs with twisted feet, with swollen and deformed bodies, whose grimaceswere fortunate enough at times to bring a smile to the majestic, stony face ofthe Pharaoh, were no more successful; their contortions did not bring a singlesmile to his lips, the corners of which remained obstinately fixed.

Au son d’une musique bizarre composée de harpes triangulaires, de sistres,de cliquettes, de cymbales et de clairons, des bouffons égyptiens, coiffés dehautes mitres blanches de forme ridicule, s’avancèrent, deux doigts de la mainfermés, les trois autres étendus, répétant leurs gestes grotesques avec uneprécision automatique et chantant des chansons extravagantes entremêlées dedissonances. Sa Majesté ne sourcilla pas.

To the sound of strange music produced by triangular harps, sistra,castanets, cymbals, and bugles, Egyptian clowns wearing high, white mitres ofridiculous shape advanced, closing two fingers of their hand and stretching outthe other three, repeating their grotesque gestures with automatic accuracy,and singing extravagant songs full of dissonances. His Majesty never changedcountenance.

Des femmes coiffées d’un petit casque d’où pendaient trois longs cordonsterminés en houppe, les chevilles et les poignets cerclés de bandes de cuirnoir, vêtues d’un étroit caleçon retenu par une, bretelle unique passant surl’épaule, exécutèrent des tours de force et de souplesse plus surprenants lesuns que les autres, se cambrant, se renversant, ployant comme une branche desaule leurs corps disloqués, touchant le sol de leur nuque sans déplacer leurstalons, supportant, dans cette pose impossible, le poids de leurs compagnes.D’autres jonglèrent avec une boule, deux boules, trois boules, en avant, enarrière, les bras croisés, à cheval ou debout sur les reins d’une des femmes dela troupe; une même, la plus habile, se mit des œillères comme Tmei,déesse de la justice, pour se rendre aveugle, et reçut les globes dans sesmains sans en laisser tomber un seul. Ces merveilles laissèrent le Pharaoninsensible.

Women wearing a small helmet from which depended three long cords ending ina tassel, their wrists and ankles bound with black leather bands, and wearingclose fitting drawers suspended by a single brace passed over their shoulders,performed tricks of strength and contortions each more surprising than another;posturing, throwing themselves back, bending their supple bodies like willowbranches, and touching the ground with their necks without displacing theirheels, supporting in that impossible attitude the weight of their companions;others juggled with a ball, two balls, three balls, before, behind, their armscrossed, astride of or standing upon the loins of one of the women of thecompany. One, indeed, the cleverest, put on blinkers like Tmei, the goddess ofjustice, and caught the globes in her hands without letting a single one fall.The Pharaoh was not moved by these marvels.

Il ne prit pas plus de goût aux prouesses de deux combattants qui, le brasgauche garni d’un ceste, s’escrimaient avec des bâtons. Des hommes lançant dansun bloc de bois des couteaux dont la pointe se fichait à la place désignéed’une façon miraculeusem*nt précise ne l’amusèrent pas davantage. Il repoussamême l’échiquier que lui présentait en s’offrant pour adversaire la belle Twéa,qu’ordinairement il regardait d’un œil favorable; en vain Amensé, Taïa,Hont-Reché essayèrent quelques caresses timides; il se leva, et se retiradans ses appartements sans avoir prononcé un mot.

He cared no more either for the prowess of two combatants who, wearing acestus on the left arm, fought with sticks. Men throwing at a block of woodknives which struck with miraculous accuracy the spot indicated did notinterest him either. He even refused the draught-board which the lovely Twea,whom he looked upon usually with favour, presented to him as she offeredherself as an adversary. In vain Amense, Taïa, Hont-Reché ventured upon timidcaresses. He rose and withdrew to his apartments without having uttered aword.

Immobile sur le seuil se tenait le serviteur qui avait, pendant le défilétriomphal, remarqué l’imperceptible geste de Sa Majesté.

Motionless on the threshold stood the servant who, during the triumphalprocession, had noticed the imperceptible gesture of His Majesty.

Il dit: «Ô roi aimé des dieux, je me suis détaché du cortège,j’ai traversé le Nil sur une frêle barque de papyrus, et j’ai suivi la cange dela femme sur laquelle ton regard d’épervier a daigné s’abattre: c’estTahoser, la fille du prêtre Pétamounoph!»

He said: "O King, loved of the gods! I left the procession, crossed the Nileon a light papyrus-bark and followed the vessel of the woman on whom your hawkglance deigned to fall. She is Tahoser, the daughter of the priestPetamounoph."

Le Pharaon sourit et dit: «Bien! je te donne un char etses chevaux, un pectoral en grains de lapis-lazuli et de cornaline, avec uncercle d’or pesant autant que le poids de basalte vert.»

The Pharaoh smiled and said: "It is well. I give thee a chariot and itshorses, a pectoral ornament of beads of lapis-lazuli and cornelian, with agolden circle weighing as much as the green basalt weight."

Cependant les femmes désolées arrachaient les fleurs de leur coiffure,déchiraient leurs robes de gaze, et sanglotaient étendues sur les dalles poliesqui reflétaient comme des miroirs l’image de leurs beaux corps, endisant: «Il faut qu’une de ces maudites captives barbares ait prisle cœur de notre maître!»

Meanwhile the sorrowing women pulled the flowers from their hair, tore theirgauze robes, and sobbed, stretched out upon the polished stone floors whichreflected, mirror-like, the image of their beautiful bodies, saying, "One ofthese accursed barbaric captives must have stolen our master's heart."

V

V

Sur la rive gauche du Nil s’étendait la villa de Poëri, le jeune homme quiavait tant troublé Tahoser, lorsque, en allant voir la rentrée triomphale duPharaon, elle était passée dans son char, traîné par des bœufs, sous le balconoù s’appuyait indolemment le beau rêveur.

On the left bank of the Nile stood the villa of Poëri, the young man who hadfilled Tahoser with such emotion when, proceeding to view the triumphal returnof the Pharaoh, she had passed in her ox-drawn car under the balcony whereonleaned carelessly the handsome dreamer.

C’était une exploitation considérable, tenant de la ferme et de la maison deplaisance, et qui occupait, entre les bords du fleuve et les premières croupesde la chaîne libyque, une vaste étendue de terrain que recouvrait, à l’époquede l’inondation, l’eau rougeâtre chargée du limon fécondant, et dont, pendantle reste de l’année, des dérivations habilement pratiquées entretenaient lafraîcheur.

It was a vast estate, having something of the farm and something of thehouse of pleasaunce, which stretched between the banks of the river and thefoothills of the Libyan chain, over an immense extent of ground, covered duringthe inundation by the reddish waters laden with fertilising mud, and whichduring the rest of the year was irrigated by skilfully planned canals.

Une enceinte de murs en pierre calcaire tirée des montagnes voisinesenfermait le jardin, les greniers, le cellier et la maison; ces murs,légèrement inclinés en talus, étaient surmontés d’un acrotère à pointes demétal capable d’arrêter quiconque eût essayé de les franchir. Trois portes,dont les valves s’accrochaient à de massifs piliers décorés chacun d’unegigantesque fleur de lotus plantée au sommet de son chapiteau, coupaient lamuraille sur trois de ses pans; à la place de la quatrième portes’élevait le pavillon, regardant le jardin par une de ses façades, et la routepar l’autre.

A wall, built of limestone drawn from the neighbouring mountains, enclosedthe garden, the store-houses, the cellars, and the dwelling. The walls slopedslightly inwards and were surmounted by an acroter with metal spikes, capableof stopping whosoever might attempt to climb over. Three doors, the leaves ofwhich were hung on massive pillars, each adorned with a giant lotus-flowerplanted on top of the capital, were cut in the wall on three of the sides. Inplace of the fourth door rose a building which looked out into the garden fromone of its façades, and on the road from the other.

Ce pavillon ne ressemblait en aucune manière aux maisons de Thèbes:l’architecte qui l’avait bâti n’avait pas cherché la forte assiette, lesgrandes lignes monumentales, les riches matériaux des constructions urbaines,mais bien une élégance légère, une simplicité fraîche, une grâce champêtre enharmonie avec la verdure et le repos de la campagne.

The building in no respect resembled the houses in Thebes. The architect hadnot sought to reproduce either the heavy foundations, the great monumentallines, or the rich materials of city buildings, but had striven to attainelegant lightness, refreshing simplicity, and pastoral gracefulness in harmonywith the verdure and the peacefulness of the country.

Les assises inférieures, que le Nil pouvait atteindre dans ses hautes crues,étaient en grès, et le reste en bois de sycomore. De longues colonnes évidées,d’une extrême sveltesse, pareilles aux hampes qui portent des étendards devantles palais du roi, partaient du sol et filaient d’un seul jet jusqu’à lacorniche à palmettes, évasant sous un petit cube leurs chapiteaux en calice delotus.

The lower courses of the building, which the Nile reached in times of highflood, were of sandstone, and the rest of the building of sycamore wood. Tall,fluted columns, extremely slender and resembling the staffs of the standardsbefore the king's palace, sprang from the ground and rose unbroken to thepalm-leaved cornice, where swelled out, under a simple cube, theirlotus-flowered capitals.

L’étage unique élevé au-dessus du rez-de-chaussée n’atteignait pas lesmoulures bordant le toit en terrasse, et laissait ainsi un étage vide entre sonplafond et la couverture horizontale de la villa.

The single story built above the ground-floor did not rise as high as themouldings which bordered the terraced roof, and thus left an empty spacebetween the ceiling and the flat roof of the villa.

De courtes colonnettes à chapiteaux fleuris, séparées de quatre en quatrepar les longues colonnes, formaient une galerie à claire-voie autour de cetteespèce d’appartement aérien ouvert à toutes les brises.

Short, small pillars, with flowery capitals, divided into groups of four bythe tall columns, formed an open gallery around this aerial apartment open toevery wind.

Des fenêtres plus larges à la base qu’au sommet de leur ouverture, suivantle style égyptien, et se fermant avec de doubles vantaux, donnaient du jour aupremier étage. Le rez-de-chaussée était éclairé par des fenêtres plus étroiteset plus rapprochées.

Windows broader at the base than at the top of the opening, in accordancewith the Egyptian style, and closed with double sashes, lighted the firststory. The ground-floor was lighted by narrower windows placed closer to eachother.

Au-dessus de la porte, décorée de deux moulures d’une forte saillie, sevoyait une croix plantée dans un cœur et encadrée par un parallélogrammetronqué à sa partie inférieure pour laisser passer ce signe de favorable auguredont le sens, comme chacun sait, est «la bonne maison».

Above the door, which was adorned with deep mouldings, was a cross plantedin a heart and framed in a parallelogram cut in the lower part to allow thesign of favourable omen to pass; the meaning being, as every one knows, "A goodhouse."

Toute cette construction était peinte de couleurs tendres et riantes, leslotus des chapiteaux s’échappaient alternativement bleus et roses de leurscapsules vertes; les palmettes des corniches colorées d’un vernis d’ors’inscrivaient sur un fond d’azur; les parois blanches des façadesfaisaient valoir les encadrements peints des fenêtres, et des filets de rougeet de vert-prasin dessinaient des panneaux ou simulaient des joints depierre.

The whole building was painted in soft, pleasant colours; the lotus of thecapitals showed alternately red and blue in the green capsules; the gildedpalm-leaves of the cornices stood out upon a blue background; the white wallsof the façades set off the painted framework of the windows, and lines of redand green outlined panels and imitated the joints of the stone.

En dehors du mur d’enceinte, qu’affleurait le pavillon, se dressait unerangée d’arbres taillés en pointe et formant un rideau pour arrêter le ventpoudreux du sud, toujours chargé des ardeurs du désert.

Outside the enclosing wall, which was built flush with the dwelling, stood arow of trees cut to a point, which formed a screen against the dusty southernwind, always laden with the desert heat.

Devant le pavillon verdoyait une immense plantation de vignes; descolonnes de pierre aux chapiteaux de lotus, symétriquement distancées,dessinaient dans le vignoble des allées qui se coupaient à angle droit;les ceps jetaient de l’une à l’autre leurs guirlandes de pampres, et formaientune suite d’arceaux en feuillage sous lesquels on pouvait se promener la têtehaute. La terre, ratissée avec soin et ramenée en monticule au pied de chaqueplant, faisait ressortir par sa couleur brune le vert gai des feuilles, oùjouaient des oiseaux et des rayons.

In front of the building grew a vast vineyard. Stone shafts with lotuscapitals placed at symmetrical distances outlined, through the vineyard, walkscutting each other at right angles. Boughs of vine leaves joined one plant toanother and formed a succession of leafy arches under which one could walkerect. The ground, carefully raked and heaped up at the foot of each plant,contrasted by its brown colour with the bright green of the leaves, amid whichplayed the sunbeams and the breeze.

De chaque côté du pavillon, deux bassins oblongs laissaient flotter surleurs miroirs transparents des fleurs et des oiseaux aquatiques. Aux angles deces bassins, quatre grands palmiers déployaient comme une ombrelle, àl’extrémité de leur tronc sculpté en écailles, leur verte auréole defeuilles.

On either side of the building two oblong pools bore upon their transparentsurface aquatic birds and flowers. At the corners of these pools four greatpalm-trees spread out fanwise their green wreath of leaves at the top of theirscaly trunks.

Des compartiments, régulièrement tracés par des sentiers étroits, divisaientle jardin autour du vignoble, marquant la place à chaque culture. Dans unesorte d’allée de ceinture qui permettait de faire le tour de l’enclos, lespalmiers-doums alternaient avec les sycomores; des carrés étaient plantésde figuiers, de pêchers, d’amandiers, d’oliviers, de grenadiers et autresarbres à fruit; des portions n’avaient reçu que des arbres d’agrément,tamarix, acacias, cassies, myrtes, mimosas, et quelques essences plus rarestrouvées au-delà des cataractes du Nil, sous le tropique du Cancer, dans lesoasis du désert libyque et sur les bords du golfe Érythrée: car lesÉgyptiens sont très-adonnés à la culture des arbustes et des fleurs, et ilsexigent les espèces nouvelles comme tribut des peuples conquis.

Compartments, regularly traced by narrow paths, divided the garden aroundthe vineyard, marking the place of each different crop. Along a sort of beltwalk which ran entirely around the enclosure dôm palms alternated withsycamores, squares of ground were planted with fig, peach, almond, olive,pomegranate and other fruit trees; others, again, were planted with ornamentaltrees only: the tamarisk, the cassia, the acacia, the myrtle, the mimosa, andsome still rarer gum-trees found beyond the cataracts of the Nile, under theTropic of Cancer, in the oases of the Libyan Desert, and upon the shores of theErythrean Gulf; for the Egyptians are very fond of cultivating shrubs andflowers, and they exact new species as a tribute from the peoples they haveconquered.

Des fleurs de toutes sortes, des variétés de pastèques, des lupins, desoignons garnissaient les plates-bandes; deux autres pièces d’eau d’unedimension plus grande, alimentées par un canal couvert venant du Nil, portaientchacune une petite barque pour faciliter au maître de la maison le plaisir dela pêche: car des poissons de formes diverses et de couleurs brillantesse jouaient dans leur eau limpide à travers les tiges et les larges feuilles delotus. Des masses de végétation luxuriante entouraient ces pièces d’eau et serenversaient dans leur vert miroir.

Flowers of all kinds, and many varieties of watermelons, lupines, and onionsadorned the beds. Two other pools of greater size, fed by the covered canalleading from the Nile, each bore a small boat to enable the master of theestate to enjoy the pleasure of fishing. Fishes of divers forms and brilliantcolours played in the limpid waters among the stalks and the broad leaves ofthe lotus. Banks of luxuriant vegetation surrounded these pools and werereflected in their green mirror.

Près de chaque bassin s’élevait un kiosque formé de colonnettes supportantun toit léger et entouré d’un balcon à claire-voie, où l’on pouvait jouir de lavue des eaux et respirer la fraîcheur du matin et du soir, à demi couché surdes sièges rustiques de bois et de jonc.

Near each pool rose a kiosk formed of slender columns bearing a light roofand surrounded by an open balcony whence one could enjoy the sight of thewaters and breathe the coolness of the morning and the evening while recliningon a rustic seat of wood and reeds.

Ce jardin, éclairé par le soleil naissant, avait un aspect de gaieté, derepos et de bonheur. Le vert des arbres était si vivace, les nuances des fleurssi éclatantes, l’air et la lumière baignaient si joyeusem*nt la vaste enceintede souffles et de rayons; le contraste de cette riche verdure avec lablancheur décharnée et l’aridité crayeuse de la chaîne libyque, qu’onapercevait par-dessus les murs déchiquetant de sa crête la teinte bleue duciel, était tellement tranché qu’on se sentait le désir de s’arrêter là et d’yplanter sa tente. On eût dit un nid fait tout à souhait pour un bonheur rêvé.

The garden, lighted by the rising sun, had a bright, happy, restful look.The green of the trees was so brilliant, the colours of the flowers sosplendid, air and light filled so joyously the vast enclosure with breeze andsunbeams, the contrast of the rich greenness with the bare whiteness of thechalky sterility of the Libyan chain, the crest of which was seen above thewalls cutting into the blue sky, was so marked that one felt the wish to stopand set up one's tent there. It looked like a nest purposely built for alonged-for happiness.

Dans les allées marchaient des serviteurs portant sur leur épaule une barrede bois courbé, aux extrémités de laquelle pendaient à des cordes deux potsd’argile remplis aux réservoirs, dont ils versaient le contenu dans le petitbassin creusé au pied de chaque plante. D’autres, manœuvrant un vase suspendu àune perche jouant sur un poteau, alimentaient une rigole de bois distribuantl’eau aux terres les plus altérées du jardin. Des tondeurs taillaient lesarbres et leur donnaient une forme ronde ou ellipsoïde; à l’aide d’unehoue faite de deux pièces de bois dur reliées par une corde formant crochet,des travailleurs penchés ameublissaient le sol pour quelques plantations.

Along the walks travelled servants bearing on their shoulders a yoke of bentwood, from the ends of which hung by ropes two clay jars filled at thereservoirs, the contents of which they poured into small basins dug at the footof each plant. Others, handling a jar suspended from a pole working on a post,filled with water a wooden gutter which carried it to the parts of the gardenthat needed irrigating. Gardeners were clipping the trees to a point or intoan elliptical shape. With the help of a hoe formed of two pieces of hard woodbound by a cord and thus making a hook, other workmen were preparing the groundfor planting.

C’était un spectacle charmant de voir ces hommes à la noire chevelurecrépue, au torse couleur de brique, vêtus d’un simple caleçon blanc, aller etvenir parmi les feuillages avec une activité sans désordre, en chantant unechanson rustique qui rythmait leur pas. Les oiseaux perchés sur les arbresparaissaient les connaître, et s’envolaient à peine lorsqu’en passant ilsfrôlaient une branche.

It was a delightful sight to see these men with their black, woolly hair,their bodies the colour of brick, dressed only in a pair of white drawers,going and coming amid the greenery with orderly activity, singing a rustic songto which their steps kept time. The birds perched on the trees seemed to knowthem, and scarcely to fly off when, as they passed, they rubbed against thebranches.

La porte du pavillon s’ouvrit, et Poëri parut sur le seuil. Quoiqu’il fûtvêtu à la mode égyptienne, ses traits ne se rapportaient pas cependant au typenational, et il n’eût pas fallu l’observer longtemps pour voir qu’iln’appartenait point à la race autochtone de la vallée du Nil. Ce n’était pasassurément un Rot-en-ne-rôme; son nez aquilin et mince, ses jouesaplanies, ses lèvres sérieuses et d’un dessin serré, l’ovale parfait de safigure différaient essentiellement du nez africain, des pommettes saillantes,de la bouche épaisse, et du masque large que présentent habituellement lesÉgyptiens. La coloration, non plus, n’était pas la même; la teinte decuivre rouge était remplacée par une pâleur olivâtre, que nuançaitimperceptiblement de rose un sang riche et pur; les yeux, au lieu derouler entre leurs lignes d’antimoine une prunelle de jais, étaient d’un bleusombre comme le ciel de la nuit; les cheveux, plus soyeux et plus doux,se crêpaient en ondulations moins rebelles; les épaules n’offraient pascette ligne transversalement rigide que répètent, comme signe caractéristiquede la race, les statues des temples et les fresques des tombeaux.

The door of the building opened, and Poëri appeared on the threshold. Thoughhe was dressed in the Egyptian fashion, his features were not in accordancewith the national type, and it took no long observation to see that he did notbelong to the native race of the valley of the Nile. He was assuredly not aRot'en'no. His thin aquiline nose, his flat cheeks, his serious-looking,closed lips, the perfect oval of his face, were essentially different from theAfrican nose, the projecting cheek-bones, the thick lips, and broad facecharacteristic of the Egyptians. Nor was his complexion the same; the coppertint was replaced by an olive pallor, which the rich, pure blood flushedslightly; his eyes, instead of showing black between their lines of antimony,were of a dark blue like the sky of night; his hair, silkier and softer, curledin less crisp undulations, and his shoulders did not exhibit that rigid,transversal line which is the characteristic sign of the race as represented onthe statues of the temples and the frescoes of the tombs.

Toutes ces étrangetés composaient une beauté rare, à laquelle la fille dePétamounoph n’avait pu rester insensible. Depuis le jour où, par hasard, Poërilui était apparu, accoudé à la galerie du pavillon, sa place favorite, lorsqueles travaux de la ferme ne l’occupaient plus, bien des fois elle était revenue,sous prétexte de promenade, et avait fait passer son char sous le balcon de lavilla.

Mais, bien qu’elle eût revêtu ses plus fines tuniques, mis à son col sesplus précieux gorgerins, cerclé ses poignets de ses bracelets les plusprécieusem*nt ciselés, couronné sa tête des plus fraîches fleurs de lotus,allongé jusqu’aux tempes la ligne noire de ses yeux, avivé sa joue de fard,jamais Poëri n’avait semblé y faire attention. Pourtant Tahoser était bienbelle, et l’amour qu’ignorait ou dédaignait le mélancolique habitant de lavilla, Pharaon l’eût acheté bien cher; pour la fille du prêtre, il eûtdonné Twéa, Taïa, Amensé, Hont-Reché, ses captives asiatiques, ses vasesd’argent et d’or, ses hausse-cols de pierres coloriées, ses chars de guerre,son armée invincible, son sceptre, tout, jusqu’à son tombeau auquel depuis lecommencement de son règne, travaillaient dans l’ombre des milliersd’ouvriers!

All these characteristics went to form a remarkable beauty, whichPetamounoph's daughter had been unable to resist. Since the day when Poëri hadby chance appeared to her, leaning upon the gallery of the building—which washis favourite place when he was not busy with the farm work—she had returnedmany times under pretext of driving, and had made her chariot pass under thebalcony of the villa; but although she had put on her handsomest tunics,fastened around her neck her richest necklaces and encircled her wrists withher most wondrously chased bracelets, wreathed her hair with the freshestlotus-flowers, drawn to the temples the black line of her eyes, and brightenedher cheeks with rouge, Poëri had never seemed to pay the smallest attention toher.

And yet Tahoser was rarely beautiful, and the love which the pensive tenantof the villa disdained, the Pharaoh would willingly have purchased at a greatprice. In exchange for the priest's daughter he would have given Twea, Taïa,Amense, Hont-Reché, his Asiatic captives, his vases of gold and silver, hisnecklaces of gems, his war chariots, his invincible army, his sceptre,—all, ina word, even his tomb, on which since the beginning of his reign had beenworking in the darkness thousands upon thousands of workmen.

L’amour n’est pas le même sous les chaudes régions qu’embrase un vent de feuqu’aux rives hyperborées d’où le calme descend du ciel avec les frimas;ce n’est pas du sang, mais de la flamme qui circule dans les veines:aussi Tahoser languissait-elle et défaillait-elle, quoiqu’elle respirât desparfums, s’entourât de fleurs et bût les breuvages qui font oublier. La musiquel’ennuyait ou développait outre mesure sa sensibilité; elle ne prenaitplus aucun plaisir aux danses de ses compagnes; la nuit, le sommeilfuyait ses paupières, et, haletante, étouffée, la poitrine gonflée de soupirs,elle quittait sa couche somptueuse, et s’étendait sur les larges dalles,appuyant sa gorge au dur granit comme pour en aspirer la fraîcheur.

Love is not the same in the hot regions swept by a fiery wind as on the icyshores where calm descends from heaven with the cold; it is not blood but firethat flows in the veins. So Tahoser languished and fainted, though she breathedperfumes, surrounded herself with flowers, and drank draughts that bringforgetfulness. Music wearied her or overexcited her feelings; she had ceased totake any pleasure in the dances of her companions; at night, sleep fled fromher eyelids, and breathless, stifling, her breast heaving with sighs, she wouldleave her sumptuous couch and stretch herself out upon the broad slabs of thepavement, pressing her bosom against the hard granite as if she wished tobreathe in its coolness.

La nuit qui suivit la rentrée triomphale du Pharaon, Tahoser se sentit simalheureuse, si incapable de vivre qu’elle ne voulut pas du moins mourir sansavoir tenté un suprême effort.

On the night which followed the triumphal entry of the Pharaoh, Tahoser feltso unhappy and life seemed so empty that she determined not to die withouthaving made at least one last effort.

Elle s’enveloppa d’une draperie d’étoffe commune, ne garda qu’un bracelet debois odorant, tourna une gaze rayée autour de sa tête et, à la première lueurdu jour, sans que Nofré, qui rêvait du bel Ahmosis, l’entendît, elle sortit desa chambre, traversa le jardin, tira les verrous de la porte d’eau, s’avançavers le quai, éveilla un rameur qui dormait au fond de sa nacelle de papyrus,et se fit passer à l’autre rive du fleuve.

She wrapped herself up in a piece of common stuff, kept on but a singlebracelet of odoriferous wood, twisted a piece of striped gauze around her head,and with the first light of the dawn, without being heard by Nofré, who wasdreaming of the handsome Ahmosis, she left her room, crossed the garden, drewthe bolts of the water gate, proceeded to the quay, waked a waterman asleep inhis papyrus boat, and had herself transported to the other bank of thestream.

Chancelante et mettant sa petite main sur son cœur pour en comprimer lesbattements, elle s’avança vers le pavillon de Poëri.

Staggering and pressing her little hand to her heart to still its beating,she drew near Poëri's dwelling.

Il faisait grand jour, et les portes s’ouvraient pour laisser passer lesattelages de bœufs allant au travail et les troupeaux sortant pour lapâture.

It was now broad daylight, and the gates were opening to give passage to theox teams going to work, and to the flocks going forth to pasture.

Tahoser s’agenouilla sur le seuil, porta sa main au-dessus de sa tête avecun geste suppliant; elle était peut-être encore plus belle dans cettehumble attitude, sous ce pauvre accoutrement. Sa poitrine palpitait, des larmescoulaient sur ses joues pâles.

Tahoser knelt on the threshold and placed her hand above her head with asupplicating gesture, more beautiful, perhaps, even in this humble attitude andin her mean dress. Her bosom rose and fell and tears streamed down her palecheeks.

Poëri l’aperçut et la prit pour ce qu’elle était en effet, pour une femmebien malheureuse.

Poëri saw her and took her for what she was, indeed, a most unhappywoman.

«Entre, dit-il, entre sans crainte, la demeure esthospitalière.»

"Enter," said he; "enter without fear. This houseis hospitable."

VI

VI

Tahoser, encouragée par la phrase amicale de Poëri, quitta sa posesuppliante et se releva. Une vive couleur rose avait envahi ses joues tout àl’heure si pâles: la pudeur lui revenait avec l’espoir; ellerougissait de l’action étrange où l’amour la poussait, et, sur ce seuil que sesrêves avaient franchi tant de fois, elle hésita: ses scrupules de vierge,étouffés par la passion, renaissaient en présence de la réalité.

Tahoser, encouraged by the friendly words of Poëri, abandoned hersupplicating attitude and rose. A rich glow flushed her cheek but now so pale;shame came back to her with hope; she blushed at the strange action to whichlove had driven her; she hesitated to pass the threshold which she had crossedso often in her dreams. Her maidenly scruples, stifled for a time by passion,resumed their power in the presence of reality.

Le jeune homme, croyant que la timidité, compagne du malheur, empêchaitseule Tahoser de pénétrer dans la maison, lui dit d’une voix musicale et douceoù perçait un accent étranger:

The young man, thinking that timidity, the companion of misfortune, aloneprevented Tahoser from entering the house, said to her in a soft, musical voicemarked by a foreign accent,—

«Entre, jeune fille, et ne tremble pas ainsi; la demeure estassez vaste pour t’abriter. Si tu es lasse, repose-toi; si tu as soif,mes serviteurs t’apporteront de l’eau pure rafraîchie dans des vases d’argileporeuse; si tu as faim, ils mettront devant toi du pain de froment, desdattes et des figues sèches.»

"Enter, maiden, and do not tremble so. My home is large enough to shelteryou. If you are weary, rest; if you are thirsty, my servants will bring youpure water cooled in porous clay-jars; if you are hungry, they will set beforeyou wheaten bread, dates, and dried figs."

La fille de Pétamounoph, encouragée par ces paroles hospitalières, entradans la maison, qui justifiait l’hiéroglyphe de bienvenue inscrit sur saporte.

Petamounoph's daughter, encouraged by these hospitable words, entered thehouse, which justified the hieroglyph of welcome inscribed upon the gate.

Poëri l’emmena dans la chambre du rez-de-chaussée, dont les muraillesétaient peintes d’une couche de blanc sur laquelle des baguettes vertesterminées par des fleurs de lotus dessinaient des compartiments agréables àl’œil. Une fine natte de joncs tressés, où se mélangeaient diverses couleursformant des symétries, couvrait le plancher; à chaque angle de la pièce,de grosses bottes de fleurs débordaient de longs vases tenus en équilibre pardes socles, et répandaient leurs parfums dans l’ombre fraîche de la chambre.Dans le fond, un canapé bas, dont le bois était orné de feuillages et d’animauxchimériques, étalait les tentations de son large coussin à la fatigue ou à lanonchalance. Deux sièges foncés de roseaux du Nil, et dont le dossier serenversait arc-bouté par des supports, un escabeau de bois creusé en conque,appuyé sur trois pieds, une table oblongue à trois pieds également, bordée d’uncadre d’incrustations, historiée au centre d’uræus, de guirlandes et desymboles d’agriculture, et sur laquelle était posé un vase de lotus roses etbleus, complétaient cet ameublement d’une simplicité et d’une grâce champêtres.

Poëri took her to a room on the ground-floor, the walls of which werepainted with green vertical bands ending in lotus flowers, making the apartmentpleasant to the eye. A fine mat of reeds woven in symmetrical designs coveredthe floor. At each corner of the room great sheaves of flowers filled tallvases, held in place by pedestals, and scattered their perfume through the coolshade of the hall. At the back a low sofa, the wood-work of which wasornamented with foliage and chimerical animals, tempted with its broad bed thefatigued or idle guest. Two chairs, the seats made of Nile reeds, with slopingback, strengthened by stays, a wooden foot-stool cut in the shape of a shelland resting upon three legs, an oblong table, also three-legged, bordered withinlaid work and ornamented in the centre with uræus snakes, wreaths, andagricultural symbols, and on which was placed a vase of rose and bluelotus,—completed the furniture of the room, which was pastoral in itssimplicity and gracefulness.

Poëri s’assit sur le canapé. Tahoser, repliant une jambe sous la cuisse etrelevant un genou, s’accroupit devant le jeune homme, qui fixait sur elle unœil plein d’interrogations bienveillantes.

Poëri sat down on the sofa. Tahoser, bending one leg under her thigh andraising one knee, knelt before the young man who fixed upon her a glance fullof kindly questioning.

Elle était ravissante ainsi: le voile de gaze dont elle s’enveloppait,retombant en arrière, découvrait les masses opulentes de sa chevelure nouéed’une étroite bandelette blanche, et permettait de voir en plein sa physionomiedouce, charmante et triste. Sa tunique sans manches montrait jusqu’à l’épauleses bras élégants et leur laissait toute liberté de gesticulation.

She was most lovely in that attitude. The gauze veil in which she wasenveloped exhibited, as it fell back, the rich mass of her hair bound with anarrow white ribbon, and revealed her gentle, sweet, sad face. Her sleevelesstunic showed her lovely arms bare to the shoulder and left them free.

«Je me nomme Poëri, dit le jeune homme, et je suis intendant des biensde la couronne, ayant droit de porter dans ma coiffure de cérémonie les cornesde bélier dorées.

"I am called Poëri," said the young man; "I am steward of the royal estates,and have the right to wear the gilded ram's-horns on my state head-dress."

— Je me nomme Hora, répondit Tahoser, qui d’avance avait arrangé sa petitefable; mes parents sont morts, et leurs biens vendus par les créanciersn’ont laissé que juste de quoi subvenir à leurs funérailles. Je suis doncrestée seule et sans ressource; mais, puisque tu veux bien m’accueillir,je saurai reconnaître ton hospitalité: j’ai été instruite aux ouvrages defemmes, quoique ma condition ne m’obligeât pas à les exercer. Je sais tournerle fuseau, tisser la toile en y mêlant des fils de diverses couleurs, imiterles fleurs et tracer des ornements avec l’aiguille sur les étoffes; jepourrai même, lorsque tu seras las de tes travaux et que la chaleur du jourt’accablera, te réjouir avec le chant, la harpe ou la mandore.

"And I am called Hora," replied Tahoser, who had arranged her little storybeforehand. "My parents are dead, their goods were sold by their creditors,leaving me just enough to pay for their burial; so I have been left alone andwithout means. But since you are kind enough to receive me, I shall repay youfor your hospitality. I have been taught the work of women, although mycondition did not oblige me to perform it. I can spin and weave linen withthread of various colours; I can imitate flowers and embroider ornaments onstuffs; I can even, when you are tired by your work and overcome by the heat ofthe day, delight you with song, harp, or lute."

— Hora, sois la bienvenue chez Poëri, dit le jeune homme. Tu trouveras ici,sans briser tes forces, car tu sembles délicate, une occupation convenable pourune jeune fille qui connut des temps plus prospères. Il y a parmi mes servantesdes filles très-douces et très-sages qui te seront d’agréables compagnes, etqui te montreront comment la vie est réglée dans cette habitation champêtre. Enattendant, les jours succéderont aux jours, et il en viendra peut-être demeilleurs pour toi. Sinon, tu pourras doucement vieillir chez moi dansl’abondance et la paix: l’hôte que les dieux envoient est sacré.»

"Hora, you are welcome to my dwelling," said the young man. "You will findhere, without taxing your strength,—for you seem to me to bedelicate,—occupation suitable for a maiden who has known better days; among mymaids are gentle and good girls who will be pleasant companions for you, andwho will show you how we live in this pastoral home. So the days will pass,and perhaps brighter ones will dawn for you. If not, you can quietly grow oldin my home in the midst of abundance and peace. The guest whom the gods send issacred."

Ces paroles prononcées, Poëri se leva comme pour se soustraire auxremerciements de la fausse Hora, qui s’était prosternée à ses pieds et lesbaisait comme font les malheureux à qui l’on vient d’accorder quelquegrâce; mais l’amoureuse avait remplacé la suppliante, et ses fraîcheslèvres roses se détachaient avec peine de ces beaux pieds purs et blancs commeles pieds de jaspe des divinités.

Having said these words, Poëri arose, as if to avoid the thanks of thesupposed Hora, who had prostrated herself at his feet and was kissing them, asdo wretches who have just been granted a favour; but the lover in her had takenthe place of the suppliant, and her ripe, rosy lips found it hard to leavethose beautiful, clean, white feet that resembled the jasper feet of thegods.

Avant de sortir pour aller surveiller les travaux du domaine, Poëri seretourna sur le seuil de l’appartement et dit à Hora:

Before going out to superintend the work of the farm, Poëri turned around onthe threshold of the room and said,—

«Reste ici jusqu’à ce que je t’aie désigné une chambre. Je vaist’envoyer de la nourriture par un de mes serviteurs.»

"Hora, remain here until I have appointed a room for you. I shall send yousome food by one of my servants."

Et il s’éloigna d’un pas tranquille, balançant à son poignet le fouet ducommandement. Les travailleurs le saluaient en mettant une main sur leur têteet l’autre près de terre; mais à la cordialité de leur salut on voyaitque c’était un bon maître. Quelquefois il s’arrêtait, donnant un ordre ou unconseil, car il était très savant aux choses de l’agriculture et dujardinage; puis il reprenait sa marche, jetant les yeux à droite, àgauche, inspectant soigneusem*nt tout. Tahoser, qui l’avait humblementaccompagné jusqu’à la porte et s’était pelotonnée sur le seuil, le coude augenou, le menton dans la paume de la main, le suivit du regard jusqu’à ce qu’ilse perdît sous les arceaux de feuillage. Depuis longtemps déjà il avait disparupar la porte des champs, qu’elle le regardait encore.

And he walked away quietly, the whip which marked his rank hanging from hiswrist. The workmen saluted him, placing one hand on their head and the other tothe ground, but by the cordiality of their salute it was easily seen that hewas a kind master. Sometimes he stopped to give an order or a piece of advice,for he was greatly skilled in matters of agriculture and gardening. Then heresumed his walk, looking to the right and left and carefully inspectingeverything. Tahoser, who had humbly accompanied him to the door, and hadcrouched on the threshold, her elbow on her knee and her chin on the palm ofher hand, followed him with her glance until he disappeared under the leafyarches. She kept on looking long after he had passed out by the gate into thefields.

Un serviteur, d’après l’ordre donné en passant par Poëri, apporta sur unplateau une cuisse d’oie, des oignons cuits sous la cendre, un pain de fromentet des figues, ainsi qu’un vase d’eau bouché par des feuilles de myrte.

A servant, in accordance with an order which Poëri had given when he wentout, brought on a tray a goose-leg, onions baked in the ashes, wheaten breadand figs, and a jar of water closed with myrtle flowers.

«Voici ce que le maître t’envoie; mange, jeune fille, etreprends des forces.»

"The master sends you this. Eat, maiden, and regain your strength."

Tahoser n’avait pas grand’faim, mais il était dans son rôle de montrer del’appétit: les malheureux doivent se jeter sur les mets que la pitié leurprésente. Elle mangea donc et but un long trait d’eau fraîche.

Tahoser was not very hungry, but her part required that she should exhibitsome appetite; the poor must necessarily devour the food which pity throwsthem. So she ate, and drank a long draught of the cool water.

Le serviteur s’étant éloigné, elle reprit sa pose contemplative. Millepensées contraires roulaient dans sa jeune tête: tantôt, avec sa pudeurde vierge, elle se repentait de sa démarche; tantôt, avec sa passiond’amoureuse, elle s’applaudissait de son audace. Puis elle se disait:«Me voilà, il est vrai, sous le toit de Poëri, je le verrai librement,tous les jours; je m’enivrerai silencieusem*nt de sa beauté, qui est d’undieu plus que d’un homme; j’entendrai sa voix charmante, pareille à unemusique de l’âme: mais lui, qui n’a jamais fait attention à moi lorsqueje passais sous son pavillon, couverte de mes habits aux couleurs brillantes,parée de mes plus fins joyaux, parfumée d’essences et de fleurs, montée sur monchar peint et doré que surmonte une ombrelle, entourée comme une reine d’uncortège de serviteurs, remarquera-t-il davantage la pauvre jeune fillesuppliante accueillie par pitié et couverte d’étoffes communes?

«Ce que mon luxe n’a pu faire, ma misère le fera-t-elle?Peut-être, après tout, suis-je laide, et Nofré est-elle une flatteuselorsqu’elle prétend que, de la source inconnue du Nil jusqu’à l’endroit où ilse jette dans la mer, il n’y a pas de plus belle fille que sa maîtresse… Non,je suis belle: les yeux ardents des hommes me l’ont dit mille fois, etsurtout les airs dépités et les petites moues dédaigneuses des femmes quipassaient près de moi. Poëri, qui m’a inspiré une si folle passion,m’aimera-t-il jamais? Il eût reçu tout aussi bien une vieille femme aufront coupé de rides, à la poitrine décharnée, empaquetée de hideux haillons etles pieds gris de poussière. Tout autre que lui aurait reconnu à l’instant,sous le déguisem*nt d’Hora, Tahoser, la fille du grand prêtrePétamounoph; mais il n’a jamais abaissé son regard sur moi, pas plus quela statue d’un dieu de basalte sur les dévots qui lui offrent des quartiersd’antilope et des bouquets de lotus.»

The servant having gone, she resumed her contemplative attitude. Innumerablecontradictory thoughts filled her mind: sometimes with maidenly shame sherepented the step she had taken; at others, carried away by her passion, sheexulted in her own audacity. Then she said to herself: "Here I am, it is true,under Poëri's roof; I shall see him freely every day; I shall silently drink inhis beauty, which is more that of a god than of a man; I shall hear his lovelyvoice, which is like the music of the soul. But will he, who never paid anyattention to me when I passed by his home dressed in my most brilliantgarments, adorned with my richest gems, perfumed with scents and flowers,mounted on my painted and gilded car surmounted by a sunshade, and surroundedlike a queen with a retinue of servants,—will he pay more attention to the poorsuppliant maiden whom he has received through pity and who is dressed in meanstuff? Will my wretchedness accomplish what my wealth could not do? It may be,after all, that I am ugly, and that Nofré flatters me when she maintains thatfrom the unknown sources of the Nile to the place where it casts itself intothe sea there is no lovelier maid than her mistress. Yet no,—I am beautiful;the blazing eyes of men have told me so a thousand times, and especially havethe annoyed airs and the disdainful pouts of the women who passed by meconfirmed it. Will Poëri, who has inspired me with such mad passion, never loveme? He would have received just as kindly an old, wrinkled woman with witheredbreasts, clothed in hideous rags, and with feet grimy with dust. Any one but hewould at once have recognised, under the disguise of Hora, Tahoser the daughterof the high-priest Petamounoph; but he never cast his eyes upon me any morethan does the basalt statue of a god upon the devotees who offer up to itquarters of antelope and baskets of lotus."

Ces réflexions abattaient le courage de Tahoser; puis elle reprenaitconfiance et se disait que sa beauté, sa jeunesse, son amour finiraient bienpar attendrir ce cœur insensible: elle serait si douce, si attentive, sidévouée, elle mettrait tant d’art et de coquetterie à sa pauvre toilette quecertainement Poëri n’y résisterait pas. Alors elle se promettait de luidécouvrir que l’humble servante était une fille de haut rang, possédant desesclaves, des terres et des palais, et elle s’arrangeait en rêve, après lafélicité obscure, une vie de bonheur splendide et rayonnant.

These thoughts cast down the courage of Tahoser. Then she regainedconfidence, and said to herself that her beauty, her youth, her love wouldsurely at last move that insensible heart. She would be so sweet, so attentive,so devoted, she would use so much art and coquetry in dressing herself, thatcertainly Poëri would not be able to resist. Then she promised herself toreveal to him that the humble servant-maid was a girl of high rank, possessingslaves, estates, and palaces, and she foresaw, in her imagination, a life ofsplendid and radiant happiness following upon a period of obscure felicity.

«D’abord soyons belle», dit-elle en se levant et en se dirigeantvers une des pièces d’eau.

"First and foremost, let me make myself beautiful," she said, as she roseand walked towards one of the pools.

Arrivée là, elle s’agenouilla sur la margelle de pierre, lava son visage,son col et ses épaules; l’eau agitée, dans son miroir brisé en millemorceaux, lui montrait son image confuse et tremblante, qui lui souriait commeà travers une gaze verte, et les petit* poissons, voyant son ombre et croyantqu’on allait leur jeter quelques miettes, s’approchaient du bord entroupes.

On reaching it, she knelt upon the stone margin, washed her face, her neck,and her shoulders. The disturbed water showed her in its mirror, broken byinnumerable ripples, her vague, trembling image which smiled up to her asthrough green gauze; and the little fishes, seeing her shadow and thinking thatcrumbs of bread were about to be thrown to them, drew near the edge inshoals.

Elle cueillit deux ou trois fleurs de lotus qui s’épanouissaient à lasurface du bassin, en tortilla la tige autour de la bandelette de ses cheveux,et se composa une coiffure que tout l’art de Nofré n’eût pas égalée en vidantles coffres à bijoux.

She gathered two or three lotus flowers which bloomed on the surface of thepool, twisted their stems around the band that held in her hair, and made thusa head-dress which all the skill of Nofré could never have equalled, even hadshe emptied her mistress's jewel-caskets.

Quand elle eut fini et qu’elle se releva fraîche et radieuse, un ibisfamilier, qui l’avait gravement regardée faire, se haussa sur ses longuespattes, tendit son long col, et battit deux ou trois fois des ailes comme pourl’applaudir.

When she had finished and rose refreshed and radiant, a tame ibis, which hadgravely watched her, drew itself up on its two long legs, stretched out itslong neck, and flapped its wings two or three times as if to applaud her.

Sa toilette achevée, Tahoser revint prendre sa place sur la porte dupavillon en attendant Poëri. Le ciel était d’un bleu profond; la lumièrefrissonnait en ondes visibles dans l’air transparent; des arômesenivrants se dégageaient des fleurs et des plantes; les oiseauxsautillaient à travers les rameaux, picorant quelques baies; lespapillons se poursuivaient et dansaient sur leurs ailes. À ce riant spectaclese mêlait celui de l’activité humaine, qui l’égayait encore en lui prêtant uneâme. Les jardiniers allaient et venaient; des serviteurs rentraient,chargés de bottes d’herbes et de paquets de légumes; d’autres, debout aupied des figuiers, recevaient dans des corbeilles les fruits que leur jetaientdes singes dressés à la cueillette et juchés sur les hautes branches.

Having finished her toilet, Tahoser resumed her place at the door of thehouse and waited for Poëri. The heavens were of a deep blue; the lightshimmered in visible waves through the transparent air; intoxicating perfumesrose from the flowers and the plants; the birds hopped amid the branches,pecking at the berries; the fluttering butterflies chased one another. Thischarming spectacle was rendered yet more bright by human activity, whichenlivened it by the communication of a soul. The gardeners came and went, theservants returned laden with panniers of grass or vegetables; others, standingat the foot of the fig trees, caught in baskets the fruits thrown to them bymonkeys trained to pluck them and perched on the highest branches.

Tahoser contemplait avec ravissem*nt cette fraîche nature, dont la paixgagnait son âme et elle se dit: «Oh! qu’il serait doux d’êtreaimée ici, dans la lumière, les parfums et les fleurs!»

Tahoser contemplated with delight this beautiful landscape, the peacefulnessof which was filling her soul, and she said to herself, "How sweet it would beto be beloved here, amid the light, the scents, and the flowers."

Poëri reparut; il avait terminé son inspection, et il se retira danssa chambre pour laisser passer les heures brûlantes du jour. Tahoser le suivittimidement, se tint près de la porte, prête à sortir au moindre geste;mais Poëri lui fit signe de rester.

Poëri returned. He had finished his tour of inspection, and withdrew to hisroom to spend the burning hours of the day. Tahoser followed him timidly, andstood near the door, ready to leave at the slightest gesture, but Poëri signedto her to remain.

Elle s’avança de quelques pas et s’agenouilla sur la natte.

She came forward timidly and knelt upon the mat.

«Tu m’as dit, Hora, que tu savais jouer de la mandore; prendscet instrument accroché au mur; fais résonner les cordes et chante-moiquelque ancien air bien doux, bien tendre et bien lent. Le sommeil est plein debeaux rêves qui vient bercé par la musique.»

"You tell me, Hora, that you can play the lute. Take that instrumenthanging upon the wall, strike its cords and sing me some old air, very sweet,very tender, and very slow. The sleep which comes to one cradled by music isfull of lovely dreams."

La fille du prêtre décrocha la mandore, s’approcha du lit de repos surlequel Poëri s’était étendu, appuyant la tête au chevet de bois creusé endemi-lune, allongea son bras jusqu’au bout du manche de l’instrument, dont ellepressait la caisse sur son cœur ému, laissa errer sa main le long des cordes,et en tira quelques accords. Puis elle chanta d’une voix juste, quoiqu’un peutremblante, un vieil air égyptien, vague soupir des aïeux transmis degénération en génération, où revenait toujours une même phrase d’une monotoniepénétrante et douce.

The priest's daughter took down the mandore, drew near the couch on whichPoëri was stretched, leaned the head of the lute against the wooden bed-headhollowed out in the shape of a half-moon, stretched her arm to the end of thehandle of the instrument, the body of which was pressed against her beatingheart, let her hand flutter along the strings, and struck a few chords. Thenshe sang in a true, though somewhat trembling voice, an old Egyptian air, thevague sigh breathed by the ancestors and transmitted from generation togeneration, and in which recurred constantly one and the same phrase of a sweetand penetrating monotony.

«En effet, dit Poëri, en tournant ses prunelles d’un bleu sombre versla jeune fille, tu ne m’avais pas trompé. Tu connais les rhythmes comme unemusicienne de profession, et tu pourrais exercer ton art dans le palais desrois. Mais tu donnes à ton chant une expression nouvelle. Cet air que turécites, on dirait que tu l’inventes, et tu lui prêtes un charme magique. Taphysionomie n’est plus ce qu’elle était ce matin; une autre femme sembleapparaître à travers toi comme une lumière derrière un voile. Quies-tu?

"In very truth," said Poëri, turning his dark blue eyes upon the maid, "youknow rhythm as does a professional musician, and you might practise your art inthe palaces of kings. But you give to your song a new expression; the air youare singing, one would think you are inventing it, and you impart to it amagical charm. Your voice is no longer that of mourning; another woman seems toshine through you as the light shines from behind a veil. Who are you?"

— Je suis Hora, répondit Tahoser; ne t’ai-je pas déjà raconté monhistoire? Seulement j’ai essuyé de mon visage la poussière de la route,rajusté les plis de ma robe fripée, et mis un brin de fleur dans mes cheveux.Si je suis pauvre, ce n’est pas une raison pour être laide, et les dieuxparfois refusent la beauté aux riches. Mais te plaît-il que jecontinue?

"I am Hora," replied Tahoser. "Have I not already told you my story? Only, Ihave washed from my face the dust of the road, I have smoothed out the folds inmy crushed gown and put a flower in my hair. If I am poor, that is no reasonwhy I should be ugly, and the gods sometimes refuse beauty to the rich. Butdoes it please you that I should go on?"

— Oui! répète cet air qui me fascine, m’engourdit et m’ôte la mémoirecomme ferait une coupe de népenthès; répète-le, jusqu’à ce que le sommeildescende avec l’oubli sur mes paupières.»

"Yes. Repeat that air; it fascinates, benumbs me, it takes away my memorylike a cup of nepenthe. Repeat it until sleep and forgetfulness fall upon myeyelids."

Les yeux de Poëri, fixés d’abord sur Tahoser, se fermèrent bientôt à demi,puis tout à fait. La jeune fille continuait à faire bourdonner les cordes de lamandore, et répétait d’une voix de plus en plus basse le refrain de sa chanson.Poëri dormait; elle s’arrêta, et se mit à l’éventer avec un éventail defeuilles de palmier jeté sur la table.

Poëri's eyes, fixed at first upon Tahoser, soon were half-closed, and thencompletely so. The maiden continued to strike the strings of the mandore, andsang more and more softly the refrain of her song. Poëri slept. She stopped andfanned him with a palm-leaf fan thrown on the table.

Poëri était beau, et le sommeil donnait à ses traits purs une ineffableexpression de langueur et de tendresse; ses longs cils abaissés sur sesjoues semblaient lui voiler quelque vision céleste, et ses belles lèvres rougesà demi ouvertes frémissaient, comme si elles eussent adressé de muettes parolesà un être invisible.

Poëri was handsome, and sleep imparted to his pure features an indescribableexpression of languor and tenderness. His long eyelashes falling upon hischeeks seemed to conceal from him a celestial vision, and his beautiful, red,half-open lips trembled as if they were speaking mute words to an invisiblebeing.

Après une longue contemplation, enhardie par le silence et la solitude,Tahoser, éperdue, se pencha sur le front du dormeur, retenant son souffle,pressant son cœur de sa main, et y posa un baiser peureux, furtif, ailé;puis elle se releva toute honteuse et toute rougissante.

After a long contemplation, emboldened by silence and solitude, Tahoser,forgetting herself, bent over the sleeper's brow, kept back her breath, pressedher heart with her hand, and placed a timid, furtive, winged kiss upon it.Then she drew back ashamed and blushing.

Le dormeur avait senti vaguement, à travers son rêve, les lèvres deTahoser; il poussa un soupir et dit en hébreu: «Ô Ra’hel,bien-aimée Ra’hel!»

The sleeper had faintly felt in his dream Tahoser's lips; he uttered a sighand said in Hebrew, "Oh, Ra'hel, beloved Ra'hel!"

Heureusem*nt, ces mots d’une langue inconnue ne présentaient aucun sens à lafille de Pétamounoph; et elle reprit l’éventail de feuilles de palmier,espérant et craignant que Poëri se réveillât.

Fortunately these words of an unknown tongue conveyed no meaning to Tahoser,and she again took up the palm-leaf fan, hoping yet fearing that Poëri wouldawake.

VII

VII

Lorsque le jour parut, Nofré, qui couchait sur un petit lit aux pieds de samaîtresse, fut surprise de ne pas entendre Tahoser l’appeler comme d’habitudeen frappant ses mains l’une contre l’autre. Elle se souleva sur son coude etvit que le lit était vide. Cependant les premiers rayons du soleil, atteignantla frise du portique, commençaient seulement à jeter sur le mur l’ombre deschapiteaux et le haut du fût des colonnes. Tahoser ordinairement n’était pas simatinale, et elle ne quittait guère sa couche sans l’aide de ses femmes;jamais non plus elle ne sortait qu’après avoir fait réparer dans sa coiffure ledésordre de la nuit et verser sur son beau corps des affusions d’eau parfuméequ’elle recevait à genoux, les bras repliés devant sa poitrine.

When day dawned, Nofré, who slept on a cot at her mistress's feet, wassurprised at not hearing Tahoser call her as usual by clapping her hands. Sherose on her elbow and saw that the bed was empty; yet the first beams of thesun, striking the frieze of the portico, were only now beginning to cast on thewall the shadow of the capitals and of the upper part of the shafts of thepillars. Usually Tahoser was not an early riser, and she rarely rose withoutthe assistance of her women. Neither did she ever go out until after her hairhad been dressed, and perfumed water had been poured over her lovely body,while she knelt, her hands crossed upon her bosom.

Nofré, inquiète, jeta sur elle une chemise transparente, plaça ses piedsdans des sandales en fibres de palmier, et se mit à la recherche de samaîtresse.

Nofré, feeling uneasy, put on a transparent gown, slipped her feet intosandals of palm fibre, and set out in search of her mistress.

Elle la chercha d’abord sous les portiques des deux cours, pensant que, nepouvant dormir, Tahoser était peut-être allée respirer la fraîcheur de l’aubele long de ces promenoirs intérieurs.

Tahoser n’y était pas.

She looked for her first under the portico of the two courts, thinking that,unable to sleep, Tahoser had perhaps gone to enjoy the coolness of dawn in theinner cloisters; but she was not there.

«Visitons le jardin, se dit Nofré; elle aura peut-être eu lafantaisie de voir briller la rosée nocturne sur les feuilles des plantes etd’assister une fois au réveil des fleurs.»

"Let me visit the garden," said Nofré to herself; "perhaps she took a fancyto see the night dew sparkle on the leaves of the plants and to watch for oncethe awakening of the flowers."

Le jardin, battu en tous sens, ne contenait que la solitude. Allées,tonnelles, berceaux, bosquets, Nofré interrogea tout sans succès. Elle entradans le kiosque situé au bout de la treille; point de Tahoser. Ellecourut à la pièce d’eau où sa maîtresse pouvait avoir eu le caprice de sebaigner, comme elle le faisait quelquefois avec ses compagnes, sur l’escalierde granit descendant du bord du bassin jusqu’à un fond de sable tamisé. Leslarges feuilles de nymphæas flottaient à la surface et ne paraissaient pasavoir été dérangées; les canards plongeant leurs cols d’azur dans l’eautranquille y faisaient seuls des rides, et ils saluèrent Nofré de leurs crisjoyeux.

Although she traversed the garden in every direction, she found itabsolutely untenanted. Nofré looked along every walk, under every arbour, underevery arch, into every grove, but unsuccessfully. She entered the kiosk at theend of the arbour, but she did not find Tahoser; she hastened to the pond, inwhich her mistress might have taken a fancy to bathe, as she sometimes did withher companions, upon the granite steps which led from the edge of the basin tothe bottom of fine sand. The broad nymphœa-leaves floated on the surface, anddid not appear to have been disturbed; the ducks, plunging their blue necksinto the calm water, alone rippled it, and they saluted Nofré with joyouscries.

La fidèle suivante commençait à s’alarmer sérieusem*nt; elle donnal’éveil à toute la maison; les esclaves et les servantes sortirent deleurs cellules et, mis au fait par Nofré de l’étrange disparition de Tahoser,se livrèrent aux perquisitions les plus minutieuses; ils montèrent surles terrasses, fouillèrent chaque chambre, chaque réduit, tous les endroits oùelle pouvait être. Nofré, dans son trouble, alla jusqu’à ouvrir les coffres àserrer les robes, les écrins qui renfermaient les bijoux, comme si ces boîteseussent pu contenir sa maîtresse.

The faithful maid began to feel seriously alarmed; she roused the wholehousehold. The slaves and the maids emerged from their cells, and informed byNofré of the strange disappearance of Tahoser, proceeded to make most minutesearch. They ascended the terraces, rummaged every room, every corner, everyplace where she might possibly be. Nofré, in her agitation, even opened theboxes containing the dresses and the caskets holding the jewels, as if theycould possibly have held her mistress.

Tahoser n’était décidément pas dans la maison.

Unquestionably Tahoser was not within the dwelling.

Un vieux serviteur d’une prudence consommée eut l’idée d’inspecter le sabledes allées et d’y chercher les empreintes de sa jeune maîtresse; leslourds verrous de la porte de ville étaient à leur place et faisaient repousserla supposition que Tahoser fût sortie de ce côté. Il est vrai que Nofré avaitparcouru étourdiment tous les sentiers, y marquant la trace de sessandales; mais, en se penchant vers le sol, le vieux Souhem ne tarda pasà reconnaître, parmi les pas de Nofré, une légère dépression qui dessinait unesemelle étroite, mignonne, appartenant à un pied beaucoup plus petit que lepied de la suivante. Il suivit cette trace, qui le mena, en passant sous latonnelle, du pylône de la cour à la porte d’eau. Les verrous, comme il en fitla remarque à Nofré, avaient été tirés, et les battants ne joignaient que parleur poids; donc la fille de Pétamounoph s’était envolée par là.

An old and consummately prudent servant bethought himself of examining thesand of the walks in search of the footprints of his young mistress. The heavybolts of the gate leading into the city were in place, and this proved thatTahoser had not gone out that way. It is true that Nofré had carelesslytraversed every path, marking them with her sandals, but by bending close tothe ground, old Souhem speedily noticed among Nofré's footprints a slightimprint made by a narrow, dainty sole belonging to a much smaller foot than themaid's. He followed this track, which led him, passing under the arbour, fromthe pylon in the court to the water gate. The bolts, as he pointed out toNofré, had been drawn, and the two leaves of the door were held merely by theirweight; therefore Petamounoph's daughter had gone out that way.

Plus loin la trace se perdait. Le quai de briques n’avait gardé aucuneempreinte. Le batelier qui avait passé Tahoser n’était pas revenu à sa station.Les autres dormaient, et, interrogés, répondirent qu’ils n’avaient rien vu. Unseul dit qu’une femme, pauvrement vêtue et semblant appartenir à la dernièreclasse du peuple, s’était rendue de grand matin de l’autre côté du fleuve, auquartier des Memnonia, sans doute pour accomplir quelque rite funèbre.

Farther on the track was lost; the brick quay had preserved no trace; theboatman who had carried Tahoser across had not returned to his station; theothers were asleep, and when questioned replied that they had seen nothing.One, however, did report that a woman, poorly dressed and belonging apparentlyto the lowest class, had been ferried over early to the other side of the riverto the Memnonia quarter, no doubt to carry out some funeral rite.

Ce signalement, qui ne se rapportait en aucune façon à l’élégante Tahoser,dérouta complètement les idées de Nofré et de Souhem.

This description, which in no way tallied with the elegant Tahoser,completely upset the suppositions of Nofré and Souhem.

Ils rentrèrent dans la maison, tristes et désappointés. Les serviteurs etles servantes s’assirent à terre dans des attitudes de désolation, laissantpendre une de leurs mains la paume tournée vers le ciel et mettant l’autre surleur tête, et tous s’écrièrent comme un chœur plaintif:«Malheur! malheur! malheur! la maîtresse estpartie!»

They returned to the house sad and disappointed. The men and women servantssat down on the ground in desolate attitudes, letting one of their hands hangdown, its palm turned up, and placing the other on their head, all of themcalling together in plaintive chorus, "Woe! woe! woe! Our mistress isgone!"

— Par Oms, chien des enfers! je la retrouverai, dit le vieux Souhem,dussé-je pénétrer vivant jusqu’au fond de la région occidentale vers laquellevoyagent les morts. C’était une bonne maîtresse; elle nous donnait lanourriture en abondance, n’exigeait pas de nous des travaux excessifs, et nenous faisait battre qu’avec justice et modération. Son pied n’était pas lourd ànos nuques inclinées, et chez elle l’esclave pouvait se croire libre.

"By Oms, the dog of the lower regions, I shall find her," said old Souhem,"even if I have to walk living to the very confines of the Western Region towhich travel the dead. She was a kind mistress; she gave us food in abundance,did not exact excessive labour, and caused us to be beaten only when wedeserved it and in moderation. Her foot was not heavy on our bowed necks, andin her home a slave might believe himself free."

«Malheur! malheur! malheur! répétèrent hommes etfemmes en se jetant de la poussière sur la tête.

"Woe! woe! woe!" repeated the men and women as they cast dust upon theirheads.

— Hélas! chère maîtresse, qui sait où tu es maintenant? dit lafidèle suivante, laissant couler ses larmes. Peut-être un magicien t’a faitsortir de ton palais par quelque conjuration irrésistible, pour accomplir surtoi un odieux maléfice; il lacérera ton beau corps, en retirera le cœurpar une incision, comme un paraschiste, jettera tes restes à la voracité descrocodiles, et ton âme mutilée ne retrouvera au jour de la réunion que deslambeaux informes. Tu n’iras pas rejoindre au fond des syringes, dont lecolchyte garde le plan, la momie peinte et dorée de ton père, le grand prêtrePétamounoph, dans la chambre funèbre creusée pour toi!

"Alas! dear mistress, who knows where you are now?" said her faithful maid,whose tears were flowing. "Perchance some enchanter compelled you to leave yourpalace through a spell in order to work his odious will on you. He willlacerate your fair body, will draw your heart out through a cut like that madeby the dissectors, will throw your remains to the ferocious crocodiles, and onthe day of reunion your mutilated soul will find shapeless remains only. Youwill not go to join, at the end of the passages of which the undertaker keepsthe plan, the painted and gilded mummy of your father, the high-priestPetamounoph, in the funeral chamber which has been cut out for you."

— Calme-toi, Nofré, dit le vieux Souhem, ne nous désespérons pas tropd’avance; il se peut que Tahoser rentre bientôt. Elle a cédé sans doute àquelque fantaisie qui nous est inconnue, et tout à l’heure nous allons la voirreparaître gaie et souriante, tenant des fleurs d’eau dans ses mains.»

"Calm yourself, Nofré," said old Souhem; "let us not despair too soon. Itmay be that Tahoser will soon return. She has no doubt yielded to some fancywhich we cannot guess, and presently we shall see her come back, gay andsmiling, holding aquatic flowers in her hands."

Passant le coin de sa robe sur ses paupières, la suivante fit un signed’adhésion.

Wiping her eyes with the corner of her dress, the maid nodded assent.

Souhem s’accroupit, ployant ses genoux comme ces images de cynocéphalestaillées vaguement dans un bloc carré de basalte, et, serrant ses tempes entreses paumes sèches, parut réfléchir profondément.

Souhem crouched down, bending his knees like those of the dog-faced figureswhich are roughly carved out of a square block of basalt, and pressing histemples between his dry hands, seemed to reflect deeply.

Sa figure, d’un brun rougeâtre, ses orbites enfoncées, ses mâchoiresproéminentes, ses joues plissées de grandes rides, ses cheveux roides encadrantson masque comme des poils complétaient sa ressemblance avec les dieux à têtesimiesque; ce n’était pas un dieu, certes, mais il avait bien l’air d’unsinge.

His face of a reddish brown, his sunken eyes, his prominent jaws, the deeplywrinkled cheeks, his straight hair framing in his face like bristles, made himaltogether like the monkey-faced gods. He was certainly not a god, but helooked very much like a monkey.

Le résultat de sa méditation, anxieusem*nt attendu par Nofré, futcelui-ci:

«La fille de Pétamounoph est amoureuse.

The result of his meditations, anxiously awaited by Nofré, was thusexpressed: "The daughter of Petamounoph is in love."

— Qui te l’a dit? s’écria Nofré, qui croyait lire seule dans le cœurde sa maîtresse.

"Who told you?" cried Nofré, who thought that she was the only one who couldread her mistress's heart.

— Personne, mais Tahoser est très-belle; elle a vu déjà seize fois lacrue et la retraite du Nil. Seize est le nombre emblématique de la volupté, etdepuis quelque temps elle appelait à des heures étranges ses joueuses de harpe,de mandore et de flûte, comme quelqu’un qui veut calmer le trouble de son cœurpar de la musique.

"No one; but Tahoser is very beautiful; she has already beheld sixteen timesthe rise and fall of the Nile. Sixteen is the number symbolical ofvoluptuousness; and for some time past she has been calling at unaccustomedhours her players on the harp, the lute, and the flute, like one who seeks tocalm the agitation of her heart by music."

— Tu parles très-bien, et la sagesse habite ta vieille tête chauve;mais comment as-tu appris à connaître les femmes, toi qui ne fais que piocherla terre du jardin et porter des vases d’eau sur ton épaule?»

"You speak sensibly, and wisdom dwells in your old bald head. But how haveyou learned to know women,—you who merely dig the earth in the garden and bearjars of water on your shoulders?"

L’esclave élargit ses lèvres dans un sourire silencieux et montra deuxrangées de longues dents blanches capables de broyer des noyaux dedattes; cette grimace voulait dire: «Je n’ai pas toujours étévieux et captif.»

The slave opened his lips with a silent smile and exhibited two rows ofteeth fit to crush date-stones. The grin meant, "I have not always been oldand a captive."

Illuminée par la suggestion de Souhem, Nofré pensa tout de suite au belAhmosis, l’oëris de Pharaon, qui passait si souvent au bas de la terrasse etqui avait si bonne grâce sur son char de guerre au défilé triomphal;comme elle l’aimait elle-même, sans bien s’en rendre compte, elle prêtait sessentiments à sa maîtresse. Elle revêtit une robe moins légère et se rendit à lademeure de l’officier: c’était là, imaginait-elle, que devaitimmanquablement se trouver Tahoser.

Enlightened by Souhem's suggestion, Nofré immediately thought of thehandsome Ahmosis, the oëris of the Pharaoh, who so often passed below theterrace, and who had looked so splendid on his war chariot in the triumphalprocession. As she was in love with him herself, though she was not fully awareof it, she assumed that her mistress shared her feelings. She put on asomewhat heavier dress and repaired to the officer's dwelling. It was there,she fancied, that Tahoser would certainly be found.

Le jeune oëris était assis au fond de sa chambre sur un siège bas. Aux mursse groupaient en trophées différentes armes: la tunique de cuir écailléede plaquettes de bronze où se lisait gravé le cartouche du Pharaon, le poignardd’airain à manche de jade évidé pour laisser passer les doigts, la hache debataille à tranchant de silex, le harpe à lame courbe, le casque à double plumed’autruche, l’arc triangulaire et les flèches empennées de rouge; sur dessocles étaient posés les gorgerins d’honneur, et quelques coffres ouvertsmontraient le butin pris à l’ennemi.

The young officer was seated on a low seat at the end of the room. On thewalls hung trophies of different weapons: the leather tunic covered with bronzeplates on which was engraved the cartouche of the Pharaoh; the brazen poniard,with the jade handle open-worked to allow the fingers to pass through; theflat-edged battle-axe, the falchion with curved blade; the helmet with itsdouble plume of ostrich-feathers; the triangular bow; and the red-featheredarrows. His distinctive necklaces were placed upon pedestals, and open coffersshowed booty taken from the enemy.

Quand il vit Nofré, qu’il connaissait bien et qui se tenait debout sur leseuil, Ahmosis éprouva un vif mouvement de plaisir; ses joues brunes secolorèrent, ses muscles tressaillirent, son cœur palpita. Il crut que Nofré luiapportait quelque message de la part de Tahoser, bien que la fille du prêtren’eût jamais répondu à ses œillades. Mais l’homme à qui les dieux ont fait ledon de la beauté s’imagine aisément que toutes les femmes se prennent d’amourpour lui.

When he saw Nofré, whom he knew well, standing on the threshold, he feltquick pleasure, his brown cheeks flushed, his muscles quivered, his heart beathigh. He thought Nofré brought him a message from Tahoser, although thepriest's daughter had never taken notice of his glances; but the man to whomthe gods have imparted the gift of beauty easily fancies that all women fall inlove with him.

Il se leva et fit quelques pas vers Nofré, dont le regard inquiet scrutaitles recoins de la chambre pour s’assurer de la présence ou de l’absence deTahoser.

He rose and took a few steps towards Nofré, whose anxious glance examinedthe corners of the room to make sure whether Tahoser was there or not.

«Qui t’amène ici, Nofré? dit Ahmosis, voyant que la jeunesuivante, préoccupée de sa recherche, ne rompait pas le silence. Ta maîtresseva bien, je l’espère, car il me semble l’avoir vue hier à l’entrée duPharaon.

"What brings you here, Nofré?" said Ahmosis, seeing that the young maid,full of her search, did not break silence. "Your mistress is well, I hope, forI think I saw her yesterday at the Pharaoh's entry."

— Si ma maîtresse va bien, tu dois le savoir mieux que tout autre, réponditNofré: car elle s’est enfuie de la maison sans confier ses projets àpersonne, et l’asile qu’elle s’est choisi, j’aurais juré par Hâthor que tu leconnaissais.

"You should know whether my mistress is well better than any one else,"replied Nofré; "for she has fled from her home without informing any one of herintentions. I could swear by Hathor that you know the refuge which shechose."

— Elle a disparu! que me dis-tu là? fit Ahmosis avec unesurprise qui certes n’était pas jouée.

"She has disappeared!—what are you talking about?" cried Ahmosis, with asurprise that was unquestionably genuine.

— Je croyais qu’elle t’aimait, dit Nofré, et quelquefois les jeunes fillesles plus retenues font des coups de tête. Elle n’est donc pas ici?

"I thought she loved you," said Nofré, "and sometimes the best-behavedmaidens lose their heads. So she is not here?"

— Le dieu Phré, qui voit tout, sait où elle est; mais aucun de sesrayons terminés par des mains ne l’a atteinte chez moi. Regarde plutôt etvisite les chambres.

"The god Phrah, who sees everything, knows where she is, but not one of hisbeams, which end in hands, has fallen on her within these walls. Look foryourself and visit every room."

— Je te crois, Ahmosis, et je me retire: car, si Tahoser était venue,tu ne le cacherais pas à la fidèle Nofré, qui n’eût pas mieux demandé que deservir vos amours. Tu es beau, elle est libre, riche et vierge. Les dieuxeussent vu cette union avec plaisir.»

"I believe you, Ahmosis, and I must go; for if Tahoser had come, you couldnot conceal it from her faithful Nofré, who would have asked nothing betterthan to serve your loves. You are handsome; she is very rich and a virgin; thegods would have beheld your marriage with pleasure."

Nofré revint à la maison plus inquiète et plus bouleversée que jamais;elle craignait qu’on ne soupçonnât les serviteurs d’avoir tué Tahoser pours’emparer de ses richesses, et qu’on ne voulût leur faire avouer sous le bâtonce qu’ils ne savaient pas.

Nofré returned to the house more anxious and more upset than before. Shefeared that the servants might be suspected of having killed Tahoser in orderto seize on her riches, and that the judges would seek to make them confessunder torture what they did not actually know.

Pharaon, de son côté, pensait aussi à Tahoser. Après avoir fait leslibations et les offrandes exigées par le rituel, il s’était assis dans la courintérieure du gynécée, et rêvait, sans prendre garde aux ébats de ses femmes,qui, nues et couronnées de fleurs, se jouaient dans la transparence de lapiscine, se jetant de l’eau et poussant des éclats de rire grêles et sonorespour attirer l’attention du maître, qui n’avait pas décidé, contre sonhabitude, quelle serait la reine en faveur cette semaine-là.

The Pharaoh, on his part, was also thinking of Tahoser. After having madethe libations and the offerings required by the ritual, he had seated himselfin the inner court of the harem, and was sunk in thought, paying no attentionto the gambols of his women, who, nude and crowned with flowers, weredisporting themselves in the transparent waters of the piscina, splashing eachother and uttering shrill, sonorous bursts of laughter, in order to attract theattention of the master, who had not made up his mind, contrary to his habit,which of them should be the favourite queen that week.

C’était un tableau charmant que ces belles femmes dont les corps sveltesluisaient sous l’eau comme des statues de jaspe submergées, dans ce cadred’arbustes et de fleurs, au milieu de cette cour entourée de colonnes peintesde couleurs éclatantes, à la pure lumière d’un ciel d’azur, que traversait detemps à autre un ibis le bec au vent et les pattes tendues en arrière.

It was a charming picture which these beautiful women presented; in aframework of shrubs and flowers, in the centre of the court, surrounded bycolumns painted in brilliant colours, in the clear light of an azure sky,across which flew from time to time an ibis with outstretched neck and trailinglegs, their shapely bodies shone in the water like submerged statues ofjasper.

Amensé et Twéa, lasses de nager, étaient sorties de l’eau, et, agenouilléesau bord du bassin, étalaient au soleil pour la sécher leur épaisse chevelurenoire, dont les mèches d’ébène faisaient paraître leur peau plus blancheencore; les dernières perles du bain roulaient sur leurs épaules lustréeset sur leurs bras polis comme le jade; des servantes les frottaientd’essences et d’huiles aromatiques, tandis qu’une jeune Éthiopienne leuroffrait à respirer le calice d’une large fleur.

Amense and Twea, weary of swimming, had emerged from the water, and kneelingon the edge of the basin, were spreading out to dry in the sun their thickblack hair, the long locks of which made their white skins seem whiter still. Afew last drops of water ran down their shining shoulders and their armspolished like jade. Maids rubbed them with aromatic oil and essences, while ayoung Ethiopian girl held out the calyx of a large flower so that they mightbreathe its perfume.

On eût dit que l’ouvrier qui avait sculpté les bas-reliefs décoratifs dessalles du gynécée avait pris ces groupes pleins de grâce pour modèles;mais Pharaon n’eût pas regardé d’un œil plus froid le dessin incisé dans lapierre.

It might have been thought that the artist who had carved the decorativebassi-relievi of the rooms in the harem had taken these graceful groupsas models; but the Pharaoh could not have looked with a colder glance at thedesigns cut in the stone.

Juché sur le dossier du fauteuil, le singe privé croquait des dattes etfaisait claquer ses dents; contre les jambes du maître le chat favori sefrottait en arrondissant le dos; le nain difforme tirait la queue dusinge et les moustaches du chat, dont l’un glapissait et l’autre jurait, ce quiordinairement déridait Sa Majesté; mais Sa Majesté n’était pas ce jour-làen train de rire. Elle écarta le chat, fit descendre le singe du fauteuil,donna un coup de poing sur la tête du nain, et se dirigea vers les appartementsde granit.

Perched on the back of his armchair the tame monkey was eating dates andcracking its jaws; against the master's legs the tame cat rubbed itself,arching its back; the deformed dwarf pulled the monkey's tail and the cat'smoustaches, making the one scratch and the other chatter, a performance whichusually caused His Majesty to smile; but His Majesty was not in a smiling moodon that day. He put the cat aside, made the monkey get off the armchair, smotethe dwarf on the head, and walked toward the granite apartments.

Chacune de ces chambres était formée de blocs d’une grandeur prodigieuse, etfermée par des portes de pierre qu’aucune puissance humaine n’eût pu forcer, àmoins de savoir le secret qui les faisait s’ouvrir.

Each of those rooms was formed of blocks of prodigious size, and closed bystone gates which no human power could have forced unless the secret of openingthem were known.

Dans ces chambres étaient enfermés les richesses du Pharaon et le butinenlevé aux nations conquises. Il y avait là des lingots de métaux précieux, descouronnes d’or et d’argent, des gorgerins et des bracelets d’émaux cloisonnés,des boucles d’oreilles reluisant comme le disque de Moui; des colliers àrangs septuples de cornaline, de lapis-lazuli, de jaspe sanguin, de perles,d’agates, de sardoines, d’onyx; des cercles finement travaillés pour lesjambes, des ceintures à plaques d’or gravées d’hiéroglyphes, des bagues àchaton de scarabée; des files de poissons, de crocodiles et de cœurs enestampage d’or, des serpents d’émail se repliant plusieurs fois sureux-mêmes; des vases de bronze, des buires d’albâtre rubané, de verrebleu où se tordaient des spirales blanches; des coffrets de terreémaillée, des boîtes en bois de sandal affectant des formes bizarres etchimériques, des monceaux d’aromates de tous les pays, des blocs d’ébène;des étoffes précieuses si fines que la pièce eût passé par un anneau; desplumes d’autruche noires et blanches, ou coloriées de diverses teintes;des défenses d’éléphant d’une monstrueuse grosseur, des coupes en or, enargent, en verre doré, des statuettes excellentes, tant pour la manière quepour le travail.

Within these halls were kept the riches of the Pharaoh, and the booty takenfrom conquered nations. They held ingots of precious metals, crowns of gold andsilver, neckplates and bracelets of cloisonné enamel, earrings which shone likethe disc of Moui, necklaces of seven rows of cornelian, lapis-lazuli, redjasper, pearls, agates, sardonyx, and onyx; exquisitely chased anklets, belts,with plates engraved with hieroglyphs, rings with scarabæi set in them;quantities of fishes, crocodiles, and hearts stamped out of gold, serpents inenamel twisted on themselves; bronze vases, flagons of wavy alabaster, and ofblue glass on which wound white spirals; coffers of enamelled ware; boxes ofsandal wood of strange and chimerical forms; heaps of aromatic gums from allcountries; blocks of ebony; precious stuffs so fine that a whole piece couldhave been pulled through a ring; white and black ostrich plumes, and otherscoloured in various ways; monstrously huge elephant's-tusks, cups of gold,silver, gilded glass; statues marvellous both as regards the material and theworkmanship.

Dans chaque chambre, le Pharaon fit prendre la charge d’un brancard portépar deux esclaves robustes de Kousch et de Schéto, et, frappant des mains, ilappela Timopht, le serviteur qui avait suivi Tahoser, et lui dit:

«Fais porter cela à Tahoser, fille de Pétamounoph, de la part dePharaon.»

In every room the Pharaoh caused to be taken a litter-load borne by tworobust slaves of Kousch and Scheto, and clapping his hands, he called Timopht,the servant who had followed Tahoser, and said to him, "Have all these thingstaken to Tahoser, the daughter of the high-priest Petamounoph, from thePharaoh."

Timopht se mit en tête du cortège, qui traversa le Nil sur une cange royale,et bientôt les esclaves arrivèrent avec leur charge à la maison de Tahoser.

Timopht placed himself at the head of the procession, which crossed the Nileon a royal barge, and soon the slaves with their load reached Tahoser'shouse.

«Pour Tahoser, de la part de Pharaon», dit Timopht en heurtantla porte.

"For Tahoser, from the Pharaoh," said Timopht, knocking at the door.

À la vue de ces trésors, Nofré manqua de s’évanouir, moitié peur, moitiééblouissem*nt; elle craignait que le roi ne la fit mourir lorsqu’ilapprendrait que la fille du prêtre n’était plus là.

At the sight of those treasures Nofré nearly fainted, half with fear, halfwith amazement. She dreaded lest the King should put her to death on learningthat the priest's daughter was no longer there.

«Tahoser s’en est allée, répondit-elle en tremblant à Timopht, et jele jure par les quatre oies sacrées, Amset, Sis, Soumauts et Kebhsniv, quivolent aux quatre points du vent, j’ignore où elle est.

"Tahoser has gone," said she, tremulously, "and I swear by the four sacredgeese, Amset, Sis, Soumauts, and Kebhsniv, which fly to the four quarters ofthe wind, that I know not where she is."

— Pharaon, préféré de Phré, favori d’Ammon-Ra, a envoyé ces présents, je nepuis les remporter; garde-les jusqu’à ce qu’elle se retrouve. Tu m’enréponds sur ta tête; fais-les serrer dans des chambres et garder par desserviteurs fidèles», répondit l’envoyé du roi.

"The Pharaoh beloved of Phré, favourite of Ammon Ra, has sent these gifts,—Icannot take them back. Keep them until Tahoser is found. You shall answer forthem on your head. Have them put away in rooms and guarded by faithfulservants," replied the envoy of the King.

Quand Timopht revint au palais, et que, prosterné, les coudes serrés auxflancs, le front dans la poussière, il dit que Tahoser était disparue, le roientra en une grande fureur, et il frappa si violemment de son sceptre contre lepavé que la dalle se fendit.

When Timopht returned to the palace and, prostrate, his elbows close to hissides, his brow in the dust, said that Tahoser had vanished, the King becamevery wroth, and he struck the slab of the flooring so fiercely with his sceptrethat the slab was split.

VIII

VIII

Tahoser, il faut le dire, ne pensait guère à Nofré, sa suivante favorite, nià l’inquiétude que devait causer son absence. Cette chère maîtresse avait toutà fait oublié sa belle maison de Thèbes, ses serviteurs et ses parures, chosebien difficile et bien incroyable pour une femme.

Tahoser, nevertheless, scarce bestowed a thought on Nofré, her favouritemaid, or on the anxiety which her absence would necessarily cause. The belovedmistress had completely forgotten her beautiful home in Thebes, her servants,and her ornaments,—a most difficult and incredible thing in a woman.

La fille de Pétamounoph ne se doutait aucunement de l’amour duPharaon: elle n’avait pas remarqué l’œillade chargée de volupté tombéesur elle du haut de cette majesté que rien sur terre ne pouvait émouvoir:l’eût-elle vue, elle eût déposé ce désir royal en offrande, avec toutes lesfleurs de son âme, aux pieds de Poëri.

The daughter of Petamounoph had not the least suspicion of the Pharaoh'slove for her; she had not observed the glance full of desire which had fallenupon her from the heights of that majesty which nothing on earth could move.Had she seen it, she would have deposited the royal love as an offering, withall the flowers of her soul, at the feet of Poëri.

Tout en repoussant de l’orteil son fuseau pour le faire remonter le long dufil, car on lui avait donné cette tâche, elle suivait du coin de l’œil tous lesmouvements du jeune Hébreu et l’enveloppait de son regard comme d’unecaresse; elle jouissait silencieusem*nt du bonheur de rester près de lui,dans le pavillon dont il lui avait permis l’accès.

While driving her spindle with her toe to make it ascend along thethread,—for this was the task which had been set her,—she followed with herglance every motion of the young Hebrew, her looks enveloped him like a caress.She silently enjoyed the happiness of remaining near him in the building towhich he had given her access.

Si Poëri avait tourné la tête vers elle, il eût été frappé sans doute de lalumière humide de ses yeux, des rougeurs subites qui passaient sur ses bellesjoues comme des nuages roses, du battement profond de son cœur qu’on devinaitau tremblement de son sein. Mais, assis à la table, il se penchait sur unefeuille de papyrus où, puisant de l’encre dans une tablette d’albâtre creusée,il inscrivait des comptes en chiffres démotiques à l’aide d’un roseau.

If Poëri had turned towards her, he would no doubt have been struck by themoist brilliancy of her eyes, the sudden blushes which flushed her fair cheeks,the quick beating of her heart which might be guessed by the rising and fallingof her bosom; but seated at a table, he bent over a leaf of papyrus on which,with the help of a reed, taking ink from a hollowed slab of alabaster, heinscribed accounts in demotic numbers.

Poëri comprenait-il l’amour si visible de Tahoser pour lui? ou bien,pour quelque raison cachée, faisait-il semblant de ne pas s’enapercevoir? Ses manières envers elle étaient douces, bienveillantes, maisréservées comme s’il eût voulu prévenir ou refouler quelque aveu importunauquel il lui eût été pénible de répondre. Pourtant la fausse Hora était bienbelle; ses charmes, trahis par la pauvreté de sa toilette, n’en avaientque plus de puissance; et, comme on voit aux heures les plus chaudes dujour une vapeur lumineuse frissonner sur la terre luisante, une atmosphèred’amour frissonnait autour d’elle. Sur ses lèvres entrouvertes, sa passionpalpitait comme un oiseau qui veut prendre son vol; et bas, bien bas,quand elle était sûre de ne pas être entendue, elle répétait comme une monotonecantilène: «Poëri, je t’aime.»

Did Poëri perceive the evident love of Tahoser for him? Or for some secretreason, did he pretend not to perceive it? His manner towards her was gentleand kindly, but reserved, as if he sought to prevent or repel some importunateconfession which it would have given him pain to reply to. And yet the shamHora was very beautiful. Her charms, betrayed by the poverty of her dress, wereall the more beautiful; and just as in the hottest hours of the day a luminousvapour is seen quivering upon the gleaming earth, so did an atmosphere of loveshimmer around her. On her half-open lips her passion fluttered like a birdthat seeks to take its flight; and softly, very softly, when she was sure thatshe would not be heard, she repeated like a monotonous cantilena, "Poëri, Ilove you."

On était au temps de la moisson, et Poëri sortit pour inspecter lestravailleurs. Tahoser, qui ne pouvait pas plus s’en détacher que l’ombre nepeut se détacher du corps, le suivit timidement, craignant qu’il ne luienjoignît de rester à la maison; mais le jeune homme lui dit d’une voixoù ne perçait nul accent de colère:

It was harvest time, and Poëri went out to oversee the workmen. Tahoser, whocould no more leave him than the shadow can leave the body, followed himtimidly, fearing lest he should tell her to remain in the house; but the youngman said to her in a voice marked by no accent of anger,—

«Le chagrin se soulage à la vue des paisibles travaux del’agriculture, et, si quelque douloureux souvenir de la prospérité évanouieoppresse ton âme, il se dissipera au spectacle de cette activité joyeuse. Ceschoses doivent être nouvelles pour toi: car ta peau, que n’a jamaisbaisée le soleil, tes pieds délicats, tes mains fines, l’élégance avec laquelletu drapes le morceau d’étoffe grossière qui te sert de vêtement me montrent, àn’en pouvoir douter, que tu as toujours habité les villes, au sein desrecherches et du luxe. Viens donc et assieds-toi, tout en tournant ton fuseau,à l’ombre de cet arbre où les moissonneurs ont suspendu, pour la rafraîchir,l’outre qui contient leur boisson.»

"Grief is lightened by the sight of the peaceful work of agriculture, and ifsome painful remembrance of vanished prosperity weighs down your soul, it willdisappear at the sight of this joyous activity. These things must be novel toyou, for your skin, which the sun has never kissed, your delicate feet, yourslender hands, and the elegance with which you drape yourself in the piece ofcoarse stuff which serves you for a vestment, prove to me that you have alwaysinhabited cities, and have lived in the midst of refinement and luxury. Come,then, and sit down, while still turning your spindle, under the shadow of thattree, where the harvesters have hung up, to keep it cool, the skin which holdstheir drink."

Tahoser obéit et se plaça sous l’arbre, les bras croisés sur les genoux, etles genoux au menton.

Tahoser obeyed and sat down under the tree, her arms crossed on her kneesand her knees up to her chin.

De la muraille du jardin, la plaine s’étendait jusqu’aux premiersescarpements de la chaîne libyque, comme une mer jaune, où le moindre souffled’air creusait des vagues d’or. La lumière était si intense que le ton d’or dublé blanchissait par places et prenait des teintes d’argent. Dans l’opulentlimon du Nil, les épis avaient poussé vigoureux, drus et hauts comme desjavelines, et jamais plus riche moisson ne s’était déployée au soleil,flambante et crépitante de chaleur; il y avait de quoi remplir jusqu’aufaîte la ligne de greniers voûtés qui s’arrondissaient près des celliers.

From the garden wall, the plain stretched to the foot of the Libyan chainlike a yellow sea over which the least breath of air drove waves of gold. Thelight was so intense that the golden tone of the grain whitened in places andbecame silvery. In the rich mud of the Nile the grain had grown strong,straight, and high like javelins, and never had a richer harvest, flaming andcrackling with heat, been outspread in the sun. The crop was abundant enough tofill up to the ceiling the range of vaulted granaries which rose near thecellars.

Les travailleurs étaient depuis longtemps déjà à l’ouvrage, et l’on voyaitde loin émerger des vagues du blé leur tête crépue ou rase, coiffée d’unmorceau d’étoffe blanche, et leur torse nu, couleur de brique cuite. Ils sepenchaient et se relevaient avec un mouvement régulier, sciant le blé de leursfaucilles au-dessous de l’épi, avec autant de régularité que s’ils eussentsuivi une ligne tirée au cordeau.

The workmen had already been a long while at work, and here and there out ofthe waves of the corn showed their woolly or close-shaven heads covered withpieces of white stuff, and their naked torsos the colour of baked brick. Theybent and rose with a regular motion, cutting the grain just below the ear, asregularly as if they had followed a line marked out by a cord.

Derrière eux, marchaient dans les sillons des glaneurs, avec des couffes desparterie où ils serraient les épis moissonnés, et qu’ils portaient sur leurépaule ou suspendus à une barre transversale, aidés par un compagnon, à desmeules placées de distance en distance.

Behind them in the furrows walked the gleaners with esparto bags, in whichthey placed the harvested ears, and which they then carried on their shoulders,or suspended from a cross-bar and with the help of a companion, togrinding-mills situated some distance apart.

Quelquefois les moissonneurs essoufflés s’arrêtaient, reprenaient haleine,et, rejetant leur faucille sous leur bras droit, buvaient un coup d’eau;puis ils se remettaient en hâte à l’ouvrage, craignant le bâton ducontremaître; les épis récoltés s’étalaient sur l’aire par coucheségalisées à la fourche, et légèrement relevées au bord par les nouveaux paniersqu’on y versait.

Sometimes the breathless harvesters stopped to take breath, and puttingtheir sickles under their right arm drank a draught of water. Then they quicklyresumed their work, fearing the foreman's stick.

The harvested grain was spread on the threshing-floor in layers evened witha pitchfork, and slightly higher on the edges on account of the additionalbasketfuls which were being poured on.

Alors Poëri fit signe au bouvier de faire avancer ses bêtes. C’étaient desuperbes animaux, aux longues cornes évasées comme la coiffure d’Isis, augarrot élevé, au fanon puissant, aux jambes sèches et nerveuses. La marque dudomaine, empreinte au fer chaud, estampillait leurs hanches. Ils marchaientgravement, assujettis sous un joug horizontal reliant leurs quatre têtes.

Then Poëri signed to the ox-driver to bring on his animals. They were superboxen with long horns, curved like the head-dress of Isis, with high withers,deep dewlaps, clean, muscular limbs; the brand of the estate, stamped with ared-hot iron, showed upon their flanks. They walked slowly, bearing ahorizontal yoke which bore equally upon the heads of the four.

On les poussa sur l’aire; activés par le fouet à double mèche, ils semirent à piétiner circulairement, faisant jaillir sous leurs sabots fourchus legrain de l’épi: le soleil brillait sur leur poil luisant, et la poussièrequ’ils soulevaient leur montait aux naseaux; aussi, au bout d’unevingtaine de tours, s’appuyaient-ils les uns contre les autres, et, malgré leslanières sifflantes qui voltigeaient sur leurs flancs, ralentissaient-ilssensiblement le pas. Pour les encourager, le conducteur, qui les suivait entenant par la queue la bête sous la main, entonna, sur un rythme joyeux et vif,la vieille chanson des bœufs: «tournez pour vous-mêmes; àbœufs, tournez pour vous-mêmes; des mesures pour vous, des mesures pourvos maîtres!»

They were driven on to the threshing-floor; urged by the double-lashed whip,they began to trample in a circle, making the grain spring from the ear undertheir cloven hoofs; the sun shone on their lustrous coats, and the dust whichthey raised ascended to their nostrils, so that after going around about twentytimes, they would lean one against another, and in spite of the hissing whipwhich lashed their flanks, they would unmistakably slacken their pace. Toencourage them, the driver who followed them, holding by the tail the nearestanimal, began to sing in a joyous, quick rhythm the old ox-song: "Turn foryourselves, O oxen, turn for yourselves; measures for you, and measures foryour masters."

Et l’attelage ranimé se portait en avant et disparaissait dans un nuage depoussière blonde où scintillaient des étincelles d’or.

And the team, with new spirit, started on and disappeared in a cloud ofyellow dust that sparkled like gold.

La besogne des bœufs terminée, vinrent des serviteurs qui, armés d’écopes debois, élevaient le blé en l’air et le laissaient retomber pour le séparer despailles, des barbes et des cosses.

The work of the oxen done, came servants who, armed with wooden scoops,threw the grain into the air and let it fall to separate it from the straw, theawn, and the shell.

Le blé ainsi vanné était mis dans des sacs dont un grammate prenait note, etporté aux greniers où conduisaient des échelles.

The grain thus winnowed was put into bags, the numbers of which were notedby a scribe, and carried to the lofts, which were reached by ladders.

Tahoser, à l’ombre de son arbre, prenait plaisir à ce spectacle pleind’animation et de grandeur, et souvent sa main distraite oubliait de tordre lefil. La journée s’avançait, et déjà le soleil, levé derrière Thèbes, avaitfranchi le Nil et se dirigeait vers la chaîne libyque, derrière laquelle sondisque se couche chaque soir. C’était l’heure où les animaux reviennent deschamps et rentrent à l’étable. Elle assista, près de Poëri, à ce grand défilépastoral.

Tahoser under the shadow of her tree enjoyed this animated and grandiosespectacle, and often her heedless hand forgot to spin the thread. The day waswaning, and already the sun, which had risen behind Thebes, had crossed theNile and was sinking towards the Libyan chain, behind which its disc sets everyevening. It was the hour when the cattle returned from the fields to thestable. She watched near Poëri the long pastoral procession.

On vit d’abord s’avancer un immense troupeau de bœufs, les uns blancs, lesautres roux; ceux-ci noirs et mouchetés de points clairs, ceux-là pie,quelques-uns rayés de zébrures sombres; il y en avait de tout pelage etde toute nuance; ils passaient levant leurs mufles lustrés, d’oùpendaient des filaments de bave, ouvrant leurs grands yeux doux. Les plusimpatients, sentant l’étable, se dressaient quelques instants à demi etapparaissaient au-dessus de la foule cornue, avec laquelle, en retombant, ilsse confondaient bientôt; les moins adroits, devancés par leurscompagnons, poussaient de longs meuglements plaintifs comme pour protester.

First was seen advancing the vast herd of oxen, some white, others red, someblack with lighter spots, others piebald, others brindled. They were of allcolours and all sizes. They passed by, lifting up their lustrous mouths whencehung filaments of saliva, opening their great, gentle eyes; the more impatient,smelling the stables, half raised themselves for a moment and peered above thehorned multitude, with which, as they fell, they were soon confounded; the lessskilful, outstripped by their companions, uttered long, plaintive bellows as ifto protest.

Près des bœufs marchaient les gardiens avec leur fouet et leur corderoulée.

Near the oxen walked the herds with their whip and their rolled up cord.

Arrivés devant Poëri, ils s’agenouillaient, et les coudes aux flancs,touchaient la terre du front en signe de respect.

On arriving near Poëri they knelt down, and, with their elbows close totheir sides, touched the ground with their lips as a mark of respect.

Des grammates inscrivaient le nombre des têtes de bétail sur destablettes.

Scribes wrote down the number of heads of cattle upon tablets.

Aux bœufs succédèrent des ânes trottinant et ruant sous le bâton d’âniers àtête rase et vêtus d’une simple ceinture de toile, dont le bout retombait entreleurs cuisses; ils défilaient, secouant leurs longues oreilles, martelantla terre de leurs petit* sabots durs.

Behind the oxen came the asses, trotting along and kicking under the blowsof the donkey drivers. These had smooth-shaven heads, and were dressed in amere linen girdle, the end of which fell between their legs. The donkeys wentpast, shaking their long ears and trampling the ground with their little, hardhoofs.

Les âniers firent la même génuflexion que les bouviers, et les grammatesmarquèrent aussi le chiffre exact de leurs bêtes.

The donkey drivers performed the same genuflection as the ox-herds, and thescribes noted also the exact number of the animals.

Ce fut ensuite le tour des chèvres: elles arrivaient précédées deleurs boucs et faisant trembler de plaisir leur voix cassée et grêle; leschevriers avaient grand-peine à contenir leur pétulance et à ramener au gros del’armée les maraudeuses qui s’écartaient. Elles furent comptées comme les bœufset les ânes, et, avec le même cérémonial, les bergers se prosternèrent auxpieds de Poëri.

Then it was the turn of the goats. They arrived, headed by the he-goat,their broken and shrill voices trembling with pleasure; the goat-herds had muchdifficulty in restraining their high spirits and in bringing back to the mainbody the marauding ones which strayed away. They were counted, like the oxenand the asses, and with the same ceremonial the goat-herds prostratedthemselves at Poëri's feet.

Le cortège était fermé par des oies, qui, fatiguées, de la route, sedandinaient sur leurs larges pattes, battaient bruyamment des ailes,allongeaient leur col et poussaient des piaillements rauques; leur nombrefut inscrit, et les tablettes remises à l’inspecteur du domaine.

The procession was closed by the geese, which, weary with walking on theroad, balanced themselves on their web feet, flapped their wings noisily,stretched out their necks, and uttered hoarse cries. Their number was taken,and the tablets handed to the steward of the domain.

Longtemps après que bœufs, ânes, chèvres, oies, étaient rentrés, une colonnede poussière, que le vent ne pouvait parvenir à balayer, s’élevait lentementdans le ciel.

Long after the oxen, the asses, the goats, and the geese had gone in, acolumn of dust which the wind could not sweep away still rose slowly into theheavens.

«Eh bien, Hora, dit Poëri à Tahoser, la vue de ces moissonneurs et deces troupeaux t’a-t-elle amusée? Ce sont les plaisirs des champs;nous n’avons pas ici, comme à Thèbes, des joueurs de harpe et des danseuses.Mais l’agriculture est sainte; elle est la mère nourrice de l’homme, etcelui qui sème un grain de blé fait une action agréable aux dieux. Maintenant,va prendre ton repas avec tes compagnes; moi je rentre au pavillon, et jevais calculer combien de boisseaux de froment ont rendus les épis.»

"Well, Hora," said Poëri to Tahoser, "has the sight of the harvest and theflocks amused you? These are our pastoral pleasures. We have not here, as inThebes, harpists and dancers; but agriculture is holy; it is the nurse of man,and he who sows a grain of corn does a deed agreeable to the gods. Now come andtake your meal with your companions. For my part, I am going back to the houseto calculate how many bushels of wheat the ears have produced."

Tahoser mit une main par terre et l’autre sur sa tête en signed’acquiescement respectueux, et se retira.

Tahoser put one hand to the ground and the other on her head as a mark ofrespectful assent, and withdrew.

Dans la salle du repas riaient et babillaient plusieurs jeunes servantes,mangeant des oignons crus, des gâteaux de dourah et des dattes; un petitvase de terre plein d’huile où trempait une mèche les éclairait: car lanuit était venue, et répandait une lueur jaune sur leurs joues brunes et leurstorses fauves que ne voilait aucun vêtement. Les unes étaient assises sur desimples sièges de bois; les autres adossées au mur, un genou replié.

In the dining-hall laughed and chattered a number of young servants as theyate their onions and cakes of doora and dates. A small earthenware vase full ofoil, in which dipped a wick, gave them light,—for night had fallen,—and cast ayellow light upon their brown cheeks and bodies which no garment veiled. Somewere seated on ordinary wooden seats, others leaned against the wall with oneleg drawn up.

«Où le maître peut-il aller ainsi chaque soir? dit une petitefille à l’air malicieux, en épluchant une grenade avec de jolis mouvements desinge.

"Where does the master go like that every evening?" said a little,sly-looking maid, as she peeled a pomegranate with pretty, monkey-likegestures.

— Le maître va où il veut, répondit une grande esclave qui mâchait despétales de fleur; ne faut-il pas qu’il te rende des comptes? Cen’est pas toi, en tout cas, qui le retiendras ici.

"The master goes where he pleases," replied a tall slave, who was chewingthe petals of a flower. "Is he to tell you what he does? It is not you, in anycase, who will keep him here."

— Aussi bien moi qu’une autre», répondit l’enfant piquée.

"Why not I as well as another?" answered the child, piqued.

La grande fille haussa les épaules.

The tall slave shrugged her shoulders.

«Hora elle-même, qui est plus blanche et plus belle que nous toutes,n’y parviendrait pas. Quoiqu’il porte un nom égyptien et soit au service duPharaon, il appartient à cette race barbare d’Israël; et, s’il sort lanuit, c’est sans doute pour assister aux sacrifices d’enfants que célèbrent lesHébreux dans les endroits déserts où la chouette piaule, où l’hyène glapit, oùla vipère siffle.»

"Hora herself, who is fairer and more beautiful than any of us, could notmanage it. Though he bears an Egyptian name and is in the service of thePharaoh, he belongs to the barbarous race of Israel, and if he goes out atnight, it is no doubt to be present at the sacrifices of children which theHebrews perform in desert places, where the owl hoots, the hyena howls, and theadder hisses."

Tahoser quitta doucement la chambre sans rien dire, et se tapit dans lejardin derrière une touffe de mimosa; et, au bout de deux heuresd’attente, elle vit Poëri sortir dans la campagne.

Tahoser quietly left the room without a word, and concealed herself in thegarden behind the mimosa bushes. After waiting two hours, she saw Poëri issueforth into the country.

Légère et silencieuse comme une ombre, elle se mit à le suivre.

Light and silent as a shadow, she started to follow him.

IX

IX

Poëri, dont la main était armée d’un fort bâton de palmier, se dirigea versle fleuve en suivant une étroite chaussée élevée à travers un champ de papyrussubmergés qui, feuilles à leur base, dressaient de chaque côté leurs hampesrectilignes hautes de six ou huit coudées et terminées par un flocon de fibres,comme les lances d’une armée rangée en bataille.

Poëri, who was armed with a strong palm stick, walked towards the riveralong a causeway built over a field of submerged papyrus which, leafy at theirbase, sent up on either hand their straight stalks six and eight cubits high,ending in a tuft of fibre and looking like the lances of an army in battlearray.

Retenant son souffle, posant à peine la pointe du pied sur le sol, Tahosers’engagea après lui dans le petit chemin. Il n’y avait pas de lune cettenuit-là, et l’épaisseur des papyrus eût d’ailleurs suffi pour cacher la jeunefille, qui se tenait un peu en arrière.

Holding in her breath and walking on tiptoe, Tahoser followed him on thenarrow road. There was no moon that night, and the thick papyrus would in anycase have been sufficient to conceal the young girl, who remained somewhatbehind.

Il fallut après franchir un espace découvert. La fausse Hora laissa prendrede l’avance à Poëri, courba sa taille, se fit petite et rampa contre le sol.

An open space had to be crossed. The sham Hora let Poëri go on first, bentdown, made herself as small as she could, and crawled along the ground.

Un bois de mimosas se présenta ensuite, et, dissimulée par les touffesd’arbres, Tahoser put s’avancer sans prendre autant de précautions. Elle étaitsi près de Poëri, qu’elle craignait de perdre dans l’obscurité, que souvent lesbranches qu’il déplaçait lui fouettaient la figure; mais elle n’y faisaitpas attention: un sentiment d’ardente jalousie la poussait à la recherchedu mystère qu’elle n’interprétait pas comme les servantes de la maison. Ellen’avait pas cru un instant que le jeune Hébreu sortît ainsi chaque soir pouraccomplir quelque rite infâme et barbare; elle pensait qu’une femmedevait être le motif de ces excursions nocturnes, et elle voulait connaître sarivale. La bienveillance froide de Poëri lui montrait qu’il avait le cœuroccupé: autrement serait-il resté insensible à des charmes célèbres dansThèbes et dans toute l’Égypte? eût-il feint de ne pas comprendre un amourqui eût fait l’orgueil des oëris, des grands prêtres, des basilico-grammates,et même des princes de la race royale?

Next they entered a mimosa wood, and, concealed by the clumps of trees,Tahoser was able to proceed without having to take as many precautions. She wasso close to Poëri, whom she feared to lose sight of in the darkness, that veryoften the branches that he pushed aside slapped her in the face; but she paidno attention to this. A feeling of burning jealousy drove her to seek thesolution of the mystery, which she did not interpret as did the servants in thehouse. Not for one moment had she believed that the young Hebrew went out thusevery night to perform any infamous and profane rite; she believed that a womanwas at the bottom of these nocturnal excursions, and she wanted to know who herrival was. The cold kindness of Poëri had proved to her that his heart wasalready won; otherwise, how could he have remained insensible to charms famousthroughout Thebes and the whole of Egypt? Would he have pretended not tounderstand a love that would have filled with pride oëris, priests, templescribes, and even princes of the royal blood?

Arrivé à la berge du fleuve, Poëri descendit quelques marches taillées dansl’escarpement de la rive, et se courba comme s’il défaisait un lien.

On reaching the river shore, Poëri descended a few steps cut out of theslope of the bank, and bent down as if he were casting off a rope.

Tahoser, couchée à plat ventre sur le sommet du talus que dépassaitseulement le haut de sa tête, vit, à son grand désespoir, que le promeneurmystérieux détachait une mince barque de papyrus étroite et longue comme unpoisson, et qu’il se préparait à traverser le fleuve.

Tahoser, lying flat on the summit of the bank, above which the top of herhead alone showed, saw to her great despair that the mysterious stroller wascasting off a light papyrus bark, narrow and long like a fish, and that he wasmaking ready to cross the river.

Il sauta, en effet, dans la barque, repoussa le bord du pied, et prit lelarge en manœuvrant la rame unique placée à l’arrière de la frêleembarcation.

The next moment he sprang into the boat, shoved off with his foot, andsculled into the open with a single oar placed at the stern of the skiff.

La pauvre fille se tordait les mains de douleur; elle allait perdre lapiste du secret qu’il lui importait tant de savoir. Que faire? retournersur ses pas, le cœur en proie au soupçon et à l’incertitude, le pire desmaux? Elle rassembla son courage, et sa résolution fut bientôt prise.Chercher une autre barque, il n’y fallait pas penser. Elle se laissa couler lelong du talus, enleva sa robe en un tour de main et la roula sur sa tête;puis elle se glissa courageusem*nt dans le fleuve, en ayant soin de ne pasfaire rejaillir d’écume. Souple comme une couleuvre d’eau, elle allongea sesbeaux bras sur le flot sombre où tremblait élargi le reflet des étoiles, et semit à suivre de loin la barque. Elle nageait admirablement: car, chaquejour, elle s’exerçait avec ses femmes dans la vaste piscine de son palais, etnulle n’était plus habile à couper l’onde que Tahoser.

The poor girl was plunged in grief and despair: she was going to lose trackof the secret which it was so important that she should learn. What was she todo? Retrace her steps, her heart a prey to suspicion and uncertainty, the worstof evils? She summoned all her courage and soon made up her mind. It wasuseless to think of looking for another boat. She let herself down the bank,drew off her dress in a twinkling, and fastened it in a roll upon her head;then she boldly plunged into the river, taking care not to splash. As supple asa water-snake, she stretched out her lovely arms over the dark waves in whichquivered the reflection of the stars, and began to follow the boat at adistance. She swam superbly, for every day she practised with her women in thevast piscina in her palace, and no one cleaved the waters more skilfully thanTahoser.

Le courant, endormi en cet endroit, ne lui opposait pas beaucoup derésistance; mais au milieu du fleuve, pour ne pas être emportée à ladérive, il lui fallut donner de vigoureux coups de pied à l’eau bouillonnanteet multiplier ses brassées. Sa respiration devenait courte, haletante, et ellela retenait de peur que le jeune Hébreu ne l’entendît. Quelquefois, une vagueplus haute lavait d’écume ses lèvres entrouvertes, trempait ses cheveux et mêmeatteignait sa robe pliée en paquet: heureusem*nt pour elle, car sesforces commençaient à l’abandonner, elle se retrouva bientôt dans des eaux pluscalmes. Un faisceau de joncs qui descendait le fleuve et la frôla en passantlui causa une vive terreur. Cette masse d’un vert sombre, prenait, à traversl’obscurité, l’apparence d’un dos de crocodile; Tahoser avait cru sentirla peau rugueuse du monstre, mais elle se remit de sa frayeur et se dit encontinuant à nager: «Qu’importe que les crocodiles me mangent, siPoëri ne m’aime pas?»

The current, less swift at this point, did not greatly hinder her, but inthe centre of the stream she had to strike out in the boiling water and to swimfaster in order to avoid being carried to leeward. Her breath came shorter andquicker, and yet she held it in lest the young Hebrew should hear her.Sometimes a higher wave lapped with its foam her half-open lips, wetted herhair, and even reached her dress rolled up in a bundle. Happily for her,—forher strength was beginning to give way,—she soon found herself in stillerwater. A bundle of reeds coming down the river touched her as it passed, andfilled her with quick terror. The dark, green mass looked in the darkness likethe back of a crocodile; Tahoser thought she had felt the rough skin of themonster; but she recovered from her terror and said, as she swam on, "Whatmatter if the crocodiles eat me up, if Poëri loves me not?"

Le danger était réel, surtout la nuit; pendant le jour, le mouvementperpétuel des barques, le travail des quais, le tumulte de la ville éloignentles crocodiles, qui vont, sur des rives moins fréquentées par l’homme, sevautrer dans la vase et se réjouir au soleil; mais l’ombre leur rendtoute leur audace.

There was real danger, especially at night. During the day the constantcrossing of boats and the work going on along the quays drove away thecrocodiles, which went to shores less frequented by man to wallow in the mudand to sun themselves; but at night they became bold again.

Tahoser n’y avait pas pensé. La passion ne calcule pas. L’idée de ce périllui fût-elle venue, elle l’aurait bravé, elle si timide pourtant, etqu’effrayait un papillon obstiné qui voltigeait autour d’elle, la prenant pourune fleur.

Tahoser did not think of them; love is no calculator, and even if she hadthought of this form of peril, she would have braved it, timid though she was,and frightened by an obstinate butterfly that mistaking her for a flower keptfluttering around her.

Tout à coup la barque s’arrêta, quoique la rive fût encore à quelquedistance. Poëri, suspendant son travail de pagaie, parut promener ses regardsautour de lui avec inquiétude. Il avait aperçu la tache blanchâtre produite surl’eau par la robe roulée de Tahoser.

Suddenly the boat stopped, although the bank was still some distance away.Poëri, ceasing to scull, seemed to cast an uneasy glance around him. He hadperceived the whitish spot made on the water by Tahoser's rolled up dress.

Se croyant découverte, l’intrépide nageuse plongea bravement, résolue à neremonter à la surface, dût-elle étouffer, que lorsque les soupçons de Poëriseraient dissipés.

Thinking she was discovered, the intrepid swimmer bravely dived, resolvednot to come to the surface, even were she to drown, until Poëri's suspicionshad been dispelled.

«J’aurais cru que quelqu’un me suivait à la nage, se dit Poëri en seremettant à ramer? Mais qui se risquerait dans le Nil à cetteheure? J’étais fou. J’ai pris pour une tête humaine coiffée d’un lingeune touffe de lotus blancs, peut-être même un simple flocon d’écume, car je nevois plus rien.»

"I could have sworn somebody was swimming behind me," said Poëri, as he wenton sculling again; "but who would venture into the Nile at such a time as this?I must have been crazy. I mistook for a human head covered with linen a tuft ofwhite reeds, or perhaps a mere flake of foam, for I can see nothing now."

Lorsque Tahoser, dont les veines sifflaient dans les tempes, et quicommençait à voir passer des lueurs rouges dans l’eau sombre du fleuve, revinten toute hâte dilater ses poumons par une longue gorgée d’air, la barque depapyrus avait repris son allure confiante, et Poëri manœuvrait l’aviron avec leflegme imperturbable des personnes allégoriques qui conduisent la bari de Maütsur les bas-reliefs et les peintures des temples.

When Tahoser, whose temples were beginning to beat violently, and who beganto see red flashes in the dark waters of the river, rose hastily to fill herlungs with a long breath of air, the papyrus boat had resumed its confidentway, and Poëri was handling the scull with the imperturbable phlegm of theallegorical personages who row the barge of Maut on the bassi-relieviand the paintings of the temples.

La rive n’était plus qu’à quelques brassées; l’ombre prodigieuse despylônes et des murs énormes du palais du Nord, qui ébauchait ses entassem*ntsopaques, surmontés par les pyramidions de six obélisques, à travers le bleuviolâtre de la nuit, s’étalait immense et formidable sur le fleuve, etprotégeait Tahoser, qui pouvait nager sans crainte d’être aperçue.

The bank was only a few strokes off; the vast shadow of the pylons and thehuge walls of the Northern Palace—the dark pile of which was faintly seensurmounted by the pyramidions of six obelisks through the violet blue of thenight—spread immense and formidable over the river, and sheltered Tahoser, whocould swim without fear of being noticed.

Poëri aborda un peu au-dessous du palais en descendant le Nil, et il attachasa barque à un pieu, de façon à la retrouver pour le retour; puis il pritson bâton de palmier et monta la rampe du quai d’un pas alerte.

Poëri landed a little below the palace and fastened his boat to a post so asto find it on his return. Then he took his palm stick and ascended the slopeof the quay with a swift step.

La pauvre Tahoser, presque à bout de forces, suspendit ses mains crispées àla première marche de l’escalier, et sortit avec peine du fleuve ses membresruisselants, que le contact de l’air alourdit en leur faisant sentir subitementla fatigue; mais le plus difficile de sa tâche était accompli.

Poor Tahoser, almost worn out, clung with her stiffened hands to the firststep of the stair, and with difficulty drew from the stream her dripping limbs,which the contact of the air made heavier as she suddenly felt the fatigue. Butthe worst of her task was over.

Elle gravit les marches, une main sur son cœur qui battait violemment,l’autre sur sa tête pour maintenir sa robe roulée et trempée. Après avoir vu ladirection que prenait Poëri, elle s’assit au haut de la rampe, déplia satunique et la revêtit. Le contact de l’étoffe mouillée lui causa un légerfrisson. La nuit pourtant était douce, et la brise du sud soufflaittiède; mais la courbature l’enfiévrait et ses petites dents seheurtèrent; elle fit un appel à son énergie, et, rasant les murailles entalus des gigantesques édifices, elle parvint à ne pas perdre de vue le jeuneHébreu, qui tourna l’angle de l’immense enceinte de briques du palais, ets’enfonça à travers les rues de Thèbes.

She climbed the steps, one hand pressed to her quick-beating heart, theother placed on her head to steady her rolled up and soaked dress. After havingnoticed the direction in which Poëri was walking, she sat down on top of thebank, untied her dress, and put it on. The contact of the wet stuff made hershudder slightly, yet the night air was soft and the southern breeze blew warm;but she was stiff and feverish, and her little teeth were chattering. Shesummoned up her energy, and gliding close by the sloping walls of the giantbuildings, she managed not to lose sight of the young Hebrew, who turned aroundthe corner of the mighty brick walls of the palace and entered the streets ofThebes.

Au bout d’un quart d’heure de marche, les palais, les temples, les richesmaisons disparurent pour faire place à des habitations plus humbles; augranit, au calcaire, au grès succédaient les briques crues, le limon pétri avecde la paille. Les formes architecturales s’effaçaient; des cahutess’arrondissaient comme des ampoules ou des verrues sur des terrainsdéserts; à travers de vagues cultures, empruntant à la nuit desconfigurations monstrueuses; des pièces de bois, des briques moulées,rangées en tas, encombraient le chemin. Du silence se dégageaient des bruitsétranges, inquiétants; une chouette coupait l’air de son ailemuette; des chiens maigres, levant leur long museau pointu, suivaientd’un aboiement plaintif le vol inégal d’une chauve-souris; des scarabéeset des reptiles peureux se sauvaient en faisant bruire l’herbe sèche.

After walking for some fifteen minutes, the palaces, the temples, thesplendid dwellings vanished, and were replaced by humbler houses; granite,sandstone, and limestone were replaced by unbaked bricks and by clay workedwith straw. Architectural design disappeared; low huts showed around likeblisters or warts upon lonely places, upon waste fields, and were changed bythe darkness into monstrous shapes. Pieces of wood and moulded bricks arrangedin heaps obstructed the way. Out of the silence rose strange, troubling sounds:an owl whirled through the air, lean dogs, raising their long, pointed noses,followed with plaintive bay the erratic flight of a bat; scorpions andfrightened reptiles scurrying by, made the dry grass rattle.

«Est-ce que Harphré aurait dit vrai? pensait Tahoser,impressionnée par l’aspect sinistre du lieu; Poëri viendrait-il làsacrifier un enfant à ces dieux barbares qui aiment le sang et lasouffrance? Jamais endroit ne fut plus propice à des rites cruels.»

"Could Harphre have spoken the truth?" thought Tahoser, impressed by thesinister aspect of the place. "Is it possible that Poëri comes here tosacrifice a child to those barbarous gods who love blood and suffering? Neverwas any place better fitted for cruel rites."

Cependant, profitant des angles d’ombre, des bouts de mur, des touffes devégétation, des inégalités de terrain, elle se maintenait toujours à unedistance égale de Poëri:

Meanwhile, profiting by the shadow of corners, the ends of walls, the clumpsof vegetation, and the unevenness of the ground, she kept at the same distancefrom Poëri.

«Quand je devrais assister, témoin invisible, à quelque scèneeffroyable comme un cauchemar, entendre les cris de la victime, voir lesacrificateur les mains rouges de sang retirer du petit corps le cœur fumant,j’irai jusqu’au bout», se dit Tahoser en regardant le jeune Hébreupénétrer dans une hutte de terre dont les crevasses laissaient filtrer quelquesrayons de lumière jaune.

"Even if I were to be present as an invisible witness at some scene asfrightful as a nightmare, to hear the cries of the victim, to see the priest,his hands red with blood, draw from the little body the smoking heart, I shouldgo on to the end," said Tahoser to herself, as she saw the young Hebrew enter ahut built of clay, through the crevices of which shone a few rays of yellowlight.

Quand Poëri fut entré, la fille de Pétamounoph s’approcha, sans qu’uncaillou eût crié sous son pas de fantôme, sans qu’un chien eût signalé saprésence en donnant de la voix; elle fit le tour de la cahute, comprimantson cœur, retenant son haleine, et découvrit, en la voyant luire sur le fondsombre de la muraille d’argile, une fente assez large pour laisser pénétrer leregard à l’intérieur.

When Poëri was fairly within, the daughter of Petamounoph approached, thoughnot a pebble cracked under her light step, nor a dog marked her presence by abark. She went around the hut, pressing her hand to her heart and holding inher breath, and discovered, by seeing it shine against the dark ground of theclay wall, a crack wide enough to allow her glance to penetrate the interior.

Une petite lampe éclairait la chambre, moins pauvre qu’on n’eût pu le penserd’après l’apparence du taudis; les parois lissées avaient un poli destuc. Sur des socles de bois peints de couleurs variées étaient posés des vasesd’or et d’argent; des bijoux scintillaient dans des coffres entrouverts.Des plats de métal brillant rayonnaient sur le mur, et un bouquet de fleursrares s’épanouissait dans un pot de terre émaillée au milieu d’une petitetable.

A small lamp lighted the room, which was less bare than might have beensupposed from the outward appearance of the cabin. The smooth walls were aspolished as stucco. On wooden pedestals, painted in various colours, wereplaced vases of gold and silver; jewels sparkled in half-open coffers; dishesof brilliant metal shone on the wall; and a nosegay of rare flowers bloomed inan enamelled jar in the centre of a small table.

Mais ce n’étaient pas ces détails d’ameublement qui intéressaient Tahoser,quoique le contraste de ce luxe caché avec la misère extérieure de l’habitationlui eût d’abord causé quelque surprise. Son attention était invinciblementattirée par un autre objet.

But it was not these details which interested Tahoser, although the contrastof this concealed luxury with the external poverty of the dwelling had at firstsomewhat surprised her. Her attention was irresistibly attracted by anotherobject.

Sur une estrade tapissée de nattes se tenait une femme de race inconnue etmerveilleusem*nt belle. Elle était blanche plus qu’aucune des filles d’Égypte,blanche comme le lait, comme le lis, blanche comme les brebis qui montent dulavoir; ses sourcils s’étendaient comme des arcs d’ébène, et leurspointes se rencontraient à la racine d’un nez mince, aquilin, aux narinescolorées de tons roses comme le dedans des coquillages. Ses yeux ressemblaientà des yeux de tourterelle, vifs et langoureux à la fois; ses lèvresétaient deux bandelettes de pourpre, et en se dénouant montraient des éclairsde perles; ses cheveux se suspendaient, de chaque côté de ses joues degrenade, en touffes noires et lustrées comme deux grappes de raisin mûr;des pendeloques frissonnaient à ses oreilles, et des colliers d’or à plaquettesincrustées d’argent scintillaient autour de son col rond et poli comme unecolonne d’albâtre.

On a low platform covered with matting was a marvellously beautiful woman ofan unknown race. She was fairer than any of the maids of Egypt, as white asmilk, as white as a lily, as white as the ewes which have just been washed. Hereyebrows were curved like ebony bows, and their points met at the root of thethin, aquiline nose, the nostrils of which were as rosy as the interior of ashell; her eyes were like doves' eyes, bright and languorous; her lips werelike two bands of purple, and as they parted showed rows of pearls; her hairhung on either side of her rosy cheeks in black, lustrous locks like twobunches of ripe grapes. Earrings shimmered in her ears, and necklaces of goldenplates inlaid with silver sparkled around a neck that was round and polishedlike an alabaster column.

Son vêtement était singulier: il consistait en une large tuniquebrodée de zébrures et de dessins symétriques de diverses couleurs, descendantdes épaules jusqu’à mi-jambe et laissant les bras libres et nus.

Her dress was peculiar. It consisted of a full tunic embroidered withstripes and symmetrical designs of various colours, falling from her shouldershalf-way down her legs and leaving her arms free and bare.

Le jeune Hébreu s’assit près d’elle, sur la natte, et lui tint des discoursdont Tahoser ne pouvait comprendre la lettre, mais dont elle devinait trop bienle sens pour son malheur: car Poëri et Ra’hel s’exprimaient dans lalangue de la patrie, si douce à l’exilé et au captif.

The young Hebrew sat down by her on the matting, and spoke to her wordswhich Tahoser could not understand, but the meaning of which she unfortunatelyguessed too well; for Poëri and Ra'hel spoke in the language of their country,so sweet to the exile and captive.

L’espérance est dure à mourir au cœur amoureux.

Yet hope dies hard in the loving breast.

«Peut-être est-ce sa sœur, se dit Tahoser, et vient-il la voirsecrètement, ne voulant pas qu’on sache qu’il appartient à cette race réduiteen servitude.»

"Perhaps it is his sister," said Tahoser, "and he goes to see her in secret,being unwilling that it should be known that he belongs to that enslavedrace."

Puis elle appliquait son visage à la crevasse, écoutant avec une douloureuseintensité d’attention ces mots harmonieux et cadencés dont chaque syllabecontenait un secret qu’elle eût donné sa vie pour savoir, et qui bruissaientvagues, fugitifs, dénués de signification à ses oreilles, comme le vent dansles feuilles et l’eau contre la rive.

Then she put her eye to the crevice and listened with painful and intenseattention to the harmonious and rhythmic language, every syllable of which helda secret which she would have given her life to learn, and which sounded in herears vague, swift, and unmeaning like the wind in the leaves and the water onthe bank.

«Elle est bien belle… pour une sœur… murmurait-elle, en dévorant d’unœil jaloux cette figure étrange et charmante, au teint pâle, aux lèvres rouges,que rehaussaient des parures de formes exotiques, et dont la beauté avaitquelque chose de mystérieusem*nt fatal.

"She is very beautiful for a sister," she murmured, as she cast a jealousglance upon the strange and charming face with its red lips and its palecomplexion that was set off by ornaments of exotic shapes, and the beauty ofwhich had something fatally mysterious about it.

— Ô Ra’hel! ma bien-aimée Ra’hel», disait souvent Poëri.

"Oh, Ra'hel, my beloved Ra'hel!" repeated Poëri often.

Tahoser se souvint de lui avoir entendu murmurer ce mot pendant qu’elleéventait et berçait son sommeil.

Tahoser remembered having heard him whisper that name while she was fanninghim in his sleep.

«Il y pensait même en rêve: Ra’hel, c’est son nom sansdoute.» Et la pauvre enfant sentit à la poitrine une souffrance aiguë,comme si tous les uræus des entablements, toutes les vipères royales descouronnes pharaoniques lui eussent planté leurs crochets venimeux au cœur.

"He thought of her even in his dreams. No doubt Ra'hel is her name." And thepoor child felt in her breast a sharp pang as if all the uræus snakes of theentablatures, all the royal asps of the Pharaonic crowns, had struck theirvenomous fangs in her heart.

Ra’hel inclina sa tête sur l’épaule de Poëri, comme une fleur trop chargéede parfums et d’amour; les lèvres du jeune homme effleuraient les cheveuxde la belle Juive, qui se renversait lentement, offrant son front moite et sesyeux demi-fermés à cette caresse suppliante et timide; leurs mains qui secherchaient s’étaient unies et se pressaient nerveusem*nt.

Ra'hel bowed her head on Poëri's shoulder like a flower overladen withsunshine and love; the lips of the young man touched the hair of the lovelyJewess, who fell back slowly, yielding her brow and half-closed eyes to hisearnest and timid caress. Their hands, which had sought each other, were nowclasped and feverishly pressed together.

«Oh! que ne l’ai-je surpris à quelque cérémonie impie etmonstrueuse, égorgeant de ses mains une victime humaine, buvant le sang dansune coupe de terre noire, s’en frottant la face! il me semble que celam’eût fait moins souffrir que l’aspect de cette belle femme qu’il embrasse sitimidement,» balbutia Tahoser d’une voix faible, en s’affaissant sur laterre dans l’ombre de la cahute.

"Oh, why did I not surprise him in some impious and mysterious ceremony,slaying with his own hands a human victim, drinking its blood in a cup of blackware, rubbing his face with it? It seems to me that I should have suffered lessthan at the sight of that lovely woman whom he embraces so timidly," murmuredTahoser in a faint voice as she sank on the ground in a corner by the hut.

Deux fois elle essaya de se relever, mais elle retomba à genoux; unnuage couvrit ses yeux; ses membres fléchirent; elle roulaévanouie.

Twice she strove to rise, but she fell back on her knees. Darkness came overher, her limbs gave way, and she fell in a swoon.

Cependant Poëri sortait de la cabane et donnait à Ra’hel un dernierbaiser.

Meanwhile Poëri issued from the hut, giving a last kiss to Ra'hel.

X

X

Pharaon, inquiet et furieux de la disparition de Tahoser, avait cédé à cebesoin de changer de place qui agite les cœurs tourmentés d’une passioninassouvie. Au grand chagrin d’Amensé, de Hont-Reché et de Twéa, ses favorites,qui s’étaient efforcées de le retenir au pavillon d’été par toutes lesressources de la coquetterie féminine, il habitait le palais du Nord, surl’autre rive du Nil. Sa préoccupation farouche s’irritait de la présence et dubabil de ses femmes. Tout ce qui n’était pas Tahoser lui déplaisait; iltrouvait laides maintenant ces beautés qui lui paraissaient si charmantesnaguère; leurs corps jeunes, sveltes, gracieux, aux poses pleines devolupté; leurs longs yeux avivés d’antimoine où brillait le désir;leurs bouches pourprées aux dents blanches et au sourire languissant:tout en elles, jusqu’aux parfums suaves qui émanaient de leur peau fraîchecomme d’un bouquet de fleurs ou d’une boîte d’aromates, lui était devenuodieux, intolérable; il semblait leur en vouloir de les avoir aimées, etne plus comprendre comment il s’était épris de charmes si vulgaires. LorsqueTwéa lui posait sur la poitrine les doigts effilés et roses de sa petite maintremblante d’émotion, comme pour faire renaître le souvenir d’une familiaritéancienne, que Hont-Reché poussait devant lui l’échiquier supporté par deuxlions adossés, afin d’engager une partie ou qu’Amensé lui présentait une fleurde lotus avec une grâce respectueuse et suppliante, il se retenait à peine deles frapper de son sceptre, et ses yeux d’épervier lançaient de tels éclairs dedédain que les pauvres femmes qui s’étaient risquées à ces hardiesses seretiraient interdites, les paupières moites de larmes, et s’appuyaientsilencieusem*nt à la muraille peinte, tâchant de se confondre par leurimmobilité avec les figures des fresques.

The Pharaoh, raging and anxious on hearing of the disappearance of Tahoser,had given way to that desire for change which possesses a heart tormented by anunsatisfied passion. To the deep grief of Amense, Hont-Reché, and Twea, hisfavourites, who had endeavoured to retain him in the Summer Palace by all theresources of feminine coquetry, he now inhabited the Northern Palace on theother side of the Nile. His fierce preoccupation was irritated by the presenceand the chatter of his women; they displeased him because they were notTahoser. He now thought ugly those beauties who had seemed to him formerly sofair; their young, slender, graceful bodies, their voluptuous attitudes, theirlong eyes brightened by antimony and flashing with desire, their purple lips,white teeth, and languishing smiles,—everything in them, even the perfume oftheir cool skin, as delicate as a bouquet of flowers or a box of scent, hadbecome odious to him. He seemed to be angry with them for having loved them,and to be unable to understand how he could have been smitten by such vulgarcharms. When Twea touched his breast with the slender, pink finger of herlittle hand, shaking with emotion, as if to recall the remembrance of formerfamiliarities; when Hont-Reché placed before him the draught-board supported bytwo lions back to back, in order to play a game; when Amense presented him witha lotus-flower with respectful, supplicating grace, he could scarcely refrainfrom striking them with his sceptre, and his royal eyes flashed with suchdisdain that the poor women who had ventured on such boldness, withdrewabashed, their eyes wet with tears, and leaned silently against the paintedwall, trying by their motionlessness to appear to be part of the paintings onthe frescoes.

Pour éviter ces scènes de pleurs et de violence, il s’était retiré au palaisde Thèbes, seul, taciturne et farouche; et là, au lieu de rester assissur son trône, dans l’attitude solennelle des dieux et des rois qui, pouvanttout, ne remuent pas et ne font pas de gestes, il se promenait fiévreusem*nt àtravers les immenses salles.

To avoid these scenes of tears and violence, he had withdrawn to the palaceof Thebes, alone, taciturn, and sombre; and there, instead of remaining seatedon his throne in the solemn attitude of the gods and of kings, who, beingalmighty, neither move nor make a gesture, he walked feverishly up and downthrough the vast halls.

C’était un spectacle étrange que de voir ce Pharaon à la haute stature, aumaintien imposant, formidable comme les colosses de granit, ses images, faireretentir les larges dalles sous le patin recourbé de sa chaussure.

Strange was it to see that tall Pharaoh with imposing mien, as formidable asthe granite colossi, his like, making the stone floors resound under his curvedsandals.

À son passage, les gardes terrifiés semblaient se figer en statues;leur souffle s’arrêtait, et l’on ne voyait même plus trembler la double plumed’autruche de leur coiffure. Lorsqu’il était loin, à peine osaient-ils sedire:

«Qu’a donc aujourd’hui le Pharaon? Il serait rentré vaincu deson expédition qu’il ne serait pas plus morose et plus sombre.»

When he passed, the terrified guards seemed to be petrified and to turn tostone. They remained breathless, and not even the double ostrich-feather intheir headgear dared tremble. When he had passed, they scarce ventured towhisper, "What is the matter to-day with the Pharaoh?"

Si, au lieu d’avoir remporté dix victoires, tué vingt mille ennemis, ramenédeux mille vierges choisies parmi les plus belles, rapporté cent charges depoudre d’or, mille charges de bois d’ébène et de dents d’éléphant, sans compterles productions rares et les animaux inconnus, Pharaon eût vu son armée tailléeen pièces, ses chars de guerre renversés et brisés, et se fût sauvé seul de ladéroute sous une nuée de flèches, poudreux, sanglant, prenant les rênes desmains de son cocher mort à côté de lui, il n’eût pas eu, certes, un visage plusmorne et plus désespéré. Après tout, la terre d’Égypte est fertile ensoldats; d’innombrables chevaux hennissent et fouillent le sol du pieddans les écuries du palais, et les ouvriers ont bientôt courbé le bois, fondule cuivre, aiguisé l’airain! La fortune des combats est changeante;un désastre se répare! mais avoir souhaité une chose qui ne s’était pasaccomplie sur-le-champ, rencontré un obstacle entre sa volonté et laréalisation de cette volonté, lancé comme une javeline un désir qui n’avait pasatteint le but: voilà ce qui étonnait ce Pharaon dans les zonessupérieures de sa toute-puissance! Un instant il eut l’idée qu’il n’étaitqu’un homme!

Had he returned from his expedition a beaten man, he could not have beenmore morose and sombre. If, instead of having won ten victories, slain twentythousand enemies, brought back two thousand virgins chosen from among thefairest, a hundred loads of gold-dust, a thousand loads of ebony and elephants'tusks, without counting the rare products and the strange animals,—if, insteadof all this, Pharaoh had seen his army cut to pieces, his war chariotsoverthrown and broken, if he had escaped alone from the rout under a shower ofarrows, dusty, blood-covered, taking the reins from the hands of his driverdead by his side,—he certainly could not have appeared more gloomy and moredesperate. After all, the land of Egypt produces soldiers in abundance;innumerable horses neigh and paw the ground in the palace stables; and workmencould soon bend wood, melt copper, sharpen brass. The fortune of war ischangeable, but a disaster may be atoned for. To have, however, wished for athing which did not at once come to him, to have met with an obstacle betweenhis will and the carrying out of that will, to have hurled like a javelin adesire which had not struck its mark,—that was what amazed the Pharaoh whodwelt in the higher plane of almightiness. For one moment it occurred to himthat he was only a man.

Il errait donc par les vastes cours, suivant les dromos de colonnes géantes,passant sous les pylônes démesurés, entre les obélisques élancés d’un seul jetet les colosses qui le regardaient de leurs grands yeux effarés; ilparcourait la salle hypostyle et se perdait à travers la forêt granitique deses cent soixante-deux colonnes hautes et fortes comme des tours. Les figuresde dieux, de rois et d’êtres symboliques peintes sur les murailles semblaientfixer sur lui l’œil inscrit de face en lignes noires sur leur masque de profil,les uræus se tordre et gonfler leur gorge, les divinités ibiocéphales allongerleur col, les globes dégager des corniches leurs ailes de pierre et les fairepalpiter. Une vie étrange et fantastique animait ces représentations bizarres,peuplant d’apparences vivantes la solitude de la salle énorme, grande à elleseule comme un palais tout entier. Ces divinités, ces ancêtres, ces monstreschimériques, dans leur immobilité éternelle, étaient surpris de voir lePharaon, ordinairement aussi calme qu’eux mêmes, aller, venir, comme si sesmembres fussent de chair, et non de porphyre ou de basalte.

So he wandered through the vast courts, down the avenues of giant pillars,passed under the mighty pylons, between the lofty monolithic obelisks and thecolossi which gazed upon him with their great, frightened eyes. He traversedthe hypostyle hall and the maze of the granitic forest with its one hundred andsixty-two pillars tall and strong as towers. The figures of gods, of kings, andof symbolic beings painted on the walls seemed to fix upon him their greateyes, drawn in black upon their profile masks, the uræus snakes to twist andswell their hoods, the bird-faced divinities to stretch out their necks, theglobes to spread over the cornices their fluttering wings of stone. A strange,fantastic life animated these curious figures, and peopled with living swarmsthe solitudes of the vast hall, which was as large as an ordinary palace. Thedivinities, the ancestors, the chimerical monsters, eternally motionless, wereamazed to see the Pharaoh, ordinarily as calm as themselves, striding up anddown as though he were a man of flesh, and not of porphyry and basalt.

Las de tourner dans ce monstrueux bois de colonnes soutenant un ciel degranit, comme un lion qui cherche la piste de sa proie et flaire de son muflefroncé le sable mobile du désert, Pharaon monta sur une terrasse du palais,s’allongea sur un lit bas et fit appeler Timopht.

Weary of roaming about that mysterious forest of pillars that upbore agranite heaven, like a lion which seeks the track of its prey and scents withits wrinkled nose the moving sand of the desert, the Pharaoh ascended one ofthe terraces of the palace, stretched himself on a low couch, and sent forTimopht.

Timopht parut et s’avança du haut de l’escalier jusqu’au Pharaon en seprosternant à chaque pas. Il redoutait la colère du maître dont un instant ilavait espéré la faveur. L’habileté déployée à découvrir la demeure de Tahosersuffirait-elle pour faire excuser le crime d’avoir perdu la trace de cettebelle fille.

Timopht appeared at once, and advanced from the top of the stairs to thePharaoh, prostrating himself at every step. He dreaded the wrath of the masterwhose favour he had, for a moment, hoped he had gained. Would the skill he hadshown in discovering the home of Tahoser be a sufficient excuse for the crimeof losing track of the lovely maid?

Relevant un genou et laissant l’autre ployé, Timopht étendit ses bras versle roi avec un geste suppliant.

Raising one knee and leaving the other bent, Timopht stretched out his armswith a supplicating gesture.

«Ô roi, ne me fais pas mourir ni battre outre mesure; la belleTahoser, fille de Pétamounoph, sur laquelle ton désir a daigné descendre commeun épervier qui fond sur une colombe, se retrouvera sans doute, et quand, deretour à sa demeure, elle verra tes magnifiques présents, son cœur sera touché,et, d’elle-même, elle viendra, parmi les femmes qui habitent ton gynécée,prendre la place que tu lui assigneras.

"O King, do not doom me to death or to be beaten beyond measure. Thebeauteous Tahoser, the daughter of Petamounoph, on whom your desire deigned todescend as the hawk swoops down upon the dove, will doubtless be found; andwhen, returned to her home, she sees your magnificent gifts, her heart will betouched, and she will come of herself to take, among the women that dwell inyour harem, the place which you will assign to her."

— As-tu interrogé ses servantes et ses esclaves? dit le Pharaon;le bâton délie les langues les plus rebelles, et la souffrance fait dire cequ’on voudrait cacher.

"Did you question her servants and her slaves?" said the King. "The stickloosens the most rebellious tongue, and suffering makes men and women say whatthey would otherwise hide."

— Nofré et Souhem, sa suivante favorite et son plus vieux serviteur, m’ontdit qu’ils avaient remarqué que les verrous de la porte du jardin étaienttirés, et que probablement leur maîtresse était sortie par là. La porte donnesur le fleuve, et l’eau ne garde pas le sillage des barques.

"Nofré and Souhem, her favourite maid and her oldest servant, told me thatthey had noticed the bolts of the garden gate drawn back, that probably theirmistress had gone out that way. The gate opens on the river, and the water doesnot preserve the track of boats."

— Qu’ont dit les bateliers du Nil?

"What did the boatmen of the Nile say?"

— Ils n’avaient rien vu; un seul a dit qu’une femme pauvrement vêtueavait passé le fleuve aux premières lueurs du jour. Mais ce ne pouvait être labelle et riche Tahoser dont tu as remarqué toi-même la figure, et qui marchecomme une reine sous des vêtements splendides.»

"They had seen nothing. One man alone said that a poorly dressed womancrossed the stream with the first light of day; but it could not be thebeautiful and rich Tahoser, whose face you have yourself noticed, and who walkslike a queen in her superb garments."

Le raisonnement de Timopht ne parut pas convaincre Pharaon; il appuyason menton dans sa main et réfléchit quelques minutes. Le pauvre Timophtattendait en silence, craignant quelque explosion de fureur. Les lèvres du roiremuaient comme s’il se fût parlé à lui-même:

Timopht's logic did not appear to convince the Pharaoh. He leaned his chinon his hand and reflected for a few moments. Poor Timopht waited in silence,fearing an explosion of fury. The King's lips moved as if he were speaking tohimself.

«Cet humble habit était un déguisem*nt… Oui, c’est cela… Ainsitravestie, elle est passée de l’autre côté du fleuve… Ce Timopht est unimbécile, sans la moindre pénétration. J’ai bien envie de le faire jeter auxcrocodiles ou rouer de coups… — mais pour quel motif? Une vierge de hautenaissance, fille d’un grand prêtre, s’échapper ainsi de son palais, seule, sansprévenir personne de son dessein!… Il y a peut-être quelque amour au fondde ce mystère.»

"That mean dress was a disguise. Yes, it must have been. Thus disguised, shecrossed to the other side of the river. Timopht is a fool, who cannot seeanything. I have a great mind to have him thrown to the crocodiles or beaten todeath. But what could be her reason? A maid of high birth, the daughter of ahigh-priest, to escape thus from her palace, alone and without informing anyone of her intention! It may be there is some love affair at the bottom of thismystery."

À cette idée, la face du Pharaon s’empourpra comme à un refletd’incendie: tout le sang lui était monté du cœur au visage; à larougeur succéda une pâleur affreuse, ses sourcils se tordirent comme lesvipères des diadèmes, sa bouche se contracta, ses dents grincèrent et saphysionomie devint si terrible que Timopht épouvanté se laissa tomber le nezsur les dalles, comme tombe un homme mort.

As this thought occurred to him, the Pharaoh's face flushed red as if underthe reflection of a fire; the blood had rushed from his heart to his face. Theredness was followed by dreadful pallor; his eyebrows writhed like the uræus inhis diadem, his mouth was contracted, he grated his teeth, and his face becameso terrible that the terrified Timopht fell on his face upon the pavement asfalls a dead man.

Mais le Pharaon se calma; sa figure reprit son aspect majestueux,ennuyé et placide; et, voyant que Timopht ne se relevait pas, il lepoussa dédaigneusem*nt du pied.

But the Pharaoh resumed his coolness, his face regained its majestic, weary,placid look, and seeing that Timopht did not rise, he kicked himdisdainfully.

Quand Timopht, qui se regardait déjà comme étendu sur le lit funèbre à piedsde chacal, au quartier des Memnonia, le flanc ouvert, le ventre vidé et prêt àprendre le bain de saumure, se redressa, il n’osa pas lever les yeux vers leroi et resta affaissé sur ses talons, en proie à l’angoisse la pluspoignante.

When Timopht, who already saw himself stretched on the funeral bed supportedby jackal's feet in the Memnonia quarter, his side open, his stomach emptied,and himself ready to be plunged into a bath of pickle,—when Timopht raisedhimself, he dared not look up to the King, but remained crouched on his heels,a prey to the bitterest anguish.

«Allons, Timopht, dit Sa Majesté, lève-toi, cours, dépêche desémissaires de tous côtés, fais fouiller les temples, les palais, les maisons,les villas, les jardins, jusqu’aux plus humbles cahutes, et retrouveTahoser; envoie des chars sur toutes les routes, fais sillonner le Nil entous sens par des barques; va toi-même, et demande à ceux que turencontreras s’ils n’ont pas vu une femme de telle sorte; viole lestombeaux si elle s’est réfugiée dans l’asile de la mort, au fond de quelquesyringe ou de quelque hypogée; cherche-la comme Isis a cherché son mariOsiris déchiré par Typhon, et, morte ou vivante, ramène-la, ou, par l’uræus demon pschent, par le bouton de lotus de mon sceptre, tu périras dans d’affreuxsupplices.»

"Come, Timopht!" said His Majesty, "rise up, run, and despatch emissaries onall sides; have temples, palaces, houses, villas, gardens, yea, the meanest ofhuts searched, and find Tahoser. Send chariots along every road; have the Niletraversed in every direction by boats; go yourself and ask those whom you meetif they have not seen such and such a woman. Violate the tombs, if she hastaken refuge in the abodes of death, far within some passage or hypogeum. Seekher out as Isis sought her husband Osiris torn away by Typhon, and, dead oralive, bring her back,—or by the uræus of my pschent, by the lotus of mysceptre, you shall perish in hideous tortures."

Timopht s’élança avec la rapidité de l’ibex pour exécuter les ordres duPharaon, qui, rasséréné, prit une de ces poses de grandeur tranquille que lessculpteurs aiment à donner aux colosses assis à la porte des temples et despalais, et, calme comme il convient à ceux dont les sandales estampées decaptifs liés par les coudes reposent sur la tête des peuples, il attendit.

Timopht went off with the speed of a deer to carry out the orders of thePharaoh, who, somewhat calmer, took one of those poses of tranquil grandeurwhich the sculptors love to give to the colossi set up at the gates of thetemples and palaces, and calm as beseems those whose sandals, covered withdrawings of captives with bound elbows, rest upon the heads of nations, hewaited.

Un tonnerre sourd résonna autour du palais, et, si le ciel n’eût été d’unbleu de lapis-lazuli immuable, on eût pu croire à un orage; c’étaient lesbruits des chars lancés au galop dans toutes les directions, et dont les rouestourbillonnantes retentissaient sur le sol.

A roar as of thunder sounded around the palace, and had the sky not been ofunchangeable, lapis-lazuli blue it might have been thought that a storm hadburst unexpectedly. The sound was caused by the swiftly revolving wheels of thechariots galloping off in every direction, and shaking the very ground.

Bientôt le Pharaon put apercevoir du haut de sa terrasse les barques coupantl’eau du fleuve sous l’effort des rameurs, et les émissaires se répandre surl’autre rive à travers la campagne.

Soon the Pharaoh perceived from the top of the terrace the boats cleavingthe stream under the impulse of the rowers, and his messengers scattering onthe other bank through the country.

La chaîne libyque, avec ses lumières roses et ses ombres d’un bleu desaphir, fermait l’horizon et servait de fond aux gigantesques constructions desRhamsès, d’Amenoph et de Menephta; les pylônes aux angles en talus, lesmurailles aux corniches évasées, les colosses aux mains posées sur les genouxse dessinaient, dorés par un rayon de soleil, sans que l’éloignement pût leurôter de leur grandeur.

The Libyan chain, with its rosy light, and its sapphire blue shadows,bounded the horizon and formed a background to the giant buildings of Rameses,Amenhôtep, and Amen Phtases; the pylons with their sloping angles, the wallswith their spreading cornices, the colossi with their hands resting on theirknees, stood out, gilded by the sunbeams, their size undiminished bydistance.

Mais ce n’étaient pas ces orgueilleux édifices que regardait Pharaon;parmi les bouquets de palmiers et les champs cultivés, des maisons, deskiosques coloriés s’élevaient ça et là, tachetant la teinte vivace de lavégétation.

But the Pharaoh looked not at these proud edifices. Amid the clumps ofpalms and the cultivated fields, houses and painted kiosks rose here and there,standing out against the brilliant colours of the vegetation.

Sous un de ces toits, sous une de ces terrasses, Tahoser se cachait sansdoute, et, par une opération magique, il eût voulu les soulever où les rendretransparents.

Under one of these roofs, on one of these terraces, no doubt, Tahoser washiding; and by some spell he wished he could raise them or make themtransparent.

Les heures succédèrent aux heures: déjà le soleil avait disparuderrière les montagnes, lançant ses derniers feux à Thèbes, et les messagers nerevenaient pas. Pharaon gardait toujours son attitude immobile. La nuits’étendit sur la ville, calme, fraîche et bleue; les étoiles se mirent àscintiller et à faire trembler leurs longs cils d’or dans l’azur profond;et sur le coin de la terrasse le Pharaon silencieux, impassible découpait sesnoirs contours comme une statue de basalte scellée à l’entablement. Plusieursfois les oiseaux nocturnes voltigèrent autour de sa tête pour s’y poser;mais, effrayés par sa respiration lente et profonde, ils s’enfuyaient enbattant des ailes.

Hours followed on hours. The sun had sunk behind the mountains, casting itslast rays on Thebes, and the messengers had not returned. The Pharaoh preservedhis motionless attitude. Night fell on the city, cool, calm, blue; the starscame out and twinkled in the deep azure. On the corner of the terrace thePharaoh, silent, impassible, stood out dark like a basalt statue fixed upon theentablature. Several times the birds of night swept around his head eresettling on it, but terrified by his deep, slow breathing, they fled withstartled wings.

De cette hauteur, le roi dominait sa ville déployée à ses pieds. Du sein del’ombre bleuâtre jaillissaient les obélisques aux pyramidions aigus, lespylônes, portes gigantesques traversées de rayons, les hautes corniches, lescolosses émergeant jusqu’aux épaules du tumulte des constructions, lespropylées, les colonnes épanouissant leurs chapiteaux comme d’énormes fleurs degranit, les angles des temples et des palais révélés par une touche argentée delumière; les viviers sacrés s’étalaient en miroitant comme du métal poli,les sphinx et les criosphinx alignés en dromos allongeaient leurs pattes,évasaient leur croupe, et les toits plats se succédaient à l’infini,blanchissant sous la lune en masses coupées ça et là de tranchesprofonde; par les places et les rues: des points rouges piquaientcette obscurité bleue, comme si les étoiles eussent laissé tomber desétincelles sur la terre; c’étaient les lampes qui veillaient encore dansla ville endormie; plus loin, entre les édifices moins serrés, de vaguestouffes de palmiers balançaient leurs éventails de feuilles; au-delà lescontours et les formes se perdaient dans la vaporeuse immensité, car l’œil del’aigle même n’aurait pu atteindre aux limites de Thèbes, et de l’autre côté levieil Hôpi-Mou descendait majestueusem*nt vers la mer.

From the height where he sat, the King overlooked the city lying at hisfeet. Out of the mass of bluish shadow uprose the obelisks with their sharppyramidions; the pylons, giant doors traversed by rays; high cornices; thecolossi rising shoulder-high above the sea of buildings; the propylæa; thepillars, with capitals swelled out like huge granite flowers; the corners oftemples and of palaces, brought out by a silvery touch of light. The sacredpools spread out shimmering like polished metal; the human-headed and theram-headed sphinxes aligned along the avenues, stretched out theirhind-quarters; and the flat roofs were multiplied infinitely, white under themoonlight, in masses cut here and there into great slices by the squares andthe streets. Red points studded the darkness as if the stars had let sparksfall upon the earth. These were lamps still burning in the sleeping city. Stillfarther, between the less crowded buildings, faintly seen shafts of palm treeswaved their fans of leaves; and beyond, the contours and the shapes were mergedin a vaporous immensity, for even the eagle's glance could not have reached thelimits of Thebes; and on the other side old Hopi was flowing majesticallytowards the sea.

Planant par l’œil et la pensée sur cette ville démesurée dont il était lemaître absolu, Pharaon réfléchissait tristement aux bornes du pouvoir humain,et son désir, comme un vautour affamé, lui rongeait le cœur; il sedisait:

Soaring in sight and thought over that vast city of which he was theabsolute master, the Pharaoh reflected sadly on the limits set to human power,and his desire, like a raging vulture, gnawed at his heart. He said tohimself:

«Toutes ces maisons renferment des êtres dont mon aspect fait courberle front dans la poussière, et pour qui ma volonté est un ordre des dieux.Lorsque je passe sur mon char d’or ou dans ma litière portée par des oëris, lesvierges sentent leur sein palpiter en me suivant d’un long regard timide;les prêtres m’encensent avec la fumée des amschirs; le peuple balance despalmes ou répand des fleurs; le sifflement d’une de mes flèches faittrembler les nations, et les murs des pylônes, immenses comme des montagnestaillées à pic, suffisent à peine pour inscrire mes victoires; lescarrières s’épuisent à fournir du granit pour mes images colossales; unefois, dans ma satiété superbe, je forme un souhait, et ce souhait je ne peuxl’accomplir! Timopht ne reparaît pas: il n’aura rien trouvé sansdoute. Ô Tahoser, Tahoser, que de bonheur tu me dois pour cetteattente!»

"All these houses contain beings who at the sight of me bow their faces intothe dust, to whom my will is the will of the gods. When I pass upon my goldencar or in my litter borne by the oëris, virgins feel their bosoms swell astheir long, timid glance follows me; the priests burn incense to me in theircensers, the people wave palms and scatter flowers; the whistling of one of myarrows makes the nations tremble; and the walls of pylons huge as precipitousmountains are scarce sufficient to record my victories; the quarries can scarcefurnish granite enough for my colossal statues. Yet once, in my superb satiety,I form a wish, and that wish I cannot fulfil. Timopht does not reappear. Nodoubt he has failed. Oh, Tahoser, Tahoser! How great is the happiness you willhave to bestow on me to make up for this long waiting!"

Cependant les émissaires, Timopht en tête, visitaient les maisons, battaientles routes, s’informant de la fille du prêtre, donnant son signalement auxvoyageurs qu’ils rencontraient. Mais personne ne pouvait leur répondre.

Meanwhile the messengers, Timopht at their head, were visiting the houses,examining the roads, inquiring after the priest's daughter, describing her tothe travellers they met; but no one could answer them.

Un premier messager parut sur la terrasse, annonçant au Pharaon que Tahoserne se retrouvait pas.

The first messenger appeared on the terrace and announced to the Pharaohthat Tahoser could not be found.

Le Pharaon étendit son sceptre; le messager tomba mort, malgré ladureté proverbiale du crâne des Égyptiens.

The Pharaoh stretched out his sceptre, and the messenger fell dead, in spiteof the proverbial hardness of the Egyptian skull.

Un second se présenta; il heurta du pied le corps de son camarade,allongé sur la dalle; un tremblement le prit, car il vit que le Pharaonétait en colère.

A second came up; he stumbled against the body of his comrade stretched onthe slabs; he trembled, for he saw that the Pharaoh was angry.

«Et Tahoser? dit le Pharaon sans changer de posture.

"What of Tahoser?" said the Pharaoh, without changing his attitude.

— Ô Majesté! sa trace est perdue,» répondit le malheureuxagenouillé dans l’ombre, devant cette ombre noire qui ressemblait plutôt à unestatue osirienne qu’à un roi vivant.

"O Majesty! all trace of her is lost," replied the poor wretch, kneeling inthe darkness before the black shadow, which was more like a statue of Osiristhan a living king.

Le bras de granit se détacha du torse immobile, et le sceptre de métaldescendit comme un carreau de foudre. Le second messager roula à côté dupremier.

The granite arm was outstretched from the motionless torso, and the metalsceptre fell like a thunderbolt. The second messenger rolled on the ground bythe side of the first.

Un troisième eut le même sort.

The third shared the same fate.

… De maison en maison, Timopht arriva au pavillon de Poëri, qui, rentré deson excursion nocturne, s’était étonné le matin de ne pas voir la fausse Hora.Harphré et les servantes qui la veille avaient soupé avec elle ne savaient pasce qu’elle pouvait être devenue; sa chambre visitée était vide; onl’avait cherchée vainement dans les jardins, les celliers, les greniers et leslavoirs.

Timopht, in the course of his search, reached the house of Poëri, who,having returned from his nocturnal excursion, had been amazed that morning atnot seeing the sham Hora. Harphre and the servants who, the night before, hadsupped with her, did not know what had become of her; her room had been foundempty; she had been sought for in vain through the gardens, the cellars, thegranaries, and the washing-places.

Aux questions de Timopht, Poëri répondit qu’en effet une jeune fille s’étaitprésentée à sa porte avec l’attitude suppliante du malheur, implorant à genouxl’hospitalité, qu’il l’avait accueillie favorablement, lui offrant le couvertet la nourriture, mais qu’elle s’en était allée d’une façon mystérieuse, etpour une cause qu’il ne pouvait soupçonner. Quel chemin avait-elle pris?il l’ignorait. Sans doute, un peu reposée, elle avait continué sa route vers unbut inconnu. Elle était belle, triste, couverte d’une simple étoffe, etsemblait pauvre; le nom d’Hora qu’elle s’était donné déguisait-il le nomde Tahoser? il laissait la sagacité de Timopht décider cettequestion.

Poëri replied, when questioned by Timopht, that it was true that a younggirl had presented herself at his gate in the supplicating posture ofmisfortune, imploring hospitality on her knees; that he had received herkindly; had offered her food and shelter; but that she had left in a mysteriousfashion for a reason which he could not fathom. In what direction had she gone?That he did not know. No doubt, having rested, she had continued on her way tosome unknown place. She was beautiful, sad, wore a garment of common stuff,and appeared to be poor. Did the name of Hora which she had given stand forthat of Tahoser? It was for Timopht to answer that question.

Muni de ces renseignements, Timopht revint au palais, et, se tenant hors dela portée du sceptre du Pharaon, il lui raconta ce qu’il avait appris.

Provided with this information, Timopht returned to the palace, and keepingwell out of the reach of the Pharaoh's sceptre, he repeated what he hadlearned.

«Qu’est-elle allée faire chez Poëri? se dit le Pharaon: sivraiment Hora cache Tahoser, elle aime Poëri. Non, car elle ne se serait pasenfuie de la sorte après avoir été reçue sous son toit. Ah! je laretrouverai, dussé-je bouleverser l’Égypte, des cataractes au Delta.»

"What did she go to Poëri's for?" said the Pharaoh to himself. "If Hora isreally Tahoser, she loves Poëri. And yet, no! for she would not have fled thus,after having been received under his roof. I shall find her again, even if Ihave to upset the whole of Egypt from the Cataracts to the Delta."

XI

XI

Ra’hel, qui du seuil de la cabane regardait Poëri s’éloigner, crut entendreun faible soupir; elle écouta. Quelques chiens aboyaient à la lune;la chouette poussait son cri funèbre, et les crocodiles vagissaient entre lesroseaux du fleuve, imitant le cri d’un enfant en détresse. La jeune Israéliteallait rentrer lorsqu’un gémissem*nt plus distinct, qui ne pouvait êtreattribué aux vagues plaintes de la nuit, et sortait à coup sûr d’une poitrinehumaine, frappa une seconde fois son oreille.

Ra'hel, who from the threshold of the hut was watching Poëri go away,thought she heard a faint sigh. She listened; some dogs were baying to themoon, an owl uttered its doleful hoot, and the crocodiles moaned between thereeds of the river, imitating the cry of a child in distress. The youngIsraelite was about to re-enter the hut when a more distinct moan, which couldnot be attributed to the vague sounds of night, and which certainly came from ahuman breast, again struck her ear.

Elle s’approcha avec précaution, redoutant quelque embûche, de l’endroitd’où venait le son, et près du mur de la cabane elle aperçut dans l’ombrebleuâtre et transparente comme la forme d’un corps affaissé à terre; ladraperie mouillée moulait les formes de la fausse Hora et trahissait son sexepar de pures rondeurs.

Fearing some ambush, she drew cautiously near the place whence came thesound, and close to the wall of the hut she perceived in the blue transparentdarkness the shape of a body fallen to the ground. The wet drapery outlined thelimbs of the false Hora and betrayed her sex.

Ra’hel, voyant qu’elle n’avait affaire qu’à une femme évanouie, perdit toutecrainte et s’agenouilla près d’elle, interrogeant le souffle de sa bouche et lebattement de son cœur. L’un expirait sur des lèvres pâles, l’autre soulevait àpeine une gorge froide.

Ra'hel, seeing that she had to do with a fainting woman only, lost all fearand knelt by her, questioning the breathing of her lips and the beating of herheart; the one was just expiring on the pale lips, the other scarce beat underthe cold breasts.

Sentant l’eau qui trempait la robe de l’inconnue, Ra’hel crut d’abord quec’était du sang, et s’imagina avoir devant elle la victime d’un meurtre, etpour lui porter un secours plus efficace, elle appela Thamar, sa servante, et àelles deux elles portèrent Tahoser dans la cabane.

Les deux femmes l’étendirent sur le lit de repos. Thamar tint la lampeélevée, pendant que Ra’hel, penchée sur la jeune fille, cherchait sablessure; mais aucune raie rouge ne tranchait sur la blancheur mate deTahoser, et sa robe ne présentait pas de tache pourprée; elles luienlevèrent son vêtement humide, et jetèrent sur elle une étoffe de laine rayéedont la douce chaleur eut bientôt fait reprendre son cours à la vie suspendue.Tahoser ouvrit lentement les yeux et promena autour d’elle son regard effaré,comme une gazelle prise.

Feeling the water which had soaked the stranger's dress, Ra'hel thought atfirst that it was blood, and imagined that the woman must be the victim of amurder. In order to help her to better purpose, she called Thamar, her servant,and the two women carried Tahoser into the hut. They laid her upon the couch.Thamar held up a lamp, while Ra'hel, bending over the girl, looked for thewound; but no red streak showed upon the pallor of Tahoser, and her dress hadno crimson stain.

They stripped off her wet garment, and cast over her a piece of stripedwool, the gentle warmth of which soon restored her suspended circulation.Tahoser slowly opened her eyes and cast around her a terrified glance like thatof a captured gazelle.

Il lui fallut quelques minutes pour renouer le fil rompu de ses idées. Ellene pouvait comprendre encore comment elle se trouvait dans cette chambre, surce lit où, tout à l’heure, elle avait vu Poëri et la jeune Israélite assis l’unprès de l’autre et les mains enlacées, se parlant d’amour, tandis qu’elle,haletante, éperdue, regardait à travers la fissure de la muraille; maisbientôt la mémoire lui revint, et avec elle le sentiment de sa situation.

It took her some time to regain control of her thoughts. She could notunderstand how she happened to be in that room, on the bed, where but a momentago she had seen Poëri and the young Israelite seated side by side with claspedhands, speaking of love, while she, breathless, amazed, watched through thecrack of the wall; but soon memory returned, and with it the feeling of hersituation.

La lumière donnait en plein sur la figure de Ra’hel, et Tahoser l’étudiaiten silence, malheureuse de la trouver si régulièrement belle. En vain, avectoute l’âpreté de la jalousie féminine, elle y chercha un défaut; elle sesentit non pas vaincue, mais égalée; Ra’hel était l’idéal israélite commeTahoser était l’idéal égyptien. Chose dure pour un cœur aimant, elle fut forcéed’admettre la passion de Poëri comme juste et bien placée. Ces yeux aux cilsnoirs recourbés, ce nez d’une coupe si noble, cette bouche rouge au sourireéblouissant, cet ovale allongé avec tant d’élégance, ces bras forts près desépaules et terminés par des mains enfantines, ce col rond et gras qui setournait en formant des plis plus beaux que des colliers de pierres précieuses,tout cela, rehaussé d’une parure exotique et bizarre, devait immanquablementplaire.

The light fell full on Ra'hel's face. Tahoser studied it silently, grievedto find her so perfectly beautiful. In vain, with all the fierceness offeminine jealousy, she tried to note defects in her; she felt herself notvanquished, but equalled; Ra'hel was the Hebrew ideal, as Tahoser was theEgyptian. Hard though it was to her loving heart, she was compelled to admitthat Poëri's love was justified and well bestowed. The eyes with their fullblack eyelashes, the beautiful nose, the red mouth with its dazzling smile, thelong, elegant oval face, the arms, full near the shoulders and ending inchildish hands, the round, plump neck which, as it turned, formed folds morebeautiful than necklaces of gems,—all this, set off by a quaint, exotic dress,was sure to please.

«J’ai commis une grande faute, se disait Tahoser, quand je me suisprésentée à Poëri sous l’humble aspect d’une suppliante, me fiant à mes charmestrop vantés par des flatteurs. Insensée! j’ai fait comme un soldat quis’en irait à la guerre sans cuirasse et sans harpé. Si j’avais paru armée demon luxe, couverte de bijoux et d’émaux, debout sur mon char d’or, suivie demes nombreux esclaves, j’aurais peut-être intéressé sa vanité, sinon soncœur.

"I made a great mistake," said Tahoser to herself, "when I presented myselfto Poëri in the humble attitude of a suppliant, trusting to my charmsoverpraised by flatterers. Fool that I was! I acted as a soldier who should goto war without breastplate or weapons. If I had appeared in all my splendour,covered with jewels and enamels, standing on my golden car followed by mynumerous slaves, I might perhaps have touched his fancy, if not his heart."

— Comment te trouves-tu maintenant?» dit Ra’hel en langueégyptienne à Tahoser; car à la coupe du visage et aux cheveux nattés encordelettes elle avait reconnu que la jeune fille n’appartenait pas à la raceisraélite.

"How do you feel now?" said Ra'hel in Egyptian to Tahoser; for by theoutline of the face and the dressing of the hair, she had perceived that themaiden did not belong to the Israelitish race.

Le son de cette voix était compatissant et doux, et l’accent étranger luidonnait une grâce de plus.

The sound of her voice was sympathetic and sweet, and the foreign accentadded greater grace to it.

Tahoser en fut touchée malgré elle, et répondit:

«Je vais un peu mieux; tes bons soins m’auront bientôtguérie.

Tahoser was touched in spite of herself, and replied, "I feel better. Yourkind care will soon have restored me."

— Ne te fatigue pas à parler, répondit l’Israélite en posant sa main sur labouche de Tahoser. Tâche de dormir pour reprendre des forces; Thamar etmoi nous veillerons sur ton sommeil.»

"Do not tire yourself with speaking," answered the Israelite, placing herhand on Tahoser's lips. "Try to sleep, to regain your strength. Thamar and Iwill watch over you."

Les émotions, la traversée du Nil, la longue course à travers les quartiersperdus de Thèbes avaient épuisé la fille de Pétamounoph. Son corps délicatétait brisé, et bientôt ses longs cils s’abaissèrent, formant un demi-cerclenoir sur ses joues que coloraient les rougeurs de la fièvre. Le sommeil vint,mais agité, inquiet, traversé de songes bizarres, hanté d’hallucinationsmenaçantes; des soubresauts nerveux faisaient tressaillir la dormeuse, etdes paroles sans suite, répliquant au dialogue intérieur du rêve, balbutiaientsur ses lèvres entrouvertes.

Her agitation, the swim across the Nile, the long walk through the poorquarters of Thebes, had wearied out Petamounoph's daughter; her delicate framewas exhausted, and soon her long lashes closed, forming a dark semicircle uponher cheeks flushed with fever. Sleep came to her, but broken, restless,distorted by strange dreams, troubled by threatening hallucinations; nervousshivers made the sleeper start, and broken words, replying to the dreamdialogue, were spoken by the half-opened lips.

Assise au chevet du lit, Ra’hel suivait les mouvements de physionomie deTahoser, s’inquiétant lorsqu’elle voyait les traits de la jeune malade secontracter et prendre une expression douloureuse, se rassérénant quand le calmelui revenait; Thamar, accroupie en face de sa maîtresse, observait aussila fille du prêtre; mais sa figure exprimait moins de bienveillance. Desinstincts vulgaires se lisaient dans les rides de son front bas, pressé par lalarge bandelette de la coiffure israélite; ses yeux, éclatants encoremalgré l’âge, pétillaient de curiosité interrogative dans leurs orbites derides brunes; son nez osseux, luisant et recourbé comme le bec d’ungypaète, semblait subodorer des secrets, et ses lèvres remuées silencieusem*ntavaient l’air de préparer des questions.

Seated at the bed head, Ra'hel followed the changes in the features ofTahoser; troubled when she saw them contract and fill with grief, quieted againwhen the girl calmed down. Thamar, crouching beside her mistress, was alsowatching the priest's daughter, but her face expressed less kindliness. Coarseinstincts showed in the wrinkles of her brow, pressed down by the broad band ofthe Hebrew head-dress; her eyes, still bright in spite of her age, sparkledwith curious questionings in their brown and wrinkled orbits; her bony nose,shining and curved like a vulture's beak, seemed to scent out secrets; and herlips, slightly moving, appeared to be framing interrogations.

Cette inconnue ramassée à la porte de la cabane l’intriguait vivement;d’où venait-elle? comment se trouvait-elle là? dans quel but?qui pouvait-elle être? Telles étaient les demandes que se posait Thamar,et auxquelles, à son grand regret, elle n’imaginait pas de réponsessatisfaisantes. Il faut dire aussi que Thamar, comme toutes les vieillesfemmes, avait une prévention contre la beauté; et, sous ce rapport,Tahoser lui déplaisait. La fidèle servante pardonnait à sa maîtresse seulementd’être jolie, et cette beauté, elle la considérait comme sienne: elle enétait fière et jalouse.

She was very much concerned about this stranger picked up at the door of thehut. Whence came she? How did she happen to be there? What was her purpose? Whocould she be? Such were the questions which Thamar asked herself, and to which,very regretfully, she could find no satisfactory replies. Besides, Thamar,like all old women, was prejudiced against beauty, and in this respect Tahoserproved very unpleasant to her. The faithful servant forgave beauty in hermistress only; for her good looks she considered as her property, and she wasproud and jealous of them.

Voyant que Ra’hel gardait le silence, la vieille se leva, vint s’asseoirprès d’elle, et faisant clignoter ses yeux, dont la paupière bistrées’abaissait et s’élevait comme une aile de chauve-souris, elle lui dit à voixbasse et en langue hébraïque:

«Maîtresse, je n’augure rien de bon de cette femme.

Seeing that Ra'hel kept silence, the old woman rose and sat down near her,and winking her eyes, the brown lids of which rose and fell like a bat's wing,she whispered in the Hebrew tongue, "Mistress, nothing good will come of thiswoman."

— Et pourquoi, Thamar? répondit Ra’hel sur le même ton et dans le mêmeidiome.

"Why do you think so, Thamar?" answered Ra'hel, in the same low tone andusing the same language.

— Il est singulier, reprit la défiante Thamar, qu’elle se soit évanouie là,et non ailleurs.

"It is strange," went on the suspicious Thamar, "that she should havefainted there, and not elsewhere."

— Elle s’est affaissée à l’endroit où le mal l’a prise.»

"She fell at the spot where weakness came upon her."

La vieille hocha la tête d’un air de doute.

The old woman shook her head doubtfully.

«Croirais-tu, dit la bien-aimée de Poëri, que son évanouissem*ntn’était pas réel? Le paraschiste eût pu lui inciser le flanc de sa pierretranchante, tellement elle ressemblait à un cadavre. Ce regard éteint, ceslèvres pâles, ces joues décolorées, ces membres inertes, cette peau froidecomme celle d’une morte, tout cela ne se contrefait pas.

"Do you suppose," said Poëri's beloved, "that her faint was simulated? Thedissector might have cut her side with his sharp stone, so like a dead body didshe seem. Her dull eyes, her pale lips, her pallid cheeks, her limp limbs, herskin as cold as that of the dead,—these things cannot be counterfeited."

— Non sans doute, reprit Thamar, quoiqu’il y ait des femmes assez habilespour feindre tous ces symptômes dans un intérêt quelconque, de manière àtromper les plus clairvoyants. Je pense que cette jeune fille avait en effetperdu connaissance.

"No, doubtless," replied Thamar, "although there are women clever enough tofeign all these symptoms, for some reason or another, so skilfully as todeceive the most clear-sighted. I believe that the maiden had swooned, as amatter of fact."

— Alors sur quoi portent tes soupçons?

"Then what are you suspicious of?"

— Comment se trouvait-elle là, au milieu de la nuit, dans ce quartierlointain, habité seulement par les pauvres captifs de notre tribu, que leméchant Pharaon emploie à faire des briques, sans vouloir leur donner la paillepour cuire l’argile moulée? Quel motif amenait cette Égyptienne autour denos misérables cabanes? Pourquoi son vêtement était-il trempé comme sielle sortait d’une piscine ou d’un fleuve?

"How did she happen to be there in the middle of the night; in this distantquarter inhabited only by the poor captives of our tribe whom the cruel Pharaohemploys in making brick, and to whom he refuses the straw necessary to burn thebricks? What motive brought that Egyptian woman to our wretched huts? Why washer garment soaking wet, as if she had just emerged from a pool or from theriver?"

— Je l’ignore comme toi, répondit Ra’hel.

"I know no more than you do," replied Ra'hel.

— Si c’était une espionne de nos maîtres? dit la vieille, dont lesyeux fauves s’allumèrent d’un éclair de haine. De grandes choses sepréparent; qui sait si l’éveil n’a pas été donné?

"Suppose she were a spy of our masters'," said the old woman, whose fierceeyes were lighted up with hatred. "Great events are preparing,—who knowswhether the alarm has not been given?"

— Comment cette jeune fille malade pourrait-elle nous nuire? elle estentre nos mains, faible, isolée et gisante: nous pouvons d’ailleurs, à lamoindre apparence suspecte, la retenir prisonnière jusqu’au jour de ladélivrance.

"How could that young girl, ill as she is, hurt us? She is in our hands,weak, alone, ill. Besides, we can, at the least suspicious sign, keep herprisoner until the day of deliverance."

— En tout cas, il faut s’en défier; regarde comme ses mains sontdélicates et douces.»

"In any case, she is not to be trusted. See how delicate and soft are herhands!"

Et la vieille Thamar souleva un des bras de Tahoser endormie.

And old Thamar raised one of the arms of the sleeping Tahoser.

«En quoi la finesse de sa peau peut-elle nous mettre endanger?

"In what respect can the fineness of her skin endanger us?"

— Ô jeunesse imprudente! dit Thamar; ô jeunesse folle, qui nesait rien voir, et qui marche dans la vie pleine de confiance, sans croire auxembûches, à la ronce cachée sous l’herbe, au charbon couvert de cendres et quicaresserait volontiers la vipère, prétendant que ce n’est qu’unecouleuvre! Comprends donc, Ra’hel, et dessille tes yeux. Cette femmen’appartient pas à la classe dont elle semble faire partie; son pouce nes’est pas aplati sur le fil du fuseau! et cette petite main, adoucie parles pâtes et les aromates, n’a jamais travaillé; cette misère est undéguisem*nt.»

"Oh, imprudent youth!" said Thamar; "oh, mad youth! which cannot seeanything, which walks through life trustfully, without believing in ambushes,in brambles under the grass, in hot coals under the ashes, and which wouldgladly caress a viper, believing it to be only a snake. Open your eyes! Thatwoman does not belong to the class of which she seems to be; her thumb hasnever been flattened on the thread of the spindle, and that little hand,softened by essences and pomades, has never worked. Her poverty is adisguise."

Les paroles de Thamar parurent faire impression sur Ra’hel; elleexamina Tahoser avec plus d’attention.

Thamar's words appeared to impress Ra'hel; she examined Tahoser moreattentively.

La lampe versait sur elle ses rayons tremblotants, et les formes pures de lafille du prêtre se dessinaient à la jaune clarté dans l’abandon du sommeil. Lebras que Thamar avait soulevé reposait encore sur le manteau de laine rayée,rendu plus blanc par le contraste de l’étoffe sombre; au poignets’arrondissait le bracelet en bois de santal, parure grossière de lacoquetterie pauvre, mais si l’ornement était rude et mal ciselé, la chair, eneffet, semblait avoir été pétrie dans le bain parfumé de la richesse. Ra’helvit alors combien Tahoser était belle; mais cette découverte ne fitnaître aucun mauvais sentiment dans son cœur. Cette beauté l’attendrit au lieude l’irriter comme Thamar. Elle ne put croire que cette perfection cachât uneâme abjecte et perfide, et en cela sa jeune candeur jugeait mieux que l’antiqueexpérience de sa suivante.

The lamp shed upon her its trembling rays, and the delicate form of thepriest's daughter showed in the yellow light relaxed in sleep. The arm whichThamar had raised still rested upon the mantle of striped wool, showing whiterby contrast with the dark stuff; the wrist was circled with a bracelet ofsandal wood, the commonplace adornment of the coquetry of poverty; but if theornament was rude and roughly chased, the flesh it covered seemed to have beenwashed in the perfumed bath of riches. Then Ra'hel saw how beautiful wasTahoser, but the discovery excited no evil feeling in her heart; Tahoser'sbeauty softened, instead of irritating her as it did Thamar; she could notbelieve that such perfection concealed a vile and perfidious soul; and in thisrespect her youthful candour judged more correctly than the long experience ofher maid.

Le jour parut enfin, et la fièvre de Tahoser s’accrut; elle eutquelques instants de délire suivis de longues somnolences.

Day at last dawned, and Tahoser's fever grew worse. She was delirious attimes, and then would fall into a prolonged slumber.

«Si elle allait mourir ici, disait Thamar, on nous accuserait del’avoir tuée.

"If she were to die here," said Thamar, "we should be accused of havingkilled her."

— Elle ne mourra pas, répondit Ra’hel en approchant des lèvres de la jeunemalade que la soif brûlait une coupe d’eau pure.

"She will not die," replied Ra'hel, putting a cup of cool water to the lipsof the sick girl.

— J’irais de nuit jeter le corps au Nil, continuait l’obstinée Thamar, etles crocodiles se chargeraient de le faire disparaître.»

"If she does, I shall throw her body by night into the Nile," continued theobstinate Thamar, "and the crocodiles will undertake to make it disappear."

La journée se passa; la nuit vint, et, à l’heure accoutumée, Poëri,ayant fait le signal convenu, parut comme la veille sur le seuil de la cabane.Ra’hel vint au-devant de lui le doigt sur la bouche, lui faisant signe degarder le silence et de baisser la voix, car Tahoser dormait.

The day passed, the night came, and at the accustomed hour Poëri, havinggiven the usual signal, appeared as he had done the night before on thethreshold of the hut.

Ra'hel came to meet him, her finger on her lips, and signed to him to keepsilence and to speak low, for Tahoser was sleeping.

Poëri, que Ra’hel prit par la main pour le conduire au lit où reposaitTahoser, reconnut aussitôt la fausse Hora, dont la disparition le préoccupaitsurtout depuis la visite de Timopht, qui la cherchait au nom de son maître.

Poëri, whom Ra'hel led by the hand to the bed on which Tahoser rested, atonce recognised the sham Hora, whose disappearance had preoccupied him a gooddeal, especially since the visit of Timopht, who was looking for her in hismaster's name.

Un vif étonnement se peignit sur ses traits lorsqu’il se releva, aprèss’être penché sur le lit pour bien s’assurer que là gisait réellement la jeunefille qu’il avait accueillie, car il ne pouvait concevoir comment elle setrouvait en cet endroit.

Marked astonishment showed in his face as he rose, after having bent overthe bed to make quite certain that the young girl who lay there was the onewhom he had welcomed, for he could not understand how she happened to be inthis place.

Cette surprise alla au cœur de Ra’hel: elle se plaça devant Poëri pourlire de plus près la vérité dans ses yeux, lui mit les mains sur les épaules,et, le pénétrant du regard, lui dit d’une voix sèche et brève, contrastant avecsa parole douce d’ordinaire comme un roucoulement de tourterelle:

His look of surprise smote Ra'hel to the heart. She stood in front of Poërito read the truth in his eyes, placed her hands upon his shoulders, and fixingher glance upon him, said, in a dry, sharp voice which contrasted with herspeech, usually as gentle as the cooing of a dove,—

«Tu la connais donc?»

"So you know her?"

La figure de Thamar s’était contractée en une grimace de satisfaction;elle était fière de sa perspicacité, et presque contente de voir ses soupçons àl’endroit de l’étrangère en partie réalisés.

Thamar grinned with satisfaction; she was proud of her perspicacity, andalmost glad to see her suspicions as regarded the stranger partiallyjustified.

«Oui», répondit simplement Poëri.

"Yes," replied Poëri, quietly.

Les yeux de charbon de la servante pétillèrent de curiosité maligne.

The bright eyes of the old woman sparkled with malicious curiosity.

La figure de Ra’hel reprit son expression de sécurité; elle ne doutaitplus de son amant.

Ra'hel's face resumed its expression of trustfulness; she no longer doubtedher lover.

Poëri lui raconta qu’une jeune fille, se donnant le nom d’Hora, s’étaitprésentée chez lui en suppliante, qu’il l’avait accueillie comme on doit lefaire de tout hôte; que, le lendemain, elle manquait parmi les servantes,et qu’il ne pouvait s’expliquer comment elle se retrouvait là; il ajoutaaussi que des émissaires de Pharaon cherchaient partout Tahoser, la fille dugrand prêtre Pétamounoph, disparue de son palais.

Poëri told her that a girl calling herself Hora had presented herself at hishome as a suppliant; that he had received her as any guest should be received;that the next day she had disappeared from among the maids, and that he couldnot understand how she happened to be there. He also added that the emissariesof the Pharaoh were everywhere looking for Tahoser, the daughter of thehigh-priest Petamounoph, who had disappeared from her palace.

«Tu vois bien que j’avais raison, maîtresse, dit Thamar d’un ton detriomphe; Hora et Tahoser sont la même personne.

"You see that I was right, mistress," said Thamar, triumphantly. "Hora andTahoser are one and the same person."

— Cela est possible, répondit Poëri. Mais il y a ici plusieurs mystères quema raison ne s’explique pas: d’abord, pourquoi Tahoser (si c’est elle)aurait-elle pris ce déguisem*nt? et ensuite par quel prodige rencontré-jeici cette jeune fille que j’ai laissée hier soir de l’autre côté du Nil, etqui, certes, ne pouvait savoir où j’allais?

"That may be," replied Poëri, "but there are a number of difficulties whichmy reason does not explain. First, why should Tahoser, if it is she, don thisdisguise? Next, by what miracle do I meet here the maiden whom I left lastnight on the other bank of the Nile, and who certainly could not know whither Iwas going?"

— Elle t’a suivi sans doute, dit Ra’hel.

"No doubt she followed you," said Ra'hel.

— Il n’y avait, j’en suis sûr, à cette heure, d’autre barque sur le fleuveque la mienne.

"I am quite sure that at that time there was no other boat on the river butmine."

— C’est donc pour cela que ses cheveux ruisselaient et que sa robe étaittrempée; elle aura traversé le Nil à la nage.

"That is the reason her hair was so dripping-wet and her garments soaked.She must have swum across the Nile."

— En effet, il m’a semblé un instant entrevoir dans l’obscurité une têtehumaine au-dessus de l’eau.

"That may well be,—I thought for a moment that I had caught sight in thedarkness of a human head above the waters."

— C’était elle, la pauvre enfant, dit Ra’hel, son évanouissem*nt et safatigue le prouvent; car, après ton départ, je l’ai relevée étendue sansconnaissance en dehors de cette cabane.

"It was she, poor child!" said Ra'hel; "her fatigue and her faintingcorroborate it, for after your departure I picked her up stretched senselessoutside the hut."

— Les choses doivent en effet s’être passées de la sorte, dit le jeunehomme. Je vois bien les actions, mais je n’en comprends pas les motifs.

"No doubt that is the way things occurred," said the young man. "I can seethe acts, but I cannot understand the motive."

— Je vais te les expliquer, dit en souriant Ra’hel, quoique je ne soisqu’une pauvre ignorante et qu’on te compare pour la science à ces prêtresd’Égypte qui étudient nuit et jour au fond de sanctuaires chamarrésd’hiéroglyphes mystérieux, dont eux seuls pénètrent les sens profonds;mais quelquefois les hommes, si occupés de l’astronomie, de la musique et desnombres, ne devinent pas ce qui se passe dans le cœur des jeunes filles. Ilsvoient au ciel une étoile lointaine et ne remarquent pas un amour tout prèsd’eux: Hora, ou plutôt Tahoser, car c’est elle, a pris ce déguisem*ntpour s’introduire dans ta maison, pour vivre près de toi; jalouse, elles’est glissée dans l’ombre derrière tes pas; au risque d’être dévorée parles crocodiles du fleuve, elle a traversé le Nil; arrivée ici, elle nousa épiés par quelque fente de la muraille et n’a pu supporter le spectacle denotre bonheur. Elle t’aime parce que tu es très beau, très fort et trèsdoux; mais cela m’est bien égal, puisque tu ne l’aimes pas. As-tucompris, maintenant?»

"Let me explain it," said Ra'hel, smiling, "although I am but a poor,ignorant woman, and you are compared, as regards your vast knowledge, to thepriests of Egypt who study night and day within sanctuaries covered with mystichieroglyphs, the hidden meaning of which they alone can penetrate. Butsometimes men, who are so busy with astronomy, music, and numbers, do not guesswhat goes on in a maiden's heart. They can see a distant star in the heavens;they do not notice a love close to them. Hora—or rather, Tahoser, for it isshe—took this disguise to penetrate into your house and to live near you;jealous, she glided in the shadow behind you; at the risk of being devoured bythe crocodiles in the river she swam across the Nile. On arriving here shewatched us through some crack in the wall, and was unable to bear the sight ofour happiness. She loves you because you are very handsome, very strong, andvery gentle. But I do not care, since you do not love her. Now do youunderstand?"

Une légère rougeur monta aux joues de Poëri; il craignait que Ra’helne fût irritée et ne parlât ainsi pour lui tendre un piège; mais leregard de Ra’hel, lumineux et pur, ne trahissait aucune arrière-pensée. Ellen’en voulait pas à Tahoser d’aimer celui qu’elle aimait elle-même.

A faint blush coloured Poëri's cheeks; he feared lest Ra'hel were angry andspoke thus to entrap him, but her clear, pure glance betrayed no hiddenthought. She was not angry with Tahoser for loving the man whom she lovedherself.

À travers les fantômes de ses rêves, Tahoser aperçut Poëri debout auprèsd’elle. Une joie extatique se peignit sur sa figure, et, se soulevant à demi,elle saisit la main pendante du jeune homme pour la porter à ses lèvres.

In her dreams Tahoser saw Poëri standing by her; ecstatic joy lighted up herfeatures, and half raising herself, she seized the hand of the young man tobear it to her lips.

«Ses lèvres brûlent, dit Poëri en retirant sa main.

"Her lips are burning," said Poëri, withdrawing his hand.

— D’amour autant que de fièvre, fit Ra’hel; mais elle est vraimentmalade; si Thamar allait chercher Mosché? il est plus savant queles sages et les devins de Pharaon, dont il imite tous les prodiges; ilconnaît la vertu des plantes et sait en composer des breuvages quiressusciteraient les morts; il guérira Tahoser, car je ne suis pas assezcruelle pour vouloir qu’elle perde la vie.»

"With love as much as with fever," replied Ra'hel, "but she is really ill.Suppose Thamar were to fetch Mosche. He is wiser than the wise men and thewizards of Pharaoh, every one of whose wonders he imitates. He knows the secretproperties of plants, and makes drinks of them which would bring the dead tolife. He shall cure Tahoser, for I am not cruel enough to wish her to lose herlife."

Thamar partit en rechignant, et bientôt elle revint suivie d’un vieillard dehaute stature, dont l’aspect majestueux commandait le respect: uneimmense barbe blanche descendait à flots sur sa poitrine, et de chaque côté deson front deux protubérances énormes accrochaient et retenaient lalumière; on eût dit deux cornes ou deux rayons. Sous ses épais sourcilsses yeux brillaient comme des flammes. Il avait l’air, malgré ses habitssimples, d’un prophète ou d’un dieu.

Thamar went off grumbling, and soon returned, followed by a very tall oldman, whose majestic aspect inspired reverence. A long white beard fell downover his breast, and on either side of his brow two huge protuberances caughtand retained the light. They looked like two horns or two beams. Under histhick eyebrows his eyes shone like fire. He looked, in spite of his simpledress, like a prophet or a god.

Mis au fait par Poëri, il s’assit près de la couche de Tahoser, et dit enétendant les mains sur elle: «Au nom de celui qui peut tout et prèsde qui les autres dieux ne sont que des idoles et des démons, quoique tun’appartiennes pas à la race élue du Seigneur, jeune fille, soisguérie!»

Acquainted with the state of things by Poëri, he sat down by Tahoser'scouch, and said, as he stretched his hand over her: "In the name of the MightyOne beside whom all other gods are idols and demons,—though you do not belongto the elect of the Lord,—maiden, be cured!"

XII

XII

Le grand vieillard se retira d’un pas lent et solennel, faisant comme unelueur après lui. Tahoser, surprise de se sentir abandonnée subitement par lemal, promenait ses yeux autour de la chambre, et bientôt, se drapant del’étoffe dont la jeune Israélite l’avait couverte, elle glissa ses pieds àterre et s’assit au bord du lit: la fatigue et la fièvre avaientcomplètement disparu. Elle était fraîche comme après un long repos, et sabeauté rayonnait dans toute sa pureté. Chassant de ses petites mains les massestressées de sa coiffure derrière ses oreilles, elle dégagea sa figure illuminéed’amour, comme si elle eût voulu que Poëri pût y lire. Mais, voyant qu’ilrestait immobile près de Ra’hel, sans l’encourager d’un signe ou d’un regard,elle se leva lentement, s’avança près de la jeune Israélite et lui jetaéperdument les bras autour du col.

The tall old man withdrew solemnly, leaving, as it were, a trail of lightbehind him. Tahoser, surprised at feeling her sickness suddenly leave her,cast her eyes around the room, and soon, wrapping herself in the blanket withwhich the young Israelite had covered her, she put her feet to the ground andsat up on the edge of the bed. Fatigue and fever had completely left her; shewas as fresh as after a long rest, and her beauty shone in all its purity.Pushing back with her little hands the plaited masses of her hair behind herears, she showed her face lighted up with love, as if she desired Poëri to readit; but seeing that he remained motionless near Ra'hel without encouraging herby a sign or a glance, she rose slowly, drew near the young Israelite girl, andthrew her arms around her neck.

Elle resta ainsi, la tête cachée dans le sein de Ra’hel, lui mouillant ensilence la poitrine de larmes tièdes.

She remained thus, her head in Ra'hel's bosom, wetting it with her hottears. Sometimes a sob she could not repress shook her convulsively upon herrival's breast.

Quelquefois un sanglot qu’elle ne pouvait réprimer la faisait convulsivementtressaillir, et la secouait sur le cœur de sa rivale; cet abandon entier,cette désolation franche touchèrent Ra’hel, Tahoser s’avouait vaincue, etimplorait sa pitié par des supplications muettes, faisant appel aux générositésde la femme.

The complete yielding up of herself, and her evident misery, touched Ra'hel.Tahoser confessed herself beaten, and implored her pity by mute supplication,appealing to her womanly generosity.

Ra’hel, émue, l’embrassa et lui dit: «Sèche tes pleurs et ne tedésole pas de la sorte. Tu aimes Poëri; eh bien! aime-le: jene serai pas jalouse. Yacoub, un patriarche de notre race, eut deuxfemmes: l’une s’appelait Ra’hel comme moi, et l’autre Lia; Yacoubpréférait Ra’hel, et cependant Lia, qui n’avait pas ta beauté, vécut heureuseprès de lui.»

Ra'hel, much moved, kissed her and said,—

"Dry your tears and be not so sorrowful. You love Poëri? Well, love him, andI shall not be jealous. Yacoub, a patriarch of our race, had two wives; onewas called Ra'hel as I am, and the other Leah. Yacoub preferred Ra'hel, andyet Leah, who was not beautiful like you, lived happily with him."

Tahoser s’agenouilla aux pieds de Ra’hel et lui baisa la main; Ra’hella releva et lui entoura amicalement le corps d’un de ses bras.

Tahoser knelt at Ra'hel's feet and kissed her hand. Ra'hel raised her andput her arm around her waist.

C’était un groupe charmant que celui formé par ces deux femmes de racesdifférentes dont elles résumaient la beauté. Tahoser, élégante, gracieuse etfine comme une enfant grandie trop vite; Ra’hel, éclatante, forte etsuperbe dans sa maturité précoce.

They formed a charming group, these two women of different races,exhibiting, as they did, the characteristic beauty of each: Tahoser elegant,graceful, and slender, like a child that has grown too fast; Ra'hel dazzling,blooming, and superb in her precocious maturity.

«Tahoser, dit Poëri, car c’est là ton nom, je pense, Tahoser, fille dugrand prêtre Pétamounoph…»

"Tahoser," said Poëri, "for that is your name, I think,—Tahoser, daughter ofthe high-priest Petamounoph?"

La jeune fille fit un signe d’acquiescement.

The young girl nodded assent.

«Comment se fait-il que toi qui vis à Thèbes dans un riche palais,entourée d’esclaves, et que les plus beaux parmi les Égyptiens désirent, tuaies choisi, pour l’aimer, le fils d’une race réduite en esclavage, un étrangerqui ne partage pas ta croyance, et dont une si grande distance tesépare?»

"How is it that you, who live in Thebes in a rich palace, surrounded byslaves, and whom the handsomest among the Egyptians desire,—how is it you havechosen to love me, a son of a race reduced to slavery, a stranger who does notshare your religious beliefs and who is separated from you by so great adistance?"

Ra’hel et Tahoser sourirent, et la fille du grand prêtre répondit:

Ra'hel and Tahoser smiled, and the high-priest's daughter replied,—

«C’est précisément pour cela.

"That is the very reason."

— Quoique je sois en faveur auprès du Pharaon, intendant du domaine, etportant des cornes dorées dans les fêtes de l’agriculture, je ne puis m’éleverà toi; aux yeux des Égyptiens, je ne suis qu’un esclave, et tu appartiensà la caste sacerdotale la plus haute, la plus vénérée. Si tu m’aimes, et jen’en puis douter, il faut descendre de ton rang…

"Although I enjoy the favour of the Pharaoh, although I am the steward ofhis domains and wear gilded horns in the festivals of agriculture, I cannotrise to you. In the eyes of the Egyptians I am but a slave, and you belong tothe priestly caste, the highest and most venerated. If you love me—and I cannotdoubt that you do—you must give up your rank."

— Ne m’étais-je pas déjà faire ta servante? Hora n’avait rien gardé deTahoser, pas même les colliers d’émaux et les calasiris de gazetransparente; aussi tu m’as trouvée laide.

"Have I not already become your servant? Hora kept nothing of Tahoser, noteven the enamelled collars and the transparent gauze calasiris; that is why youthought me ugly."

— Il faut renoncer à ton pays et me suivre aux régions inconnues à traversle désert, où le soleil brûle, où le vent de feu souffle, où le sable mobilemêle et confond les chemins, où pas un arbre ne pousse, où ne sourd aucunefontaine, parmi les vallées d’égarement et de perdition, semées d’os blanchispour jalons de route.

"You will have to give up your country and follow me to unknown regions,through the desert where burns the sun, where blows the fire-wind, where themoving sand tangles and effaces the paths, where no tree grows, where no wellsprings, through the lost valleys of death strewn with whitened bones that markthe way."

— J’irai, dit tranquillement Tahoser.

"I shall go," said Tahoser, quietly.

— Ce n’est pas assez, continua Poëri: tes dieux ne sont pas les miens,tes dieux d’airain, de basalte et de granit que façonna la main de l’homme,monstrueuses idoles à tête d’épervier, de singe, d’ibis, de vache, de chacal,de lion, qui prennent des masques de bête comme s’ils étaient gênés par la facehumaine où brille le reflet de Jéhovah. Il est dit: «Tu n’adorerasni la pierre, ni le bois, ni le métal.» Au fond de ces temples énormescimentés avec le sang des races opprimées, ricanent hideusem*nt accroupisd’impurs démons qui usurpent les libations, les offrandes et lessacrifices: un seul Dieu, infini, éternel, sans forme, sans couleur,suffit à remplir l’immensité des cieux que vous peuplez d’une multitude defantômes. Notre Dieu nous a créés, et c’est vous qui créez vos dieux.»

"That is not all," continued Poëri. "Your gods are not mine,—your gods ofbrass, basalt, and granite, fashioned by the hand of man, your monstrous idolswith heads of eagle, monkey, ibis, cow, jackal, and lion, which assume thefaces of beasts as if they were troubled by the human face on which rests thereflection of Jehovah. It is said, 'Thou shalt worship neither stone nor woodnor metal.' Within these temples cemented with the blood of oppressed racesgrin and crouch the hideous, foul demons which usurp the libations, theofferings, and the sacrifices. One only God, infinite, eternal, formless,colourless, fills the immensity of the heavens which you people with amultitude of phantoms. Our God has created us; you have created your gods."

Quelque éprise que Tahoser fût de Poëri, ces paroles produisirent sur elleun étrange effet, et elle se recula épouvantée. Fille d’un grand prêtre, elleétait habituée à vénérer ces dieux que le jeune Hébreu blasphémait avec tantd’audace; elle avait offert sur leurs autels des bouquets de lotus etbrûlé des parfums devant leurs images impassibles: étonnée et ravie, elles’était promenée à travers leurs temples bariolés d’éclatantes peintures. Elleavait vu son père accomplir les rites mystérieux, elle avait suivi les collègesde prêtres qui portaient la bari symbolique par les propylées énormes et lesinterminables dromos de sphinx, admiré non sans terreur les psychostasis oùl’âme tremblante comparaît devant Osiris armé du fouet et du pedum, etcontemplé d’un œil rêveur les fresques représentant les figures emblématiquesvoyageant vers les régions occidentales: elle ne pouvait renoncer ainsi àses croyances.

Although Tahoser was deeply in love with Poëri, his words affected herstrangely, and she drew back in terror. The daughter of the high-priest hadbeen brought up to venerate the gods whom the young Hebrew was boldlyblaspheming; she had offered up on their altars bouquets of flowers, and shehad burned perfumes before their impassible images; amazed and delighted, shehad walked through their temples splendid with brilliant paintings. She hadseen her father performing the mysterious rites; she had followed theprocession of priests who bore the symbolic bari through the enormous pylonsand the endless sphinx avenues; she had admired tremblingly the psychostasiswhere the trembling soul appears before Osiris armed with the whip and thepedum, and she had noted with a dreamy glance the frescoes representing theemblematic figures travelling towards the regions of the West. She could notthus yield up all her beliefs.

Elle se tut quelques minutes, hésitant entre la religion et l’amour;l’amour l’emporta, et elle dit:

She was silent for a few moments, hesitating between religion and love. Lovewon the day, and she said:

«Tu m’expliqueras ton Dieu, et je tâcherai de le comprendre.

"You shall tell me of your God; I will try to understand him."

— C’est bien, dit Poëri, tu seras ma femme; en attendant, reste ici,car le Pharaon, sans doute amoureux de toi, te fait chercher par sesémissaires; il ne te découvrira pas sous cet humble toit, et dansquelques jours nous serons hors de sa puissance. Mais la nuit s’avance, il fautque je parte.

"It is well," said Poëri; "you shall be my wife. Meanwhile remain here, forthe Pharaoh, no doubt in love with you, is having you sought everywhere by hisemissaries. He will never discover you under this humble roof, and in a fewdays we shall be out of his power. But the night is waning and I mustdepart."

Poëri s’éloigna, et les deux femmes, couchées l’une près de l’autre sur lepetit lit, s’endormirent bientôt, se tenant par la main comme deux sœurs.

Poëri went off, and the two young women, lying side by side on the soft bed,soon fell asleep, holding each other's hands like two sisters.

Thamar, qui pendant la scène précédente s’était tenue blottie dans un coinde la chambre comme une chauve-souris accrochée à un angle par les ongles deses membranes, marmottant des paroles entrecoupées et contractant les rides deson front bas, déplia ses membres anguleux, se dressa sur ses pieds, et, sepenchant vers le lit, écouta la respiration des deux dormeuses. Lorsqu’à larégularité de leur souffle elle fut convaincue que leur sommeil était profond,elle se dirigea du côté de la porte, suspendant ses pas avec des précautionsinfinies.

Thamar, who during the foregoing scene had remained crouched in her cornerof the room, looking like a bat hanging from a corner by its talons, and hadbeen muttering broken words and frowning, now unfolded her bony limbs, rose toher feet, and bending over the bed, listened to the breathing of the twosleepers. When the regularity of their breathing convinced her that they weresound asleep, she went towards the door, walking with infinite precaution.

Arrivée dehors, elle s’élança d’un pas rapide dans la direction du Nil,secouant les chiens qui se suspendaient par les dents aux bords de sa tunique,ou les traînant quelques pas dans la poussière jusqu’à ce qu’ils lâchassentprise; d’autres fois elle les regardait avec des yeux si flamboyantsqu’ils reculaient en poussant des abois plaintifs et la laissaient passer.

Once outside, she sprang with swift steps in the direction of the Nile, shakingoff the dogs who hung on with their teeth at the edge of her tunic, or draggingthem through the dust until they let go; or she glared at them with such fierceeyes that they drew back with frightened yelps and let her pass by.

Elle eut bientôt franchi les espaces dangereux et déserts qu’habitent lanuit les membres de l’association des voleurs, et pénétra dans les quartiersopulents de Thèbes; trois ou quatre rues, bordées de hauts édifices dontles ombres se projetaient par grands angles, la conduisirent à l’enceinte dupalais qui était le but de sa course.

She had soon passed the dangerous and deserted places inhabited at night bythe members of the thieves' association, and entered the wealthy quarter ofThebes. Three or four streets bordered with tall buildings, the shadows ofwhich fell in great angles, led her to the outer wall of the palace, which wasthe object of her trip.

Il s’agissait d’y entrer, et la chose n’était pas facile à cette heure denuit pour une vieille servante israélite, les pieds blancs de poussière etvêtue de haillons douteux.

The difficulty was to enter,—no easy matter at that time of the night for anold Hebrew servant with dusty feet and shabby garments.

Elle se présenta au pylône principal, devant lequel veillent accroupiscinquante criosphinx rangés sur deux lignes, comme des monstres prêts à broyerentre leurs mâchoires de granit les imprudents qui voudraient forcer lepassage.

She went to the main pylon, before which watched, stretched at length, fiftyram-headed sphinxes, arranged in two lines like monsters ready to crush betweentheir granite jaws the imprudent ones who should attempt to force a passage.

Les sentinelles l’arrêtèrent et la frappèrent rudement du bois de leursjavelines, puis ils lui demandèrent ce qu’elle voulait.

The sentinels stopped her, struck her roughly with the shafts of theirjavelins, and then asked her what she wished.

«Je veux voir Pharaon, répondit la vieille en se frottant le dos.

"I want to see the Pharaoh," replied the old woman, rubbing her back.

— Très bien… c’est cela… déranger, pour cette sorcière, Pharaon, favori dePhré, préféré d’Ammon-Ra, conculcateur des peuples!» firent lessoldats en se tenant les côtes de rire.

"That's right,—very nice! Waken for this witch the Pharaoh, favourite ofPhré, beloved of Ammon Ra, the destroyer of nations!" said the soldiers,laughing loudly.

Thamar répéta opiniâtrement: «Je veux voir Pharaon tout desuite.

Thamar repeated obstinately, "I want to see the Pharaoh at once."

— Le moment est bien choisi! Pharaon a tué tantôt à coups de sceptretrois messagers; il se tient sur sa terrasse, immobile et sinistre commeTyphon, dieu du mal,» dit un soldat daignant descendre à quelqueexplication.

"A very good time you have chosen for it! The Pharaoh slew but a short timeago three messengers with a blow of his sceptre. He sits on his terrace,motionless and sinister like Typhon, the god of evil," said a soldier whocondescended to give this explanation.

La servante de Ra’hel essaya de forcer la consigne; les javelines luitombèrent en cadence sur la tête comme des marteaux de l’enclume.

Ra'hel's maid endeavoured to force her way through; the javelins rattled onher head like hammers on an anvil.

Elle se mit à pousser des cris d’orfraie plumée vive.

She began to yell like a bird plucked alive.

Au tumulte, un oëris accourut; les soldats cessèrent de battreThamar.

An officer came out on hearing the tumult; the soldiers stopped beatingThamar.

«Que prétend cette femme, dit l’oëris, et pourquoi la frappez-vous dela sorte?

"What does this woman want?" said the officer, "and why are you beating herin this way?"

— Je veux voir Pharaon! s’écria Thamar se traînant aux genoux del’officier.

"I want to see the Pharaoh," cried Thamar, dragging herself to the knees ofthe officer.

— Impossible, répondit l’oëris, quand même, au lieu d’être une misérable, tuserais un des plus hauts personnages du royaume.

"Out of the question," replied the latter; "it is out of the question,—evenif, instead of being a low wretch, you were one of the greatest personages inthe kingdom."

— Je sais où est Tahoser,» lui chuchota la vieille, accentuant chaquesyllabe.

"I know where is Tahoser," whispered the old woman in his ear, laying stresson each syllable.

L’oëris, à ces mots, prit Thamar par la main, lui fit franchir le premierpylône, et la conduisit, à travers l’allée de colonnes et la salle hypostyle,dans la seconde cour, où s’élève le sanctuaire de granit, précédé de deuxcolonnes à chapiteaux de lotus; là, appelant Timopht, il lui remitThamar.

On hearing this, the officer took Thamar by the hand, led her through thefirst pylon and through the avenue of pillars and the hypostyle hall into asecond court, where rose the granite sanctuary, with its two outer columns withlotus capitals. There, calling Timopht, he handed Thamar over to him.

Timopht conduisit la servante sur la terrasse où se tenait Pharaon, morne etsilencieux.

Timopht led the servant to the terrace where sat the Pharaoh, gloomy andsilent.

«Ne lui parle que hors de portée de son sceptre,» recommandaTimopht à l’Israélite.

"Keep well out of the reach of his sceptre," was the advice Timopht gave tothe Israelite.

Dès qu’elle aperçut le roi dans l’ombre, Thamar se laissa tomber la facecontre les dalles à côté des corps qu’on n’avait point relevés, et bientôt, seredressant, elle dit d’une voix assurée:

As soon as she perceived the King through the darkness, Thamar threw herselfwith her face to the stone flags, by the side of the bodies which had not yetbeen removed, and then sitting up, she said in a firm voice, "O Pharaoh, do notslay me, I bring you good news."

«Ô Pharaon! ne me tue pas, j’apporte une bonne nouvelle.

"Speak without fear," replied the King, whose fury had passed away.

— Parle sans crainte, répondit le roi, dont la fureur était calmée.

"Tahoser, whom your messengers have sought in the four corners of theworld,—I know where she is."

— Cette Tahoser, que tes messagers ont cherchée aux quatre points du vent,je connais sa retraite.»

At the name of Tahoser, Pharaoh rose as if moved by a spring and steppedtowards Thamar, who was still kneeling.

Au nom de Tahoser, Pharaon se leva tout d’une pièce et fit quelques pas versThamar toujours agenouillée.

"If you speak the truth, you may take from my granite halls as much as youcan lift of gold and precious stones."

«Si tu dis vrai, tu peux prendre dans mes chambres de granit tout ceque tu seras capable de soulever d’or et de choses précieuses.

"I will put her in your hands, you may be sure," said the old woman, with astrident laugh.

— Je te la livrerai, sois tranquille,» dit la vieille avec un rirestrident.

What was the motive which had led Thamar to inform the Pharaoh of theretreat where the priest's daughter was in hiding?

Quel motif avait poussé Thamar à dénoncer au Pharaon la retraite où secachait la fille du prêtre? Elle voulait empêcher une union qui luidéplaisait; elle avait pour la race d’Égypte une haine aveugle, farouche,irraisonnée, presque bestiale, et l’idée de briser le cœur de Tahoser luisouriait, une fois aux mains de Pharaon, la rivale de Ra’hel ne pouvait pluss’échapper; les murs de granit du palais sauraient garder leur proie.

She wished to prevent a union which she disliked. She entertained towardsthe race of Egypt, a blind, fierce, unreasoning, almost bestial hatred, and thethought of breaking Tahoser's heart delighted her. Once in the hands of thePharaoh, Ra'hel's rival would be unable to escape; the granite walls of thepalace would keep their prey.

«Où est-elle? dit Pharaon; désigne l’endroit, je veux lavoir sur-le-champ.

"Where is she?" said Pharaoh; "tell me the spot. I want to see her atonce."

— Majesté, moi seule peux te guider; je connais les détours de cesquartiers immondes où le plus humble de tes serviteurs dédaignerait de mettrele pied. Tahoser est là, dans une cabane de terre mêlée de paille, que rien nedistingue des huttes qui l’avoisinent, parmi les tas de briques que les Hébreuxmoulent pour toi, hors des habitations régulières de la ville.

"Your Majesty, I alone can guide you. I know the windings of those loathsomequarters, where the humblest of your servants would disdain to setfoot. Tahoser is there, in a clay and straw hut whichnothing marks from the huts which surround it, amid the heaps of bricks whichthe Hebrews make for you outside the regular dwellings of the city."

— Bien, je me fie à toi; Timopht, fais atteler un char.

"Very well, I will trust you. Timopht, have a chariot brought around."

Timopht disparut.

Timopht disappeared.

Bientôt l’on entendit rouler les roues sur les dalles de la cour et piétinerles chevaux que les écuyers attachaient au joug.

Soon the wheels were heard rolling over the stones of the court, and thehorses stamping and pawing as the equerries fastened them to the yoke.

Pharaon descendit, suivi de Thamar.

The Pharaoh came down, followed by Thamar.

Il s’élança sur le char, prit les rênes, et, comme Thamar hésitait:«Allons, monte», dit-il; il clappa de la langue, et leschevaux partirent. Les échos, réveillés, répétèrent le bruit des roues, quiretentirent comme un tonnerre sourd, au milieu du silence nocturne, par lessalles vastes et profondes.

He sprang up on the chariot, took the reins, and seeing that Thamarhesitated,—

"Come, get up," he said.

He clucked his tongue, and the horses started. The awakened echoes gave backthe sound of the wheels, which sounded like low thunder through the vast halls,in the midst of the night silence.

Cette vieille hideuse, s’accrochant de ses doigts osseux au rebord du char,à côté de ce Pharaon de stature colossale et semblable à un dieu, formait unétrange spectacle qui, heureusem*nt, n’avait pour témoin que les étoilesscintillant dans le bleu noir du ciel; placée ainsi, elle ressemblait àun de ces mauvais génies à configuration monstrueuse qui accompagnent les âmescoupables aux enfers. Les passions rapprochent ceux qui ne devraient jamais serencontrer.

The hideous old woman, clinging with her bony fingers to the rim of thechariot by the side of the godlike Pharaoh, presented a strange sight, whichfortunately was seen by none but the stars twinkling in the deep blue heavens.She resembled one of the evil genii of mysterious face which accompany theguilty souls to Hades.

«Est-ce par ici? dit Pharaon à la servante, au bout d’une ruequi se bifurquait.

"Is this the way?" said the Pharaoh to the woman at the forks of astreet.

— Oui,» répondit Thamar, en étendant sa main sèche dans la bonnedirection.

"Yes," replied Thamar, stretching her withered hand in the rightdirection.

Les chevaux, excités par le fouet, se précipitaient en avant, et le charsautait sur les pierres avec un bruit d’airain.

The horses, urged on by the whip, sprang forward, and the chariot leapedupon the stones with a noise of brass.

Pendant ce temps, Tahoser dormait près de Ra’hel: un rêve bizarrehantait son sommeil.

Meanwhile Tahoser slept by the side of Ra'hel. A strange dream filled hersleep.

Il lui semblait être dans un temple d’une grandeur immense; d’énormescolonnes d’une hauteur prodigieuse soutenaient un plafond bleu constelléd’étoiles comme le ciel; d’innombrables lignes d’hiéroglyphes montaientet descendaient le long des murailles, entre les panneaux de fresquessymboliques bariolés de couleurs lumineuses. Tous les dieux de l’Égyptes’étaient donné rendez-vous dans ce sanctuaire universel, non pas en effigiesd’airain, de basalte ou de porphyre, mais sous les formes vivantes. Au premierrang étaient assis les dieux super-célestes, Knef, Bouto, Phta, Pan-Mendès,Hâthor, Phré, Isis; ensuite venaient douze dieux célestes, six dieuxmâles: Rempha, Pi-zéous, Ertosi, Pi-Hermès, Imuthès; et six dieuxfemelles: la Lune, l’Éther, le Feu, l’Air, l’Eau, la Terre. Derrière euxfourmillaient, foule indistincte et vague, les trois cent soixante-cinq Décansou démons familiers de chaque jour. Ensuite apparaissaient les divinitésterrestres: le second Osiris, Haroéri, Typhon, la deuxième Isis,Nephthys, Anubis à la tête de chien, Thoth, Busiris, Bubastis, le grandSérapis. Au delà, dans l’ombre, s’ébauchaient les idoles à formesanimales: bœufs, crocodiles, ibis, hippopotames. Au milieu du temple,dans son cartonnage ouvert, gisait le grand prêtre, Pétamounoph, qui, la facedémaillotée, regardait d’un air ironique cette assemblée étrange etmonstrueuse. Il était mort, mais il vivait et parlait, comme cela arrivesouvent en rêve, et il disait à sa fille: «Interroge-les, etdemande-leur s’ils sont des dieux.»

She seemed to be in a temple of immense size. Huge columns of prodigiousheight upbore the blue ceiling studded with stars like the heavens; innumerablelines of hieroglyphs ascended and descended along the walls between the panelsof symbolic frescoes painted in bright colours. All the gods of Egypt had metin this universal sanctuary, not as brass, basalt, or porphyry effigies, but asliving shapes. In the first rank were seated the gods Knef, Buto, Phtah,Pan-Mendes, Hathor, Phré, Isis; then came the twelve celestial gods,—six malegods: Rempha, Pi-Zeous, Ertosi, Pi-Hermes, Imuthi; and six female deities: theMoon, Ether, Fire, Air, Water, Earth. Behind these swarmed vaguely andindistinctly three hundred and sixty-five Decans, the familiar dæmons of eachday. Next appeared the terrestrial deities: the second Osiris, Haroeri, Typhon,the second Isis, Nephthys, the dog-headed Anubis, Thoth, Busiris, Bubastis, thegreat Serapis. Beyond, in the shade, were faintly seen idols in form ofanimals,—oxen, crocodiles, ibises, hippopotami. In the centre of the temple, inhis open mummy-case, lay the high-priest Petamounoph, who, the bandages havingbeen unwound from his face, gazed with an ironical air at that strange andmysterious assembly. He was dead, not living, and spoke, as it often happens indreams; and he said to his daughter, "Question them and ask them if they aregods."

Et Tahoser allait posant à chacun la question, et tous répondaient:«Nous ne sommes que des nombres, des lois, des forces, des attributs, deseffluves et des pensées de Dieu; mais aucun de nous n’est le vraiDieu.»

And Tahoser proceeded to put to each one that question, and each and allreplied: "We are only numbers, laws, forces, attributes, effluvia, and thoughtsof God, but not one of us is the true God."

Et Poëri paraissait sur le seuil du temple et, prenant Tahoser par la main,la conduisait vers une lumière si vive qu’auprès le soleil eût paru noir, et aumilieu de laquelle scintillaient dans un triangle des mots inconnus.

Then Poëri appeared on the threshold of the temple, and took Tahoser by thehand and led her to a light so brilliant that in comparison with it the sunwould have seemed black, and in the centre of which blazed in a triangle wordsunknown to her.

Cependant le char de Pharaon volait à travers les obstacles, et les essieuxrayaient les murs aux passages étroits.

Meanwhile Pharaoh's chariot flew over all obstacles, and the axles of thewheels rayed the walls in the narrow lanes.

«Modère tes chevaux, dit Thamar au Pharaon; le fracas des rouesdans cette solitude et ce silence pourrait donner l’éveil à la fugitive, etelle t’échapperait encore.»

"Pull in your horses," said Thamar to the Pharaoh; "the noise of the wheelsin this solitude and silence might startle the fugitive, and she would againescape you."

Pharaon, trouvant le conseil judicieux, ralentit, malgré son impatience,l’allure impétueuse de son attelage.

The Pharaoh thought this advice sound, and in spite of his impatience madehis horses slacken their impetuous pace.

«C’est là, dit Thamar, j’ai laissé la porte ouverte; entre, etje garderai les chevaux.»

"There is the place," said Thamar; "I left the door open. Go in. I shalllook after the horses."

Le roi descendit du char, et, baissant la tête, pénétra dans la cabane.

The king descended from the chariot, and bowing his head, entered thehut.

La lampe brûlait encore et versait sa clarté mourante sur le groupe des deuxjeunes filles endormies.

The lamp was still burning, and shed its dying beams on the two sleepinggirls.

Pharaon prit Tahoser dans ses bras robustes et se dirigea vers la porte dela hutte.

The Pharaoh caught up Tahoser in his strong arms and walked towards the doorofthe hut.

Quand la fille du prêtre s’éveilla et qu’elle vit flamboyer près de sonvisage la face étincelante du Pharaon, elle crut d’abord que c’était unefantasmagorie de son rêve transformé; mais l’air de la nuit qui la vintfrapper au visage lui rendit bientôt le sentiment de la réalité. Folled’épouvante, elle voulut crier, appeler au secours: sa voix ne putjaillir de son gosier. Qui d’ailleurs lui eût porté aide contrePharaon?

When the priest's daughter awoke, and saw flaming near her face the shiningface of the Pharaoh, she thought at first that it was one of the fancies of herdream transformed; but the air of night which struck her face soon restored herto the sense of reality. Mad with terror, she tried to scream, to call forhelp; the cry remained in her throat,—and then, who would have helped heragainst the Pharaoh?

D’un bond, le roi sauta sur son char, passa les rênes autour de ses reinset, serrant sur son cœur Tahoser demi-morte, il lança ses coursiers au galopvers le palais du Nord.

With one bound the King sprang on to his chariot, threw the reins around hisback, and pressing to his breast the half-dead Tahoser, sent his coursers attheir top speed towards the Northern Palace.

Thamar se glissa comme un reptile dans la cabane, s’accroupit à sa placeaccoutumée et contempla avec un regard presque aussi tendre que celui d’unemère sa chère Ra’hel, qui dormait toujours.

Thamar glided like a serpent into the hut, crouched down in her accustomedplace, and gazed with a look almost as tender as a mother's on her dear Ra'hel,who was still sound asleep.

XIII

XIII

Le courant d’air frais que produisait le mouvement rapide du char fitbientôt revenir Tahoser à la vie. Pressée et comme écrasée contre la poitrinedu Pharaon par deux bras de granit, elle avait à peine la place d’un battementpour son cœur et sur sa gorge pantelante s’imprimaient les durs colliersd’émaux. Les chevaux, auxquels le roi rendait les rênes en se pendant vers lebord du char, se précipitaient avec furie; les roues tourbillonnaient,les plaques d’airain sonnaient, les essieux enflammés fumaient. Tahoser,effarée, voyait vaguement, comme à travers un rêve, s’envoler à droite et àgauche des formes confuses de constructions, de masses d’arbres, de palais, detemples, de pylônes, d’obélisques, de colosses rendus fantastiques et terriblespar la nuit. Quelles pensées pouvaient traverser son esprit pendant cettecourse effrénée? Elle n’avait pas plus d’idées que la colombe palpitanteaux serres du faucon qui l’emporte dans son aire; une terreur muette lastupéfiait, glaçait son sang, suspendait ses facultés. Ses membres flottaientinertes, sa volonté était dénouée comme ses muscles, et, si les bras du Pharaonne l’eussent retenue, elle aurait glissé et se serait ployée au fond du charcomme une étoffe qu’on abandonne. Deux fois elle crut sentir sur sa joue unsouffle ardent et deux lèvres de flamme, elle n’essaya pas de détourner latête; l’épouvante chez elle avait tué la pudeur. À un heurt violent duchar contre une pierre, un obscur instinct de conservation lui fit crisper lesmains sur l’épaule du roi et se serrer contre lui, puis elle s’abandonna denouveau et pesa de tout son poids bien léger, sur ce cercle de chair qui lameurtrissait.

The draught of cold air, due to the speed of the chariot, soon made Tahoserrecover from her faint. Pressed and crushed against the breast of the Pharaoh,by his two stony arms, her heart had scarce room to beat, and the hardenamelled collars were making their mark on her heaving bosom. The horses,whose reins the King slackened by bending towards the front of the car, rushedfuriously forward, the wheels went round like whirlwinds, the brazen platesjustled, the heated axles smoked. Tahoser, terrified, saw vaguely, as in adream, flash to the right and left vast masses of buildings, clumps of trees,palaces, temples, pylons, obelisks, colossi, which the night made morefantastic and terrible. What were the thoughts that filled her mind during thatmad rush? She thought as little as thinks a dove, fluttering in the talons of ahawk which is carrying it away to its eyrie. Mute terror stupefied her, madeher blood run cold and dulled her feelings. Her limbs hung limp; her will wasrelaxed like her muscles, and, had she not been held firmly in the arms of thePharaoh, she would have slipped and fallen in a heap on the bottom of thechariot like a piece of stuff which is let drop. Twice she thought she feltupon her cheek a burning breath and two lips of fire; she did not attempt toturn away her head, terror had killed modesty in her. When the chariot struckviolently against a stone, a dim instinct of self-preservation made her clingwith her hands to the shoulder of the King and press closer to him; then shelet herself go again and leaned with her whole weight, light though it was,upon those arms which held her.

L’attelage s’engagea dans un dromos de sphinx au bout duquel s’élevait ungigantesque pylône couronné d’une corniche où le globe emblématique déployaitson envergure; la nuit, déjà moins opaque, permit à la fille du prêtre dereconnaître le palais du roi. Alors le désespoir s’empara d’elle; elle sedébattit, elle essaya de se débarrasser de l’étreinte qui l’enlaçait, elleappuya ses mains frêles sur la dure poitrine du Pharaon, raidissant les bras,se renversant sur le bord du char. Efforts inutiles, lutte insensée! sonravisseur souriant la ramenait d’une pression irrésistible et lente contre soncœur, comme s’il eût voulu l’y incruster; elle se mit à crier, un baiserlui ferma la bouche.

The chariot entered the avenue of sphinxes, at the end of which rose a giantpylon crowned with a cornice on which the symbolic globe displayed its wings;the lessening darkness allowed the priest's daughter to recognise the King'spalace. Then despair filled her heart; she struggled, she strove to freeherself from the embrace which held her close; she pressed her frail handsagainst the stony breast of the Pharaoh, stiffened out her arms, throwingherself back over the edge of the chariot. Her efforts were useless, herstruggles were vain. Her ravisher brought her back to his breast with anirresistible, slow pressure, as if he would have driven her into it. She triedto scream; her lips were closed with a kiss.

Cependant les chevaux arrivèrent en trois ou quatre bonds devant le pylône,qu’ils traversèrent au galop, joyeux de rentrer à l’étable, et le char rouladans une immense cour.

Meanwhile the horses in three or four strides reached the pylon, under whichthey passed at full gallop, glad to return to the stable, and the chariotrolled into the vast court.

Les serviteurs accoururent et se jetèrent à la tête des chevaux, dont lesmors blanchissaient d’écume.

The servants hastened up and sprang to the heads of the horses, whose bitswere white with foam.

Tahoser promena autour d’elle ses regards effrayés; de hauts murs debrique formaient une vaste enceinte où se dressait, au levant, un palais, aucouchant, un temple entre deux vastes pièces d’eau, piscines des crocodilessacrés. Les premiers rayons du soleil, dont le disque émergeait déjà derrièrela chaîne arabique, jetaient une lueur rose sur le sommet des constructions,dont le reste baignait encore dans une ombre bleuâtre.

Tahoser cast a terrified glance around her. High brick walls formed a vastsquare enclosure in which rose on the east a palace, on the west a temple,between two great pools, the piscinæ of the sacred crocodiles. The first raysof the sun, the orb of which was already rising behind the Arabian mountains,flushed with rosy light the top of the buildings, the lower portions of whichwere still plunged in bluish shadows.

Aucun espoir de fuite; l’architecture, quoiqu’elle n’eût rien desinistre, présentait un caractère de force inéluctable, de volonté sansréplique, de persistance éternelle; un cataclysme cosmique seul eût puouvrir une issue dans ces murailles épaisses, à travers ces entassem*nts degrès dur. Pour faire tomber ces pylônes composés de quartiers de montagnes, ileût fallu que la planète s’agitât sur ses bases; l’incendie même n’eûtfait que lécher de sa langue ces blocs indestructibles.

There was no hope of flight. The buildings, though in no wise gloomy, had alook of irresistible strength, of absolute will, of eternal persistence: aworld catastrophe alone could have opened an issue through these thick walls,through these piles of hard sandstone. To overthrow the pylons built offragments of mountains, the earth itself would have had to quake; even aconflagration could only have licked with its fiery tongues thoseindestructible blocks.

La pauvre Tahoser n’avait pas à sa disposition ces moyens violents, et forcelui fut de se laisser emporter comme une enfant par le Pharaon, sauté à bas deson char.

Poor Tahoser did not have at her command such violent means, and she wascompelled to allow herself to be carried like a child by the Pharaoh, who hadsprung from his chariot.

Quatre hautes colonnes à chapiteaux de palmes formaient les propylées dupalais où le roi pénétra, tenant toujours sur sa poitrine la fille dePétamounoph. Quand il eut dépassé la porte, il posa délicatement son fardeau àterre, et, voyant Tahoser chanceler, il lui dit:

«Rassure-toi; tu règnes sur Pharaon, et Pharaon règne sur lemonde.»

Four high columns with palm-leaf capitals formed the propylæum of the palaceinto which the king entered, still pressing to his breast the daughter ofPetamounoph. When he had passed through the door, he gently placed his burdenon the ground, and seeing Tahoser stagger, he said to her: "Be reassured. Yourule the Pharaoh, and the Pharaoh rules the world."

C’était la première parole qu’il lui adressait.

These were the first words he had spoken to her.

Si l’amour se décidait d’après la raison, certes, Tahoser eût dû préférerPharaon à Poëri. Le roi était doué d’une beauté surhumaine: ses traitsgrands, purs, réguliers semblaient l’ouvrage du ciseau, et l’on n’eût pu yreprendre la moindre imperfection. L’habitude du pouvoir avait mis dans sesyeux cette lumière pénétrante qui fait reconnaître entre tous les divinités etles rois. Ses lèvres, dont un mot eût changé la face du monde et le sort despeuples, étaient d’un rouge pourpre comme du sang frais sur la lame d’un glaiveet, quand il souriait, avaient cette grâce des choses terribles à laquelle rienne résiste. Sa taille haute, bien proportionnée, majestueuse, offrait lanoblesse de lignes qu’on admire dans les statues des temples; et quand ilapparaissait solennel et radieux, couvert d’or, d’émaux et de pierresprécieuses, au milieu de la vapeur bleuâtre des amschirs il ne semblait pasfaire partie de cette frêle race qui, génération par génération, tombe commeles feuilles et va s’étendre, engluée de bitume, dans les ténébreusesprofondeurs des syringes.

If love followed the dictates of reason, Tahoser would certainly havepreferred the Pharaoh to Poëri. The King was endowed with supreme beauty. Hisgreat, clean, regular features seemed to be chiselled, and not the slightestimperfection could be detected in them. The habit of command had given to hisglance that penetrating gleam which makes divinities and kings so easilyrecognisable. His lips, one word from which would have changed the face of theworld and the fate of nations, were of a purple red, like fresh blood upon theblade of a sword, and when he smiled, they possessed that grace of terriblethings which nothing can resist. His tall, well proportioned, majestic figurepresented the nobility of form admired in the temple statues; and when heappeared solemn and radiant, covered with gold, enamels, and gems, in the midstof the bluish vapour of the censers, he did not seem to belong to that frailrace which from generation to generation falls like leaves, and is stretched,sticky with bitumen, in the dark depths of the mummy pits.

Qu’était auprès de ce demi-dieu le chétif Poëri? et pourtant Tahoserl’aimait.

What was poor Poëri by the side of this demigod? Nevertheless, Tahoserloved him.

Les sages ont, depuis longtemps, renoncé à expliquer le cœur desfemmes; ils possèdent l’astronomie, l’astrologie, l’arithmétique;ils connaissent le thème natal de l’univers, et peuvent dire le domicile desplanètes au moment même de la création du monde. Ils sont sûrs qu’alors la Luneétait dans le signe du Cancer, le Soleil dans le Lion, Mercure dans la Vierge,Vénus dans la Balance, Mars dans le Scorpion, Jupiter dans le Sagittaire,Saturne dans le Capricorne; ils tracent sur le papyrus ou le granit lecours de l’océan céleste qui va d’orient en occident, ils ont compté lesétoiles semées sur la robe bleue de la déesse Neith, et font voyager le soleilà l’hémisphère supérieur et à l’hémisphère inférieur, avec les douze barisdiurnes et les douze baris nocturnes, sous la conduite du pilote hiéracocéphaleet de Neb-Wa, la Dame de la barque; ils savent qu’à la dernière moitié dumois de Tôbi, Orion influe sur l’oreille gauche et Sirius sur le cœur;mais ils ignorent entièrement pourquoi une femme préfère un homme à un autre,un misérable Israélite à un Pharaon illustre.

The wise have long since given up attempting to explain the heart of woman.They are masters of astronomy, astrology, and arithmetic; they know the originof the world, and can tell where were the planets at the very moment ofcreation; they are sure that the moon was then in the constellation of Cancer,the sun in that of the Lion, Mercury in that of the Virgin, Venus in theBalance, Mars in the Scorpion, Jupiter in Sagittarius, Saturn in Capricorn;they trace on papyrus or granite the direction of the celestial ocean, whichgoes from the east to the west; they have summed up the number of stars strewnover the blue robe of the Goddess Neith, and make the sun travel in the loweror the superior hemisphere with the twelve diurnal and the twelve nocturnalbaris under the conduct of the hawk-headed pilot and of Neb Wa, the Lady of theBark; they know that in the second half of the month of Tobi, Orion influencesthe left ear, and Sirius the heart; but they are absolutely ignorant why awoman prefers one man to another, a wretched Israelite to an illustriousPharaoh.

Après avoir traversé plusieurs salles avec Tahoser, qu’il guidait par lamain, le roi s’assit sur un siège en forme de trône, dans une chambresplendidement décorée.

After having traversed several halls with Tahoser, whom he led by the hand,the King sat down on a seat in the shape of a throne in a superbly decoratedroom.

Au plafond bleu scintillaient des étoiles d’or, et contre les piliers quisupportaient la corniche s’adossaient des statues de rois coiffés du pschent,les jambes engagées dans le bloc et les bras croisés sur la poitrine, dont lesyeux bordés de lignes noires regardaient dans la chambre avec une intensitéeffrayante.

Golden stars gleamed in the blue ceiling, and against the pillars whichsupported the cornice were placed the statues of kings wearing the pschent,their legs merging into the block of stone and their arms crossed on theirchest, looking into the room with frightful intensity out of their black-linedeyes.

Entre chaque pilier brûlait une lampe posée sur un socle, et les panneauxdes murailles représentaient une sorte de défilé ethnographique. On y voyaitfigurées avec leurs physionomies spéciales et leurs costumes particuliers lesnations des quatre parties du monde.

Between every two pillars burned a lamp placed upon a pedestal, and on thebase of the walls was represented a sort of ethnographic procession: thenations of the four quarters of the world were represented there with theirparticular faces and their particular dress.

En tête de la série, guidée par Horus, le pasteur des peuples, marchaitl’homme par excellence, l’Égyptien, le Rot-en-ne-rôme, à la physionomie douce,au nez légèrement aquilin, à la chevelure nattée, à la peau d’un rouge sombre,que faisait ressortir un pagne blanc. Ensuite venait le nègre ou Nahasi, avecsa peau noire, ses lèvres bouffies, ses pommettes saillantes, ses cheveuxcrépus; puis l’Asiatique ou Namou, à couleur de chair tirant sur lejaune, à nez fortement aquilin, à barbe noire et fournie, aiguisée en pointe,vêtu d’une jupe bariolée, frangée de houppes; puis l’Européen ou Tamhou,le plus sauvage de tous, différant des autres par son teint blanc, ses yeuxbleus, sa barbe et sa chevelure rousses, une peau de bœuf non préparée jetéesur l’épaule, des tatouages aux bras et aux jambes.

At the head of the series, guided by Horus the shepherd of the nations,walked the man of men, the Egyptian, the Rot'en'no with a gentle face, slightlyaquiline nose, plaited hair, and his dark red skin brought out by the whitenessof the loin-cloth; next came the negro or Nahasi, with his black skin, thicklips, protruding cheekbones and woolly hair; then the Asiatic or Namou, withyellow flesh-colour, strongly aquiline nose, thick black beard cut to a point,wearing a striped skirt fringed with tufts; then the European or Tamhou, theleast civilised of all, differing from the others by his white complexion, hisred beard and hair, his blue eyes, an undressed ox-skin cast over his shoulder,and his arms and legs tattooed.

Des scènes de guerre et de triomphe remplissaient les autres panneaux, etdes inscriptions hiéroglyphiques en expliquaient le sens.

The other panels were filled with various subjects, scenes of war andtriumph and hieroglyphic inscriptions.

Au milieu de la chambre, sur une table que supportaient des captifs liés parles coudes, sculptés si habilement qu’ils paraissaient vivre et souffrir,s’épanouissait une énorme gerbe de fleurs dont les émanations suavesparfumaient l’atmosphère.

In the centre of the room, on a table supported by prisoners bound by theelbows, so skilfully carved that they seemed to live and suffer, bloomed a vastbouquet of flowers whose sweet scent perfumed the atmosphere.

Ainsi, dans cette chambre magnifique qu’entouraient les effigies de sesaïeux, tout racontait et chantait la gloire du Pharaon. Les nations du mondemarchaient derrière l’Égypte et reconnaissaient sa suprématie, et luicommandait à l’Égypte; cependant la fille de Pétamounoph, loin d’êtreéblouie de cette splendeur, pensait au pavillon champêtre de Poëri, et surtoutà la misérable hutte de boue et de paille du quartier des Hébreux, où elleavait laissé Ra’hel endormie, Ra’hel maintenant l’heureuse et seule épouse dujeune Hébreu.

So in this vast hall, surrounded by the effigies of his ancestors, allthings spoke and sang of the glory of the Pharaoh. The nations of the worldwalked behind Egypt and acknowledged her supremacy, and he governed Egypt. Yetthe daughter of Petamounoph, far from being dazzled by this splendour, thoughtof the rustic villa, of Poëri, and especially of the mean hut of mud and strawin the Hebrew quarter, where she had left Ra'hel,—Ra'hel, from henceforward thehappy and only spouse of the young Hebrew.

Pharaon tenait le bout des doigts de Tahoser debout devant lui, et il fixaitsur elle ses yeux de faucon, dont jamais les paupières ne palpitaient; lajeune fille n’avait pour vêtement que la draperie substituée par Ra’hel à sarobe mouillée pendant la traversée du Nil; mais sa beauté n’y perdaitrien; elle était là demi-nue, retenant d’une main la grossière étoffe quiglissait, et tout le haut de son corps charmant apparaissait dans sa blancheurdorée. Quand elle était parée, on pouvait regretter la place qu’occupaient sesgorgerins, ses bracelets et ses ceintures en or ou en pierres de couleur;mais, à la voir privée ainsi de tout ornement, l’admiration se rassasiait ouplutôt s’exaltait.

The Pharaoh held the tips of the fingers of Tahoser, who stood before him,and he fixed upon her his hawk eyes, the eyelids of which never moved. Theyoung girl had no other garment than the drapery substituted by Ra'hel for thedress which had been soaked during the swim across the Nile, but her beauty wasin no wise impaired. She remained thus, half nude, holding with one hand thecoarse stuff which slipped, and the whole upper portion of her beautiful bodyappeared in its golden fairness. When she was adorned with her jewels, one wastempted to regret that any part of her form should be concealed by hernecklaces, her bracelets, and her belts of gold or of gems; but on seeing herthus devoid of all ornament, admiration was satisfied, or rather exalted.

Certes, beaucoup de femmes très belles étaient entrées dans le gynécée dePharaon; mais aucune n’était comparable à Tahoser, et les prunelles duroi dardaient des flammes si vives qu’elle fut obligée de baisser les yeux,n’en pouvant supporter l’éclat.

Certainly many very beautiful women had entered the Pharaoh's harem, but notone of them comparable to Tahoser; and the eyes of the King flashed suchburning glances that, unable to bear their brilliancy, she was obliged to castdown her eyes.

En son cœur Tahoser était orgueilleuse d’avoir excité l’amour dePharaon: car quelle est la femme, si parfaite qu’elle soit, qui n’ait pasde vanité? Pourtant elle eût préféré suivre au désert le jeune Hébreu. Leroi l’épouvantait, elle se sentait éblouie des splendeurs de sa face, et sesjambes se dérobaient sous elle. Pharaon, qui vit son trouble, la fit asseoir àses pieds sur un coussin rouge brodé et orné de houppes.

In her heart, Tahoser was proud of having excited love in the Pharaoh; forwho is the woman, however perfect she may be, who has not some vanity. Yet shewould have preferred to follow the young Hebrew into the desert. The Kingterrified her, she felt herself dazzled by the splendour of his face, and herlimbs gave way under her.

The Pharaoh noticed her emotion, and made her sit down at his feet on a redcushion adorned with tufts.

«Ô Tahoser, dit-il en la baisant sur les cheveux, je t’aime. Quand jet’ai vue du haut de mon palanquin de triomphe porté au-dessus du front deshommes par les oëris, un sentiment inconnu est entré dans mon âme. Moi, que lesdésirs préviennent, j’ai désiré quelque chose; j’ai compris que jen’étais pas tout. Jusque-là j’avais vécu solitaire dans ma toute-puissance, aufond de mes gigantesques palais, entouré d’ombres souriantes qui se disaientdes femmes et ne produisaient pas plus d’impression sur moi que les figurespeintes des fresques. J’écoutais au loin bruire et se plaindre vaguement lesnations sur la tête desquelles j’essuyais mes sandales ou que j’enlevais parleurs chevelures, comme me représentent les bas-reliefs symboliques despylônes, et, dans ma poitrine froide et compacte comme celle d’un dieu debasalte, je n’entendais pas le battement de mon cœur. Il me semblait qu’il n’yeût pas sur terre un être pareil à moi et qui pût m’émouvoir; en vain demes expéditions chez les nations étrangères je ramenais des vierges choisies etdes femmes célèbres dans leur pays à cause de leur beauté: je les jetaislà comme des fleurs, après les avoir respirées un instant. Aucune ne me faisaitnaître l’idée de la revoir. Présentes, je les regardais à peine;absentes, je les avais aussitôt oubliées. Twéa, Taïa, Amensé, Hont-Reché, quej’ai gardées par le dégoût d’en chercher d’autres qui m’eussent le été aussiindifférentes que celles-là, n’ont jamais été entre mes bras que des fantômesvains, que des formes parfumées et gracieuses, que des êtres d’une autre race,auxquels ma nature ne pouvait s’associer, pas plus que le léopard ne peuts’unir à la gazelle, l’habitant des airs à l’habitant des eaux; et jepensais que, placé par les dieux en dehors et au-dessus des mortels, je nedevais partager ni leurs douleurs ni leurs joies. Un immense ennui, pareil àcelui qu’éprouvent sans doute les momies qui, emmaillotées de bandelettes,attendent dans leurs cercueils, au fond des hypogées, que leur âme ait accomplile cercle des migrations, s’était emparé de moi sur mon trône, où souvent jerestais les mains sur mes genoux comme un colosse de granit, songeant àl’impossible, à l’infini, à l’éternel. Bien des fois j’ai pensé à lever levoile d’Isis, au risque de tomber foudroyé aux pieds de la déesse.«Peut-être,» me disais-je, «cette figure mystérieuse est-ellela figure que je rêve, celle qui doit m’inspirer de l’amour. Si la terre merefuse le bonheur, j’escaladerai le ciel…» Mais je t’ai aperçue;j’ai éprouvé un sentiment bizarre et nouveau; j’ai compris qu’il existaiten dehors de moi un être nécessaire, impérieux, fatal dont je ne saurais mepasser, et qui avait le pouvoir de me rendre malheureux. J’étais un roi,presque un dieu; ô Tahoser! tu as fait de moi unhomme!»

"Oh, Tahoser," he said, kissing her hair, "I love you. When I saw you fromthe top of my triumphal palanquin, borne higher than the heads of men by thegenerals, an unknown feeling entered into my soul. I, whose every desire isforestalled, desired something; I understood that I was not everything. Untilthen I had lived solitary in my almightiness, in the depths of my vast palaces,surrounded by mere shadows which called themselves women, and who had no moreeffect upon me than the painted figures in the frescoes. I heard in thedistance, muttering and complaining low, the nations upon whose heads I wipe mysandals or which I lift by their hair, as I am represented doing on thesymbolical bassi-relievi of the palaces, and in my cold breast, asstrong as that of a basalt god, I never heard the beat of my own heart. Itseemed to me that there was nowhere on earth a being like myself, a being whocould move me. In vain I brought back from my expeditions into foreign landschoice virgins and women famous for their beauty in their own country; I castthem aside like flowers, after having breathed their scent for a moment. Noneinspired me with a desire to see her again. When they were present, I scarceglanced at them; when they were absent, I immediately forgot them. Twea, Taïa, Amense, Hont-Reché, whom I have kept to avoid the disgustof having to find others who the next day would have been as indifferent asthemselves, have never been, when in my arms, aught but vain phantoms, perfumedand graceful forms, beings of another race with whom my nature could not mingleany more than the leopard can mate with the gazelle, the dweller in the airwith the dweller in the waters. I had come to think that, placed by the godsapart from and above all mortals, I was never to share either their pains ortheir joys. Fearful weariness, like that which no doubt tires the mummies,who, wrapped up in their bands, wait in their caves in the depths of thehypogea until the soul shall have finished the cycle of migrations,—a fearfulweariness had fallen upon me on my throne; for I often remained with my handson my knees like a granite colossus, thinking of the impossible, the infinite,the eternal. How many a time have I thought of raising the veil of Isis, at therisk of falling blasted at the feet of the goddess. Perhaps, I said to myself,that mysterious face is the one I have been dreaming of, the one which is toinspire me with love. If earth refuses me happiness, I shall climb to heaven.But I saw you; I felt a strange, unaccustomed sensation; I understood thatthere existed outside myself a being necessary, imperious, and fatal to me,whom I could not live without, and who possessed the power of making meunhappy. I was a king, almost a god, and you, O Tahoser, have made of me aman."

Jamais peut-être Pharaon n’avait prononcé un si long discours.Habituellement un mot, un geste, un clignement d’œil lui suffisaient pourmanifester sa volonté, aussitôt devinée par mille regards attentifs, inquiets.L’exécution suivait sa pensée comme l’éclair suit la foudre. Pour Tahoser, ilsemblait avoir renoncé à sa majesté granitique; il parlait, ils’expliquait comme un mortel.

Never, perhaps, had the Pharaoh uttered so long a speech; usually a word, agesture, a motion of the eye sufficed to manifest his will, which wasimmediately divined by a thousand attentive, restless eyes; performancefollowed his thought, as the lightning follows the thunder-clap. But withdesire he seemed to have given up his granitic majesty; he spoke and explainedhimself like a mortal.

Tahoser était en proie à un trouble singulier. Quoiqu’elle fût sensible àl’honneur d’avoir inspiré de l’amour au préféré de Phré, au favori d’Ammon-Ra,au conculcateur des peuples, à l’être effrayant, solennel et superbe, vers quielle osait à peine lever les yeux, elle n’éprouvait pour lui aucune sympathie,et l’idée de lui appartenir lui inspirait une épouvante répulsive. À ce Pharaonqui avait enlevé son corps, elle ne pouvait donner son âme restée avec Poëri etRa’hel, et, comme le roi paraissait attendre une réponse, elle dit:

Tahoser was a prey to singular emotion. However much she felt the honour ofhaving inspired love in the man preferred of Phré, in the favoured of Ammon Ra,the destroyer of nations, in the terrifying, solemn and superb being upon whomshe scarce dared to gaze, she felt no sympathy for him, and the idea ofbelonging to him filled her with terror and repulsion. To the Pharaoh who hadcarried off her body she could not give her soul, which had remained with Poëriand Ra'hel; and as the King appeared to await a reply, she said,—

«Comment se fait-il, ô roi, que, parmi toutes les filles d’Égypte, tonregard soit tombé sur moi, que tant d’autres surpassent en beauté, en talentset en dons de toutes sortes? Comment au milieu des touffes de lotusblancs, bleus et roses, à la corolle ouverte, au parfum suave, as-tu choisil’humble brin d’herbe que rien ne distingue?

"How is it, O King, that amid all the maids of Egypt your glance should havefallen on me,—on me whom so many others surpass in beauty, in talent, in giftsof all sorts? How is it that in the midst of clumps of white, blue, and roselotus, with open corollas, with delicate scent, you have chosen the modestblade of grass which nothing marks?"

— Je l’ignore; mais sache que toi seule existes au monde pour moi, etque je ferai les filles de roi tes servantes.

"I know not, but I know that you alone exist in this world for me, and thatI shall make kings' daughters your servants."

— Et si je ne t’aimais pas? dit timidement Tahoser.

"But suppose I do not love you?" said Tahoser, timidly.

— Que m’importe? si je t’aime, répondit Pharaon; est-ce que lesplus belles femmes de l’univers ne se sont pas couchées en travers de monseuil, pleurant et gémissant, s’égratignant les joues, se meurtrissant le sein,s’arrachant les cheveux, et ne sont pas mortes implorant un regard d’amour quin’est pas descendu? La passion d’une autre n’a jamais fait palpiter cecœur d’airain dans cette poitrine marmoréenne; résiste-moi, hais-moi, tun’en seras que plus charmante; pour la première fois, ma volontérencontrera un obstacle, et je saurai le vaincre.

"What care I, if I love you," replied the Pharaoh. "Have not the mostbeautiful women in the world thrown themselves down upon my threshold weepingand moaning, tearing their cheeks, beating their breasts, plucking out theirhair, and have they not died imploring a glance of love which never fell uponthem? Never has passion in any one made my heart of brass beat within my stonybreast. Resist me, hate if you will,—you will only be more charming; for thefirst time an obstacle will have come in the way of my will, and I shall knowhow to overcome it."

— Et si j’en aimais un autre?» continua Tahoser enhardie.

"But suppose I love another?" continued Tahoser, more boldly.

À cette supposition, les sourcils de Pharaon se contractèrent; ilmordit violemment sa lèvre inférieure, où ses dents laissèrent des marquesblanches, et il serra jusqu’à lui faire mal les doigts de la jeune fille qu’iltenait toujours; puis il se calma et dit d’une voix lente etprofonde:

At this suggestion the eyebrows of the Pharaoh were bent; he violently bithis lower lip, in which his teeth left white marks, and he pressed to the pointof hurting her the fingers of the maid which he still held. Then he cooled downagain, and said in a low, deep voice,—

«Quand tu auras vécu dans ce palais, au milieu de ces splendeurs,entourée de l’atmosphère de mon amour, tu oublieras tout, comme oublie celuiqui mange le népenthès. Ta vie passée te semblera un rêve; tes sentimentsantérieurs s’évaporeront comme l’encens sur le charbon de l’amschir; lafemme aimée d’un roi ne se souvient plus des hommes. Va, viens, accoutume-toiaux magnificences pharaoniques, puise à même mes trésors, fais couler l’or àflots, amoncelle les pierreries, commande, fais, défais, abaisse, élève, soisma maîtresse, ma femme et ma reine. Je te donne l’Égypte avec ses prêtres, sesarmées, ses laboureurs, son peuple innombrable, ses palais, ses temples, sesvilles; fripe-la comme un morceau de gaze; je t’aurai d’autresroyaumes, plus grands, plus beaux, plus riches. Si le monde ne te suffit pas,je conquerrai des planètes, je détrônerai des dieux. Tu es celle que j’aime.Tahoser, la fille de Pétamounoph, n’existe plus.»

"When you shall have lived in this palace, in the midst of these splendours,surrounded by the atmosphere of my love, you will forget everything as does hewho eats nepenthe. Your past life will appear to you like a dream, your formerfeelings will vanish as incense upon the coals of the censer. The woman who isloved by the King no longer remembers men. Go, come; accustom yourself toPharaonic magnificence; help yourself as you please to my treasures; make goldflow, heap up gems; order, make, unmake, raise, destroy; be my mistress, mywife, my queen. I give you Egypt with its priests, its armies, its toilers,its numberless population, its palaces, its temples and cities. Crumple it upas you would crumple up gauze,—I will win other kingdoms for you, larger,fairer, and richer. If the world is not sufficient, I will conquer planets foryou, I will dethrone the gods. You are she whom I love; Tahoser, the daughterof Petamounoph is no more."

XIV

XIV

Quand Ra’hel s’éveilla, elle fut surprise de ne pas trouver Tahoser à côtéd’elle, et promena ses regards autour de la chambre, croyant que l’Égyptiennes’était déjà levée. Accroupie dans un coin, Thamar, les bras croisés sur lesgenoux, la tête posée sur ses bras, oreiller osseux, dormait ou plutôt faisaitsemblant de dormir: car, à travers les mèches grises de sa chevelure endésordre qui ruisselaient jusqu’à terre, on eût pu entrevoir ses prunellesfauves comme celles d’un hibou, phosphorescentes de joie maligne et deméchanceté satisfaite.

When Ra'hel awoke, she was amazed not to find Tahoser by her side, and casther glance around the room, thinking the Egyptian had already risen. Crouchingin a corner, her arms crossed on her knees, her head upon her arms, whichformed a bony pillow, Thamar slept,—or rather, pretended to sleep; for throughthe long locks of her disordered hair which fell to the ground, might have beenseen her eyes as yellow as those of an owl, gleaming with malicious joy andsatisfied wickedness.

«Thamar, s’écria Ra’hel, qu’est devenue Tahoser?»

"Thamar," cried Ra'hel, "what has become of Tahoser?"

La vieille, comme si elle se fût éveillée en sursaut à la voix de samaîtresse, déplia lentement ses membres d’araignée, se dressa sur ses pieds,frotta à plusieurs reprises ses paupières bistrées avec le dos de sa main jauneplus sèche que celle d’une momie, et dit d’un air d’étonnement très bienjoué:

«Est-ce qu’elle n’est plus là?

The old woman, as if startled into wakefulness by the voice of her mistress,slowly uncoiled her spider-like limbs, rose to her feet, rubbed several timesher brown eyelids with the back of her left hand, yellower than that of amummy, and said with a well assumed air of astonishment: "Is she notthere?"

— Non, répondit Ra’hel, et, si je ne voyais encore sa place creusée sur lelit à côté de la mienne, et pendue à cette cheville la robe qu’elle a quittée,je croirais que les bizarres événements de cette nuit n’étaient que lesillusions d’un rêve.»

"No," replied Ra'hel; "and did I not yet see her place hollowed out on thebed by the side of my own, and hanging on that peg the gown which she threwoff, I could believe that the strange events of the past night were but anillusion and a dream."

Quoiqu’elle sût parfaitement à quoi s’en tenir sur la disparition deTahoser, Thamar souleva un bout de draperie tendu à l’angle de la chambre,comme si l’Égyptienne eût pu se cacher derrière; elle ouvrit la porte dela cabane, et, debout sur le seuil, explora minutieusem*nt du regard lesenvirons, puis, se retournant vers l’intérieur, elle fit à sa maîtresse unsigne négatif.

Though she was perfectly well aware of the manner of Tahoser'sdisappearance, Thamar raised a piece of the drapery stretched in the corner ofthe room, as if the Egyptian might have been concealed behind it. She openedthe door of the hut and standing on the threshold minutely explored theneighbourhood with her glance; then turning towards the interior, she signednegatively to her mistress.

«C’est étrange, dit Ra’hel pensive.

"It is strange," said Ra'hel, thoughtfully.

— Maîtresse, dit la vieille en se rapprochant de la belle Israélite avec desfaçons doucereuses et câlines, tu sais que cette étrangère m’avait déplu.

"Mistress," said the old woman, drawing near the Israelite, with a gentle,petting tone, "you know that I disliked the foreign woman."

— Tout le monde te déplaît, Thamar, répondit Ra’hel en souriant.

"You dislike every one, Thamar," replied Ra'hel, smiling.

— Excepté toi, maîtresse, dit la vieille en portant à ses lèvres la main dela jeune femme.

"Except you, mistress," answered the old woman, placing to her lips one ofthe young woman's hands.

— Oh! je le sais, tu m’es dévouée.

"I know it. You are devoted to me."

— Je n’ai jamais eu d’enfants, et parfois je me figure que je suis tamère.

"I never had any children, and sometimes I fancy that I am your mother."

— Bonne Thamar! dit Ra’hel attendrie.

"Good Thamar," said Ra'hel, moved.

— Avais-je tort, continua Thamar, de trouver son apparition étrange?sa disparition l’explique. Elle se disait Tahoser, fille de Pétamounoph;ce n’était qu’un démon ayant pris cette forme pour séduire et tenter un enfantd’Israël. As-tu vu comme elle s’est troublée lorsque Poëri a parlé contre lesidoles de pierre, de bois et de métal; et comme elle a eu de la peine àprononcer ces paroles: «Je tâcherai de croire à ton Dieu.» Oneût dit que le mot lui brûlait les lèvres comme un charbon.

"Was I wrong," continued Thamar, "to consider her appearance so strange? Herdisappearance explains it. She said she was Tahoser, the daughter ofPetamounoph. She was nothing but a fiend which took that form to seduce andtempt a child of Israel. Did you see how troubled she was when Poëri spokeagainst the idols of wood, stone, and metal, and how difficult it was for herto say, 'I will try to believe in your God'? It seemed as though the wordsburnt her lips like hot coals."

— Ses larmes qui tombaient sur mon cœur étaient bien de vraies larmes, deslarmes de femme, dit Ra’hel.

"The tears which fell upon my breast were genuine tears,—a woman's tears,"said Ra'hel.

— Les crocodiles pleurent quand ils veulent, et les hyènes rient pourattirer leur proie, continua la vieille: les mauvais esprits qui rôdentla nuit parmi les pierres et les ruines savent bien des ruses et jouent tousles rôles.

"Crocodiles weep when they want, and hyenas laugh to attract their prey,"continued the old woman. "The evil spirits which prowl at night in the stonesand ruins know many a trick and play every part."

— Ainsi, selon toi, cette pauvre Tahoser n’était qu’un fantôme animé parl’enfer?

"So, according to you, poor Tahoser was nothing but a phantom raised up byhell?"

— Assurément, répondit Thamar; est-il vraisemblable que la fille dugrand prêtre Pétamounoph se soit éprise de Poëri, et l’ait préféré à Pharaon,qu’on prétend amoureux d’elle?»

"Unquestionably," replied Thamar. "Is it likely that the daughter of thepriest Petamounoph would have fallen in love with Poëri and preferred him tothe Pharaoh, who, it is said, loves her?"

Ra’hel, qui ne mettait personne au monde au-dessus de Poëri, ne trouvait pasla chose si invraisemblable.

Ra'hel, who did not admit that any one in the world was superior to Poëri,did not think this unlikely.

«Si elle l’aimait autant qu’elle le disait, pourquoi s’est elle sauvéelorsque, avec ton consentement, il l’admettait comme seconde épouse?C’est la condition de renoncer aux faux dieux et d’adorer Jéhovah qui a mis enfuite ce diable déguisé.

"If she loved him as much as she said she did, why did she run off when,with your consent, he accepted her as his second wife? It was the conditionthat she must renounce the false gods and adore Jehovah which put to flightthat devil in disguise."

— En tout cas, dit Ra’hel, ce démon avait la voix bien douce et les yeuxbien tendres.»

"In any case, that devil had a very sweet voice and very tender eyes."

Au fond Ra’hel n’était peut-être pas très mécontente de la disparition deTahoser. Elle gardait tout entier le cœur dont elle avait bien voulu céder lamoitié, et la gloire du sacrifice lui restait.

At bottom Ra'hel was perhaps not greatly dissatisfied with the disappearanceof Tahoser; she thus kept wholly to herself the heart which she had beenwilling to share, and yet she had the merit of the sacrifice she had made.

Sous prétexte d’aller aux provisions, Thamar sortit et se dirigea vers lepalais du roi, dont sa cupidité n’avait pas oublié la promesse; elles’était munie d’un grand sac de toile grise pour le remplir d’or.

Under pretext of going to the market, Thamar went out and started for theKing's palace, her cupidity not having allowed her to forget his promise. Shehad provided herself with a great bag of coarse cloth which she proposed tofill with gold.

Quand elle se présenta à la porte du palais, les soldats ne la battirentplus comme la première fois; elle avait déjà du crédit, et l’oëris degarde la fit entrer tout de suite. Timopht la conduisit au Pharaon.

When she appeared at the palace gate the soldiers did not beat her as theyhad done the first day. She enjoyed the king's favour, and the officer of theguard made her enter at once. Timopht brought her to the Pharaoh.

Lorsqu’il aperçut l’immonde vieille qui rampait vers son trône comme uninsecte à moitié écrasé, le roi se souvint de sa promesse et donna ordre qu’onouvrît une des chambres de granit à la Juive, et qu’on l’y laissât prendreautant d’or qu’elle en pourrait porter.

When he perceived the vile old hag crawling towards his throne like acrushed insect, the King remembered his promise and gave orders to open one ofthe granite chambers of the treasury, and to allow her to take as much gold asshe could carry away.

Timopht, en qui Pharaon avait confiance et qui connaissait le secret de laserrure, ouvrit la porte de pierre.

Timopht, whom Pharaoh trusted, and who knew the secret of the lock, openedthe stone gate.

L’immense tas d’or étincela sous un rayon de soleil; mais l’éclair dumétal ne fut pas plus brillant que le regard de la vieille; ses prunellesjaunirent et scintillèrent étrangement. Après quelques minutes de contemplationéblouie, elle releva les manches de sa tunique rapiécée, mit à nu ses bras secsdont les muscles saillaient comme des cordes, et que plissaient à la saignéed’innombrables rides; puis elle ouvrit et referma ses doigts recourbés,pareils à des serres de griffon, et se lança sur l’amas de sicles d’or avec uneavidité farouche et bestiale.

The vast mass of gold sparkled in the sunbeams, but the brilliancy of themetal was no brighter than the glance of the old woman. Her eyes turned yellowand flashed strangely. After a few moments of dazzled contemplation, she pulledup the sleeves of her patched tunic and bared her withered arms, on which themuscles stood out like cords, and which were deeply wrinkled above the elbow;then she opened and closed her curved fingers, like the talons of a griffin,and sprang at the mass of golden bars with fierce and bestial avidity.

Elle se plongeait dans les lingots jusqu’aux épaules, les brassait, lesagitait, les roulait, les faisait sauter; ses lèvres tremblaient, sesnarines se dilataient, et sur son échine convulsive couraient des frissonsnerveux. Enivrée, folle, secouée de trépidations et de rires spasmodiques, ellejetait des poignées d’or dans son sac en disant: «Encore!encore! encore!» tant qu’il fut bientôt plein jusqu’àl’ouverture.

She plunged her arms amid the ingots, moved them, stirred them round, rolledthem over, threw them up; her lips trembled, her nostrils swelled, and down herspine ran convulsive tremors. Intoxicated, mad, shaken by trepidation andspasmodic laughter, she cast handfuls of gold into her bag, saying, "More!more! more!" so that soon it was full up to the mouth.

Timopht, que le spectacle amusait, la laissait faire, n’imaginant pas que cespectre décharné pût remuer ce poids énorme; mais Thamar lia d’une cordele sommet de son sac et, à la grande surprise de l’Égyptien, le chargea sur sondos. L’avarice prêtait à cette carcasse délabrée des forces inconnues:tous les muscles, tous les nerfs, toutes les fibres des bras, du cou, desépaules, tendus à rompre, soutenaient une masse de métal qui eût fait plier leplus robuste porteur de la race Nahasi; le front penché comme celui d’unbœuf quand le soc de la charrue a rencontré une pierre, Thamar, dont les jambestitubaient, sortit du palais, se heurtant aux murs, marchant presque à quatrepattes, car souvent elle envoyait ses mains à terre pour ne pas être écraséesous le poids; mais enfin elle sortit, et la charge d’or lui appartenaitlégitimement.

Timopht, amused at the sight, let her have her way, not dreaming that such askinny spectre could move so enormous a weight. But Thamar bound the mouth ofher sack with a cord, and to the great surprise of the Egyptian, lifted it onher back. Avarice lent to that broken-down frame unexpected strength ofmuscles; all the nerves and fibres of the arms, the neck, the shoulders,strained to breaking, bore up under a mass of metal which would have made themost robust Nahasi porter bow down. Her brows bent, like those of an ox whenthe ploughshare strikes a stone, Thamar staggered out of the palace, knockingup against the walls, walking almost on all-fours, for every now and then sheput her hands out to save herself from being crushed under her burden. But atlast she got out, and the load of gold was her legitimate property.

Haletante, épuisée, couverte de sueur, le dos meurtri, les doigts coupés,elle s’assit à la porte du palais sur son bienheureux sac, et jamais siège nelui parut plus moelleux.

Breathless, exhausted, covered with sweat, her back bruised and her fingerscut, she sat down at the palace gate upon her beloved sack, and never did anyseat appear to her so soft.

Au bout de quelque temps elle aperçut deux Israélites qui passaient avec unecivière, revenant de porter quelque fardeau; elle les appela, et, en leurpromettant une bonne récompense, elle les détermina à se charger du sac et à lasuivre.

After a short time, she perceived a couple of Israelites, passing by with alitter on which they had been bearing a burden. She called them, and promisingthem a handsome reward, induced them to take up the sack and to follow her.

Les deux Israélites, que Thamar précédait, s’engagèrent dans les rues deThèbes, arrivèrent aux terrains vagues, mamelonnés de cahutes en boue, etdéposèrent le sac dans l’une d’elles. Thamar leur donna, quoique en rechignant,la récompense promise.

The Israelites, preceded by Thamar, went down the streets of Thebes, reachedthe waste places studded with mud huts and placed the sack in one of them.Thamar paid them grumblingly the promised reward.

Cependant Tahoser avait été installée dans un appartement splendide, unappartement royal, aussi beau que celui de Pharaon. D’élégantes colonnes àchapiteaux de lotus soutenaient le plafond étoilé, qu’encadrait une corniche àpalmettes bleues peintes sur un vernis d’or; des panneaux lilas tendre,avec des filets verts terminés par des boutons de fleurs, dessinaient leurssymétries sur les murailles. Une fine natte recouvrait les dalles; descanapés incrustés de plaquettes de métal alternant avec des émaux, et garnisd’étoffes à fond noir semé de cercles rouges, des fauteuils à pieds de lion,dont le coussin débordait sur le dossier, des escabeaux formés de cols de cygneenlacés, des piles de carreaux en cuir pourpre et gonflés de barbe de chardon,des sièges où l’on pouvait s’asseoir deux, des tables de bois précieux quesoutenaient des statues de captifs asiatiques composaient l’ameublement.

Meanwhile Tahoser had been installed in a splendid apartment, a regalapartment as beautiful as that of the Pharaoh. Elegant pillars with lotuscapitals upbore the starry roof, framed in by a cornice of blue palm-branchespainted upon a golden background. Panels of a tender lilac-colour with greenlines ending in flower buds showed symmetrically on the walls; fine mattingcovered the stone slabs of the flooring; sofas, inlaid with plates of metalalternating with enamels, and covered with black stuffs adorned with redcircles, armchairs with lions' feet, with cushions that fell over the back,stools formed of swans' necks interlaced, piles of purple leather cushionsfilled with thistle-down, seats which could hold two persons, tables of costlywoods supported by statues of Asiatic captives,—formed the furniture of theroom.

Sur des socles richement sculptés posaient de grands vases et de largescratères d’or, d’un prix inestimable, dont le travail l’emportait sur lamatière. L’un d’eux, effilé à la base, était soutenu par deux têtes de chevauxs’encapuchonnant sous leur harnais à frange. Deux tiges de lotus retombant avecgrâce par-dessus deux rosaces formaient les anses: des ibex hérissaientle couvercle de leurs oreilles et de leurs cornes, et sur la panse couraient,parmi des hampes de papyrus, des gazelles poursuivies.

On richly carved pedestals rested tall porcelain vases and great goldenbowls, the workmanship of which was even more precious than the material. Oneof them with a slender base, was supported by two horses' heads with fringedhoods and harness. The handles were formed of two lotus stalks gracefullyfalling over two rose ornaments; on the cover were ibises with erect ears andsharp horns, and on the body of the vase were represented gazelles flying fromthe dogs amid stalks of papyrus.

Un autre, non moins curieux, avait pour couvercle une tête monstrueuse deTyphon, coiffée de palmes et grimaçant entre deux vipères; ses flancsétaient ornés de feuilles et de zones denticulées.

Another, no less curious, had for cover a monstrous Typhon head, adornedwith palms and grimacing between two vipers. The sides were ornamented withleaves and denticulated bands.

L’un des cratères, qu’élevaient en l’air deux personnages mitrés, vêtus derobes à larges bordures, qui d’une main soutenaient l’anse, et, de l’autre, lepied, étonnait par sa dimension énorme, par la valeur et le fini de sesornements.

One of the bowls, supported by two figures wearing mitres and dressed inrobes with broad borders, with one hand upbearing the handle and with the otherthe foot, amazed by its huge size and the perfection and finish of theornamentation.

L’autre, plus simple et plus pur de forme peut-être, s’évasaitgracieusem*nt, et des chacals, posant leurs pattes sur son bord comme pour yboire, lui dessinaient des anses avec leur corps svelte et souple.

The other, smaller and more perfect in shape perhaps, spread out gracefully;the slender and supple bodies of jackals whose paws rested upon the edge as ifthe animals sought to drink, formed the handles.

Des miroirs de métal entouré de figures difformes, comme pour donner à labeauté qui s’y regardait le plaisir du contraste, des coffres en bois de cèdreou de sycomore ornementés et peints, des coffrets en terre émaillée, des buiresd’albâtre, d’onyx et de verre, des boîtes d’aromates témoignaient de lamagnificence de Pharaon à l’endroit de Tahoser.

Metal mirrors, framed with deformed faces, as though to give the beauty wholooked into them the pleasure of contrast, coffers of cedar or sycamore woodpainted and ornamented, caskets of enamelled ware, flagons of alabaster, onyx,and glass, boxes of perfumes,—all these testified to the magnificence that thePharaoh lavished upon Tahoser.

Avec les choses précieuses que contenait cette chambre, on eût pu payer larançon d’un royaume.

The precious objects contained in that room were well worth a kingdom'sransom.

Assise sur un siège d’ivoire, Tahoser regardait les étoffes et les bijouxque lui montraient de jeunes filles nues éparpillant les richesses contenuesdans les coffres.

Seated upon an ivory seat, Tahoser looked at the stuffs and gems shown herby nude maidens, who scattered around the wealth contained in the coffers.

Tahoser sortait du bain, et les huiles aromatiques dont on l’avait frottéeassouplissaient encore la pulpe moelleuse et fine de sa peau. Sa chair prenaitdes transparences d’agate et la lumière semblait la traverser; elle étaitd’une beauté surhumaine, et, quand elle fixa sur le métal bruni du miroir sesyeux avivés d’antimoine, elle ne put s’empêcher de sourire à son image.

Tahoser had just emerged from the bath, and the aromatic oils with which shehad been rubbed, still further softened her delicate, satin-like skin; herflesh was almost translucent. She was of superhuman beauty, and when she gazedupon the burnished metal mirror, with her eyes brightened with antimony, shecould not help smiling upon her reflection.

Une large robe de gaze enveloppait son beau corps sans le cacher, et pourtout ornement elle portait un collier composé de cœurs en lapis-lazuli,surmontés de croix et suspendus à un fil de perles d’or.

A full gauze robe enveloped her fair form without veiling it. For soleornament she wore a necklace composed of lapis-lazuli hearts surmounted bycrosses, hanging from a string of gold and pearls.

Pharaon parut sur le seuil de la salle; une vipère d’or ceignait sonépaisse chevelure, et une calasiris, dont les plis ramenés par-devant formaientla pointe, lui entourait le corps de la ceinture aux genoux. Un seul gorgerincerclait son cou aux muscles invaincus.

The Pharaoh appeared on the threshold of the hall. A golden asp bound histhick hair, and a calasiris, the folds of which, brought forward, formed apoint, enclosed his body from the belt to the knees; a single necklaceencircled his unconquered, muscular neck.

En apercevant le roi, Tahoser voulut se lever de son siège et seprosterner; mais Pharaon vint à elle, la releva et la fit asseoir.

On perceiving the King, Tahoser rose from her seat to prostrate herself, butthe Pharaoh came to her, raised her up, and made her sit down.

«Ne t’humilie pas ainsi, Tahoser, lui dit-il d’une voix douce;je veux que tu sois mon égale; il m’ennuie d’être seul dansl’univers; quoique je sois tout-puissant et que je t’aie en mapossession, j’attendrai que tu m’aimes comme si je n’étais qu’un homme. Écartetoute crainte; sois une femme avec ses volontés, ses sympathies, sesantipathies, ses caprices; je n’en ai jamais vu; mais si ton cœurparle enfin pour moi, pour que je le sache, tends-moi, quand j’entrerai dans tachambre, la fleur de lotus de ta coiffure.»

"Do not thus humble yourself, Tahoser," he said in a gentle voice. "I willyou to be my equal. I am weary of being alone in the universe. Although I amalmighty and possess you, I shall wait until you love me as if I were but aman. Put away all fear; be a woman with a woman's will, sympathies,antipathies, and caprices. I have never seen one. But if your heart at lastspeaks in my favour, hold out to me, when I enter your room, in order that Imay know it, the lotus flower out of your hair."

Quoi qu’il fit pour l’empêcher, Tahoser se précipita aux genoux du Pharaonet laissa tomber une larme sur ses pieds nus.

Though he strove to prevent it, Tahoser threw herself at the knees of thePharaoh and let fall a tear upon his bare feet.

«Pourquoi mon âme est-elle à Poëri?» se disait-elle enreprenant sa place sur son siège d’ivoire.

"Why is my soul Poëri's?" she said to herself as she resumed her place uponthe ivory seat.

Timopht, mettant une main à terre et l’autre sur sa tête, pénétra dans lachambre:

Timopht, putting one hand on the ground and the other on his head, enteredthe room.

«Roi, dit-il, un personnage mystérieux demande à te parler. Sa barbeimmense descend jusqu’à son ventre; des cornes luisantes bossellent sonfront dénudé, et ses yeux brillent comme des flammes. Une puissance inconnue leprécède, car tous les gardes s’écartent et toutes les portes s’ouvrent devantlui. Ce qu’il dit, il faut le faire, et je suis venu à toi au milieu de tesplaisirs, dût la mort punir mon audace.

"O King," he said, "a mysterious personage seeks to speak to you. His graybeard falls down to his waist, shining horns emerge from his bare brow, and hiseyes shine like fire. An unknown power precedes him, for all the guards fallback and all the gates open before him. What he says must be done, and I havecome to you in the midst of your pleasures, even were death to be thepunishment of my audacity."

— Comment s’appelle-t-il?» dit le roi.

"What is his name?" said the King.

Timopht répondit: «Mosché.»

"Mosche," replied Timopht.

XV

XV

Le roi passa dans une autre salle pour recevoir Mosché, et s’assit sur untrône dont les bras étaient formés par des lions; il entoura son cou d’unlarge pectoral, saisit son sceptre et prit une pose de superbeindifférence.

The King passed into another hall to receive Mosche, and sat down on athrone, the arms of which were formed of lions, hung a broad pectoral ornamenton his breast, and assumed a pose of supreme indifference.

Mosché parut: un autre Hébreu, nommé Aharon, l’accompagnait. Quelqueauguste que fût le Pharaon sur son trône d’or, entouré de ses oëris et de sesflabellifères, dans cette haute salle aux colonnes énormes, sur ce fond depeinture représentant les hauts faits de ses aïeux ou les siens, Mosché n’étaitpas moins imposant: la majesté de l’âge équivalait chez lui à la majestéroyale; quoiqu’il eût quatre-vingts ans, il semblait d’une vigueur toutevirile, et rien en lui ne trahissait les décadences de la sénilité. Les ridesde son front et de ses joues, pareilles à des traces de ciseau sur du granit,le rendaient vénérable, sans accuser la date des années; son cou brun etplissé se rattachait à ses fortes épaules par des muscles décharnés, maispuissants encore, et un lacis de veines drues se tordait sur ses mains quen’agitait pas le tremblement habituel aux vieillards. Une âme plus énergiqueque l’âme humaine vivifiait son corps, et sur sa face brillait, même dansl’ombre, une lueur singulière. On eût dit le reflet d’un soleil invisible.

Mosche appeared, accompanied by another Hebrew, called Aharon. August thoughthe Pharaoh was, as he sat on his golden throne, surrounded by his officers andhis fan-bearers, within that high hall with its huge columns, against thatbackground of paintings which depicted the deeds of his ancestors or his own,Mosche was no less imposing. In him the majesty of age equalled the majesty ofsovereignty. Although he was seventy years old, he seemed endowed with manlyvigour, and nothing in him showed decadence into senility. The wrinkles on hisbrow and his cheeks, like the marks of the chisel on the granite, made himvenerable without telling his age. His brown and wrinkled neck was joined tohis powerful shoulders by gaunt but still powerful muscles, and a network ofsinewy veins showed upon his hands, which did not tremble as old men's handsgenerally do. A soul more energetic than a human soul vivified his body, and onhis face shone in the shadow a strange light. It seemed like the reflection ofan invisible sun.

Sans se prosterner, comme c’était l’habitude lorsqu’on approchait du roi,Mosché s’avança vers le trône de Pharaon et lui dit:

Without prostrating himself, as was the custom when men approached the King,Mosche drew near the throne of the Pharaoh and said to him:

«Ainsi a parlé l’Éternel, le Dieu d’Israël: «Laisse allermon peuple, pour qu’il me célèbre une solennité au désert.»

"Thus saith the Lord God of Israel: 'Let my people go, that they may hold afeast unto me in the wilderness.'"

Pharaon répondit: «Qui est l’Éternel dont je dois écouter lavoix pour laisser partir Israël? Je ne connais pas l’Éternel, et je nelaisserai pas partir Israël.»

The Pharaoh replied, "Who is the Lord, that I should obey his voice to letIsrael go? I know not the Lord, neither will I let Israel go."

Sans se laisser intimider par les paroles du roi, le grand vieillard répétaavec netteté, car l’ancien bégaiement dont il était affligé avaitdisparu:

Without being intimidated by the King's words, the tall old man repliedunhesitatingly, for the stuttering which had formerly affected him haddisappeared,—

«Le Dieu des Hébreux s’est manifesté à nous. Nous voulons donc aller àune distance de trois jours dans le désert et y sacrifier à l’Éternel, notreDieu, de peur qu’il ne nous frappe de la peste ou du glaive.»

"The God of the Hebrews hath met with us. Let us go, we pray thee, threedays' journey into the desert, and sacrifice unto the Lord our God; lest hefall upon us with pestilence, or with the sword."

Aharon confirma par un signe de tête la demande de Mosché.

Aharon confirmed by a nod the demand of Mosche.

«Pourquoi détournez-vous le peuple de ses occupations? réponditle Pharaon. Allez à vos travaux. Heureusem*nt pour vous que je suis aujourd’huid’humeur clémente, car j’aurais pu vous faire battre de verges, couper le nezet les oreilles, jeter tout vifs aux crocodiles. Sachez, je veux bien vous ledire, qu’il n’y a d’autre dieu qu’Ammon-Ra, l’être suprême et primordial, à lafois mâle et femelle, son propre père et sa propre mère, dont il est aussi lemari; de lui découlent tous les autres dieux qui relient le ciel à laterre, et ne sont que des formes de ces deux principes constituants; lessages le connaissent, et les prêtres qui ont longtemps étudié les mystères dansles collèges et au fond des temples consacrés à ses représentations diverses.N’alléguez donc pas un autre dieu de votre invention pour émouvoir les Hébreuxà la révolte et les empêcher d’accomplir la tâche imposée. Votre prétexte desacrifice est transparent: vous voulez fuir; retirez-vous de devantma face et continuez à mouler l’argile pour mes édifices royaux et sacerdotaux,pour mes pyramides, mes palais et mes murailles. Allez; j’ai dit.»

"Wherefore do ye, Mosche and Aharon, let the people from their works?"replied the Pharaoh. "Happily for you I am to-day in a clement humour, for Imight have had you beaten with rods, had your tongues and ears cut off, orthrown you living to the crocodiles. Know, for I tell you so, there is noother god than Ammon Ra, the supreme and primeval being, at once male andfemale; who is his own father and his own mother, whose husband he is also;from whom come all the other gods which unite heaven to earth and which are butforms of those two obscure principles. The wise know it, and the priests, whohave long studied mysteries in the colleges and in the temples consecrated tohis diverse representations. Do not, therefore, allege another god of your owninvention to move the Hebrews to revolt, and to prevent them from doing theirappointed work. Your pretext of sacrifice is plain,—you wish to flee. Withdrawfrom before me, and continue to mould clay for my royal and priestly buildings,for my pyramids, my palaces, and my walls. Go! I have spoken."

Mosché, voyant qu’il ne pouvait émouvoir le cœur du Pharaon, et que, s’ilinsistait, il exciterait sa colère, se retira en silence, suivi d’Aharonconsterné.

Mosche, seeing that he could not move the Pharaoh's heart, and that if heinsisted he would excite his wrath, withdrew in silence, followed by Aharon indismay.

«J’ai obéi aux ordres de l’Éternel, dit Mosché à son compagnonlorsqu’il eut franchi le pylône: mais Pharaon est resté insensible commesi j’eusse parlé à ces hommes de granit assis sur des trônes à la porte despalais, ou à ces idoles à tête de chien, de singe ou d’épervier, qu’encensentles prêtres au fond des sanctuaires. Qu’allons-nous répondre au peuple quand ilnous interrogera sur le succès de notre mission?»

"I have obeyed the Lord God," said Mosche to his companion when they hadcrossed the pylon, "but the Pharaoh remains as insensible as if I had beenspeaking to those granite figures seated upon thrones at the palace gates, orto those idols with heads of dogs, monkeys, or hawks to which the priests burnincense within the depths of the sanctuaries. What shall we reply to the peoplewhen they question us on the result of our mission?"

Pharaon craignant que les Hébreux n’eussent l’idée de secouer le jougd’après les suggestions de Mosché, les fit travailler plus rudement encore etleur refusa la paille pour mêler à leurs briques. Aussi les enfants d’Israël serépandirent-ils par toute l’Égypte, arrachant le chaume et maudissant lesexacteurs, car ils se trouvaient très-malheureux et ils disaient que lesconseils de Mosché avaient redoublé leur misère.

The Pharaoh, fearing lest the Hebrews should bethink themselves of throwingoff their yoke in accordance with the suggestions of Mosche, made them workmore severely than before, and refused them straw to make their bricks.Thenceforth the children of Israel spread throughout Egypt, plucking thestubble and cursing their tyrants; for they were very unhappy, and they saidthat the advice of Mosche had increased their misery.

Un jour Mosché et Aharon reparurent au palais et sommèrent encore une foisle roi de laisser partir les Hébreux, pour aller sacrifier à l’Éternel, dansle désert.

One day Mosche and Aharon reappeared in the palace, and once again calledupon the King to let the Hebrews go to sacrifice unto the Lord in thewilderness.

«Qui me prouve, répondit Pharaon, que vraiment l’Éternel vous envoievers moi pour me dire ces choses et que vous n’êtes pas, comme je l’imagine, devils imposteurs?»

"What proof have I," replied the Pharaoh, "that it is the Lord who sends youto me to tell me these things, and that you are not, as I fancy, vileimpostors?"

Aharon jeta son bâton devant le roi, et le bois commença à se tordre, àonduler, à se couvrir d’écailles, à remuer la tête et la queue, à se dresser età pousser des sifflements horribles. Le bâton s’était changé en serpent. Ilfaisait bruire ses anneaux sur les dalles, gonflait sa gorge, dardait sa languefourchue, et, roulant ses yeux rouges, semblait choisir la victime qu’il devaitpiquer.

Aharon threw down his wand before the King, and the wood began to twist, tocurl, to grow scales, to move its head and tail, to rise up, and to utterhorrible hissings: the wand had been changed into a serpent. Its rings gratedover the flags, it swelled its hood, it whipped out its forked tongue, androlling its red eyes, seemed to select the victim which it was about tobite.

Les oëris et les serviteurs rangés autour du trône restaient immobiles etmuets d’effroi à la vue de ce prodige. Les plus braves avaient tiré à demi leurépée.

The officers and servants ranged around the throne remained motionless andmute with terror at the sight of this prodigy; the bravest half drew theirswords.

Mais Pharaon ne s’en émut aucunement; un sourire dédaigneux voltigeasur ses lèvres, et il dit:

But the Pharaoh was in no wise moved. A disdainful smile flitted over hislips, and he said,—

«Voilà ce que vous savez faire. Le miracle est mince et le prestigegrossier. Qu’on fasse venir mes sages, mes magiciens et meshiéroglyphites.»

"Is that all you can do? The miracle is slight, and the prodigy poor. Sendfor my wise men, my sorcerers and my magicians."

Ils arrivèrent; c’étaient des personnages d’un aspect formidable etmystérieux, la tête rasée, chaussés de souliers de byblos, vêtus de longuesrobes de lin, tenant en main des bâtons gravés d’hiéroglyphes: ilsétaient jaunes et desséchés comme des momies, à force de veilles, d’études etd’austérités; les fatigues des initiations successives se lisaient surleurs visages, où les yeux seuls semblaient vivants.

They came. They were men of venerable and mystic appearance, with shavenheads, wearing sandals of byblos, dressed in long linen robes, holding in theirhands wands on which were engraved hieroglyphs. They were yellow and dried uplike mummies by night watches, study, and austerity; the fatigue entailed bysuccessive initiations could be read upon their faces, in which their eyesalone seemed to retain life.

Ils se rangèrent en ligne devant le trône de Pharaon, sans faire mêmeattention au serpent qui frétillait, rampait et sifflait.

They drew up in a line before the throne of the Pharaoh without paying theleast attention to the serpent, which wriggled, crawled, and hissed.

«Pouvez-vous, dit le roi, changer vos cannes en reptiles comme vientde le faire Aharon?

"Can you," said the King, "change your wands into reptiles as Aharon hasdone?"

— Ô roi! est-ce pour ce jeu d’enfant, dit le plus ancien de la bande,que tu nous as fait venir du fond des chambres secrètes, où, sous des plafondsconstellés, à la lueur des lampes, nous rêvons, penchés sur des papyrusindéchiffrables, agenouillés devant les stèles hiéroglyphiques aux sensmystérieux et profonds, crochetant les secrets de la nature, calculant la forcedes nombres, portant notre main tremblante au bord du voile de la grandeIsis? Laisse-nous retourner, car la vie est courte, et à peine le sagea-t-il le temps de jeter à l’autre le mot qu’il a saisi; laisse-nousretourner à nos travaux; le premier jongleur, le psylle qui joue son airde flûte sur les places suffit à te contenter.

"O King, is it for such child's play," said the oldest of the band, "thatyou have sent for us from the recesses of the secret chambers where under thestarry ceilings, by the light of the lamps, we are meditating, bending overundecipherable papyri, kneeling before the hieroglyphic stelæ with theirmysterious, deep meanings, forcing the secrets of nature, calculating the powerof numbers, bearing our trembling hand to the border of the veil of the greatIsis? Let us go back, for life is short, and the wise man has scarce time totell to another the word which he has learned. Let us go back to ourlaboratories. The merest juggler, the first charmer of serpents who plays theflute on the public squares, will suffice to satisfy you."

— Ennana, fais ce que je désire,» dit le Pharaon au chef deshiéroglyphites et des magiciens.

"Ennana, do what I wish," said the Pharaoh to the chief of the wise men andthe magicians.

Le vieil Ennana se retourna vers le collège des sages qui se tenaientdebout, immobiles, et l’esprit déjà replongé dans l’abîme des méditations.

Old Ennana turned towards the band of sages, who remained standingmotionless, their minds already lost again in deep meditations.

«Jetez vos cannes à terre en prononçant tout bas le motmagique.»

"Cast down every man your rod as you whisper the magic word."

Les bâtons avec un bruit sec tombèrent ensemble sur les dalles, et les sagesreprirent leur pose perpendiculaire, semblables aux statues adossées auxpiliers des temples; ils ne daignaient même pas regarder à leurs pieds sile prodige s’accomplissait, tellement ils étaient sûrs de la puissance de leurformule.

The rods fell together with a sharp sound upon the stone slabs, and the wisem*n resumed their perpendicular attitude like the statues placed against thepillars of the tombs. They did not even deign to look at their feet to see ifthe miracle were being wrought, so sure were they of the power of theirformula.

Et alors ce fut un étrange et horrible spectacle: les cannes setordirent comme des branches de bois vert sur le feu; leurs extrémitéss’aplatirent en têtes, s’effilèrent en queues; les unes restèrent lisses,les autres s’écaillèrent selon l’espèce du serpent. Cela grouillait, celarampait, cela sifflait, cela s’élançait et se nouait hideusem*nt. Il y avaitdes vipères portant la marque d’un fer de lance sur leur front écrasé, descérastes aux protubérances menaçantes, des hydres verdâtres et visqueuses, desaspics aux crochets mobiles, des trigonocéphales jaunes, des orvets ou serpentsde verre, des crotales au museau court, à la robe noirâtre, faisant sonner lesosselets de leur queue; des amphisbènes marchant en avant et enarrière; des boas ouvrant leur large gueule capable d’engloutir le bœufApis; des serpents aux yeux entourés de disques comme ceux deshiboux: le pavé de la salle en était couvert.

And then was seen a strange and horrible sight. The rods twisted likebranches of green wood in the fire, the ends flattened out into the shape ofheads, thinned out into the shape of tails. Some remained smooth, others becamescaly, according to the kind of serpent. All these swarmed and crawled andhissed, interlaced and knotted into hideous knots. There were vipers bearingthe mark of the spearhead upon their low brows, horned snakes with menacingprotuberances, greenish, viscous hydras, asps with movable fangs, yellowtrigonocephalæ, orvets or blind serpents, crotalidæ with short heads, blackskins, and rattles on their tails, amphisbena, which can glide forward orbackward, boas opening mouths wide enough to swallow an ox, serpents with eyessurrounded with discs like those of owls;—the pavement of the hall was coveredwith them.

Tahoser, qui partageait le trône du Pharaon, levait ses beaux pieds nus etles ramenait sous elle, toute pâle d’épouvante.

Tahoser, who shared the throne of the Pharaoh, raised her beautiful barefeet and pulled them back under her, pale with terror.

«Eh bien, dit Pharaon à Mosché, tu vois que la science de meshiéroglyphites égale ou surpasse la tienne: leurs bâtons ont produit desserpents comme celui d’Aharon. Invente un autre prodige, si tu veux meconvaincre.»

"Well," said the Pharaoh to Mosche, "you see that the skill of my magiciansequals, and even surpasses yours; their rods have turned into serpents likethat of Aharon. Invent another prodigy if you seek to convince me."

Mosché étendit la main, et le serpent d’Aharon se précipita vers lesvingt-quatre reptiles. La lutte ne fut pas longue; il eut bientôtenglouti les affreuses bêtes, créations réelles ou apparentes des sagesd’Égypte; puis il reprit sa forme de bâton.

Mosche stretched forth his hand, and Aharon's serpent glided towards thetwenty-four reptiles. The struggle was not long; it soon had swallowed thehideous things, real or seeming creations of the wise men of Egypt. Then itresumed its former wand shape.

Ce résultat parut étonner Ennana. Il pencha la tête, réfléchit et dit commeun homme qui se ravise:

This result seemed to amaze Ennana. He bent his head, thought for a moment,and said, like a man who perceives something:

«Je trouverai le mot et le signe. J’ai mal interprété le quatrièmehiéroglyphe de la cinquième ligne perpendiculaire où se trouve la conjurationdes serpents… Ô roi! as-tu encore besoin de nous? dit tout haut lechef des hiéroglyphites. Il me tarde de reprendre la lecture d’HermèsTrismégiste, qui contient bien d’autres secrets que ces tours depasse-passe.

"I shall find the word and the sign. I have interpreted wrongly the fourthhieroglyph of the fifth perpendicular line in which is the spell of serpents. OKing, do you still need us?" said the chief of the wise men aloud. "I long toresume the reading of Hermes Trismegistus, which contains more importantsecrets than these sleight-of-hand tricks."

Pharaon fit signe au vieillard qu’il pouvait se retirer, et le cortègesilencieux rentra dans les profondeurs du palais.

The Pharaoh signed to the old man that he might withdraw, and the silentprocession returned to the depths of the palace.

Le roi revint au gynécée avec Tahoser. La fille du prêtre, effrayée et toutetremblante encore de ces prodiges, s’agenouilla devant lui et luidit:

The King re-entered the harem with Tahoser. The priest's daughter,terrified and still trembling at these prodigies, knelt down before him andsaid:

«Ô Pharaon, ne crains-tu pas d’irriter par ta résistance ce dieuinconnu auquel les Israélites veulent aller sacrifier dans le désert, à troisjours de distance? Laisse partir Mosché et ses Hébreux pour accomplirleurs rites, car peut-être l’éternel, comme ils le nomment, éprouvera la terred’Égypte et nous fera mourir.

"O Pharaoh, do you not fear to anger by your resistance the unknown godwho has ordered these Israelites to go a three days' journey into the desert tosacrifice unto him? Let Mosche and his Hebrews depart to fulfil their rites,for perhaps the Lord, as they call him, will afflict the land of Egypt andbring death upon us."

— Quoi! cette jonglerie de reptiles t’épouvante! réponditPharaon; ne vois-tu pas que mes sages ont produit des serpents avec leursbâtons?

"What! does that reptile jugglery frighten you?" replied the Pharaoh. "Didyou not see that my wise men produced serpents with their wands?"

— Oui, mais celui d’Aharon les a dévorés, et c’est un mauvais présage.

"Yes, but Aharon's devoured them, and that is an ill omen."

— Qu’importe? ne suis-je pas le favori de Phré, le préféréd’Ammon-Ra? n’ai-je pas sous mes sandales l’effigie des peuples vaincus? D’un souffle je balayerai, quand je voudrai, toute cette engeancehébraïque, et nous verrons si leur Dieu saura les protéger!

"What matters it? Am I not the favourite of Phré, the preferred of Ammon Ra?Have I not under my sandals the effigies of conquered nations? With one breathI shall sweep away when I please the whole of that Hebrew race, and I shall seeif their god can protect them."

— Prends garde, Pharaon, dit Tahoser, qui se souvenait des paroles de Poërisur la puissance de Jéhovah; ne laisse pas l’orgueil endurcir ton cœur.Ce Mosché et cet Aharon m’épouvantent; pour qu’ils affrontent toncourroux, il faut qu’ils soient soutenus par un dieu bien terrible!

"Beware, Pharaoh," said Tahoser, who remembered Poëri's words about thepower of Jehovah. "Do not allow pride to harden your heart. Mosche and Aharonterrify me; they must be supported by a more powerful god, for they braved yourwrath."

— Si leur Dieu avait tant de puissance, dit Pharaon répondant à la crainteexprimée par Tahoser, les laisserait-il ainsi captifs, humiliés et pliant commedes bêtes de somme sous les plus durs travaux? Oublions donc ces vainsprodiges et vivons en paix. Pense plutôt à l’amour que j’ai pour toi, et songeque Pharaon a plus de pouvoir que l’éternel, chimérique divinité desHébreux.

"If their god is so powerful," said the Pharaoh, answering the fearexpressed by Tahoser, "would he leave them thus captives, humiliated and bowinglike beasts of burden under the harvest labour? Let us forget these vainprodigies and live in peace. Think rather of the love I bear you, and rememberthat the Pharaoh is more powerful than the Lord, the fanciful god of theHebrews."

— Oui, tu es le conculcateur des peuples, le dominateur des trônes, et leshommes sont devant toi comme les grains de sable que soulève le vent dusud; je le sais, répliqua Tahoser.

"Yes, you are the destroyer of the nations and the ruler of thrones, and menare before you like grains of sand blown by the southern wind. I know it,"replied Tahoser.

— Et pourtant je ne puis me faire aimer de toi, dit Pharaon en souriant.

"And yet I cannot make you love me," said the Pharaoh, with a smile.

— L’ibex a peur du lion, la colombe redoute l’épervier, la prunelle craintle soleil, et je ne te vois encore qu’à travers les terreurs et leséblouissem*nts; la faiblesse humaine est longue à se familiariser avec lamajesté royale. Un dieu effraie toujours une mortelle.

"The ibex fears the lion, the dove dreads the hawk, the eye shrinks from thesun, and I can see you yet only through terror and blazing light. It takeshuman weakness a long time to become familiar with royal majesty; a god alwaysterrifies a mortal."

— Tu m’inspires le regret, Tahoser, de n’être pas le premier venu, un oëris,un monarque, un prêtre, un agriculteur, ou moins encore. Mais, puisque je nesaurais faire du roi un homme, je peux faire de la femme une reine et nouer lavipère d’or à ton front charmant. La reine n’aura plus peur du roi.

"You fill me with regret, Tahoser, that I am not the first-comer, anofficer, a nomarch, a priest, a labourer, or even less. But since I cannot makethe King into a man, I can make a queen out of the woman and bind the goldenuræus upon your lovely brow. The Queen will no longer dread the King."

— Même lorsque tu me fais asseoir près de toi, sur ton trône, ma penséereste agenouillée à tes pieds. Mais tu es si bon, malgré ta beauté surhumaine,ton pouvoir sans bornes et ton éclat fulgurant, que peut-être mon cœurs’enhardira et osera battre sur le tien.»

"Even when you make me sit by you on your throne, my thoughts remainkneeling at your feet. But you are so good in spite of your superhuman beauty,your power so boundless and your splendour so dazzling, that perhaps my heartwill grow bold and will dare to beat against yours."

C’est ainsi que devisaient Pharaon et Tahoser; la fille du prêtre nepouvait oublier Poëri, et cherchait à gagner du temps en flattant de quelqueespoir la passion du roi. S’échapper du palais, aller retrouver le jeune Hébreuétait chose impossible. Poëri, d’ailleurs, acceptait son amour plutôt qu’il nele partageait. Ra’hel, malgré sa générosité, était une dangereuse rivale, etpuis la tendresse de Pharaon touchait la fille du prêtre; elle eût désirél’aimer, et peut-être en était-elle moins loin qu’elle ne le croyait.

Thus talked the Pharaoh and Tahoser. Thepriest's daughter could not forget Poëri, and sought togain time by flattering the passion of the King. Toescape from the palace, to find the young Hebrewagain, was impossible. Besides, Poëri had acceptedher love rather than shared it. Ra'hel, in spite of hergenerosity, was a dangerous rival; and then, the loveof the Pharaoh touched the priest's daughter,—shedesired to love him, and perhaps she was not so farfrom doing so as she believed.

XVI

XVI

À quelques jours de là, Pharaon côtoyait le Nil, debout sur son char etsuivi de son cortège; il allait voir quel degré atteignait la crue dufleuve, lorsqu’au milieu du chemin se dressèrent comme deux fantômes Aharon etMosché. Le roi retint ses chevaux, qui secouaient déjà leur bave sur lapoitrine du grand vieillard immobile.

A few days later the Pharaoh was driving along the Nile, standing on hischariot and followed by his court. He had gone forth to observe the height ofthe flood, when in the centre of the road appeared, like two phantoms, Aharonand Mosche. The king drew in his horses, the foam of whose mouths was alreadyflecking the breast of the tall, motionless old man.

Mosché, d’une voix lente et solennelle, répéta son adjuration.

Mosche, with slow and solemn voice repeated his adjuration.

«Prouve par quelque miracle la puissance de ton Dieu, répondit le roi,et je t’accorde ta demande.»

"Prove to me by some wonder the power of your god," answered the King, "andI will grant your request."

Se tournant vers Aharon, qui le suivait à quelques pas, Moschédit:

«Prends ton bâton et étends la main sur les eaux des Égyptiens, surleurs rivières, leurs fleuves, leurs lacs et leurs rassemblements d’eau;qu’ils deviennent du sang; il y aura du sang dans tout le pays d’Égypte,ainsi que dans les vases de bois et de pierre.»

Turning towards Aharon, who was a few steps behind him, Mosche said, "Takethy rod, and stretch out thine hand upon the waters of Egypt, upon theirstreams, upon their rivers, and upon their ponds, and upon all their pools ofwater, that they may become blood; and that there may be blood throughout allthe land of Egypt, both in vessels of wood and in vessels of stone."

Aharon brandit sa verge et en frappa l’eau du fleuve.

Aharon lifted up his rod and smote the waters that were in the river.

La suite de Pharaon attendait le résultat avec anxiété. Le roi, qui portaitun cœur d’airain dans une poitrine de granit, souriait dédaigneusem*nt, sefiant à la science de ses hiéroglyphites pour confondre ces magiciensétrangers.

The train of the Pharaoh awaited the result anxiously. The King, who had aheart of brass within a breast of granite, smiled disdainfully, trusting in theskill of his wise men to confound the foreign magicians.

Dès que le bâton de l’Hébreu, ce bâton qui avait été serpent, frappa lefleuve, les eaux commencèrent à se troubler et à bouillonner, leur couleurlimoneuse s’altéra d’une façon sensible: des tons rougeâtres s’ymêlèrent, puis toute la masse prit une sombre couleur de pourpre, et le Nilparut comme un fleuve de sang roulant des vagues écarlates et brodant ses rivesd’écumes roses. On eût dit qu’il reflétait un immense incendie ou un cielflamboyant d’éclairs; mais l’atmosphère était calme. Thèbes ne brûlaitpas, et le bleu immuable s’étendait sur cette nappe rougie que tachetaient çaet là des ventres blancs de poissons morts. Les longs crocodiles squameux,s’aidant de leurs pattes coudées, émergeaient du fleuve sur la rive, et leslourds hippopotames, pareils à des blocs de granit rose recouverts d’une lèprede mousse noire, s’enfuyaient à travers les roseaux ou levaient au-dessus dufleuve leurs mufles énormes, ne pouvant plus respirer dans cette eausanglante.

As soon as the river had been smitten by the rod of the Hebrew,—the rodwhich had been a serpent,—the waters began to turn muddy and to boil; their mudcolour was gradually changed; reddish tones began to mingle with it; then thewhole mass assumed a sombre purple colour, and the Nile seemed a river of bloodwith scarlet waves that edged the banks with rosy foam. It seemed to reflect avast conflagration or a sky rayed by lightning, but the atmosphere was calm,Thebes was not burning, and the unchanging azure spread over the red stream,marked here and there by the white bellies of dead fishes. The long crocodiles,using their crooked paws, emerged from the river on to the bank, and the heavyhippopotami, like blocks of rose granite covered with leprous, black moss, fledthrough the reeds, or raised above the stream their mighty heads, unable tobreathe in that water of blood.

Les canaux, les viviers, les piscines avaient pris les mêmes teintes, et lescoupes pleines d’eau étaient rouges comme les cratères où l’on reçoit le sangdes victimes.

The canals, the fish-ponds, and the pools had all turned the same colour,and the vessels full of water were red like the basins in which the blood ofvictims is collected.

Pharaon ne s’étonna pas de ce prodige, et il dit aux deux Hébreux:

The Pharaoh was not astonished at the wonder, and said to the Hebrews,—

«Ce miracle pourrait épouvanter une populace crédule etignorante; mais il n’y a là rien qui me surprenne. Qu’on fasse venirEnnana et le collège des hiéroglyphites; ils vont refaire ce tour demagie.»

"This miracle might terrify a credulous and ignorant people, but it hasnothing surprising for me. Let Ennana and the wise men come. They will repeatthis enchantment."

Les hiéroglyphites vinrent, leur chef en tête: Ennana jeta un regardsur le fleuve roulant des flots empourprés, et il vit de quoi ils’agissait.

The wise men came, led by their chief. Ennana cast a glance on the river andits purple waves, and saw at once what was the matter.

«Remets les choses en l’état primitif, dit-il au compagnon de Mosché,que je refasse ton enchantement.»

"Restore things to their primitive condition," he said to Mosche'scompanion; "I will repeat your wonder."

Aharon frappa de nouveau le fleuve, qui reprit aussitôt sa couleurnaturelle.

Aharon again smote the stream, which at once resumed its natural colour.

Ennana fit un signe d’approbation, comme un savant impartial qui rendjustice à l’habileté d’un confrère. Il trouvait la chose bien faite pourquelqu’un qui n’avait pas eu, ainsi que lui, l’avantage d’étudier la sagessedans les chambres mystérieuses du Labyrinthe, où quelques rares initiés peuventseuls parvenir, tant les épreuves à subir sont rebutantes.

Ennana nodded briefly, like an impartial expert who does justice to the skillof a colleague; he considered the enchantment was well wrought for one who hadnot had, like himself, the opportunity of studying wisdom in the mysteriouschambers of the labyrinth, where a very few of the initiated can alone enter,so trying are the tests which have to be undergone.

«À mon tour, dit-il, maintenant.»

Et il étendit sur le Nil sa canne gravée de signes hiéroglyphiques, enmarmottant quelques mots d’une langue si ancienne qu’elle ne devait déjà plusêtre comprise au temps de Ménei, le premier roi d’Égypte; une langue desphinx, aux syllabes de granit.

"It is my turn now," he said; and he stretched out over the Nile his rodengraved with hieroglyphic signs, muttering a few words of a tongue so old thatit had probably ceased to be understood even in the days of Mene, the firstking of Egypt,—a language spoken by sphinxes, with syllables of granite.

Une immense nappe rouge s’étendit soudainement d’une rive à l’autre, et leNil recommença à rouler ses ondes sanglantes vers la mer.

A vast red flood stretched suddenly from one bank to the other, and the Nileagain rolled ensanguined waves to the sea.

Les vingt-quatre hiéroglyphites saluèrent le roi comme s’ils allaient seretirer.

The twenty-four magicians saluted the king as if they were about towithdraw.

«Restez,» dit Pharaon.

"Remain," said the Pharaoh.

Ils reprirent leur contenance impassible.

They resumed their impassible countenances.

«N’as-tu pas d’autre preuve à me donner de ta mission quecelle-là? Mes sages, comme tu vois, imitent assez bien tesprestiges.»

"Have you no other proof of your mission than that? My wise men, you see,imitate your wonders very well."

Sans paraître découragé des paroles ironiques du roi, Mosché luidit:

«Dans sept jours, si tu n’es pas décidé à laisser aller les Israélitesau désert pour sacrifier à l’Éternel selon leurs rites, je reviendrai et jeferai devant toi un autre miracle.»

Without appearing discouraged by the ironical words of the King, Moschereplied: "In seven days' time, if you have not made up your mind to let Israelgo into the desert to sacrifice to the Lord according to their rites, I shallreturn and perform another wonder before you."

Au bout de sept jours, Mosché reparut. Il dit à son serviteur Aharon lesparoles de l’Éternel:

At the end of seven days Mosche reappeared. He spoke to his servant Aharonthe words of the Lord:—

«Étends ta main avec ton bâton sur les rivières, les fleuves, lesétangs, et fais monter les grenouilles sur le pays d’Égypte.»

"Stretch out thine hand with thy rod over the streams, over the rivers, andover the ponds, and cause the frogs to come up upon the land of Egypt."

Aussitôt qu’Aharon eut fait le geste, du fleuve, des canaux, des rivières,des marais surgirent des millions de grenouilles; elles couvraient leschamps et les chemins, sautaient sur les marches des temples et des palais,envahissaient les sanctuaires et les chambres les plus retirées; ettoujours des légions nouvelles succédaient aux premières apparues: il yen avait dans les maisons, dans les pétrins, dans les fours, dans lescoffres; on ne pouvait poser le pied nulle part sans en écraserune; mues comme par des ressorts, elles bondissaient entre les jambes, àdroite, à gauche, en avant, en arrière. À perte de vue, on les voyait clapoter,sauteler, passer les unes sur les autres: car déjà la place leurmanquait, et leurs rangs s’épaississaient, s’entassaient, s’empilaient;leurs innombrables dos verts formaient sur la campagne comme une prairie animéeet vivante, où brillaient, pour fleurs, leurs yeux jaunes. Les animaux,chevaux, ânes, chèvres, effrayés et révoltés, fuyaient à travers champs, maisretrouvaient partout cette immonde pullulation.

As soon as Aharon had done as he was bidden, millions of frogs emerged fromthe canals, the rivers, and the marshes; they covered the fields and the roads,they hopped upon the steps of the temples and the palaces, they invaded thesanctuaries and the most secret chambers; legions of other frogs followed thosewhich had first appeared; they were found in the houses, in thekneading-troughs, in the ovens, in the coffers; no one could step anywherewithout crushing some. As if moved by springs, they jumped between peoples'legs, to the right and the left, forward and backward; as far as the eye couldreach, they were seen rippling, hopping, jumping past one another, for theyalready lacked room, and their numbers grew, their ranks became denser, theyformed heaps here and there; innumerable green backs turned the countrysideinto a sort of animated green meadow, on which their yellow eyes shone likeflowers. The animals,—horses, asses, goats,—terrified and startled, fled acrossthe fields, but everywhere came upon the loathsome swarms.

Pharaon, qui du seuil de son palais contemplait cette marée montante degrenouilles d’un air ennuyé et dégoûté, en écrasait le plus qu’il pouvait dubout de son sceptre, et repoussait les autres de son patin recourbé. Peineinutile! de nouvelles venues, sorties on ne sait d’où, remplaçaient lesmortes, plus grouillantes, plus coassantes, plus immondes, plus incommodes,plus effrontées, faisant saillir l’os de leur échine, fixant sur lui leurs grosyeux ronds, écarquillant leurs doigts palmés, ridant la peau blanche de leursgoîtres. Les sales bêtes semblaient douées d’intelligence, et leurs bancsétaient plus denses autour du roi que partout ailleurs.

The Pharaoh, who from the threshold of his palace beheld this rising tide offrogs with weariness and disgust, crushed as many as he could with the end ofhis sceptre and pushed back the others with his curved sandals, but his labourwas lost; more frogs came no one knew whence, and took the places of the dead,swarming more than they did, croaking more than they did, more loathsome, moreuncomfortable, bolder, showing the vertebræ on their backs, staring at him withtheir big, round eyes, spreading out their webbed feet, wrinkling the whiteskin of their throats. The vile animals seemed endowed with intelligence, andthey formed denser shoals around the King than anywhere else.

L’inondation fourmillante montait, montait toujours; sur les genouxdes colosses, sur les corniches des pylônes, sur le dos des sphinx et descriosphinx, sur l’entablement des temples, sur les épaules des dieux, sur lespyramidions des obélisques, les hideuses bestioles, le dos gonflé, les pattesreployées, avaient pris position; les ibis qui, d’abord réjouis de cetteaubaine inattendue, les piquaient de leurs longs becs et les avalaient parcentaines, commençant à s’alarmer de cet envahissem*nt prodigieux, s’envolaientau plus haut du ciel, avec des claquements de mandibules.

The swarming flood grew and still grew: on the knees of the colossi, on thecornices of the palaces, on the backs of the sphinxes, on the entablatures ofthe temples, on the shoulders of the gods, on the pyramidions of the obelisks,the hideous reptiles, with swollen backs and indrawn feet, had taken up theirplaces. The ibises, which at first had rejoiced at this unexpected treat, andhad lanced them with their long beaks, now alarmed by this mighty invasion fledto the upper regions of the sky, snapping their long bills.

Aharon et Mosché triomphaient; Ennana, convoqué, paraissait réfléchir.Le doigt posé sur son front chauve, les yeux demi-fermés, on eût dit qu’ilcherchait au fond de sa mémoire une formule magique oubliée.

Aharon and Mosche triumphed. Ennana, having been summoned, was sunk inthought; his finger, placed upon his bald brow, his eyes half-closed, he seemedto be seeking within his memory for a forgotten magic formula.

Pharaon, inquiet, se tourna vers lui.

«Eh bien, Ennana! À force de rêver, as-tu perdu la tête?et ce prodige serait-il au-dessus de ta science?

The Pharaoh, somewhat uneasy, turned towards him. "Well, Ennana, have youlost your mind by dint of thought? Is this wonder beyond the reach of yourwisdom?"

— Nullement, ô roi; mais quand on mesure l’infini, qu’on supputel’éternité, et qu’on épelle l’incompréhensible, il peut arriver qu’on n’ait pasprésent à l’esprit le mot baroque qui domine les reptiles, les fait naître oules anéantit. Regarde bien! Toute cette vermine vadisparaître.»

"In no wise, O King; but when a man is engaged in measuring the infinite andcalculating eternity and in spelling out the incomprehensible, it may happenthat he does not at once recall the odd word which rules reptiles, makes themlive or destroys them. Watch! all this vermin is about to vanish."

Le vieil hiéroglyphite agita sa baguette et dit tout bas quelquessyllabes.

En un instant, les champs, les places, les chemins, les quais du fleuve, lesrues de la ville, les cours des palais, les chambres des maisons furentnettoyés de leurs hôtes coassants et rendus à leur état primitif.

The old magician waved his wand and whispered a few words; in an instant thefields, the squares, the roads, the quays along the stream, the streets in thecity, the courts of the palaces, the rooms of the houses, were cleansed oftheir croaking guests, and restored to their primitive condition.

Le roi sourit, fier du pouvoir de ses magiciens.

The King smiled, proud of the power of his magician.

«Ce n’est pas assez d’avoir rompu l’enchantemant d’Aharon, ditEnnana; je vais le refaire.»

"It is not enough to have broken the spell of Aharon," said Ennana; "I shallrepeat it."

Ennana agita sa baguette en sens inverse et prononça tout bas la formulecontraire.

Ennana waved his wand in the opposite direction and muttered the contraryformula.

Aussitôt les grenouilles reparurent en plus grand nombre que jamais,sautillant et coassant; en un clin d’œil la terre en fut couverte;mais Aharon étendit son bâton, et le magicien d’Égypte ne put dissiperl’invasion provoquée par ses enchantements. Il eut beau redire les motsmystérieux, l’incantation avait perdu sa puissance.

Immediately the frogs reappeared in greater numbers than before, leaping andcroaking. In a twinkling the whole land was covered with them, and then Aharonstretched out his rod, and the Egyptian magician was unable to dispel theinvasion called up by his enchantment. In vain he spoke the mysterious words,the incantation had lost its power.

Le collège des hiéroglyphites se retira rêveur et confus, poursuivi parl’immonde fléau. Les sourcils de Pharaon se contractèrent de fureur; maisil resta dans son endurcissem*nt, et ne voulut pas obtempérer à la supplicationde Mosché. Son orgueil essaya de lutter jusqu’au bout contre le Dieu inconnud’Israël.

The bands of wise men withdrew, pursued by the loathsome scourge, and thebrows of the Pharaoh were bent with anger, but he hardened his heart and wouldnot grant the prayer of Mosche; his pride strove to struggle and to fightagainst the unknown God of Israel.

Cependant, ne pouvant se débarrasser de ces horribles bêtes, Pharaon promità Mosché, s’il intercédait pour lui près de son Dieu, d’accorder aux Hébreux laliberté de sacrifier dans le désert.

However, unable to get rid of the terrible reptiles, Pharaoh promisedMosche, if he would intercede for him with his God, to grant the Hebrewspermission to go into the desert to sacrifice.

Les grenouilles moururent ou rentrèrent sous les eaux; mais le cœur dePharaon s’appesantit, et, malgré les douces remontrances de Tahoser, il ne tintpas sa promesse.

The frogs died or returned to the waters, but the Pharaoh hardened hisheart, and in spite of the gentle remonstrances of Tahoser, he did not keep hispromise.

Alors ce fut sur l’Égypte un déchaînement de fléaux et de plaies; unelutte insensée s’établit entre les hiéroglyphites et les deux Hébreux dont ilsrépétaient les prodiges. Mosché changea toute la poussière d’Égypte eninsectes, Ennana en fit autant. Mosché prit deux poignées de suie et les lançavers le ciel devant le Pharaon; et aussitôt une peste rouge, des feuxardents s’attachèrent à la peau du peuple d’Égypte, respectant les Hébreux.

Then was let loose upon Egypt a multitude of scourges and plagues. A fiercewarfare was waged between the wise men and the two Hebrews whose wonders theyreproduced. Mosche changed all the dust in Egypt into lice; Ennana did thesame. Mosche took two handfuls of ashes of the furnace and sprinkled themtoward the heaven in the sight of the Pharaoh, and immediately they became aboil breaking forth with blains upon man and upon beast among the Egyptians,but not upon the Hebrews.

«Imite ce prodige, s’écria Pharaon hors de lui, et rouge comme s’ilavait eu sur la face le reflet d’une fournaise, en s’adressant au chef deshiéroglyphites.

"Imitate that wonder!" cried the Pharaoh, beside himself with anger, and asred as if he were standing in front of a fiery furnace, as he addressed himselfto the chief of the wise men.

— À quoi bon? répondit le vieillard d’un ton découragé; le doigtde l’Inconnu est dans tout ceci. Nos vaines formules ne sauraient prévaloircontre cette force mystérieuse. Soumets-toi, et laisse-nous rentrer dans nosretraites pour étudier ce Dieu nouveau, cet Éternel plus puissant qu’Ammon-Ra,qu’Osiris, et que Typhon; la science de l’Égypte est vaincue;l’énigme que garde le sphinx n’a pas de mot, et la grande Pyramide ne recouvreque le néant de son énorme mystère.»

"It would be useless," replied the old man, in a tone of discouragement."The finger of the Unknown is in all this; our vain formulæ cannot prevailagainst that mysterious power. Submit, and let us return to our sanctuaries tostudy this new god, this Lord, who is more powerful than Ammon Ra, Osiris, andTyphon. The learning of Egypt has been overcome, the riddle of the sphinxcannot be answered, and the vast mystery of the great Pyramid coversnothingness only."

Comme Pharaon refusait toujours de laisser partir les Hébreux, tout lebétail des Égyptiens fut frappé de mort; les Israélites n’en perdirentpas une seule tête.

As the Pharaoh still refused to let the Hebrews go, all the cattle of theEgyptians were smitten with death; the Israelites lost not a single head.

Un vent du sud s’éleva et souffla toute la nuit, et lorsqu’au matin le jourparut, un immense nuage roux voilait le ciel d’un bout à l’autre; àtravers ce brouillard fauve, le soleil luisait rouge comme un bouclier dans laforge, et semblait dépouillé de rayons.

A wind from the south arose and blew all night long, and in the morning whenday dawned, a vast red cloud concealed the whole of the heavens. Through thedun-coloured fog the sun shone red like a buckler in the forge, and seemed tohave lost its beams.

Ce nuage différait des autres nuages; il était vivant, il bruissait etbattait des ailes, et s’abattait sur la terre non en grosses gouttes de pluie,mais en bancs de sauterelles roses, jaunes et vertes, plus nombreuses que lesgrains de sable au désert libyque; elles se succédaient par tourbillons,comme la paille que disperse l’orage; l’air en était obscurci,épaissi; elles comblaient les fossés, les ravines, les cours d’eau,éteignaient sous leurs masses les feux allumés pour les détruire; ellesse heurtaient aux obstacles et s’y amoncelaient, puis les débordaient.Ouvrait-on la bouche, on en respirait une; elles se logeaient dans lesplis des vêtements, dans les cheveux, dans les narines; leurs épaissescolonnes faisaient rebrousser les chars, renversaient le passant isolé et lerecouvraient bientôt; leur formidable armée, sautelant et battant del’aile, s’avançait sur l’Égypte, des Cataractes au Delta, occupant une largeurimmense, fauchant l’herbe, réduisant les arbres à l’état de squelettes,dévorant les plantes jusqu’à la racine, et ne laissant derrière elle qu’uneterre nue et battue comme une aire.

The cloud was different from other clouds, it was a living cloud; the noiseof its wings was heard; it alighted on the earth, not in the shape of greatdrops of rain, but in shoals of rose, yellow, and green grasshoppers, morenumerous than the grains of sand in the Libyan desert. They followed each otherin swarms like the straw blown about by the storm; the air was darkened; theyfilled up the ditches, the ravines, the streams; they put out by their meremass the fires lighted to destroy them; they struck against obstacles and thenheaped up and overcame them. If a man opened his mouth, he breathed one in;they found their way into the folds of the clothing, into the hair, into thenostrils; their dense columns made chariots turn back; they overthrew thesolitary passer-by and soon covered him. Their formidable army, springing andflying, marched over Egypt from the Cataracts to the Delta, over an immensebreadth of country, destroying the grass, reducing the trees to the conditionof skeletons, devouring plants to the roots, leaving behind but a bare earthtrodden down like a threshing-floor.

À la prière du Pharaon, Mosché fit cesser le fléau; un vent d’ouest,d’une violence extrême, emporta toutes les sauterelles dans la mer desAlgues; mais ce cœur obstiné, plus dur que l’airain, le porphyre et lebasalte, ne se rendit pas encore.

At the request of the Pharaoh Mosche made the scourge cease. An extremelyviolent west wind carried all the grasshoppers into the Sea of Weeds; but thePharaoh's obstinate heart, harder than brass, porphyry, or basalt, would notrelent.

Une grêle, fléau inconnu à l’Égypte, tomba du ciel, parmi des éclairsaveuglants et des tonnerres à rendre sourd, par grêlons énormes, hachant tout,brisant tout, rasant le blé, comme l’eût fait une faucille; puis, desténèbres noires, opaques, effrayantes, où les lampes s’éteignaient comme dansles profondeurs des syringes privées d’air, étendirent leurs nuages lourds surcette terre d’Égypte si blonde, si lumineuse, si dorée sous son ciel d’azur,dont la nuit est plus claire que le jour des autres climats. Le peuple,épouvanté, se croyant déjà enveloppé par l’ombre impénétrable du sépulcre,errait à tâtons ou s’asseyait le long des propylées, poussant des crisplaintifs et déchirant ses habits.

Hail, a scourge unknown to Egypt, fell from Heaven amid blinding lightningand deafening thunder, in enormous stones, cutting, bruising, breakingeverything, mowing down the grain as if with a scythe. Then black, opaque,horrifying darkness, in which lights were extinguished as in the depths of theairless passages, spread its heavy clouds over the land of Egypt, so fair, soluminous, so golden under its azure sky, where the night is clearer than thedaytime in other climes. The terrified people, believing themselves alreadyshrouded in the impenetrable darkness of the sepulchre, groped their way or satdown by the propylæa, uttering plaintive cries and tearing their clothes.

Une nuit, nuit d’épouvante et d’horreur, un spectre vola sur toute l’Égypte,entrant dans chaque maison dont la porte n’était pas marquée de rouge, et tousles premiers-nés mâles moururent, le fils de Pharaon comme le fils du plusmisérable paraschiste; et le roi, malgré tous ces signes terribles, nevoulait pas céder.

One night, a night of terror and of horror, a spectre flew across the wholeof Egypt, entering every house the door of which was not marked with red, andthe first-born of the males died, the son of the Pharaoh as well as the son ofthe meanest hind; yet the King, notwithstanding all these dread signs, wouldnot yield.

Il se tenait au fond de son palais, farouche, silencieux, regardant le corpsde son fils étendu sur le lit funèbre à pieds de chacal, et ne sentant pas leslarmes dont Tahoser lui baignait les mains.

He remained within the recesses of his palace, fierce, silent, gazing at thebody of his son stretched out upon the funeral couch with the jackals' feet,and heedless of the tears of Tahoser which wetted his hand.

Mosché se dressa sur le seuil de la chambre sans que personne l’eûtintroduit, car tous les serviteurs s’étaient enfuis de côté et d’autre, et ilrépéta sa demande avec une solennité imperturbable.

Mosche stood upon the threshold of the room without any one havingintroduced him, for all the servants had fled hither and thither; and herepeated his demand with imperturbable serenity.

«Allez! dit enfin Pharaon; sacrifiez à votre Dieu comme ilvous conviendra.»

"Go," said Pharaoh at last, "and sacrifice unto your God as you please."

Tahoser sauta au cou du roi et lui dit:

«Je t’aime maintenant; tu es un homme, et non un dieu degranit.»

Tahoser threw herself on the King's neck, and said to him, "Now I love you,for you are a man, and not a god of granite."

XVII

XVII

Pharaon ne répondit pas à Tahoser; il regardait toujours d’un œilsombre le cadavre de son fils premier-né; son orgueil indompté serévoltait même en se soumettant. Dans son cœur, il ne croyait pas encore àl’Éternel, et il expliquait les plaies dont l’Égypte avait été frappée par lepouvoir magique de Mosché et d’Aharon, plus grand que celui de seshiéroglyphites. L’idée de céder exaspérait cette âme violente etfarouche; mais, quand même il eût voulu retenir les Israélites, sonpeuple effrayé ne l’eût pas permis; les Égyptiens ayant peur de mourir,tous eussent chassé ces étrangers, cause de leurs maux. Ils s’écartaient d’euxavec une terreur superstitieuse, et, lorsque le grand Hébreu passait, suivid’Aharon, les plus braves s’enfuyaient, redoutant quelque nouveau prodige, etils se disaient: «La verge de son compagnon va-t-elle encore sechanger en serpent et s’enlacer autour de nous!»

The Pharaoh did not answer Tahoser; he gazed with a sombre eye upon the bodyof his first-born son; his untamed pride rebelled, even as he yielded. In hisheart he did not believe in the Lord, and he explained away the scourges whichhad smitten Egypt by attributing them to the magic power of Mosche and Aharon,which was greater than that of his magicians. The thought of yieldingexasperated his violent, fierce soul.

But even had he wished to retain the Israelites, his terrified people wouldnot have allowed it. The Egyptians, dreading to die, would all have driven outthe foreigners who were the cause of their ills and suffering. They kept awayfrom them with superstitious terror, and when the great Hebrew passed, followedby Aharon, the bravest fled, fearing some new prodigy, and they said, "Is notthe rod of his companion about to turn into a serpent again and coil itselfaround us?"

Tahoser avait-elle donc oublié Poëri en jetant ses bras au cou dePharaon? Nullement; mais elle sentait sourdre dans cette âmeobstinée des projets de vengeance et d’extermination. Elle craignait desmassacres où se fussent trouvés enveloppés le jeune Hébreu et la douce Ra’hel,une tuerie générale qui cette fois eût changé les eaux du Nil en véritablesang, et elle tâchait de détourner la colère du roi par ses caresses et sesdouces paroles.

Had Tahoser then forgotten Poëri when she threw her arms around thePharaoh's neck? In no wise; but she felt, springing up within the King'sobstinate soul, projects of vengeance and of extermination; she fearedmassacres in which would have fallen the young Hebrew and the gentle Ra'hel,—ageneral destruction, which this time would have changed the waters of the Nileinto real blood; and she strove to turn away the King's wrath by her caressesand gentle words.

Le cortège funèbre vint prendre le corps du jeune prince pour l’emporter auquartier des Memnonia, où il devait subir les préparations de l’embaumement,qui durent soixante-dix jours. Pharaon le vit partir d’un air morne, et il dit,comme agité d’un pressentiment mélancolique:

The funeral procession came for the body of the young prince, to carry it tothe Memnonia quarter, where it was to undergo the preparation for embalming,which lasts seventy days. The Pharaoh saw the body depart with a gloomy look,and he said, as if filled with a melancholy presentiment,—

«Voici que je n’ai plus de fils, ô Tahoser; si je meurs, tuseras reine d’Égypte.

"Now have I no longer a son, O Tahoser. If I die, you will be Queen ofEgypt."

— Pourquoi parles-tu de mort? dit la fille du prêtre; les annéessuccéderont aux années sans laisser trace de leur passage sur ton corpsrobuste, et autour de toi les générations tomberont comme les feuilles autourd’un arbre qui reste debout.

"Why speak of death?" said the priest's daughter; "years will follow yearswithout leaving a trace of their passage upon your robust body, and generationswill fall around you like the leaves around a tree which remains standing."

— Moi, l’invincible, n’ai-je pas été vaincu? répondit Pharaon. À quoisert que les bas-reliefs des temples et des palais me représentent armé dufouet et du sceptre, poussant mon char de guerre sur les cadavres, enlevant parleurs chevelures les nations soumises, si je suis obligé de céder auxsorcelleries de deux magiciens étrangers, si les dieux, auxquels j’ai élevétant de temples immenses bâtis pour l’éternité, ne me défendent pas contre leDieu inconnu de cette race obscure? Le prestige de ma puissance est àjamais détruit. Mes hiéroglyphites réduits au silence m’abandonnent; monpeuple murmure; je ne suis plus qu’un vain simulacre; j’ai voulu,et je n’ai pas pu. Tu avais bien raison de le dire tout à l’heure,Tahoser; me voilà descendu au niveau des hommes. Mais puisque tu m’aimesmaintenant, je tâcherai d’oublier, et je t’épouserai quand seront terminées lescérémonies funèbres.»

"Have I not been vanquished,—I who am invincible?" replied the Pharaoh. "Ofwhat use are the bassi-relievi of the temples and the palaces whichrepresent me armed with a scourge and a sceptre, driving my war chariot overbodies, and dragging by their hair subject nations, if I am obliged to yield tothe spells of a foreign magician,—if the gods to whom I have raised so manyvast temples, built for eternity, do not defend me against the unknown god ofthat low race? The prestige of my power is forever gone; my wise men, reducedto silence, abandon me; my people murmur against me. I am only a mightysimulacrum. I willed, and I could not perform. You were right when you saidjust now, Tahoser, that I am a man. I have come down to the level of men. Butsince you love me now, I shall try to forget; I shall wed you when the funeralceremonies are over."

Craignant de voir le Pharaon revenir sur sa parole, les Hébreux sepréparaient au départ, et bientôt leurs cohortes s’ébranlèrent, conduites parune colonne de fumée pendant le jour, de flamme pendant la nuit. Elless’enfoncèrent dans les solitudes sablonneuses entre le Nil et la mer desAlgues, évitant les peuplades qui eussent pu s’opposer à leur passage.

Fearing lest the Pharaoh should recall his word, the Hebrews were gettingready for departure, and soon their cohorts started, led by a cloud of smokeduring the day and a pillar of fire by night. They took their way through thesandy wastes that lie between the Nile and the Sea of Weeds, avoiding thetribes which might have opposed their passage.

Les tribus l’une après l’autre défilèrent devant la statue de cuivrefabriquée par les magiciens, et qui a le pouvoir d’arrêter les esclaves enfuite. Mais cette fois le charme, infaillible depuis des siècles, n’opérapas; l’Éternel l’avait rompu.

One after another, the Hebrew tribes defiled in front of the copper statuemade by the magicians, which possessed the property of stopping escapingslaves, but this time the spell, which had been invincible for centuries,failed to work; the Lord had destroyed it.

L’immense multitude s’avançait lentement, couvrant l’espace avec sestroupeaux, ses bêtes de somme chargées des richesses empruntées aux Égyptiens,traînant l’énorme bagage d’un peuple qui se déplace tout d’un coup: l’œilhumain ne pouvait atteindre ni la tête ni la queue de la colonne se perdant auxdeux horizons sous un brouillard de poussière.

The vast multitude advanced slowly, covering the land with its flocks, itsbeasts of burden laden with the riches borrowed from the Egyptians, draggingthe enormous baggage of a nation which is suddenly migrating. The human eyecould see neither the head nor the tail of the column, which disappeared oneither horizon in a cloud of dust.

Si quelqu’un se fût assis sur le bord de la route pour attendre la fin dudéfilé, il aurait vu le soleil se lever et se coucher plus d’une fois: ilen passait, il en passait toujours.

If any one had sat down by the roadside to see pass the whole procession, hewould have seen the sun rise and set more than once. Men came and came and camealways.

Le sacrifice à l’Éternel n’était qu’un vain prétexte; Israël quittaità jamais la terre d’Égypte, et la momie d’Yousouf, dans son cercueil peint etdoré, s’en allait sur les épaules des porteurs qui se relayaient.

The sacrifice to the Lord was a vain pretext; Israel was leaving the land ofEgypt forever, and the mummy of Yusouf, in its painted and gilded case, wascarried along on the shoulders of bearers who were relieved at regularintervals.

Aussi Pharaon entra dans une grande fureur, et il résolut de poursuivre lesHébreux qui s’enfuyaient. Il fit atteler six cents chars de guerre, convoquases commandants, serra autour de son corps sa large ceinture en peau decrocodile, remplit les deux carquois et son char de flèches et de javelines,arma son poignet du bracelet d’airain qui amortit le vibrement de la corde, etse mit en route, entraînant à sa suite tout un peuple de soldats.

So the Pharaoh became very wroth indeed, and resolved to pursue the fleeingHebrews. He ordered six hundred war chariots to be prepared, called togetherhis commanders, bound around his body his broad crocodile-leather belt, filledthe two quivers in his car with arrows and javelins, drew on his wrist hisbrazen bracelet which deadens the vibration of the cord, and started, followedby a nation of soldiers.

Furieux et terrible, il pressait ses chevaux à outrance, et derrière lui lessix cents chars retentissaient avec des bruits d’airain, comme des tonnerresterrestres. Les fantassins hâtaient le pas, et ne pouvaient suivre cette courseimpétueuse.

Furious and formidable, he urged his horses to their topmost speed, andbehind him the six hundred chariots sounded with the noise of brass likeearthly thunder. The foot-soldiers hastened on, but they were unable to keep upwith his impetuous speed.

Souvent Pharaon était obligé de s’arrêter pour attendre le reste de sonarmée. Pendant ces stations, il frappait du poing le rebord du char, piétinaitd’impatience et grinçait des dents. Il se penchait vers l’horizon, cherchant àdeviner derrière le sable soulevé par le vent les tribus fuyardes des Hébreux,et pensant avec rage que chaque heure augmentait l’intervalle qui les séparait.Si ses oëris ne l’eussent retenu, il eût poussé toujours droit devant lui, aurisque de se trouver seul contre tout un peuple.

Often the Pharaoh was obliged to stop and await the rest of his army. Duringthese halts he struck with his fist the edge of his chariot, stamped withimpatience, and ground his teeth. He bent towards the horizon, seeking toperceive, behind the sand whirled by the wind, the fleeing tribes of theHebrews, and raged at the thought that every hour increased the interval whichseparated them. Had not his officers held him back, he would have drivenstraight before him at the risk of finding himself single-handed against awhole people.

Ce n’était plus la verte vallée d’Égypte que l’on traversait, mais desplaines mamelonnées de changeantes collines et striées d’ondes comme la face dela mer; la terre écorchée laissait voir ses os; des rocsanfractueux et pétris en formes bizarres, comme si des animaux gigantesques leseussent foulés aux pieds quand la terre était encore à l’état de limon, au jouroù le monde émergeait du chaos, bossuaient çà et là l’étendue et rompaient deloin en loin par de brusques ressauts la ligne plate de l’horizon, fondue avecle ciel dans une zone de brume rousse. À d’énormes distances s’élevaient despalmiers épanouissant leur éventail poudreux près de quelque source souventtarie, dont les chevaux altérés fouillaient la vase de leurs narinessanglantes.

They were no longer traversing the green valley of Egypt, but plains variedwith many changing hills and barred with undulations like the surface of thesea; the framework of the land was visible through the thin soil. Jagged rocks,broken into all sorts of shapes, as if giant animals had trampled them underfoot when the earth was still in a condition of mud, on the day when it emergedfrom chaos, broke the stretches here and there, and relieved from time to timeby their abrupt breaks the flat horizon-line which merged into that of the skyin a zone of reddish mist. At vast distances grew palm trees, outspreadingtheir dusty leaves near some spring, frequently dried up, and in the mud ofwhich the thirsty horses plunged their bloodshot nostrils.

Mais Pharaon, insensible à la pluie de feu qui ruisselait du ciel chauffé àblanc, donnait aussitôt le signal du départ, et coursiers, fantassins, seremettaient en marche.

But the Pharaoh, insensible to the rain of fire which fell from thewhite-hot heavens, at once gave the signal for departure, and horsem*n andfootmen started again on the march.

Des carcasses de bœufs ou de bêtes de somme couchées sur le flanc, au-dessusdesquelles tournoyaient des spirales de vautours, marquaient le passage desHébreux et ne permettaient pas à la colère du roi de s’égarer.

Bodies of oxen or beasts of burden lying on either side, with spirals ofvultures sweeping around above them, marked the passage of the Hebrews, andprevented the angry King from losing their track.

Une armée alerte, exercée à la marche, va plus vite qu’une migration depeuple traînant après elle femmes, enfants, vieillards, bagages ettentes; aussi l’espace diminuait rapidement entre les troupes égyptienneset les tribus israélites.

A swift army, practised to marching, goes faster than a migrating peoplewhich drags with it women, children, old men, baggage, and tents; so thedistance was rapidly diminishing between the Egyptian troops and the Israelitetribes.

Ce fut vers Pi-ha’hirot, près de la mer des Algues, que les Égyptiensatteignirent les Hébreux. Les tribus étaient campées sur le rivage, et, quandle peuple vit étinceler au soleil le char d’or de Pharaon suivi de ses chars deguerre et de son armée, il poussa une immense clameur d’épouvante, et se mit àmaudire Mosché qui l’avait entraîné à sa perte.

It was near Pi-ha'hiroth that the Egyptians came up with the Hebrews. Thetribes were camped on the shore, but when the people saw shining in the sun thegolden chariot of the Pharaoh, followed by his war chariots and his army, theyuttered a mighty shout of terror, and began to curse Mosche, who had led themto destruction.

En effet, la situation était désespérée.

Devant les Hébreux, le front de la bataille; derrière, la merprofonde.

In point of fact their situation was desperate: in front of the Hebrews wasthe line of battle, behind them the deep sea. The women rolled on the ground,tearing their clothes, pulling at their hair, beating their breasts.

Les femmes se roulaient à terre, déchiraient leurs habits, s’arrachant lescheveux, se meurtrissant le sein. «Que ne nous laissais-tu enÉgypte? la servitude vaut encore mieux que la mort, et tu nous as emmenésau désert pour y périr: avais-tu donc peur de nous voir manquer desépulcres?»

"Why did you not leave us in Egypt? Slavery is better than death, and youhave led us into the desert to die. Were you afraid that we should not havesepulchres enough?"

Ainsi vociféraient les multitudes furieuses contre Mosché, toujoursimpassible: les plus courageux se jetaient sur leurs armes et sepréparaient à la défense; mais la confusion était horrible et les charsde guerre, en se lançant à travers cette masse compacte, devaient y faired’affreux ravages.

Thus yelled the multitudes, furious with Mosche, who remained impassible.The bolder took up their arms and prepared to defend themselves, but theconfusion was frightful, and the war chariots, when they charged through thatcompact mass, would certainly make an awful slaughter.

Mosché étendit son bâton sur la mer après avoir invoclué l’Éternel; etalors eut lieu un prodige que nul hiéroglyphite n’eût pu contrefaire. Il seleva un vent d’orient d’une violence extraordinaire, qui creusa l’eau de la merdes Algues comme le soc d’une charrue gigantesque, rejetant à droite et àgauche des montagnes salées couronnées de crêtes d’écume. Séparées parl’impétuosité de ce souffle irrésistible qui eût balayé les Pyramides comme desgrains de poussière, les eaux se dressaient en murailles liquides et laissaientlibre entre elles un large chemin où l’on pouvait passer à pied sec; àtravers leur transparence, comme derrière un verre épais, on voyait lesmonstres marins se tordre, épouvantés d’être surpris par le jour dans lesmystères de l’abîme.

Mosche stretched out his hand over the sea, after having called upon thename of the Lord, and then took place a wonder which no magician could haverepeated; there arose an east wind of startling violence which blew through thewaters of the Sea of Weeds like the share of a giant plough, throwing to rightand left briny mountains crowned with crests of foam. Divided by theimpetuosity of that irresistible wind, which would have swept away the pyramidslike grains of dust, the waters rose like liquid walls and left free betweenthem a broad way which could be traversed dry shod. Through their translucency,as behind thick glass, were seen marine monsters twisting and squirming,terrified at being surprised by daylight in the mysterious depths of theabyss.

Les tribus se précipitèrent par cette issue miraculeuse, torrent humaincoulant à travers deux rives escarpées d’eau verte. L’innombrable fourmilièretachait de deux millions de points noirs le fond livide du gouffre, etimprimait ses pieds sur la vase que raye seul le ventre des léviathans. Et levent terrible soufflait toujours passant par-dessus la tête des Hébreux, qu’ileût couchés comme des épis, et retenant par sa pression les vagues amonceléeset rugissantes. C’était la respiration de l’Éternel qui séparait en deux lamer!

The Hebrew tribes rushed through this miraculous issue, forming a humantorrent that flowed between two steep banks of green waters. An innumerablerace marked with two millions of black dots the livid bottom of the gulf, andimpressed its feet upon mud which the belly of the leviathans alone had rayed;and the terrible wind still blew, passing over the heads of the Hebrews, whomit would have thrown to the ground like grain, and keeping back by its breaththe heap of roaring waters.

It was the breath of the Lord which was dividing the sea.

Effrayés de ce miracle, les Égyptiens hésitaient à poursuivre lesHébreux; mais Pharaon, avec son courage altier que rien ne pouvaitabattre, poussa ses chevaux qui se cabraient et se renversaient sur le timon,les fouaillant à tour de bras de son fouet à double lanière, les yeux pleins desang, l’écume aux lèvres et rugissant comme un lion dont la proies’échappe! il les détermina enfin à entrer dans cette voie si étrangementouverte!

Terrified at the wonder, the Egyptians hesitated to pursue the Hebrews, butthe Pharaoh, with that high courage which nothing could daunt, urged on hishorses, which reared and plunged, lashing them in turn with his terriblethonged whip, his eyes bloodshot, foaming at the lips, and roaring like a lionwhose prey is escaping. He at last compelled them to enter that strangelyopened road.

Les six cents chars suivirent: les derniers Israélites, parmi lesquelsse trouvaient Poëri, Ra’hel et Thamar, se crurent perdus, voyant l’ennemiprendre le même chemin qu’eux; mais, lorsque les Égyptiens furent bienengagés, Mosché fit un signe: les roues des chars se détachèrent, et cefut une horrible confusion de chevaux, de guerriers, se heurtant ets’entrechoquant; puis les montagnes d’eau miraculeusem*nt suspenduess’écroulèrent, et la mer se referma, roulant dans des tourbillons d’écumehommes, bêtes, chars, comme des pailles saisies par un remous au courant d’unfleuve.

The six hundred cars followed. The Israelites of the rear guard, among whomwere Poëri, Ra'hel, and Thamar, believed themselves lost when they saw theenemy taking the same road that they had traversed. But when the Egyptians werefairly within the gulf, Mosche made a sign, the wheels of the cars fell off,and there was a horrible confusion of horses and warriors falling against eachother. Then the mountains of water, miraculously sustained, suddenly fell, andthe sea closed in, whirling in its foam men and animals and chariots like strawcaught by the eddies in the current of a river.

Seul, Pharaon, debout dans la conque de son char surnageant, lançait, ivred’orgueil et de fureur, les dernières flèches de son carquois aux Hébreuxarrivant sur l’autre rive: les flèches épuisées, il prit sa javeline, et,déjà plus qu’à moitié englouti, n’ayant plus que le bras hors de l’eau, il ladarda, trait impuissant, contre le Dieu inconnu qu’il bravait encore du fond del’abîme.

Une lame énorme, se roulant deux ou trois fois sur le bord de la mer, fitcouler bas les derniers débris: de la gloire et de l’armée de Pharaon ilne restait plus rien!

Alone the Pharaoh, standing within his chariot, which had come to thesurface, shot, drunk with pride and anger, the last arrows of his quiveragainst the Hebrews, who were now reaching the other shore. Having exhaustedhis arrows, he took up his javelin, and although already nearly half engulfed,with his arm alone above the water, he hurled it, a powerless weapon, againstthe unknown God whom he still braved from the depths of the abyss. A mightybillow, which rolled two or three times over the edge of the sea, engulfed thelast remains.

Nothing was left of the glory and of the army of the Pharaoh.

Et sur le rivage opposé, Miriam, la sœur d’Aharon, exultait et chantait enjouant du tambourin, et toutes les femmes d’Israël marquaient le rythme sur lapeau d’onagre. Deux millions de voix entonnaient l’hymne dedélivrance!

On the other bank Miriam, the sister of Aharon, exulted and sang as sheplayed on the timbrel, and all the women of Israel beat time upon onager-skins.Two millions of voices were singing the hymn of deliverance.

XVIII

XVIII

Tahoser attendit en vain Pharaon et régna sur l’Égypte, puis elle mourut aubout de peu de temps. On la déposa dans la tombe magnifique préparée pour leroi, dont on ne put retrouver le corps, et son histoire, écrite sur papyrusavec des têtes de chapitre en caractères rouges, par Kakevou, grammate de ladouble chambre de lumière et gardien des livres, fut placée à côté d’elle sousle lacis des bandelettes.

Tahoser in vain awaited Pharaoh, and then reigned over Egypt. Then she alsodied after a short time. She was placed in the magnificent tomb which had beenprepared for the king, whose body was never found; and her story, written uponpapyrus, with the headings of the pages in red characters, by Kakevou, a scribeof the double chamber of light and keeper of the books, was placed by her sideunder the network of bands.

Était-ce Pharaon ou Poëri qu’elle regrettait? Le grammate Kakevou nele dit pas, et le docteur Rumphius, qui a traduit les hiéroglyphes du grammateégyptien, n’a pas osé prendre sur lui de décider la question.

Was it the Pharaoh or Poëri she regretted? Kakevou the scribe does not tellus, and Dr. Rumphius, who translated the hieroglyphs of the Egyptian grammat,did not venture to settle the question.

Quant à Lord Evandale, il n’a jamais voulu se marier, quoiqu’il soit ledernier de sa race. Les jeunes misses ne s’expliquent pas sa froideur àl’endroit du beau sexe; mais, en conscience, peuvent-elles imaginer queLord Evandale est rétrospectivement amoureux de Tahoser, fille du grand prêtrePétamounoph, morte il y a trois mille cinq cents ans? Il y a pourtant desfolies anglaises moins motivées que celle-là.

As for Lord Evandale, he never married, although he was the last of hisrace. His young countrywomen cannot understand his coldness towards their sex.But it would never occur to them that Lord Evandale is retrospectively in lovewith Tahoser, the daughter of the high-priest Petamounoph, who died threethousand five hundred years ago. Yet there are English crazes which have lesssound reason for their existence than this one.

FIN

The Romance of a Mummy, by Théophile Gautier (2024)

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